Avec la participation de Brit Bennett, Jean Hegland et Gabriel Tallent
Quels sentiments agitent le cœur des femmes ? Qu’est-ce qui les fait se mouvoir, changer, lutter ? Comment devient-on une femme puissante ?
Brit Bennet explore les thématiques de la place des femmes, de l’avortement, de la solitude, de l’abandon et du désir de maternité dans son roman « Le cœur battant de nos mères ». La narration est menée par un chœur, comme au sein de la tragédie, mais un chœur de mères. L’auteure avoue s’intéresser depuis longtemps au rôle des femmes au sein des Eglises, souvent cantonnées aux basses œuvres et rarement mises en avant. Elle a donc décidé de leur donner la parole, de les faire sortir de cet anonymat.
Nadia et Aubrey, les deux protagonistes de l’histoire vivent sans leur mère et se sentent trahies, abandonnées. Leur réponse va consister, par ricochet, à se mettre à distance de la maternité, par peur de devenir sa propre mère et de connaître la même fin tragique ou à conjurer le sort, devenir une mère autre. Deux alternatives que les deux personnages vont devoir choisir.
Le fait d’être membre d’une communauté religieuse va avoir une incidence sur leur vie de jeune femme en devenir. L’Eglise a été un refuge pour elles deux, elles y ont trouvé un soutien. Toutefois cette communauté fermée, et bienveillante va devenir une force de répression, une force maléfique qui va aussi les juger.
Nadia va s’en échapper pour aller étudier à l’université, elle devient une version alternative de la vie de l’autre, alors qu’Aubrey va choisir de rester dans le cocon qui a pour elle un effet rassurant et protecteur.
Le chœur de mères exprime aussi la frustration par rapport à toutes les épreuves qu’elles ont été amenées à vivre dans leur condition de femmes. Elles projettent inévitablement leurs souffrances passées sur la jeune génération.
Jean Hegland choisit de placer ses protagonistes dans un lieu bien différent (dans la forêt). Nell et Eva sont sœurs et vivent, à dix-huit ans, dans une maison éloignée au plus profond de la forêt que leurs parents, un tantinet excentriques, ont choisi par goût de la solitude. Ils meurent et elles se retrouvent bientôt sans ressources. Elles ne peuvent plus rien acheter, et manquent bientôt de tout. L’électricité est coupée et elles n’ont progressivement plus aucun contact avec l’extérieur. Nell raconte cette histoire dans un carnet. Etre au cœur de la forêt pourrait bien leur apprendre à connaître leur propre cœur, comme si les deux pouvaient battre à l’unisson.
On ressent l’atmosphère intemporelle des contes, la forêt est un personnage complexe : forêt sombre où l’on trouve des loups, des plantes venimeuses, des animaux sauvages, dangereuse mais également lieu magnifique et protecteur, plein de ressources.
Nell va l’apprivoiser et évoluer avec le temps. Elles ont grandi avec l’idée qu’il fallait se méfier de cette forêt et la craignent. Cette relation avec le milieu naturel va se transformer pour devenir de plus en plus profonde. Les deux sœurs, l’une passionnée de danse et l’autre de lecture ont la volonté de se protéger mutuellement. Toutefois l’une devient plus protectrice et prend de l’ascendant. L’auteure, fille unique, a tenté, à travers cette histoire, d’imaginer une sœur possible.
Elles sont aussi dans le conflit, dans l’opposition : il s’agissait de faire évoluer cette relation amour/conflit. Dans le même temps, la forêt devient protectrice, les plus dangereux étant les hommes. Elles doivent abandonner la vision qu’elles avaient de la forêt et renoncer aussi à leurs ambitions respectives afin de dépasser leurs difficultés.
Gabriel Tallent (My absolute darling) plante son scalpel encore plus profondément dans le cœur des femmes. Il dit avoir mis huit ans à écrire ce livre. Julia-Turtle a quatorze ans. Elle vit avec son père dans une maison isolée, il lui enseigne la chasse, les armes et abuse sexuellement d’elle. Alors qu’il part pour quelques jours, elle va tente de se défaire de son emprise.
« J’avais une ambition folle. J’avais très peur. J’avais écrit un livre avec de grandes idées dont Turtle faisait partie et je me suis dit qu’elle méritait un livre entier. »
Gabriel Tallent tente de mettre à jour la complexité émotionnelle, ce qui est terriblement difficile car la société tente souvent de simplifier les conflits émotionnels, d’exclure l’ambivalence, la vérité de ce que les personnes vivent. Il fallait sonder le cœur de cette toute jeune fille, exprimer la dimension de la honte et la cerner.
Trois auteur(e)s, trois tentatives de mettre à nu les ressort les plus intimes, d’écouter les pulsations de nos cœurs, qui nous font avancer et nous transformer afin de survivre et exister.