Archives pour la catégorie Femmes britanniques

Helen Simonson – L’été avant la guerre ou de l’émancipation des femmes

Helen Simonson – L’été avant la guerre – 2016 – Nil éditions pour la traduction française Editions 10/18, traduit de l’anglais par Odile Demange

Passionnant roman qui évoque à merveille les mentalités dans l’Angleterre conservatrice de ce début du siècle.

Eté 1914, juste avant l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, Béatrice Nash,  jeune femme cultivée et intelligente, pour être indépendante, renonce à se marier, et cherche un emploi de professeure. Elle arrive, après la mort de son père, dans le village de Rye et découvre la gentry locale, qui est un bon concentré de vanité, de bêtise, de snobisme et que sais-je encore. A la lecture, cela peut même parfois vous couper le souffle. Elle rêve aussi d’être écrivain, ce qui reste une gageure en ce début de XXe siècle où les femmes sont considérées inférieures aux hommes en matière d’esprit et de culture.

Notre jeune héroïne s’intéresse à la question de l’émancipation des femmes, et rencontre des suffragettes, mais son engagement ne va pas beaucoup plus loin. Les femmes rebelles sont vite mises au ban de la société.

La peinture des mœurs de l’époque est relativement bien rendue et les contraintes qui pèsent sur les femmes, leur mise sous tutelle rendent leur marge de manœuvre relativement réduite. Alors bien sûr, il y a une romance dans l’histoire, et le nœud de l’intrigue consiste à savoir, si oui ou non, notre jeune héroïne va rentrer dans le rang, ou si, malgré tout, elle va pouvoir tirer son épingle du jeu sans pour autant renoncer à sa vie sociale.

Et le suspense est suffisamment bien orchestré pour nous tenir en haleine jusqu’au bout.

Pas une œuvre majeure mais un très bon moment de lecture.

« Helen Simonson est née en Angleterre et vit aujourd’hui à New York. Elle a passé son enfance dans l’East Sussex. Dans ce « pays littéraire » où vécurent notamment Henry James, Rudyard Kipling et Virginia Woolf, elle puise encore une grande partie de son inspiration. Après son premier roman, La Dernière Conquête du major Pettigrew, qui a reçu de part et d’autre de l’Atlantique un accueil unanime, elle publie : L’été avant la guerre. » Présentation de l’éditeur.

Kate Morton L’enfant du lac

Kate Morton L’enfant du lac – (2015), Presses de la Cité 2016 pour la traduction française de Anne-Sylvie Homassel (733 pages dans l’édition de poche)

Je ne connaissais pas du tout l’auteure et je me suis laissée tenter par la quatrième de couverture. J’ai découvert un roman attachant même s’il souffre, à mon avis, d’un manque de rythme qui nuit à l’intrigue et surtout à l’enquête policière. Il traite avec une certaine profondeur des liens familiaux et surtout du lien biologique, de sa complexité et du syndrome de l’abandon.

Le roman est construit sur un aller-retour constant entre l’année 1933 à travers le drame qui a eu lieu cette année-là, et l’époque contemporaine sous les traits de Sadie Sparrow, inspecteur de police en disgrâce qui se passionne pour une enquête non résolue, dans une Cornouaille mystérieuse et romantique, rythmée par la mer et ses embruns.

En l’année 1933, le petit Théo a disparu sans laisser de traces, et la famille Edevane quitte, éplorée, la maison du Lac, immense propriété des Cornouailles qui au fil du temps et des mésaventures de riches propriétaires ruinés, s’est réduite à la confortable demeure du gardien (Il était vraiment très bien logé !). Sadie Sparrow n’aura de cesse, soixante-dix ans après, de résoudre ce mystère alors que la plupart des acteurs du drame ont disparu, si ce n’est une vieille dame octogénaire, Alice Edevane, auteure de romans policiers. Toute une réflexion sur l’écriture assez intéressante parcourt en filigrane le récit dans une sorte de mise en abyme.

Spécialiste du gothique, Kate Morton, tire habilement les ficelles du récit et rien ne manque : la culpabilité, les tourments des âmes meurtries, le récit tout en clair-obscur, les menaces qui planent, l’atmosphère inquiétante de lieux qui, pour être laissés à l’abandon n’en recèlent pas moins de terribles dangers.

Toutefois ces incessants flash-backs sont parfois fatigants, et on laisse à regret un personnage dont on aurait bien aimé savoir davantage, et les révélations orchestrées par les personnages du récit aujourd’hui disparus (en lieu et place de véritables preuves, on vit les scènes telles qu’elles se sont déroulées) masquent parfois les faiblesses de l’enquête.

Quant à la fin – les révélations s’accélèrent dans le dernier quart du roman – elle est complètement ubuesque, mais non sans charme. Un happy-end en quelque sorte, auquel on ne se serait vraiment pas attendu. Bon, un peu tiré par les cheveux mais assez génial, il faut l’avouer. Je me suis attachée à ce roman que j’ai eu un peu de mal à quitter (C’est le problème de ces pavés, les personnages deviennent trop familiers !).

 

Kerry Hudson – La couleur de l’eau / Une plume venue d’Ecosse

Kerry Hudson - La Couleur De L'eau (2015) » telecharger-magazine

Kerry Hudson – La couleur de l’eau – 2014 et 2015 pour la traduction française – Editions Philippe Rey 10/18, traduit de l’anglais par Florence Lévy-Paoloni

Prix Femina étranger 2015

L’amour offre parfois l’opportunité d’une formidable résilience. Lorsque la confiance s’installe, que chacun accepte de se laisser profondément toucher par l’Autre, alors les carapaces tombent et mettent à nu la profonde richesse de chacun. Boris Cyrulnik en a fait un très beau livre « Parler d’amour au bord du gouffre » et il définit l’amour ainsi :

