Archives pour la catégorie Poétesse française

Le bonheur d’être belle – Delphine Gay

Delphine Gay

Quel bonheur d’être belle, alors qu’on est aimée !

Autrefois de mes yeux, je n’étais pas charmée;

Je les croyais sans feu, sans douceur, sans regard;

Je me trouvais jolie un moment, par hasard.

Maintenant, ma beauté me paraît admirable.

Je m’aime de lui plaire, et je me crois aimable…

Il le dit si souvent ! Je l’aime, et quand je vois

Ses yeux avec plaisir se reposer sur moi,

Au sentiment d’orgueil je ne suis point rebelle,

Je bénis mes parents de m’avoir fait si belle !

Et je rends grâce à Dieu, dont l’insigne bonté

Me fit le cœur aimant pour sentir ma beauté.

Mais… pourquoi dans mon cœur ses subites alarmes?…

Si notre amour, tous deux, nous trompait sur mes charmes;

Si j’étais laide enfin? Non… il s’y connaît mieux !

D’ailleurs pour m’admirer je ne veux que ses yeux!

Ainsi de mon bonheur jouissons sans mélange;

Oui, je veux lui paraître aussi belle qu’un ange…

Apprêtons mes bijoux, ma guirlande de fleurs,

Mes gazes, mes rubans, et parmi ces couleurs,

Choisissons avec art celle dont la nuance

Doit avec plus de goût, avec plus d’élégance,

Rehausser de mon front l’éclatante blancheur,

Sans pourtant de mon teint balancer la fraîcheur.

Mais je ne trouve plus la fleur qu’il m’a donnée :

La voici; hâtons-nous, l’heure est déjà sonnée,

Bientôt il va venir! bientôt il va me voir!

Comme, en me regardant, il sera beau ce soir!

Le voilà! Je l’entends, c’est sa voix amoureuse!

Quel bonheur d’être belle! oh! que je suis heureuse !

Villiers-sur-Orge 1822 (Essis poétiques, 1824)

Delphine Gay (1804-1855) ou Madame Emile de Girardin. Née à Aix-la-Chapelle en 1804, fille de Sophie Gay considérée comme un bas-bleu. Elle est présentée dans les salons parisiens, admirée pour sa beauté et son intelligence. Elle côtoie Chateaubriand, Lamartine, et reçoit en 1822, à 18 ans une mention de l’Académie française pour un de ses poèmes.  Elle publie son premier recueil en 1824 et s’essaie à la poésie patritique. A 21 ans, on la désigne souvent comme « Muse de la Patrie ». Elle délaisse le genre pour exprimer son « enivrement narcissique que lui procurent sa beauté et son succès, et aussi la difficulté d’aimer et d’être aimée pour, in fine, dire dans d’émouvantes élégies le regret d’avoir manqué l’essentiel ». Elle souffre de n’avoir pas d’enfant, et sa vie de femme mariée à Emile de Girardin, patron de presse, met fin aux espoirs que lui ouvraient les succès de sa jeunesse. Elle cesse d’écrire vers sa trentième année.

Elle tient dès lors un salon brillant fréquenté par Gautier, Balzac et Lamartine. Elle s’essaie à divers genres, le roman, la nouvelle, la chronique dans la Presse sous le pseudonyme du Vicomte de Launay, des pièces de théâtre où elle va de la comédie à la tragédie. Elle meurt à 51 ans.

Comme le remarque Marie-Claude Schapira, qui donne ces informations dans sa préface, (Femmes poètes du XIXe siècle une anthologie, sous la direcion de Christine Planté, Presses Universitaires de Lyon, 1998), « L’intérêt de ses derniers vers […] est dans l’insatisfaction profonde d’une femme qui ne trouve ni dans son éducation, ni dans son époque, ni dans ses choix personnels, à employer les dons qui lui ont été si largement prodigués.

Marie-Claude Schapira, docteur d’Etat en littérature française, membre de l’U.M.R 5611 L.I.R.E du CNRS, de l’Université de Lyon 2, est l’auteur d’une thèse et d’un ouvrage sur Théophile Gauthier, Narcisse et le récit, et de nombreuses contributions à l’étude du XIXe siècle, de la monarchie de Juillet à la Commune. Elle a édité et préfacé Le Mur de Maurice Montégut, aux Editions du Lérot, en 2000. Elle a, ces dernières années, publié plusieurs articles sur Georges Sand.

Catherine Pozzi – Ave

catherine_pozzi1

Ave

Très haut amour, s’il se peut que je meure

Sans avoir su d’où je vous possédais,

En quel soleil était votre demeure

En quel passé votre temps, en quelle heure

Je vous aimais

  Très haut amour qui passez la mémoire

Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,

En quel destin vous traciez mon histoire,

En quel sommeil se voyait votre gloire,

O mon séjour…

Quand je serai pour moi-même perdue

Et divisée à l’abîme infini,

Infiniment, quand je serai rompue,

Quand le présent dont je suis revêtue

Aura trahi,

Par l’univers en mille corps brisée,

De mille instants non rassemblés encor,

De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,

Vous referez pour une étrange année

Un seul trésor

Vous referez mon nom et mon image

De mille corps emportés par le jour,

Vive unité sans nom et sans visage,

Coeur de l’esprit, ô centre du mirage

Très haut amour.

 vignette les femmes et la poésie Catherine Pozzi est une poétesse française (1882-1934). Née dans un milieu aisé (son père était médecin et poète), elle fut mise dès sa jeunesse au contact des intellectuels les plus brillants de la fin du siècle. Elle se maria à Edouard Bourdet en 1907, dont elle se sépara peu après. Elle eut un fils de cette union, Claude.

Malade de la tuberculose, elle se consacra à des études d’histoire, de philosophie et de religion.

A partir de 1920, commença sa liaison avec Paul Valéry pour finir quelques années après en 1928. La morphine qu’elle prenait à l’époque pour soigner sa maladie commençait alors à exercer ses ravages.

Elle rencontra tous les grands esprits de son temps : Rilke, Julien Benda, Daniel Halévy, Anna de Noailles, Jean Paulhan, Raïssa Maritain et son mari.

Son oeuvre :

Agnès (nouvelle autobiographique), Six poèmes (1935), Peau d’âme, essai philosophique inachevé (1935).

  Son journal a été publié en 1987.

Source : Dictionnaire des femmes célèbres, Robert Laffont, Bouquins