Archives pour la catégorie 8 – Autrices du XXe siècle

Kikou Yamata – La dame de beauté

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Kikou Yamata (1897-1975)  publia de nombreuses œuvres en France, côtoya des grands noms de la littérature et du monde des lettres – André Maurois, Anna de Noailles, Jean Cocteau et Paul Valéry qui préfaça un de ses poèmes- pour être à peu près oubliée aujourd’hui. Son père, japonais, était consul du Japon à Lyon, et sa mère française, ce qui lui assurait la connaissance des deux cultures dont elle devint la médiatrice au Japon comme en France.

Arrivé à Paris à 26 ans, elle devint vite la coqueluche des salons parisiens et fit découvrir le Japon à ses contemporains qui ne le connaissaient guère qu’à travers les romans de Pierre Loti. Ce fut avec le roman « Masako » qu’elle devint célèbre en 1925. Elle quitta Paris pour le Japon en 1939 mais revint après la guerre. Elle fut faite Chevalier de la Légion d’Honneur en 1957.

 

La dame de beauté fut publié en 1953 et réédité chez Stock en 1998.

Dans la préface à l’édition de 1953, sous forme de lettre à son éditeur, l’auteur indique que celui-ci a supprimé certains passages de « Masako » sous prétexte que cela aurait pu lui enlever « toutes les jeunes filles comme lectrices ». Censure discrète, « quelques mots » furent enlevés, mais qui en dit long sur la pudibonderie de l’époque, une jeune fille étant une femme non mariée, c’est-à-dire ignorant tout ( ?) ce qui touche aux passions du corps et à la sexualité. L’ignorance des jeunes filles devait leur garantir certainement une plus grande vertu. Enfin bref « La dame de beauté » qui fut publié 28 ans après « Masako » se montre tout aussi elliptique en ce qui concerne la sexualité féminine. Et je viens de lire récemment que Edna O’Brien, auteure irlandaise avait dû publier ses romans en dehors de l’Irlande pour ne pas choquer elle aussi, ses lecteurs. Comme quoi à d’autres temps, pas forcément d’autres mœurs.

 

Nobouko Hayashi, l’héroïne de ce roman, appartient  à la haute société japonaise à la veille de l’entrée en guerre du Japon dans la seconde guerre mondiale. Comme beaucoup d’hommes de son époque et de son milieu , son mari entretient un pied-à-terre à la capitale, où il vit avec sa maîtresse, une geisha. Tout le monde le sait mais personne ne l’évoque. Elle-même se garde bien d’aller rendre visite à son mari, de même qu’elle ne téléphone jamais en personne en cas d’urgence.

Nobouko est une femme fière mais seule et humiliée. La guerre déclarée, elle va être soumise à de nombreuses corvées censées montrer son patriotisme mais cela ne l’enthousiasme guère. Elle échappe tant bien que mal aux restrictions et couve son fils d’un amour exclusif et envahissant, reportant sur lui son immense besoin d’affection.

Kikou Yamata évoque les coutumes en vigueur à l’époque : on y apprend ainsi que les parents doivent présenter à leur fille des partis jusqu’à ce qu’elle se déclare en mesure d’en accepter un.

Une fois mariée , la jeune femme change de statut et coupe ses longues manches lorsqu’elle attend un premier enfant, le summum de l’érotisme consistant à frôler avec cette étoffe, tout en marchant, les jambes de son mari. Mais l’expérience de la sexualité est parfois un traumatisme, comme dans le cas de Nobouko, « un simple enjambement », une offense physique, ce qui n’aide guère à rapprocher mari et femme.

Il faut dire que la manière dont la mariée était apprêtée ne favorisait guère les ébats amoureux : elle était coiffée de coques hérissées d’écailles et vêtue d’un kimono somptueux dont la ceinture en tapisserie était œuvrée à l’ongle dans les ateliers de Kyoto, et sur lequel elle portait un lourd manteau de cour. La jeune femme était plutôt engoncée dans tous ses vêtements, ce qui devait augmenter encore un peu plus la maladresse du mari, qui ne devait guère être plus informé que sa dulcinée des attentes de sa compagne.

Le comportement des femmes était extrêmement codifié, et un livre « Le Haut savoir des femmes » rassemblait toutes les règles qu’une femme devait connaître pour être une bonne épouse. Ainsi une femme ne devait jamais se mettre en colère mais exprimer seulement sa désapprobation de manière indirecte sans jamais prendre de front son époux. Elle devait dire : « Je ne vous adresse pas de reproche mais… ». Enfin, la femme était là pour répondre au mieux aux désirs de son mari.

La force de ce roman est de montrer comment ce monde se fissure peu à peu et va bientôt s’écrouler avec la fin de la guerre.

Nobouko est une victime des conventions qui la ligote, de ce monde féodal qui craque de partout, sans dialogue possible avec son mari qui lui est un total étranger, et sans amour, l’amour impliquant, par le fait, un minimum de réciprocité.

Les limites en sont justement ses aspects didactiques qui alourdissent parfois le récit. On sent que Kikou Yamata fait ici la leçon, qu’elle commente à dessein. Le récit manque également de rythme, est parfois monotone. Il a plus valeur de document sur l’époque. Et c’est ce qui m’a particulièrement intéressé à sa lecture : le plaisir d’exhumer un vieux livre plein de poussière et un texte légèrement démodé.