« C’est le plus joli moment pathologique d’une personnalité normale. Joli, parce qu’il s’agit d’une extase mais celle-ci côtoie souvent l’angoisse. On est donc au bord de la pathologie. Pour un fait, pour un regard raté de l’autre, les grandes amours se muent en grande souffrance. Ça paraît anormal de -souffrir quand on aime ! Mais l’état amoureux est un état anormal, hors norme! Cette intensité affective enferme l’individu dans son propre monde intime : le reste du monde devient fade et non perçu. C’est presque un état délirant, au sens étymologique du terme : délirer = je sors du sillon, je quitte la société, je quitte ma famille, parfois je quitte ma femme ou mon mari, tellement je suis prisonnier de ce qui se passe en moi, de ce qu’il ou elle a déclenché en moi. »

Le livre de Kerri Hudson organise la rencontre de deux êtres blessés qui vont s’apprivoiser. Alena est russe et s’envole vers Londres dans l’espoir d’une vie meilleure. Elle tombe dans un guet-apens. Dave, vigile dans un magasin, va croiser la jeune fille et lui offrir son aide de la manière la plus inattendue qui soit : en la laissant partir.

Tous les deux ont des rêves immenses que la souffrance peine à contenir, tous les deux ont soif d’une autre vie, et tenteront peut-être d’unir leurs forces. Parfois c’est simplement plus facile à deux. Il faudra aller jusqu’à la fin du livre pour savoir s’ils réussiront.

Histoire d’amour moderne qui ménage rebondissements et suspense, portrait social de l’Angleterre d’aujourd’hui, l’indifférence pour ceux qui sont à la marge, et la lutte pour la survie. L’Angleterre, un modèle ?

J’ai lu avec beaucoup de plaisir cette histoire qui parle un peu de chacun de nous …

« Kerri Hudson est née en 1980 à Aberdeen. Avoir grandi dans une succession de HLM, Bed and Breakfasts et camping à l’année lui a fourni la matière de son premier roman. Après Tony Hogan m’a payé un ice-cream soda avant de me piquer maman, elle signe La couleur de l’eau. Elle vit, travaille et écrit à Londres. » Editeur

Paroles de femmes : Virginia Woolf

« Bien que différents, les sexes s’entremêlent. En tout être humain survient une vacillation d’un sexe à l’autre et, souvent, seuls les vêtements maintiennent l’apparence masculine ou féminine, tandis qu’en profondeur le sexe contredit totalement ce qui se laisse voir en surface. »

 

Orlando (1928), traduction de Catherine Pappo-Musard, Paris, LGF, 1993, p 184

 

virginia woolf

Nell Leyshon – La couleur du lait / Voix magnifique et fragile

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Ce livre est la voix de Mary, voix que rien ne trouble, voix pure et limpide, venue du plus profond d’elle-même, de sa capacité à embrasser le monde, à le sentir, à l’aimer et à en souffrir. Peut-être sa conquête de la liberté, dans un monde fruste où elle est soumise à l’impératif, ne peut-elle être que tragique. Des autres elle ne reçoit que des coups et des ordres.. Elle est assujettie à la violence d’une société de classe, profondément patriarcale, dont elle va se libérer par l’écriture. Elle racontera son histoire afin de faire entendre sa voix.

L’histoire se déroule en 1831, en Angleterre, dans le Dorset. Jeune fille de quinze ans, soumise à la brutalité d’un père sans tendresse, Mary est placée comme bonne chez le pasteur Graham pour servir et tenir compagnie à son épouse, une femme malade du coeur. Mary ne peut choisir, elle reçoit des ordres et obéit, personne ne lui demande jamais ce qu’elle aimerait, ou ce qu’elle pense. Un jour pourtant, le pasteur lui propose de lui apprendre à lire et à écrire.

Livre d’une grande beauté même si Mary écrit sans majuscule. Sa langue est simple mais limpide; sans la grandiloquence des majuscules les phrases ne se closent jamais vraiment.

La conquête de la lecture et de l’écriture a souvent été pour les femmes une libération. Ce sera le cas pour Mary. Celle qui écrit sa vie, qui la raconte, par les mots, prend possession d’elle-même et de son destin. Humiliée, méprisée, Mary devient sujet de son propre discours, elle prend la parole et fait entendre sa voix.

J’ai adoré ce livre touchant et profond, cette écriture sur le fil, tremblante et pourtant assurée. Il m’a profondément émue. Un vrai coup de cœur.

Jolien Janzing – L’amour caché de Charlotte Brontë

Jolien Janzing – L’amour caché de Charlotte Brontë – l’Archipel 2016

Traduit du néerlandais par Danièle Momont

Les femmes et l'ecriture 3Ce roman retrace une période de la vie de Charlotte Brontë, lorsqu’elle quitte, en compagnie de sa sœur, son Yorkshire natal pour aller à Bruxelles prendre des cours de français. L’objectif est de s’assurer la meilleure formation possible afin d’ouvrir une école une fois rentrées.  Cette parenthèse francophone durera plusieurs mois. Elles sont hébergées dans un pensionnat pour jeunes filles tenues par Claire Heger et son mari professeur de littérature. Mais c’est Claire qui tient les cordons de la bourse et qui dirige tout.

Charlotte est fascinée par Constantin, son érudition mais aussi sa virilité et celui-ci n’est pas insensible au trouble qu’il provoque chez ses jeunes élèves.

On côtoie aussi, dans ce livre, les habitants des nombreux quartiers qui composent Bruxelles la cosmopolite et notamment le quartier ouvrier de Molenbeek car Constantin donne des cours d’alphabétisation aux ouvriers volontaires. Un personnage attachant, Emile, jeune ouvrier volontaire et obstiné va d’ailleurs faire une étrange proposition à Charlotte.

Nous savons tous, parce que l’histoire nous le dit, que Charlotte retournera à Haworth mais ce que nous savons moins c’est que cette histoire d’amour, teintée de scandale, inspirera à Charlotte Brontë son chef-d’œuvre, Jane Eyre – Mr Rochester n’étant que le double de Constantin Heger !

