Les librairies sont à nouveau ouvertes ! Je me suis mise à acheter des livres dont je n’avais pas besoin, qui allaient immanquablement réduire encore mon espace vital. Par solidarité peut-être. En ces temps troublés, les mots écrits sur le papier acquièrent une signification nouvelle. Ils deviennent des traces. Des traces du monde d’avant, celui où on pouvait s’embrasser à tout va, où on pouvait toucher sans crainte la peau d’une, d’un autre. A quel point nos mondes se fracturent, nous le saurons plus tard peut-être.
Je ne sais plus qui disait qu’il fallait que la profondeur se niche davantage en surface, que c’était cela la légèreté apparente. C’était à propos de Louise de Vilmorin je crois, autrice sur laquelle je commençais à travailler. Enfouie, moi, dans ma passion du féminin. Passion qui n’est pas exclusive, qui englobe l’humanité toute entière.
Lire est un confinement volontaire pour mieux rejoindre les autres.
J’ai lu déjà , « Cinq à sept » de Fanny Britt. Cette parole libre de mes amies québécoises qui n’ont pas peur des mots. Dans cette pièce, elles parlent de tout, des hommes et de leur faim de sexe, sans tabou. J’ai dû consulter plus d’une fois le dictionnaire québécois, crisse !
Je voulais continuer ma découverte de l’œuvre d’Ella Balaert avec « Placement libre ». « J’ai écrit ce roman dans une grande colère et une réelle inquiétude. Je le dédie à toutes celles et à tous ceux qui se sentent exclu-e-s du monde, qui n’y trouvent pas, ou plus, leur place, pour qu’ils ne retournent pas cette injustice contre eux-mêmes ou contre autrui. »
« Décomposition d’un déjeuner anglais » de Marie Dilasser a tout d’une œuvre un peu rebelle qui ne va pas se laisser facilement approcher.
Catherine Benhamou, cette belle dramaturge, que j’ai déjà rencontrée, est en bonne place dans les livres à lire avec « Ana ou la jeune fille intelligente » et « Romance » , Grand Prix de Littérature Dramatique 2020, chez Koïné et sa belle équipe :
« – Tu comprends Imène quand je pense à elle là-bas debout bien droite, elle est là pour l’éternité, avant qu’on naisse elle était déjà là et quand on sera mortes elle sera toujours là, elle nous nargue, elle se croit supérieure, et lui là-haut, il se fiche pas mal de nous, il ne lèverait pas le petit doigt pour nous, tu crois quoi, et elle qu’est-ce qu’elle se croit à nous mater du haut de son indifférence »
Nathalie Papin aussi en son pays de rien, que je dois aller voir au théâtre, ce roi qui « chasse les cris, les larmes, les couleurs, les soupirs, les rêves et les enferme dans des cages » ; Dominique Richard avec la suite des aventures de Grosse Patate, un art sublime des monologues, pour dire cette petite fille encombrée d’elle-même.

Gaël Octavia prend la voix puissante de ce guerrier qui renonce à se battre. « Cette guerre que nous n’avons pas faite ». Il raconte le bistrot, où il s’est échoué, découragé et sa rencontre avec ses futurs compagnons d’armes. Mais celle qui va le bouleverser, avec ce mystérieux pacifiste qui veut les empêcher de combattre.
Et Mireille aussi qui m’a envoyé son livre et que je n’oublie pas.
Pour le plaisir de la rencontre, je me suis offert le livre de Gil Adamy, plasticien, et Louis Bance poète pamphlétaire. « Vision et cécité ». La peinture de Gil Adamy est riche en couleurs, dans une figuration libre, et cherche à nous provoquer, à nous pousser peut-être dans nos derniers retranchements. Il interroge notre vision du monde et notre aveuglement, ce que nous ne savons pas voir et ce qui se cache sous les apparences. La poésie de Louis Bance est souvent brutale derrière la délicatesse des alexandrins, elle me fait penser à la formule de Nietzsche , en sous-titre au Crépuscule des Idoles, « Philosopher à coups de marteau ». Gil Adamy et Louis Bance dénoncent les nouvelles figures » des idoles éternelles, que l’on frappe ici du marteau comme d’un diapason. » Le pinceau, comme le stylo, deviennent les instruments qui vont laisser entendre le son qu’elles rendent lorsqu’on les ausculte à petits coups de maillet.
Alors continuer à suivre ces signes noirs sur la page, tous ces livres d’hier et d’aujourd’hui qui tracent des chemins, des lignes de fuite, des horizons lointains, des présents de tous les possibles…

Des présents de tous les possibles, oui..
En attendant, merci d’y être. Et de continuer de lire, d’écrire, et de dire.
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