La vierge et autres racontars sur l’éternel féminin. Visions de la femme dans les romans masculins

Dans la littérature, majoritairement écrite par des hommes jusqu’au XIXe siècle se déploie un imaginaire autour de deux figures clivées de la religion chrétienne : Eve la pécheresse et Marie la rédemptrice.
Ces deux figures se retrouvent dans la littérature dans deux figures opposées mais complémentaires de la mère, celle de la mère aimante et protectrice et la marâtre des contes, mauvaise mère, indifférente ou cruelle.

De même dans le domaine des relations amoureuses, l’épouse chaste et vertueuse qu’on ne désire pas renvoie à l’image de la maîtresse qu’on n’épouse pas et qu’on ne respecte guère mais que l’on désire.

L’espace érotique ou fantasmatique quant à lui  s’articule autour de deux figures : la muse qu’on ne possède jamais mais qui guide la plume de l’écrivain et la putain qu’on ne possède que pour de l’argent. 

Dans la littérature contemporaine écrite par des femmes, le personnage s’inverse. Je pense à Virginie Despentes et à Nawal El Saadawi que je viens de lire récemment, pour lesquelles le personnage de la prostituée incarne la femme qui ne peut être possédée : « Prostituée […] Je protégeais mon être en soustrayant ma personne profonde et je livrais à l’homme un corps vide et insensible. »

On retrouve ces deux pôles dans les figures de la méchante sorcière et de la bonne fée.

Chaque niveau interpénètre tous les autres : ainsi l’épouse vertueuse a la beauté et la grâce d’une fée, s’accomplit dans le rôle de mère aimante et douce tandis que la maîtresse joue parfois à la putain, manipule son amant en se servant de l’appétit de ses sens, le mène par le bout du nez, cruelle et parfois machiavélique à l’instar d’une sorcière.

La Femme parfaite est tout cela à la fois ; c’est ce qu’on appelle le mythe de l’éternel féminin. Chaque femme est à la fois maman, putain, sorcière ou fée selon les moments et les désirs des hommes.

En ce qui concerne les femmes réelles, c’est un peu plus compliqué !

           Selon Cédric Erard et Garance Kutukdjian, auteurs d’une anthologie regroupant des textes de l’histoire littéraire autour de ces thèmes, le personnage de la mère n’est pas vraiment un motif littéraire, si l’on excepte Fantine, mère exceptionnellement aimante des Misérables qui vendra ses dents et sa chevelure pour procurer quelque argent à sa fille, ou la mère de L’enfant de Jules Vallès qui fouette son fils chaque matin avant d’aller à l’école.

La mère du narrateur d’A la recherche du temps perdu, est une exception en ce qu’elle représente une « figure protectrice, apaisante, un point de repère stable ».

Dans la littérature contemporaine et traduite, la mère de Karitas, sans titre, est une véritable héroïne des temps modernes, figure féministe s’il en est, puisqu’elle se battra pour assurer l’éducation et la scolarité à tous ses enfants et notamment à ses filles dans l’Islande du début du siècle.

            Les relations mères/filles sont par contre largement exploitées dans des registres opposés : celui de l’amour idéal,  doux et fusionnel et celui de la rivalité amoureuse. La correspondance de la Marquise de Sévigné avec sa fille (rééditée dans la collection folio femmes de lettres) est un exemple du premier, comme du second car leur relation ne fut pas sans nuages, et la beauté de Mme Grignan, louée par ses contemporains, ne dut pas manquer de faire ombrage à sa mère.

            Les figures des épouses et maîtresses sont légion dans la littérature, de la Farce du Moyen-Age jusqu’aux romans contemporains où elle prend la figure de l’Autre femme, en passant par la littérature populaire du XIXe siècle où elle est largement exploitée. Entre l’amour pur et la passion physique, il n’y a pas de circulation possible jusqu’au XIXe siècle car l’éducation, ou plutôt le manque d’éducation sexuelle des filles de bonne famille en fait des gourdes dans le domaine des arts de l’amour. Leur rôle de mères aimantes et toutes dévouées à leurs enfants s’accommode mal d’un érotisme brûlant. D’ailleurs la religion chrétienne ne tolère le commerce charnel qu’en vue de la reproduction et le plaisir est-il interdit. Cela résout la question. La femme respectable n’a pas d’orgasme. Entre l’amour spirituel ou l’amour charnel, il faut choisir.

            Les auteurs déjà cités évoquant Julie ou La Nouvelle Héloïse de Rousseau, remarquent que l’héroïne, si elle est amante et épouse ne l’est pas avec le même homme et elle n’accède à sa fonction maternelle qu’en renonçant à l’amour.