Un sentiment mitigé à l’issue de la lecture. Je n’ai pas vraiment aimé ce livre à cause du style (l’auteur s’adresse souvent au lecteur et j’ai horreur de cela) mais aussi parce que je n’y ai rien senti de ce qui me fascine chez Charlotte Brontë pour laquelle j’ai une grande admiration. Pour autant je ne me suis pas ennuyée et j’ai tourné les pages volontiers pour suivre l’histoire.

Spécialiste de littérature anglaise du XIX e siècle, Jolien Janzing est née en 1964 aux Pays-Bas. En octobre 2015, elle est la première auteure non britannique conviée au rendez-vous littéraire annuel de La Brontë Society, à Haworth.

 Portrait de Constantin Heger (vers 1865), qui inspira à Charlotte Brontë son premier roman, The Professor Photo wikipedia Licence creative commons

On me signale en commentaire qu’il y a eu un autre roman écrit par Charlotte, « The professor » qui a été écrit avant Jane Eyre, et publié à titre posthume en 1857.

Mona Hatoum, l’écriture des corps, l’écriture du Monde

Mona Hatoum Beaubourg

Mona Hatoum – L’écriture des corps, l’écriture du Monde

Vignette Les femmes et l'ArtLe centre Pompidou présente une exposition complète de l’œuvre de Mona Hatoum, proposant un aperçu de la pluridisciplinarité de ses travaux depuis les années 70 à travers une centaine d’œuvres représentatives de la diversité des supports explorés par l’artiste : à savoir la performance, la vidéo, la photographie, l’installation, la sculpture et les œuvres sur papier.

Ce qui m’a intéressée, ici, pour Litterama, est la présence de l’écriture dans deux œuvres, Over my dead body, et la vidéo « Measures of distance ».
Elle s’est tout d’abord fait connaître par ses performances et ses vidéos dans lesquelles le corps se fait l’interprète d’une réalité parfois violente, contradictoire ou ambigüe. Mon corps est le point d’ancrage dans le monde, mais c’est par lui que je perçois la réalité qui m’entoure : la vision, le toucher, et tous les autres sens m’informent de ce qui s’y passe.

Over my dead body (1988-2002), sur cette œuvre grande comme un panneau publicitaire, Mona Hatoum se représente de profil, regardant un soldat en plastique posé sur son nez. Elle joue de l’échelle pour inverser les relations de pouvoir en réduisant le symbole de virilité à une petite créature, pas plus grande qu’une mouche que l’on pourrait chasser d’un geste. le texte pourrait être interprété de deux manières : soit le corps est déjà mort symboliquement même s’il apparaît vivant, ou alors, « Il faudra me passer sur le corps, je résisterai jusqu’au bout. »

Dans les années 70, elle s’en éloigne pour se tourner vers la sculpture et l’installation à grande échelle. Cages, grilles, grillages témoignent de l’enfermement, de la séparation, de la guerre. Et là encore, le corps est fait prisonnier, il est pris comme otage, reclus, séparé, subit la contrainte, pris entre des désirs contradictoires, subissant la violence du pouvoir et de ses normes concentrationnaires, refoulant ses désirs.

Pour Mona Hatoum, tout ce qui provient du corps est digne, elle utilise ses cheveux, ses rognures d’ongle, les excrétions.

L’oeuvre « Light sentence » est constituée de boxes grillagés carrés, empilés les uns sur les autres pour créer un enclos à trois côtés plus haut que la taille humaine. les boxes ont l’aspect de clapiers pour animaux mais peuvent aussi évoquer l’architecture institutionnelle.

Les meubles et autres objets familiers, qui occupent une place prééminente dans sa production témoignent d’une réalité marquée par un environnement suspicieux, insidieux et hostile.

Mona Hatoum elle même remarque que le maître mot aujourd’hui est la surveillance, et qu’elle a été frappée lors de son arrivée en Angleterre par le nombre de caméras qui filmaient.
Une partie de son œuvre rend compte d’une réflexion sur le corps, de son écriture, de ses empreintes, et l’autre d’un monde en proie à la violence des hommes.

Measures of distance (1988) Cette vidéo montre sa mère en train de prendre sa douche et en transparence, les lettres qu’elle lui écrivait. On entend la voix de Mona Hatoum qui lit ces lettres. On devine la souffrance de la séparation inscrite dans ce corps nu sous la douche. Voix qui provient du plus intime de l’être. Le texte apporte un message contradictoire, il dit le manque, la souffrance des familles séparées par l’exil, alors que ce corps paraît insouciant sous la douche. mais de la même façon que chaque jour on se lave, chaque jour la séparation s’inscrit dans le  corps. Sur le plan esthétique, le texte apparaît comme un rideau de douche.

Photo Héloïse R. D Centre Pompidou
« Twelve windows »(2012-2013) présente douze pièces de broderie palestinienne, œuvre d’Inaash, l’Association pour le développement des camps palestiniens, une ONG libanaise créée en 1969 pour donner du travail aux femmes palestiniennes dans les camps de réfugiés au Liban et préserver un art traditionnel menacé d’extinction par la dispersion des Palestiniens dans la région. Ces pièces de tissu sont normalement portées sur les robes de mariée.

Née en 1952 à Beyrouth de parents palestiniens, Mona Hatoum est en visite à Londres en 1975 lorsque la guerre civile éclate au Liban. Dans l’impossibilité de rentrer, elle reste à Londres où elle étudie l’art. De nationalité britannique, elle demeure au Royaume-Uni après la fin de ses études. Depuis 2003, elle partage son temps entre Londres et Berlin.

LITTERAMA copieSources : présentation Centre George Pompidou, vidéo de l’artiste, visite personnelle de l’exposition.

