Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces – Ella Balaert

Lire «  Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces » d’Ella Balaert, c’est, selon les mots de Sylvie Germain, « apprendre à écouter la langue là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au cœur des mots », c’est aussi croiser le fil avec l’autrice, tisser avec elle patiemment, parfois au bord du souffle, cette histoire sans fin qu’elle déroule de nouvelle en nouvelle. Une fois le livre refermé, ce livre à la couverture mousseuse, troué de bleu et de rouge en son centre, avec ce beau grain des éditions des femmes, on sait que l’énigme n’en sera que plus belle, plus épaisse et plus obscure encore, à jamais irrésolue.

Il serait tentant de dire qu’il s’agit de nouvelles fantastiques, qui puisent certainement à l’héritage du grand maître, et que le surnaturel et l’inexpliqué surgissent dans le réel pour mieux le mettre à l’épreuve, ce serait une définition hâtive, un peu scolaire, mais bon, faute de mieux ! Moi je dirais que c’est le contraire, c’est le réel qui fait irruption dans un certain nombre de faits et de sentiments humains irrationnels et inexpliqués, et que cette tension du réel, de l’inévitable, de la folie, de la solitude et de la finitude humaine fait imploser le récit, pour le poursuivre à la nouvelle suivante.

Oui, « ceux qui rêvent éveillés ont connaissance de mille choses », ceux qui ne croient pas à l’innocence des poissons rouges dans leur bocal, mais qui voit la main qui les a placés là, à tourner indéfiniment, tel cet Ecce Homo Scribens, dernier représentant de son espèce, que l’on vient regarder comme le poisson dans son bocal (l’oie).

Dans la férocité, il y a une force indomptable, une énergie démultipliée, un appel aux courants profonds qui nous habitent, et à ceux qui nous relient à la nature. La férocité des hommes donne peut-être la guerre, engendre la violence mais pas seulement. On peut être féroce sans être cruel. Peut-être cette force, cette férocité est-elle nécessaire à l’écrivain pour dynamiter les apparences et les faux-semblants.

Cela a d’étranges résonances d’ailleurs avec nos librairies fermées. La force des grands textes, se mesure à leur pouvoir de nous murmurer indéfiniment des choses à l’oreille, si on veut bien les écouter.

Oui, le manque d’amour, la manipulation sont choses bien réelles (l’araignée), et on peut bien vous offrir quelques roses magnifiques, vous ne saurez rien des intentions de celui qui vous les offre, de la façon dont il vous considère, fleur-femme peut-être, juste bonne à paraître.

La force de la littérature, c’est de ne jamais « réduire l’inconnu au connu, la nuit au jour, le mystère à la science », et qui laisse pour Fortunato (Le bourdon) et nous-mêmes des questions sans réponse. Qui nous plonge dans l’obscur et l’opaque, qui nous rend à la peur de l’inconnu et au monde.

J’ai frémi parfois, je me suis glacée aussi (la meute), j’ai senti l’inquiétude, l’intranquillité de celle qui veut bien être bousculée, et j’ai ri aussi. Si je vous dis qu’une de ces nouvelles a pour titre « Le bouc », vous vous douterez peut-être de ce qui va advenir ? Et bien vous resterez, je suis sûre, bien en deçà de la chute incroyable de ce récit. Elle m’a horrifiée et à la fois beaucoup amusée.

Voilà, finalement je ne vous ai rien raconté, vous ne saurez définitivement pas de quoi parle ce livre, il vous faudrait aller de chronique en chronique, mais ce serait vain, je vous l’assure, autant lire ce livre sans tergiverser, vous ne serez pas déçu.e.

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