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Les écrivaines du Moyen-Age: les trobairitz

Beatriz de Dia

Beatriz de Dia

          C’est tout à fait récemment que l’on a découvert des fragments de poèmes de poétesses occidentales du 12 et 13e siècle, que l’on appelle « femmes troubadours » mais aussi trobairitz qui ont marqué la renaissance occitane dans le Languedoc, terre ouverte sur la Méditerranée, et en contact avec l’Espagne musulmane, influencée par la poésie et la culture des Maures. Elles ont joué et composé des vers pour les cours occitanes. Elles composaient des poèmes en réponse à ceux des troubadours.

Cette émergence de la poésie féminine est certainement due à plusieurs facteurs qui ont assoupli temporairement les règles de la société misogyne du Moyen Age. Grâce à une certaine prospérité et une relative stabilité politique,  la noblesse accordait une plus grande importance au luxe et à l’art qui était le domaine des femmes , ce qui leur permit d’y imposer leurs goûts. D’autre part, l’influence de l’Orient va bouleverser les cadres de la pensée religieuse (manichéisme venu à la fois d’Espagne et de Constantinople via la Bulgarie.)  Le catharisme va émerger qui tente d’en résoudre les contradictions. Michel Lequenne  écrit qu’il y aurait eu d’un côté le rejet de la chair par l’abstinence, le refus du mariage et de la procréation, et de l’autre côté des adeptes de l’assouvissement du corps pour mieux le dompter (orgies). Les guerres avec les Musulmans permettent des influences mutuelles et les femmes du haut de la société profitent de ces changements pour acquérir un peu plus de liberté. Elles vont prendre une plus grande place dans la vie sociale et politique. C’est ainsi que Bertrande de Montfort « répudie » son premier mari Foulques d’Anjou pour se remarier avec le roi de France Philippe premier et qu’Aliénor d’Aquitaine participe avec son mari le roi Louis VII à la deuxième croisade, pour divorcer à son retour et épouser Henri Plantagenêt, apportant ainsi les provinces de l’ouest, de Nantes jusqu’aux Pyrénées au Roi d’Angleterre . (cité par Michel Lequenne).

Il faut ajouter que le code justinien établissait le droit de simple usufruit d’un homme sur la dot de son épouse et le droit théodosien donnait des droits égaux dans le partage des biens paternels aux fils et aux filles célibataires. Ce qui modifia sensiblement la situation des femmes dans cette partie de la France.

Les femmes sont juges des cours d’amour et des combats de poésie pour petit à petit débattre de sujets plus graves. Mais cette Renaissance sera détruite par la croisade des Albigeois.

La poésie courtoise fut le fleuron de cette Renaissance, elle est écrite en langue vulgaire, adopte une nouvelle métrique, et développe des thèmes nouveaux.

La femme que l’on exalte est toujours une noble dame, mariée de surcroît, et à travers elle, c’est au seigneur et mari que l’on s’adresse souvent afin de se gagner ses bonnes grâces.

Des femmes de seigneur, privilégiées, protectrices des troubadours parviennent à dépasser par leur talent les professionnels. Novices, elles prennent des libertés avec les codes en vigueur, sont plus simples et plus directes, nourrissent leur art de leur expérience, développant un nouveau ton  qui emprunte à la confidence et à l’intime, mettant à jour les tensions et les conflits qui habitent le sentiment amoureux, loin du schéma traditionnel de la poésie courtoise masculine assez abstraite. Elles veulent être aimées et reconnues et pas seulement idéalisées. La sublimation littéraire cède  le pas à une tension érotique certaine.

« Beau doux ami, baisons-nous vous et moi

Là-bas aux près où chantent les oiseaux,

Tout ce faisons en dépit du jaloux

Oh Dieu ! Oh Dieu ! que l’aube est tôt venue…

Ou encore de la comtesse de Die

Bel ami gracieux et plaisant,

Si jamais vous tiens en mon pouvoir,

S’il m’est donné un soir de coucher près de vous

Et de vous donner le baiser d’amour,

J’aurais, sachez-le, grand plaisir

Au lieu de mon mari entre mes bras à vous tenir

Pourvu que vous promettiez d’abord

De faire tout ce que je voudrais.

Les femmes sont obligée de procréer et d’assurer la descendance de leurs époux, qu’à cela ne tienne, mais leur soif d’amour est soif d’amour réel et non pas seulement symbolique. L’ordre social n’est pas renversé, la subordination des femmes est trop enracinée dans toutes les structures sociales.

Leurs poèmes sont souvent des plaintes : « J’ai le cœur si désabusé que je suis à tous étrangère, et sais qu’on a perdu beaucoup plus vite que l’on ne gagne », s’écrie Azalaïs de Porcairagues. C’est pourquoi des chercheuses aujourd’hui comme Lori-Anne Théroux-Bénoni, de l’Université Concordia  essaient de montrer que les écrits des trobairitz entrent dans la catégorie des «poèmes autobiographiques» car ils s’inspirent largement de la vie personnelle des trobairitz.

Les thèmes, « l’amour, les soucis amoureux, le désir, le besoin de l’ami pour combler une place vacante et le caractère arbitraire du rôle qui leur est donné par le code de la fin’amors. Les écrits de femmes s’apparentent plutôt à des journaux intimes. Leur poésie, bien qu’elle respecte la forme de la poésie courtoise, n’utilise pas de clichés. C’est dans un langage direct et sans ambiguïtés qu’elles lèvent le voile sur leurs sentiments les plus intimes. La plupart des écrits de femmes sont des tensons. Alors que les hommes utilisaient cette forme poétique pour traiter de questions d’actualité, les femmes s’en servaient pour demander conseil ou présenter une situation. » Anne Théroux-Bénoni 

Un roman-poème anonyme de Flamenca, écrit au XIIIe siècle, retrouvé dans la bibliothèque de Carcassonne à la fin du XVIIIe siècle, et publié seulement à la fin du XIXe, où la liturgie est « prise comme moyen de communication érotique, de l’Amour (féminin en Occitan) invoqué comme véritable déesse, et de la dame y prenant la place de Dieu dans un féminisme le plus avancé de la révolution courtoise des mœurs ». Beaucoup de passages manquent à ce texte qui ne permettent pas d’en authentifier l’auteur(e). Homme ? Femme ? On ne peut faire que des hypothèses.

L’auteur y voit un langage féminin, et des thèmes qui ne trompent pas :

L’enfermement des femmes et leur interdiction à la culture : « Dites-moi donc maintenant, sur la foi que vous me devez, ce que vous auriez fait depuis deux ans que vous endurez ce tourment [de l’enfermement], si vous n’aviez pas été aussi cultivée que vous l’êtes. Vous seriez morte crucifiée par le chagrin. Eprouveriez-vous une grande tristesse qu’elle serait dissipée par la lecture ? » Le sujet du roman est emprunté au drame historique de l’emmurement de sa femme par le jaloux Archambaud.

Michel Lequenne développe encore d’autres arguments que je ne reprendrai pas ici, mais qui sont passionnants.

Les recherches aujourd’hui sur l’histoire de la littérature et des femmes rend justice à ces autrices injustement oubliées et restaure l’identité de chacune en assurant la continuité des productions féminines dans l’histoire.

Voir Michel Lequenne, Les Trobairitz in Grandes dames des lettres