Derrière la porte – Sarah Waters

derrière la porte

Sarah Waters Derrière la porte, traduit de l’anglais par Alain Defossé, Denoël,2015 – Sarah Waters 2014

Parler d'homosexualitéFrances a 26 ans en 1922, à Londres, après une guerre qui a laissé l’Europe exsangue et prive de nombreux foyers de la présence d’hommes. Maris, frères, cousins sont morts à la guerre. Issue de la grande bourgeoisie mais ruinées, Frances et sa mère, sous-louent une partie de leur maison. Eteinte, promise au célibat, dans une vie routinière et sans intérêt, Frances accueille les nouveaux locataires sans se douter que l’arrivée de Lilian et son mari, Leonard va bouleverser son existence.
Elle découvre grâce à eux un nouveau mode de vie : de milieu populaire, les codes vestimentaires, les goûts musicaux changent et lui permettent de sortir de sa classe sociale et de découvrir un autre univers. L’amour aussi. Car « derrière la porte » est un roman de classe mais aussi un roman lesbien, d’une veine plutôt sentimentale.
Saran Waters dans un entretien consacré à Libération , assume :

« On me demande souvent ce que je pense du label d’«auteure lesbienne». La vérité, c’est que ça ne me dérange pas. J’emploie moi-même ce terme, parce que j’ai un intérêt tellement fort pour les histoires de lesbiennes, les imaginer, les raconter. C’est là, c’est dans mes livres. Mais il semble que mes histoires de lesbiennes touchent un public qui n’est pas seulement lesbien car, fondamentalement, elles parlent d’amour, de désir, de trahison, tout le monde doit pouvoir s’y retrouver. »

Si l’homosexualité a une véritable importance, c’est qu’elle fait partie de ce qu’il y a derrière la porte, ce que l’on doit plus ou moins cacher parce que l’interdit moral et social est encore extrêmement fort. Ce type d’amour se vit dans une quasi clandestinité ou tout au moins dans une parfaite discrétion.
Le roman analyse aussi finement la distinction de classe, et montre comment l’origine sociale est un critère déterminant qui oriente l’opinion publique et la justice. D’une certaine manière, vous êtes toujours condamné d’avance. Enfin, si les interdits sociaux sont coercitifs, les interdits psychiques, de nature inconsciente sont aussi très forts, et il n’est guère facile d’accepter, pour certains, sa propre homosexualité.
Je me rends compte aussi, en tant que blogueuse, qu’il y a très peu de romans présentés dans ce blog, qui parlent d’homosexualité.

Derrière la porte, est un bon roman, avec quelques longueurs cependant. 700 pages que l’on ne lâche pas pourtant et qui font passer un bon moment de lecture.

Alison Lurie – Liaisons étrangères

Alison Lurie Liaisons étrangères Editions Payot&Rivages 1997 (1984 Alison Lurie), traduit de l’anglais (américain) par Sophie Mayoux.

Vignette femmes de lettresDeux universitaires américains se retrouvent à Londres pour un congé d’études. Fred a 29 ans, un physique avantageux, et travaille sur le XVIIIe siècle et l’écrivain John Gay, Vinnie a 54 ans, est plutôt laide, et doit mener des recherches pour une étude comparée des chansons à jouer américaines et anglaises.

Ce séjour va permettre la confrontation des préjugés et des fantasmes des uns et des autres. Les anglais seraient snobs et raffinés dans une société figée et en déclin, et les américains provinciaux et vulgaires dans une Amérique vouée à la consommation et à l’argent.

Mais ce livre est avant tout l’occasion d’une fine analyse du monde des apparences et des jugements hâtifs et à l’emporte-pièce qui enferment les gens dans la solitude ou la bêtise.

Car la vulgarité n’est pas toujours ce que l’on croit, elle consiste souvent dans le mépris que l’on porte à son prochain parce qu‘il ne possède ni la culture ni les codes des milieux pseudo-intellectuels, ou le raffinement des élites souvent composées de snobs et de personnages dont le raffinement et la distinction cachent parfois la grossièreté et le vice.

Derrière un personnage caricatural, se cache parfois un être généreux et tendre. Beaucoup d’entre nous se condamnent à la solitude à cause d’exigences ou de préjugés qui laissent peu de place à l’autre. L’intelligence ou la culture (ce qui n’est pas tout à fait la même chose) masque parfois une certaine sécheresse de cœur et de l’égoïsme.

L’importance de l’apparence physique et ses conséquences sur la vie amoureuse sont aussi finement analysées. Si la laideur n’est pas synonyme de frustration sexuelle, elle conduit souvent à la solitude affective. De même, la beauté ne garantit pas l’amour mais elle ouvre une possibilité de choix qui a une forte incidence sur l’équilibre individuel.

Une belle histoire d’amour réunit deux êtres que tout oppose. Elle va les contraindre à changer de perspective et à se transformer. Pas de happy end pourtant chez Alison Lurie, ou de romantisme échevelé. Les êtres sont examinés à la loupe, sans concession mais avec tendresse.

J’ai beaucoup aimé ce livre, la finesse des observations, et la justesse des analyses.

Née à Chicago en 1926, Alison Lurie a passé son enfance à New York. Ce roman a reçu le prix Pulitzer. Universitaire, elle a aussi travaillé sur la littérature de jeunesse.

Mary Webb – La renarde

Mary Webb – La renarde –publié pour la première fois en anglais en 1917, première traduction en français en 1933 réédition 2012 Archi poche

Hazel Woodus est une jeune fille sauvage, qui vit isolée, avec son père, dans la campagne anglaise. Sa mère morte, livrée à elle-même, sans ce vernis d’éducation que donne la bonne société anglaise , elle vit librement en contact avec la nature. Sa morale simple, calquée sur les besoins naturels, ignore les interdits de toutes sortes qui règlent la vie des individus. Le sens des convenances, le souci du qu’en-dira-t-on, lui sont étrangers et font d’elle une inadaptée, et l’objet par lequel le scandale arrive.

