Masculin/féminin : une nouvelle définition – Bifteck de Martin Provost

bifteck

On retrouve dans ce livre, un univers merveilleux, une sorte de réalisme mêlé de fantastique qui fait penser au courant littéraire latino-américain initié par Gabriel García Marquez, le réalisme magique « genre qui insère des éléments magiques et des événements surnaturels dans des situations se rattachant à un cadre historique et géographique avéré. » Ce courant littéraire a fait de nombreux émules et Carole Martinez et Véronique Ovaldé, en France, présentent dans leurs romans des caractéristiques similaires en les insérant dans un univers typiquement féminin. Martin Provost, à son tour, écrit un texte qui mêle à la fois les deux univers : il emprunte au réalisme magique des éléments réalistes puisqu’il s’agit de l’histoire d’une famille, les Plomeur, à Quimper, où l’on est boucher de père en fils. Le cadre historique est la Grande Guerre qui fait rage et dévore ses enfants mâles. André est donc le seul mâle à Quimper, capable de faire « chanter la chair » celle qui se pavane sur les étals de sa boucherie, mais aussi la chair esseulée des femmes. D’ailleurs « la force d’aimer du tout jeune étalon était telle qu’être aimée une seule fois suffisait pour que l’on eût l’impression d’être aimée pour toujours ».

Mais la Grande Guerre se termine et les maris reviennent, provoquant une certaine panique chez ces dames qui ont gardé de leurs ébats, un souvenir plus tangible que quelques soupirs… Les marmots ne cessent d’affluer devant la boucherie dans des paniers déposés nuitamment  et André en voit sa vie bouleversée.

« Preuve vivante que l’instinct maternel n’appartient pas qu’aux femmes, il jouait les deux rôles à la fois. En précurseur, il comprit que l’homme n’était pas seulement homme, et la femme pas seulement femme, mais bien sûr l’un et l’autre, comme la lune, solidaire du soleil, partage le même ciel. »

André fait donc l’expérience en lui-même d’une nouvelle dimension qui intègre masculinité et féminité, une façon d’être au monde qui rétablit l’unité originelle et une façon d’être aux autres qui rétablit une bienveillance profonde à l’égard des deux sexes : la guerre des sexes annoncée par Nietzsche a fait long feu.

Peu de distance chez ce père qui regroupe ses enfants « en un seul corps indissociable », aime les voir « se lover contre lui », aime les serrer à les étouffer.

Que penser de ce mélange des rôles, de ce père qui ignore toute distance (les psychologues et psychanalystes ne mettent-ils pas en avant la distance nécessaire au père qui représente la règle et la loi, confondant peut-être un fait culturel avec une réalité biologique.) D’ailleurs dans la nature, il y a de nombreux pères qui s’occupent longtemps de leurs petits. « Il existe également dans la nature, des pères qui portent les petits, et les mettent au monde, par exemple l’hippocampe. La mère s’éclipse dès la ponte des œufs, que le père recueille, comme cela arrive parfois dans certaines familles humaines…Chez les oiseaux, le partage des tâches (couvaison, nourriture) est très souvent, sinon presque toujours, assumé à égalité entre le mâle et la femelle. »

Les éléments magiques ou fantastiques apparaissent alors : les bambins sont au nombre de 7, sans mère qui plus est, et André endosse alors la figure de l’Immaculée Conception. Les sept petits poucets sont remplacés  ici par sept bambins bercés par André, comprenant déjà que « l’amour d’un père a plusieurs visages ». Mais la ressemblance entre certains bambins et leurs mères risque d’être compromettante et la vie de cette famille monoparentale est à nouveau bouleversée. Il leur faut fuir…

J’ai bien aimé ce conte, cette fable sur ce père nouvelle mouture, ses relations avec ses enfants même si sur la fin le récit s’essouffle un peu. La fin est une assez belle métaphore sur la mort et le plaisir mais elle n’est pas totalement convaincante. Ce récit est souvent plus profond qu’il n’y paraît, redéfinit les rôles du père et de la mère, puisque ce sont les mères ici qui laissent leurs enfants, plutôt qu’elles ne les abandonnent, à la garde et à l’amour du père. Ce père mobilisant en lui toutes les ressources de ce qu’on appelle la féminité pour éduquer et aimer ses enfants. Il montre que ce que l’on appelle féminité n’a pas vraiment de sens, c’est autre chose, un élan dans chaque être qu’on développe plus ou moins selon l’environnement social et culturel (cf les papas-poules).

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