Poétesse américaine (Amberst, Massachussets, 10 dcembre 1830-id., 16 mai 1886)
Née dans un milieu puritain de la Nouvelle-Angleterre, fille d’un avocat sévère et ambitieux et d’une mère au foyer, elle poursuivit peu ses études après l’école communale de sa ville natale ; en 1847, elle passa une année au collège de Mount Holyoke à South Hadley, elle apprit la chimie, la physiologie et la littérature anglaise. Cette éducation qui pourrait semblait rudimentaire aujourd’hui lui ouvrit pourtant des espaces inconnus.
De retour chez elle, elle devint une fervente lectrice, écrivit des poèmes, avec frénésie, qui semblaient n’obéir à aucune règle de la prosodie : pas de syntaxe, une ponctuation approximative, une forme elliptique, un style nouveau et déroutant pour ses proches.
« Mon père ne voit rien de mieux que “la vie réelle” — et sa vie réelle et “la mienne” entrent parfois en collision. »
De santé fragile, elle mena une vie retirée et ne quitta Amberst que pour de rares séjours à Washington ou à Boston : sa première expérience amoureuse se solda par un échec car l’homme était marié et bien que le divorce aux Etats-Unis fût généralement accepté depuis la fin du XVIIIe siècle, il restait tabou dans certains milieux (voir l’étude passionnante de Norma Basch, Framing American divorce).
Confinée dans la maison familiale, elle voyait régulièrement son frère, sa belle-sœur qui devint son amie de cœur et quelques amis. Ses relations épistolaires semblèrent compter beaucoup cependant : elle eut une correspondance passionnée avec plusieurs interlocuteurs masculins. Cette mise en retrait apparente du monde, sa vie de femme hors du mariage lui permit une mise à distance qui certainement a nourri un regard et une oeuvre. Non soumise aux charges matérielles d’une vie d’épouse, libérée des maternités, elle put se consacrer à la poésie.
« Le rivage est plus sûr, mais j’aime me battre avec les flots… »écrit-elle à 15 ans. [1]
Elle fut libre par omission. « Selon Adrienne Rich “le génie se connaît toujours lui-même : Dickinson a choisi sa réclusion parce qu’elle savait ce qui lui convenait”. Ce choix d’artiste lui a permis de vivre en lisant et en écrivant : en lisant la Bible, Shakespeare et Dickens, ou encore Emerson, Hawthorne et Melville, et en écrivant, de l’âge de vingt ans jusqu’à sa mort 1775 poèmes »[2] Ce quotidien qui aurait pu être terne, ne le fut pas car il abrita une vie spirituelle et créative intense.
Quelle pouvait être la valeur de cette oeuvre qu’elle poursuivait dans la plus grande discrétion ? Elle le demanda à un critique célèbre le colonel Higginson :
– Mes vers sont-ils vivants ?
– Oui, ils sont vivants, répondit-il, mais ne respectent aucune règle de la plus élémentaire prosodie.[3]
Il la décrit ainsi après la visite qu’il lui rend le 16 août 1870 : « D’un pas léger est
entrée une femme petite et quelconque, avec deux bandeaux lisses de cheveux un peu roux… vêtue d’une robe blanche en piqué très simple, d’une propreté exquise… Elle s’est approchée de moi portant deux lis qu’elle m’a mis dans la main d’un geste enfantin en disant d’une voix douce, effrayée et volubile d’enfant : « En guise de présentation ».
Dans une lettre à sa femme, qu’il écrit peu après, Higginson rapporte les propos qu’il vient d’entendre de la bouche d’Emily : « Si je lis un livre et qu’il me rend tout mon corps si glacé qu’aucun feu ne pourra jamais me réchauffer, je sais alors que c’est de la poésie. Si je sens le sommet de ma tête arraché, je sais aussi qu’il s’agit de poésie. Ce sont mes deux seules façons de le savoir. Y en a-t-il d’autres? »
Son écriture novatrice nourrie d’élans passionnés déconcertait les éditeurs qui refusaient ses poèmes en l’état et lui demandaient des réécritures qu’elle refusa toujours. Elle utilisait des images surprenantes et suggestives d’une grande force et d’une grande beauté. Son style en retrait, rempli d’ironie choquait ses contemporains. Ce style « brisé » des rimes, le nombre de pieds ne correspondant pas aux canons habituels déroutait sur le plan formel.
Mystique et fervente, refusant la morale religieuse étriquée de son milieu, elle cherchait la présence immanente du divin dans le quotidien :
« un mot peut vous inonder quand il vient de la mer ».
Hélène Hunt, poète et romancière, reconnut son génie et l’encouragea.[4]
En 1876, elle lui écrit : « Vous êtes un grand poète, et c’est très dommage que vous ne veuillez pas chanter tout haut ». Emily répond : « Mais qu’on se souvienne de quoi? Digne d’être oubliée est leur renommée ».[5]
Ainsi elle n’eut pas droit à la reconnaissance littéraire se son vivant.
Elle écrivit jusqu’à sa mort quelques deux mille poèmes, développant son propre style, prenant pour objet des choses simples. Sept poèmes seulement parurent anonymement de son vivant[6]. En 1892, Higginson publia une partie de son œuvre et ce recueil obtint un succès sans précédent. Mais il fallut attendre 1924 pour que sa nièce, Martha Dickinson Bienachi publie l’édition complète de son œuvre, Poèmes et lettres, qui confirmèrent le talent d’Emily Dickinson qui tient une des premières places dans la littérature poétique de son pays.
Très tourmentée intérieurement, elle cherchait pourtant le bonheur : preuve il en est le projet de mariage en 1884, avec le juge Otis Lord qui décèda brusquement.
Elle se déclara ainsi :
« L’exultation m’inonde, je ne retrouve plus mon cours – le ruisseau se change en mer quand je pense à vous. »
Eprouvée déjà par une longue suite de deuils : son père en 1874, sa mère en 1882, son neveu Gilbert, mort à l’âge de huit ans en 1883, Emily plongea dans une profonde dépression, et mourut deux années plus tard[7].