Elle vagabonde dans la campagne anglaise avec une renarde apprivoisée sur des terres qui appartiennent au hobereau local, Jack Reddin, figure de mort, chasseur invétéré qu’elle va croiser. Hazel Woodus est d’une extrême naïveté et se révèle une proie rêvée . Dépourvue de l’éducation qui l’aurait avertie des dangers et des hommes, et lui permettrait un certain discernement, elle suit ses désirs, interprètent des signes qui ne sont que le fruit du hasard et consulte une sorte de grimoire léguée par sa mère grâce auquel elle fabrique des charmes. Hors de toute rationalité, marginale, Hazel est superbement ignorante du monde qui l’entoure. Elle a suffisamment d’empathie cependant pour respecter la vie et la nature autour d’elle.

Mais Hazel est une sorcière moderne dans un monde qui ignore la magie et qui peut se révéler froid et cruel.

Le révérend Marston, amoureux de la jeune fille, souhaite l’épouser. Elle correspond à son idéal de pureté. Mais la pureté n’est pas non plus de ce monde, si la pureté ignore les désirs des êtres chevillés à leur corps. Toute chose fait l’effort de persévérer dans son être, et l’instinct conduit à la conservation de l’espèce. Hazel est  fille de cette nature sensuelle et mystérieuse. Le corps et la sexualité font partie de ce monde bruissant et d’une extraordinaire vitalité.

Trois destins, trois voies, qui vont se croiser pour le meilleur et peut-être pour le pire…

Un beau roman, assez étrange, très poétique, vibrant et lumineux.

 

Mary Webb (1881-1927) – L’histoire d’une vie

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Mary Webb est née le 25 mars 1881 dans le village de Leighton, au sud de Shrewsbury, dans le Shropshire. Son père, George Edward Meredith diplômé d’Oxford en lettres classiques, influera sur son « entrée » en littérature.. Très tôt, elle s’attache à mettre en mots son amour de la nature et écrit de la poésie qu’elle soumet à son père. Puis elle écrit des pièces de théâtre et des histoires tirées du folklore local . Elle s’échappe souvent de la maison, discute avec les habitants des environs, des gens simples qu’elle côtoie lors de ses promenades, et développe une personnalité intuitive, spontanée et généreuse et des capacités d’observation originales. Elle est profondément reliée à sa terre natale et développe une forme de spiritualité (panthéisme) issue de sa symbiose avec la nature. Son écriture est empreinte de  lyrisme et son pouvoir d’évocation l’aide à traduire ce souffle profond, ces palpitations, les mille odeurs, frôlements, pulsations du monde naturel. Le monde est habité d’une vie puissante et sauvage, innocente, mais aussi cruelle. Ce lien privilégié la pousse à considérer les choses essentielles par lesquelles un être humain est relié au monde dont il est issu et lui fait développer une forme de critique sociale à l’égard de conventions arbitraires instituées par les hommes à seule fin d‘asseoir leur pouvoir sur un ensemble de règles immuables qui visent à contraindre les individus et surtout les femmes.

A vingt ans, elle découvre qu’elle est atteinte de la maladie de Graves, trouble de la thyroïde qui entraîne une grande maigreur. A vingt et un ans, elle rédige ses premiers essais et poèmes inspirés par la nature. Elle fréquente la Société littéraire où ses essais sur Jane Austen, les sœurs Brontë, George Eliot et George Meredith sont finalement remarqués.
En janvier 1909, tragiquement endeuillée par la mort de son père, elle se tourne résolument vers l’écriture. Sa première histoire « A cedar rose, paraît dans le magazine Country Life en juillet 1909.

L’année suivante, elle rencontre Henry Bertram Law Webb, philosophe et écrivain, diplômé de Cambridge. Ils se marient malgré l’opposition de la famille Webb. Mary a alors 29 ans et, fait qui révèle bien sa personnalité et illustre son mépris des conventions, elle invite alors à son mariage des pauvres gens des environs et pour demoiselle d’honneur choisit la fille du jardinier.

Elle quitte sa région natale pour suivre son mari qui a trouvé un poste d’enseignant à Weston-super-mare. Elle entreprend son premier roman « La flèche d’or » et retourne à chaque fois qu’elle peut dans sa région natale. Elle mûrit ses œuvres longtemps avant de les rédiger en quelques mois.

En 1914, les Web retourne s’installer dans le Shropshire qui manque tant à Mary. Ils adoptent un mode de vie frugal et vivent de leurs propres ressources.

La guerre éclate et Henry est réformé car il souffre de dorsalgies. Mary s’engage à sa manière en vendant sa production excédentaire sur les marchés à bas prix.

En 1916, la parution de la Flèche d’or est un succès mais il est mal reçu par la population locale choquée par sa liberté de ton.

En effet ses idées libérales sur le mariage, le sexe, et l’avortement choquent dans une société corsetée par un moralisme rigide et le sens des convenances. Son roman est même brûlé par de petits groupes de personnes qui manifestent ainsi leur mécontentement.

Mais leur situation financière étant devenu trop difficile, Henry accepte un poste de maître assistant en anglais, latin et histoire à Chester. Très affectée par la guerre et ses horreurs, l’éloignement de son mari, la santé de Mary se dégrade. Elle écrit son second roman « La Renarde », dont le titre anglais « Gone to earth » est une expression qui signifie que le renard s’est échappé en retournant à son terrier et qu’il faut choisir une autre proie.Il est publié en 1917 et reçoit des critiques élogieuses, comparé à Tess d’Urberville de Thomas Hardy. (décrété meilleur ouvrage de l’année par la critique Rebecca West). En 1920, son troisième roman, « Le poids des ombres » est un échec commercial. Elle publie encore « Sept pour un secret » en 1922 puis, deux ans plus tard, son roman le plus célèbre, « Sarn (Precious Bane, Précieux poison ». Elle reçoit pour ce livre le prix Femina étranger. Mais la reconnaissance de ses pairs n’est pas celle du public.

En 1927, Mary, devant la liaison d’Henry avec une de ses élèves, s’installe sur les rives de la Manche, à St Leonards-on-sea. Elle meurt à l’âge de quarante-six ans. L’œuvre de Mary Webb a connu un succès posthume, depuis qu’en 1928, le Premier ministre, Stanley Baldwin, en a fait l ‘éloge et préfacé une nouvelle édition de Sarn. La plupart de ses romans ont été adaptés au cinéma et à la télévision..

