L’hostie de mer
Malika porta la main à son ventre. La douleur disparut pendant un instant, pour revenir encore plus violente. L’enfant qu’elle abritait avait glissé d’elle, tous ses espoirs étaient réduits à néant.
Le néant, le vide… voilà ce qu’elle ressentait, ce matin, en se promenant sur la plage. Ses yeux ne voyaient plus rien, un poids immense pesait sur sa tête, ses épaules. Tout ce que l’enfance évoquait de doux, de tendre, avait fui dans un ailleurs inaccessible. Elle se trouvait nue jusqu’à l’os parcourue d’éclairs vertigineux à la limite de l’insoutenable.
Elle avait repris sa voiture, roula en direction de Cancale, et la gara dans le parking, qui fait face au port. Ses pas la portèrent vers la promenade de la Houle. Elle distinguait les autres promeneurs, les chiens qui couraient en jappant, les enfants qui se poursuivaient en riant. Bien sûr, ils sont en vacances pensa t’elle. Elle alla jusqu’au bout de la jetée, s’accouda à la balustrade derrière le phare, ferma les yeux, les rouvrit. Des vaguelettes venaient clapoter rythmiquement contre la paroi de béton. La mer s’étendait devant elle, calme, sereine.
Granville, le Mont Saint-Michel, Mont-Dol se profilaient au loin, comme des repères familiers. Elle aspira l’air et éprouva un plaisir qui la surprit. Il était chargé de l’odeur âcre du goudron et de celle si spéciale des algues. Il lui sembla que l’eau inondait ses narines, sa tête, son corps. Elle eut l’impression d’être portée, de flotter sur un coussin moelleux. Elle soupira et , détachant ses yeux de al mer qu’elle venait de fixer, reprit la direction du port. Elle regarda quelques vitrines, huma au passage le parfum de brioche qui provenait de la boulangerie, puis décida brusquement d’entrer au « Pied de cheval » et de déguster des huîtres. La jeune fille, souriante, vint prendre la commande, lui proposant des « pieds de cheval » ou des « portugaises ». Elle opta pour ces dernières. Lorsqu’elle revint vers sa table, chargée d’une assiette d’où débordaient des algues, Malika se détendit, sourit, et en contempla le contenu avant de se mettre à manger.
La première huître portée à sa bouche la remplit de joie. D’une joie qui dépassait de beaucoup le simple plaisir gustatif. Elle but le jus frais et une grande vague la frappa au visage, lui fit perdre pied, l’attira dans un fond marin, la comblant d’une félicité primitive, aqueuse et ronde. Elle flottait dans le ventre de sa mère, dans le ventre de la mer. Et du plus profond d’elle même remontait la certitude d’une autre filiation, celle qui la liait à la terre. Elle sut, d’une façon instinctive, que rien n’était irrémédiablement perdu. Que l’embryon qui s’était détaché de son ventre pour rouler vers la mort vivait mystérieusement quelque part dans une goutte d’eau salée, comme celle de la mer. Il lui semblait toucher toutes les vies et les morts, et qu’elles convergeaient vers un point unique que la goutte englobait.
Soudain, elle repensa à un rêve qu’elle avait fait quelques années auparavant : il en ressortait une phrase nette, inexplicable à ce moment là : « Cancale est le dernier bastion de la royauté ». Comme cela était vrai aujourd’hui. La clé du monde trouvée dans la goutte d’eau de la mer la sacrait reine de sa propre vie.
Source : printemps des poètes
Image : wikipédia
L’.idée est bonne mais je n’aime pas l’écriture qui me fait irrésistiblement penser à Joseph Grand ….
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Joli titre… et me voici retournée aux paysages de mon enfance, et au parfum des algues …
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