Barbey d’Aurevilly, exaspère encore cette opposition et dans Une vieille maîtresse montre un personnage déchiré entre son amour platonique pour Hermangarde de Polastron (remarquez, avec un nom pareil), et la passion charnelle qu’il éprouve pour sa vieille maîtresse depuis plus de dix ans. La première est blonde et éthérée, la seconde brune et volcanique. Comme l’on sait, ces clichés seront reconduits à satiété.

            Comme on l’a vu, la femme idéale est hors d’atteinte, pour la bonne raison qu’elle n’existe pas, elle est sur un piédestal, prend la figure de la muse pour le poète, femme éternelle et passive. Elle est la réplique de Marie, restée chaste dans son immaculée conception. Elle consacre la domination masculine car les hommes sont nécessairement dans le domaine de l’action, dans un monde sur lequel ils ont prise, hors du foyer qui est le domaine de la mère et de l’épouse.

            Les putains sont nombreuses en littérature, Nana est l’une des plus célèbres. Femme vénale comme Nana, ou femme perdue comme Fantine des Misérables, elle possède une ambivalence que l’on retrouve chez Baudelaire, dans ce poème magnifique, A une mendiante rousse, mais aussi dans le personnage de Boule de Suif de Maupassant. Elle représente la part bestiale de l’homme, sa part mauvaise et inavouable, son commerce avec le diable car dans l’amour tarifé, seuls comptent le plaisir et la jouissance. 

            La fée a un lien avec la divinité par les pouvoirs qui lui sont donnés, figure païenne par excellence, elle est la femme perçue comme être magique, dans son pouvoir d’enfanter et de donner la vie. Délivrée des vertus guerrières qui sont seules réservées aux hommes, elle est toute douceur et bienveillance, apaise et guérit. La sorcière, elle,  est du côté du diable et des mauvais esprits. Ces deux personnages n’ont pas toujours été aussi tranchés dans l’histoire. « L’être faé » est un terme neutre et peut s’incarner dans une gente dame comme dans un preux chevalier au Moyen Age.

Dans l’antiquité, Circé dans l’Odyssée d’Homère est une magicienne qui change les compagnons d’Ulysse en pourceaux, Cassandre, princesse troyenne a reçu d’Apollon le don de prophétie et Médée, est la magicienne qui aida Jason à enlever la Toison d’Or. Elles peuvent être de précieuses auxiliaires si l’on prend garde à ne pas les courroucer.

            La sorcière de Jules Michelet est un texte très intéressant à cet égard, car il évoque ces figures, ainsi que celle de Sibylle qui dans l’antiquité était une devineresse, une femme inspirée qui prédisait l’avenir. Elle a la figure de la belle vierge. Michelet rappelle également que pendant longtemps la figure de la sorcière fut la seule guérisseuse car elle connaissait le remède des plantes, et donc les secrets de la nature, plus proche de la nature par sa puissance d’enfanter.

La littérature contemporaine, dans les romans écrits par des femmes repense cette figure de la sorcière dans ses aspects les plus dynamiques et les plus positifs. Je pense notamment à Cœur cousu  de Carole Martinez mais aussi à des romans latino-américains, influencés par le réalisme magique, comme Chocolat de Laura Esquivel.

La sorcière est un être double, dont la puissance peut être contrôlée et mise au service de la vie, mixte particulièrement réussi de ces deux figures antagonistes de la sorcière et de la fée pour un temps réconciliée.

4 réflexions sur « La vierge et autres racontars sur l’éternel féminin. Visions de la femme dans les romans masculins »

  1. Mais où trouves-tu le temps de lire et d’écrire tout çà ? Je m’aperçois en fait que je ne suis guère passionnée par tous ces rôles, mais beaucoup plus intéressée par la recherche de soi-même, si je puis dire !

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  2. Billet passionnant, très agréable à lire et tellement bien documenté : un vrai plaisir (comme toujours). Bravo et merci !
    J’ai fait mon mémoire de Master sur la représentation de la maternité (religion, arts plastiques, littérature). Evidemment, Marie// Eve, cela me parle beaucoup ! Mais la figure de Lilith m’avait également vivement interpellée.
    Je poursuis mes recherches sur cette voie : la représentation littéraire de la maternité depuis les années 70 mais la sorcière est une figure également très intéressante, très attirante.
    On vient de me prêter « Le Coeur cousu », justement, et j’ai bien envie de m’y plonger très prochainement.
    As-tu lu « Moi, Tituba sorcière », de Maryse Condé ? Un roman que j’aime beaucoup.
    A bientôt 🙂

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