Ces informations sont tirées de la préface d’Isabelle Viéville Degeorges qui fait un beau travail d’édition aux éditions archipoche, ainsi que des articles publiés sur le Web (wikipedia anglais).

Virginia Woolf – Elles

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Virginia Woolf Elles Portraits de femmes « Four figures », Rivages poche/Petite bibliothèque, traduit par Maxime Rovere

vignette femme qui écritJ’aime beaucoup Virginia Woolf essayiste, et je la préfère parfois à la romancière.

Dans ce livre qu’elle consacre aux « expériences de vie » de quatre femmes, Virginia Wolf célèbre le génie féminin à son époque objet d’un constant déni.

Virginia Woolf écrit en tant que femme mais elle ne fait pas de la littérature de femme, elle se veut écrivain à part entière. A son époque encore, non seulement on ne traite pas une femme de lettres et un homme de lettres de la même manière, mais en plus on établit à priori que celle-ci ne pourra jamais, quels que soient ses efforts, égaler le génie masculin. C’est perdu d’avance, en quelque sorte. Dans « Four figures », elle ne cherche pas seulement à dénoncer la condition des femmes qui écrivent mais cherchent des « amies », des femmes qui grâce à leur ténacité, leur volonté, ont eu le courage d’écrire. Virginia Woolf veut raconter les expériences de ces femmes. Maxime Rovere, dans sa passionnante préface l’exprime ainsi : « Elle invite à faire confiance au jeu d’échos qui permet aux sujets de se répondre les uns aux autres, comme des voix parlant dans le noir, discutant à travers les siècles. » et parvient à travers ces biographies à inventer « une forme de distance critique qui à la fois souligne la différence des êtres mais aussi affermit leur mutuelle compréhension. »

Dorothy Osborne ( 1627-1695 ) est née à une époque où la femme était entravée par la croyance que l’écriture était pour son sexe « un acte inconvenant. [Seule] Une grande dame ici et là, qui bénéficiait par son rang de la tolérance et peut-être de l’adoration d’un cercle servile, pouvait écrire et imprimer ses textes ». Comme les autres, elle se moque du ridicule qu’il y a à écrire un livre. Mais si elle a intériorisé les interdits de l’époque, cette obscure volonté d’écrire prendra d’autres voies, plus inoffensives, qui ne risqueront pas la mettre au ban de la société. Elle écrira des lettres. Cette activité convient bien à l’univers domestique des femmes, car une lettre peut être écrite au coin d’une table et interrompue à tout moment. Elle a laissé de sa vie, grâce à elles,  un témoignage « à la fois savant et intime ». Mais les lettres à son amant cessèrent lorsqu’elle se maria et elle se consacra désormais à servir la carrière diplomatique de son mari.

Il en va autrement de Mary Wollstonecraft (1759-1797), en laquelle brûlent le feu et l’ardeur de la révolte. Pour elle rien d’autre n’a de sens que d’être indépendant : « Je ne me suis encore jamais résolue à faire quelque chose d’important sans y adhérer entièrement. » peut-elle affirmer. Le déclenchement de la Révolution française fait écho à ses préoccupations et exprime certaines de ses convictions et de ses théories les plus profondes. Elle écrit alors « Réponse à Burke » et la « Défense des droits de la femme » qui restera son livre le plus célèbre. Elle fut témoin de la misère et de l’injustice et résolut de gagner sa vie par sa plume. Écrire pour elle n’était pas ridicule, c’était l’arme même de son combat. Trahie par le père de son enfant, Imlay, elle tente de se suicider. Puis elle rencontre un homme extraordinaire pour l’époque, qui pense que les femmes n’ont pas à vivre en inférieures. Ils vécurent une relation amoureuse intense et riche. Mais Mary mourut en donnant naissance à celle qui plus tard écrira Frankestein et comme l’écrit Virginia Woolf, Mary, cette femme extraordinaire, et si attachante, n’est pas morte, elle nous touche encore car « elle est vivante et active, elle multiplie arguments et expériences, elle nous fait entendre sa voix et percevoir son influence, aujourd’hui encore, parmi les vivants. »

Bien différente est sa contemporaine Dorothy Wordsworth (1771-1855), dont aucun des écrits n’est, à ma connaissance, traduit en français. Elle écrivit des lettres, un journal, des poèmes, et des « short stories » sans aucune ambition d’être un auteur. Elle vécut toute sa vie avec son frère, même lorsqu’il se maria. Elle était très éloignée des préoccupations sociales et politiques d’une Mary Wollstonecraft. Pour elle nous ne « pouvons pas ré-former, nous ne devons pas nous rebeller, nous ne pouvons qu’accepter et essayer de comprendre le message de la nature. » Aucune révolte chez elle, plutôt l’acceptation et la compréhension de ce qui est. Non soumise à la nécessité, elle ne fut pas confrontée à la violence sociale qu’exerce la misère sur les individus. Elle célèbre tout ce qu’elle voit, le décrit minutieusement, en cherchant à être au plus près de la vérité. Elle écrit.

Geraldine Jewsbury (1812-1880) fut une figure importante de la vie littéraire londonienne de l’époque victorienne. Dans ses romans , elle remit en question la vision idéalisée de l’épouse et de la mère et tenta de promouvoir le rôle spirituel du travail dans la vie des femmes. Ses personnages féminins sont souvent plus forts que les personnages masculins. Virginia Woolf, tente de saisir ce qui se joue dans son amitié tourmentée et passionnée avec Jane Carlyle. Ce qui l’a conduit à l’écriture, est peut-être la même chose qui l’a conduite à aimer Jane d’un amour platonique mais violent et tire sa source d’ « une sombre figure masculine […] une créature infidèle mais fascinante, qui lui avait appris que la vie est perfide, que la vie est dure, que la vie est l’enfer matériel pour une femme. »
Madame de Sévigné (1626- 1696) notre célèbre épistolière, est vue à travers son amour passionné et quelque peu morbide pour sa fille mais surtout dans son art de l’évocation et on entend « çà et là le son de sa voix qui parle à nos oreilles, suivant son rythme qui augmente et retombe en nous, nous prenons conscience, au détour d’une phrase évoquant le printemps, un voisin de campagne ou quelque autre chose qui apparaît en un éclair, que nous sommes, bien entendu, les interlocuteurs de l’un des plus grands maîtres de la parole. »

Elles tentèrent toutes à leur manière l’aventure de la page blanche et leurs mots résonnent encore aujourd’hui pour qui veut bien les entendre. Elles furent courageuses et audacieuses car écrire était vaincre le plus terrible des tabous qui interdisait aux femmes d’exister par leur esprit. Un livre en miroir où se jouent les correspondances.