Marguerite Yourcenar – L’hisoire d’une vie

Marguerite-Yourcenar

J’ai toujours été très intriguée par cette autrice. Dans ses livres, il y a peu de personnages féminins ou alors ce sont des personnages secondaires. Je sais peu de choses d’elle : à quels combats a-t-elle pris part, quelles causes a-t-elle soutenues ? J’ai donc voulu me pencher davantage sur son histoire et son œuvre que j’ai lue en partie. Ce qui m’aidera à modifier aussi les clichés que je peux conserver encore sur sa personnalité et son œuvre.

Marguerite de Crayencour dont le nom de plume sera Yourcenar, est née le 8 juin 1903 à Bruxelles d’un père français et d’une mère belge qu’elle perd quelques jours après sa naissance. Elle sera donc élevée par son père. Elle passe son enfance dans le château de famille du Mont-Noir, puis voyagera avec son père en France et en Belgique. Elle reçoit l’enseignement de professeurs particuliers et passe donc une enfance et une adolescence atypiques par rapport aux autres élèves de sa génération. Elle est pétrie de culture classique et humaniste –latin et grec et apprend l’italien et l’anglais.

Son père l’encourage à étudier mais aussi à devenir écrivain.

Elle commencera à publier des poèmes, dans un recueil intitulé « Le jardin des chimères », en 1921. Elle ne passe que la première partie de son baccalauréat latin-grec et voyage beaucoup en Europe. Elle semble avoir une jeunesse dorée, à l’abri des contraintes et bénéficier d’une grande liberté pour une femme de son temps. Son père semble avoir été très proche d’elle. Mais il meurt en 1929.*

Elle publie alors son premier roman « Alexis ou le traité du vain combat » qui sera remarqué par la critique. Ce roman épistolaire raconte l’histoire d’un jeune musicien de vingt-quatre ans qui décrit à son épouse le combat « vain » qu’il mène contre ses inclinations profondes qui le poussent vers l’amour des hommes. L’homosexualité n’est pourtant pas avouée, il faut la lire entre les lignes du récit.

Elle séjournera quelque temps en Grèce où elle découvrira l’œuvre du poète Constantin Cavafis qu’elle traduira. Elle en fera une présentation critique suivie d’une traduction de ses poèmes qui sera publiée chez Gallimard en 1958.

Suivront plusieurs romans, « Denier du rêve » en 1934, évoque l’an XI du fascisme de la Rome antique et les milieux antifascistes,  « Feux » en 1936 est un recueil de nouvelles proche de la poésie et rend hommage à la passion et au désir à travers des personnages légendaires tels que Sappho ou Antigone.

En 1937, elle se rend à Londres pour rencontrer Virginia Woolf puis traduit « Les vagues »  en français. Cette même année, elle fait la connaissance de Grace Frick, une américaine de son âge qui deviendra sa compagne et sa traductrice.

Elle publie ses « Nouvelles orientales » en 1938, recueil qui rassemble plusieurs nouvelles dont celle intitulée « Comment Wang-Fô fut sauvé ». « Le coup de grâce », est publié en 1939, et évoque encore une fois le destin d’un jeune homme tourmenté par son homosexualité. Ce thème revient fréquemment dans son œuvre mais souvent par le biais de l’homosexualité masculine qui n’est que suggérée.

En 1939 , lorsque la seconde guerre mondiale est déclaré, Marguerite décide de rejoindre sa compagne Grace aux Etats-Unis. Désormais sans ressources, elle doit prendre un poste de professeur.

A quarante-huit ans, elle connaîtra le succès public avec « Mémoires d’Hadrien », qui est la reconstitution à la première personne du destin de l’empereur romain Hadrien. Elle revient faire de fréquents séjours en France mais demeure la plupart du temps avec Grace Frick dans l’île des Monts-Déserts. Avec sa compagne, elle est très engagée dans les mouvements écologistes et la lutte pour les droits civiques. En 1964, elle publie une traduction des Negro Spirituals « Fleuve profond, sombre rivière ».

Elle travaille alors à grand roman « L’œuvre au noir », qui obtient le prix Femina en 1968.

Elle devient un écrivain important du XXe siècle avec une œuvre singulière. Le public français la connaît mieux, elle multiplie les interviews et publie les volumes de sa trilogie familiale, « Le labyrinthe du monde » qui comporte « Souvenirs pieux » (1974) et Archives du Nord (1977), le troisième volume restera inachevé « Quoi, l’éternité » et sera posthume.

Elle est la première femme reçue à l’Académie française le 22 janvier 1981 . Grace Frick est morte en 1979 des suites d’une longue maladie et Marguerite Yourcenar voyage en Afrique et en Asie. La mort la surprendra à son tour dans l’île des Monts-Déserts, le 17 décembre 1987.

Présentation critique de Constantin Cavafy suivie d’une traduction des Poèmes par M. Yourcenar et Constantin Dimaras, Paris, Gallimard, 1958 (réédition dans la collection poésie/Gallimard en 1978 et 1994)