Paroles de femmes : Edna O’Brien

Edna-O-Brien

Je crois que cette chose mystérieuse qui fait de l’un des membres d’une famille un écrivain, alors que les autres ne le sont pas, tient au fait qu’un écrivain est un écrivain avant même d’être capable de parler. L’histoire d’amour et le combat avec les mots viennent plus tard. Il faut ensuite être capable de se retirer en soi-même. Tous les auteurs que j’aime ont dû faire retraite en eux-mêmes. Ceux qui n’en sont pas capables peuvent certes écrire un bon livre, mais ils n’en écriront pas d’autres, car ils se laisseront tenter par le monde.

Je crois profondément que, pour écrire, il faut être perturbé. Sinon, pourquoi voudrait-on écrire ? Ce n’est pas une occupation naturelle, c’est une occupation obsessionnelle, névrotique, et surtout solitaire. Je crois que les écrivains sont plus perturbés que les peintres par exemple, car leur travail est uniquement mental alors que celui des peintres contient au moins une part physique. Je suis convaincue qu’écrire correspond à une tentative, à un besoin de créer un monde dont vous savez qu’il n’existe pas. Je crois que l’écrivain essaie toujours d’écrire quelque chose qu’il est à peine capable d’écrire, ou peut-être incapable d’écrire. Même quand vous tenez les mots les plus brillants, il reste toujours un obstacle infranchissable pour arriver à la perfection. Et cela rend impossible toute existence heureuse. Je pense toutefois que les écrivains expérimentent des moments d’extra-lucidité. Ces moments où vous essayez de faire quelque chose, vous y arrivez presque mais pas tout à fait, et soudain ça y est : vous avez obtenu ce que vous ne croyiez pas pouvoir obtenir, et cela est extraordinaire.

propos recueillis par  Alexis Liebaert. L’intégralité de l’interview a été publiée dans le numéro 501 du Magazine Littéraire en octobre 2010.

7 réflexions sur « Paroles de femmes : Edna O’Brien »

  1. http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie/nevrose-3242.html

    Il y aurait une étude passionnante à faire sur le besoin de lecture d’un amoureux des livres. Est-ce pour trouver une réponse à une névrose, par exemple?

    Le lecteur peut-il avoir un comportement différent dans sa vie quotidienne par rapport à un non-lecteur????

    En résumé, quel est le rôle de la lecture dans la vie d’un être humain?
    Commentaire n°4 posté par Denis le 21/08/2012 à 17h41

    J »ai lu avec intérêt les différentes sortes de névroses, et je me disais qu’à un niveau plus ou moins fort, beaucoup de gens avaient des symptôme d’angoisse, de claustrophobie, d’agoraphobie, etc.

    Le lecteur ou le blogueur, car nous sommes une espèce de lecteurs plutôt compulsifs (ce qui pourrait déjà être une pathologie légère) avec déconnexion de la réalité, fuite de soi dans des mondes imaginaires, troubles addictifs liés à l’utilisation quotidienne d’internet etc.. Et puis nous écrivons sur les livres, soit, mais nous écrivons. Je pense que le lecteur a un comportement différent, une écoute, une intuition plus fine des sentiments humains, plus de mal avec les choses pratiques, des problèmes de poids s’il ne fait pas assez d’activité physique pour rattraper tous les moments où il lit assis et allongé. Il y avait un numéro de sciences humaines sur le rôle de la lecture dans la vie d’un être humain, il faudra que je le retrouve. Il me semble que j’avais écrit à ce sujet.

    Merci pour le dialogue, c’était sympa !
    Réponse de Anis le 22/08/2012 à 00h41

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  2. cet article serait vraiment intéressant à lire en effet pour les compulsifs que nous sommes. Et les blogs nous servent à communiquer notre ressenti sur un ivre par exemple, pour sortir de soi en quelque sorte, partager, c’est plutôt bon signe… pour évacuer nos « névroses » de lecteur
    Commentaire n°2 posté par Denis le 22/08/2012 à 12h36

    Tout à fait Denis, j’ai la plus haute idée de notre fonction, et en même temps on se fait plaisir tout en assumant héroïquement nos névroses. Si je retrouve le numéro je te donnerai les références.
    Réponse de Anis le 22/08/2012 à 15h51

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  3. tu me donnes envie de découvrir cette auteure.
    Commentaire n°3 posté par Theoma le 22/08/2012 à 12h26

    Elle est assez difficile à lire cependant mais rien n’est impossible quand on est capable de subir les angoisses de Sylvia Plath.
    Réponse de Anis le 22/08/2012 à 15h50

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  4. Très très juste tout ça… En tout cas ça rejoint tout à fait ce que je pense !!
    Commentaire n°1 posté par L’or des chambres le 25/08/2012 à 16h04

    On dit toujours que les grands esprits se rencontrent. Lecture/Ecriture l’un se nourrit parfois de l’autre.
    Réponse de Anis le 25/08/2012 à 17h04

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  5. très belle méditation sur l’art d’écrire, en espérant tout de même que la névrose ne soit pas le seul point d’entrée en littérature pour un auteur
    Commentaire n°5 posté par Denis le 20/08/2012 à 18h00

    Je crains que l’aspect névrotique – mais après tout il peut être léger- est indispensable. mais ne sommes-nous pas tous des névrosés ?
    Réponse de Anis le 21/08/2012 à 10h58

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