Evelina de Fanny Burney (1752 – 1840)

vignette femme qui écritEvelina ou The History of a Young Lady’s Entrance into the World (1778), José Corti , domaine romantique 1991. “C’est l’œuvre la plus pétillante, la plus divertissante et la plus agréable du genre” note le Monthly Review en avril 1778. La critique est élogieuse et voit en elle le digne successeur de Richardson et de Fielding. Il est vrai qu’elle excelle dans le ton de la comédie, et prodigue généreusement au lecteur coups de théâtre, et retournement de situation . Elle campe des personnages hauts en couleur au verbe flamboyant et populaire ou à la délicatesse châtiée des aristocrates, dont elle n’épargne ni la suffisance, ni le ridicule : ainsi de ce personnage qui prétend venir au théâtre seulement pour qu’on le voie, et avoue ne rien écouter de la pièce. Aucun pan de la société n’échappe à son observation minutieuse, de la bourgeoisie enrichie qui prétend imiter les nobles, aux prostituées qui se promènent dans les jardins. Les femmes ne sont jamais très bien loties et doivent supporter pour maris d’affreux personnages, tel ce capitaine de marine qui se plaît à tourmenter une française à laquelle il n’épargne ni ses sarcasmes, ni des farces du plus mauvais goût.

Fanny Burney ne s’éloigne jamais pourtant de la morale de son temps et fustige les »bas-bleu » qui offensent le code de réserve féminine en vigueur à l’époque. D’ailleurs, son héroïne a tout d’une ingénue obéissante qui passe son temps à défendre sa vertu. Pour une femme d’aujourd’hui, elle est passablement énervante. Mais pour l’époque, elle représente la femme idéale, rougissante, modeste, gracieuse et obéissant à son tuteur qui dirige sa conduite. Il va de soi qu’elle ne peut se diriger entièrement elle-même. Dans ce roman épistolaire, l’auteure raconte l’entrée d’une jeune provinciale de dix-sept ans dans la haute société londonienne. Sa naissance obscure et son peu de fortune, lui font affronte un préjugé de classe dominant à l’époque qui la met à l’écart, et lui fait endurer le mépris et la disgrâce. C’est sur ce même thème que Jane Austen bâtira Orgueil et préjugés quelque trente ans plus tard. Si Fanny Burney est totalement étrangère au monde d’une féministe comme Mary Wollstonecraft (qui dit-on l’admira), elle n’en prend pas moins quelques risques et égratigne  la société patriarcale de son temps à coup d’ironie feutrée et de satire sociale. Son art du dialogue rend le récit vivant et les 444 pages passent sans peine. A découvrir…

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Fanny Burney (1752-1840) : l’histoire d’une vie

Frances dite Fanny Burney (1752-1840)

vignette femme qui écritFemmes de lettres anglaise née en 1752, morte à Londres en 1840. Son père était musicien et fréquentait, avec sa fille, le salon de Samuel Jonnson.
Ses deux premiers romans Evelina ou The History of a Young Lady’sEntrance into the World (1778) et Cecilia ou Memoirs of an Heiress (1782) la rendirent célèbre. Elle fut ensuite attachée à la garde-robe de la reine Charlotte, charge qu’elle quitta en 1791.
C’est avec elle que s’annonce le renouveau du roman anglais – Defoë, Richardson comme Smollett n’ayant pas été remplacés. Choderlos de Laclos la tenait en grande estime et ne tarissait pas d’éloges. « Ses romans pleins de finesse, d’humour, de sens de l’observation n’ont rien à envier à ceux de G. Eliot, M. Shelley ou J. Austen. »Elle est également l’auteur d’un journal qui compte parmi les sommets du genre en Angleterre (1768-1818).1
En 1793, à quarante-deux ans, elle épousa un émigré français, le général Alexandre D’Arblay. Leur fils unique, Alexander, naît en 1794.
Elle publia Camilla ou A Picture of Youth en 1796, avant d’aller s’installer en France avec son mari, le général d’Arblay, ancien émigré qui avait été aide de camp de La Fayette (1802). Elle y resta dix ans .
En 1814, elle écrivit et publia The wanderer or Female Difficulties.
On a souvent rapproché son art de celui de Richardson et de Fielding mais ses descriptions minutieuses de la vie domestique, la finesse avec laquelle elle épingle les vanités et les ridicules sociaux l’apparentent aussi à Jane Austen.
Elle a laissé un Journal et des Lettres publiés ensemble, en sept volumes de 1842 à 1846.
La postérité, pourtant, n’a guère retenue son nom alors que sa cadette, Jane Austen, est reconnue aujourd’hui comme un grand nom de la scène littéraire de l’époque.

Fanny Burney fut toute sa vie en butte à ses propres contradictions : elle voulut la notoriété mais craignit le scandale qui broyait les femmes rebelles n’ayant pas respecté le code de bienséance et de pudeur féminine de l’époque. La femme auteur est dangereusement exposée aux cabales et aux sarcasmes. La réputation d’une femme, si chère à un certain code post-puritain, ne doit pas souffrir de la moindre tache. Or, si à l’époque, la lectrice de romans est considérée comme une femme légère, aux mœurs dépravées, la romancière encourt le risque d’être traitée de bas-bleu ( femmes dont Fanny Burney se moque abondamment).
Elle ira jusqu’à fuir Mme de Staël dont elle finira par connaître les amours adultères et qui voyait pourtant en elle « la première femme d’Angleterre ».

