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Dans la nuit brune – Agnès Desarthe

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Dans la nuit brune Agnès Desarthe Editions de l’Olivier 2010 Points poche P2686  233 pages

Jérôme est un homme un peu perdu. Il assiste , impuissant, à la douleur et au deuil de sa fille. Il est loin des mots. « Ne pourrait-on, un instant, revenir à une préhistoire du langage, à sa découverte, à son enfance, à l’époque où chaque vocable s’ancrait profondément dans ses racines, les traînait à sa suite, où l’on parlait si peu que chaque déclaration provoquait un effarement ? »

Mais comment apprendre à parler quand on est un homme ? Comment parler aux autres quand les hommes ne se parlent pas ? Où plonger en soi, dans quelle contrée ? Jusqu’où faut-il remonter ou s’enfouir ?

On reconnaît dans ce personnage des accents woolfiens. Son amour pour la terre est son désir pour la mère, sa quête des origines dont il ne sait rien sinon qu’il fut trouvé dans la forêt par un couple qui l’adopta. La forêt est son ventre maternel, son utérus profond. Pourquoi fut-il laissé là et par qui ?

Agnès Desarthe plonge ici dans le mythe de l’enfant sauvage. Jerôme a vécu une partie de sa vie livré à lui-même et à sa nature profonde et sauvage, avant d’être adopté, de revenir à la vie policée qu’exige la société des Hommes. De cette expérience il garde un lien avec cette sauvagerie que l’on s’applique d’habitude à tuer en nous pour entrer dans la culture.

           Mais en écho à son expérience, une sauvagerie beaucoup plus profonde et cruelle rôde, meurtre, rites sataniques d’une jeunesse désoeuvrée, qui est une constante menace au cœur de toute société humaine. A l’extériorité de la vie sociale, fait écho l’intériorité de nos sentiments et de leur possible violence : le chagrin, et le désespoir qui nous débordent, qui menacent notre fragile équilibre et le mythe tout aussi puissant d’une rationnalité qui nous protègerait de nos instincts.

            Le petit ami de sa famille est mort dans un accident de moto. Accident ou meurtre savamment maquillé ? Nul ne le sait…

Son histoire rejoint l’Histoire et il va devoir replonger dans son passé.

Ce livre a obtenu le Prix Renaudot des lycéens 2010.

On lit ce roman avec plaisir. On plonge en même temps que le personnage principal dans un univers sombre et mystérieux, un tantinnet obsessionnel, dans une nature sauvage et profonde, hantée par nos propres thèmes inconscients. Et puis on sort de ce songe dans les fureurs de l’Histoire et le bruit des bottes. Une sorte de réveil brutal. On suit alors pas à pas l’histoire sombre de la famille de Jérôme. Pour être un homme, Jérôme ne sera pas dispensé d’accoucher de lui-même.

Agnès Desarthe écrit dans un langage bruissant, mêlé de souffles polyphoniques, de râles et de cris. Un langage qui n’oublie rien de ses origines.

Un livre intelligent.

Née en 1966 à Paris, Agnès Desarthe est agrégée d’anglais, romancière et traductrice. Elle a notamment écrit Mangez-moi et le Remplaçant (prix Version Femina-Virgin Megastore). Elle a écrit également de nombreux livres pour la jeunesse, Comment j’ai changé ma vie, Le Monde d’à côté. Elle a également co-écrit avec Geneviève Brisac un livre sur Virginia Woolf.

En lecture commune avec  Evalire    et   Philisine Cave