Marcelle Sauvageot – Laissez-moi, Libretto, Editions Phébus, 2004. Première édition 1933
« Premier livre écrit par une femme qui ne soit pas de soumission … Livre de Tristesse noble ; livre de dignité ! Admirable ! » s’est écrié Clara Malraux à sa lecture.
Marcelle Sauvageot signe ici une œuvre bouleversante où se font écho le chagrin d’amour et la maladie dans une écriture de l’intime à la fois simple et déchirante.
De son amour disparu et qui la laisse plus seule encore face à la maladie, l’auteure sonde les splendeurs comme les faux-semblants dans une analyse à la fois profonde et cruelle.
A travers la radiographie à laquelle elle soumet le sentiment amoureux, les illusions dont il se nourrit apparaissent au fil de la narration, ainsi qu’une critique subtile des relations entre les hommes et les femmes de l’époque.
« Si on te parle d’une femme, tu coupes la parole pour dire : »Elle est jolie ? », se moque-t-elle, pour remarquer plus loin que la dissymétrie des relations hommes/femmes prend toute sa mesure dans le fait qu’un homme attend de l’amour d’une femme qu’il soit « sans droits et sans exigences ». De ces femmes dont l’unique préoccupation est leur mari, elle se démarque totalement car elle a d’autres aspirations.
Elle n’est pas dupe : « J’essayais de garder un petit appui en dehors de vous, afin de pouvoir m’y accrocher le jour où vous ne m’aimeriez plus. »
Elle note plus loin : « L’homme est : tout semble avoir été mis à sa disposition ». On attend de la femme un amour fait de soumission et c’est ce qui rend ce sentiment plus douloureux encore, parce qu’impossible pour une femme éduquée, intelligente et éprise de liberté.
Alors dans un ultime adieu fait à la fois de sauvagerie et de détresse, Marcelle Sauvageot pourra-t-elle s’écrier :
« Mais laissez-moi : vous ne pouvez plus être avec moi. Laissez-moi souffrir, laissez-moi guérir, laissez-moi seule. […]. Ne me demandez pas de vous regarder par-dessus l’épaule et ne m’accompagnez pas de loin. Laissez-moi ».
Il s’agit ici d’un très beau livre, qui à travers l’écriture de soi, esquisse le portrait d’une femme infiniment touchante, rendu plus émouvant encore à cause du destin terrible qui a été le sien. L’écriture est belle et le mouvement du récit vous emporte sur le fil d’une émotion contenue par la maîtrise de la narration qui ne sombre jamais dans le mélodrame.
Elsa Zylberstein a joué ce texte aux Bouffes du Nord, premier « one woman show »,Commentaire, Dans un noir complet, ai-je lu, un bruit de train s’est fait entendre, et la comédienne, tout de noir vétu, les cheveux tirés en arrière, a offert ce texte aux spectateurs. Elle a écrit la très belle préface pour cette nouvelle édition.