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

 vignette femme qui écrit« La littérature est ma profession (…)La voie me fut frayée, voilà bien des années par Fanny Burney, par Jane Austen, par Harriet Martineau, par George Eliot… Beaucoup de femmes célèbres, et d’autres, plus nombreuses, inconnues et oubliées, m’ont précédée, aplanissant ma route et réglant mon pas. Ainsi, lorsque je me mis à écrire, il y avait très peu d’obstacles matériels sur mon chemin : l’écriture était une occupation honorable et inoffensive. » Virginia Woolf, Profession pour femmes, 1939

Ecrire et publier fut pour les femmes une conquête. Fanny Burney (1752 – 1840)fut l’une de celles qui ouvrit la voie aux romancières anglaises. Sa cadette de 23 ans, Jane Austen lui rend hommage dans les premières pages de Northanger Abbey.

Une jeune fille à qui l’on demande ce qu’elle lit, répond : « Oh, ce n’est qu’un roman, ( …), Ce n’est que Cecilia, ou Camilla ou Belinda : c’est seulement une œuvre dans laquelle les plus belles facultés de l’esprit sont prodiguées et qui offre au monde, dans un langage de choix, la plus complète science de la nature humaine, la plus heureuse image de ses variétés, les plus vives affections d’esprit et d’humour. »

 Les commentateurs soulignent que le premier roman de Fanny Burney « Evelina » a largement inspiré « Orgueil et préjugés » de Jane Austen (1775- 1806). Inspiré (affinités électives ?) et non copié, car l’œuvre de Jane Austen est singulière et possède la marque de son univers.

Toutes les deux durent contourner les préjugés de leur temps, et la difficulté pour les femmes de concilier bienséance, codes moraux d’une époque, et création. Les thèmes sont imposés par les dictat de l’époque en matière de pudeur féminine. Hors de question d’évoquer ouvertement la sexualité, ou l’indépendance des femmes sans provoquer le scandale. La réputation des femmes doit être vertueuse pour que leur œuvre n’encoure pas l’opprobre.

 Mary Wollstonecraft (1759 – 1797) qui fut à la fois maîtresse d’école, femmes de lettres, philosophe et féministe anglaise écrivit un pamphlet contre la société patriarcale de son temps « Défense des droits de la femme ». Elle eut une vie non conventionnelle (dépressive et suicidaire) bien éloignée de celle de Jane Austen et de Fanny Burney(qui connut la gloire de son vivant). Mais autant de talent. A propos de son ouvrage « Lettres écrites de Suède, de Norvège et du Danemark » son futur mari William Godwin écrira  « si jamais un livre a été conçu pour rendre un homme amoureux de son auteur, il m’apparait clairement que c’est de celui-ci qu’il s’agit. Elle parle de ses chagrins, d’une manière qui nous emplit de mélancolie, et nous fait fondre de tendresse, tout en révélant un génie qui s’impose à notre totale admiration».

Fanny Burney en fera une caricature dans ses romans et la vilipendera en moraliste soucieuse des conventions : attention jeunes filles à ne pas devenir une Mary Wollstonecraft. Seule George Eliot(1819-1880) rompra l’oubli dans laquelle son œuvre et sa vie tombèrent au XIXe siècle en la citant dans un essai consacré au rôle et aux droits des femmes. Et Viginia Woolf, bien plus tard, évoquera ses expériences de vie (Four figures traduit en français par « Elles » et publié en rivages poches).

Elles furent très différentes les unes des autres mais apportèrent chacune leur pierre à l’édifice fragile et compliqué de la littérature écrite par des femmes.

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La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry

La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry – Rachel Joyce – XO éditions 2012

Vignette femmes de lettresAu soir d’une vie, on pourrait croire que tout est joué : Harold Fry, la soixantaine, vit une retraite paisible aux côtés de sa femme Maureen. Ils ne se parlent plus guère, une ombre plane entre eux, une sorte de menace, un événement dont aucun ne parle jamais et des regrets, des rancunes souterraines empoisonnent leur vie.
Un matin Harold reçoit la lettre d’une ancienne amie qu’il n’a pas vue depuis plus de vingt ans. Elle lui écrit pour lui dire adieu.
Harold lui répond quelques mots et sort pour poster la lettre. Il ne rentrera pas chez lui ce soir-là et commence un périple du sud au nord de l’Angleterre qui devrait durer plusieurs semaines. Il veut marcher pour qu’elle vive, pour la remercier, pour lui dire qu’il l’aime.
Cette marche devient un pèlerinage, un temps où Harold se retrouve enfin, et où les souvenirs affluent : sa mère qui l’a abandonné, ses mauvaises relations avec son fils. Harold affronte enfin ses démons et tente de donner des réponses aux questions qui le hantent.
Mais parviendra-t-il au terme de son voyage ? Rien n’est moins sûr. Mal équipé, sans entraînement, Harold tente l’aventure sans en avoir mesuré vraiment les difficultés. Et s’il parvient à Berwick-upon-Tweed, qui (qu’y) trouvera-t-il ?
Un roman bien ficelé : une quête spirituelle, la nécessité de revenir à l’essentiel, une critique intelligente des phénomènes de médiatisation, et de la récupération par une certaine société du spectacle de ce qui peut faire le « buzz », font de ce roman original, pétillant, émouvant et parfois drôle un joli voyage littéraire.

Rachel Joyce vit en Angleterre, dans une ferme du Gloucestershire, avec sa famille. Elle a été pendant plus de vingt ans scénariste pour la radio, le théâtre et la télévision, et comédienne de théâtre, récompensée par de nombreux prix. Elle reçoit en 2012 le prestigieux National Book Award.

« Deux secondes de trop » est publié en février 2014.

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