Archives pour la catégorie – Femmes du Monde entier

Toi, ma mère , Voix d’écrivaines francophones

Voix d’écrivaines francophones  « Toi, ma mère », Récits , 2024 , des femmes-Antoinette Fouque

En partenariat avec le Parlement des écrivaines francophones.

Il s’agit ici du second volume d’une série de livres qui ont pour objet d’explorer le « dire » des femmes. Série absolument passionnante dont le 1er volume a été chroniqué ici.

Dans ces récits, au sein d’un ouvrage collectif, 24 autrices membres du Parlement des écrivaines francophones racontent leur expérience singulière du lien à la mère.

A la croisée de l’expérience intime  et de l’extime comme processus de monstration et de mise à nu de soi créant un dedans partagé avec le lecteur- rice et une forme d’implicite/explicite évoquant l’environnement social, économique et culturel dans laquelle elle s’inscrit, cette relation acquiert une profondeur et des résonances particulières. En effet, l’intime partagé dans l’écriture, n’est pas l’intime vécu, aussi crus soient les mots, aussi fidèle soit le récit de l’expérience vécue. L’écriture suppose une mise à distance, des ellipses, et subit les transformations des souvenirs. Je me suis aussi demandé si tous les récits relevaient de l’écriture de soi.

Ces récits échappent à tous les clichés car s’y déploient des mères très différentes les unes des autres : mère fusionnelle ou distante, étouffante ou négligente, aimante ou hostile, modèle ou anti-modèle. Quoi qu’il en soit, se construire suppose ce lien et parfois son absence.

Ecrire aussi : « Dès mon retour chez moi, après son enterrement, je sentis éclore en moi le besoin d’écrire pour sortir ce cri muet […] [1]» ,  « comme si tu étais penchée par-dessus mon épaule et que tu me soufflais les mots justes,[2] « l’oreille bruissante des mots d’amour entrelacés [3]» « En secret, je te parle encore… »[4]

L’oreille bruissante aussi, de la langue maternelle, « cet espagnol métis et succulent que j’ai reçu de ma mère ».[5] Nous gardons en mémoire la douce voix maternelle ainsi que les caresses prodiguées tout au long de notre vie », ajoute Mariem Garaali Hadoussa.

Chacune évoque les legs au sein de cette transmission de mère  à fille : le pouvoir des mots et la maîtrise de la voix pour l’une, la connaissance de sa propre culture et de l’Histoire pour une autre[6].

La ténacité, la volonté de fer des mères, « celui qui lèverait la main sur elle ne dormirait plus tranquille »[7]. Car que de force aussi chez une mère !

Et de soutien, d’encouragement, «[…] elle me laissait faire  et me laissait tenter mes chances, elle se fiait à mon jugement »[8]

Une mère qui ne meurt jamais, qui vit à travers soi : « Non, ma mère n’est pas vraiment morte. Sa main accompagne mon chemin. »[9]

Parfois le fossé des générations semble insurmontable et fille et mère se perdent, soumission d’un côté et désir de liberté de l’autre, docilité extrême et « sauvagerie » [10], deux façons irréconciliables de mener sa vie de femme.

« Je me rebellai rapidement  contre les vêtements de chez M jeune fille que tu voulais m’imposer, la politesse un peu soumise et les pseudo-bonnes manières qui ne m’amusaient pas du tout »[11]. Ce moment où l’on s’oppose pour se construire est parfois nécessaire et peut être dépassé.

Mais on ne sort pas toujours indemne de la relation à la mère.

Il y a parfois l’abandon. Une mère doit-elle tout sacrifier pour son enfant ? Qui est la mère, de la mère biologique ou adoptive ? Comment relier ces deux mères dont l’une manque parfois si cruellement à l’autre ?

« Tu fus celle qui s’absenta. Tu dessinas le manque. »[12]

 « Oui, je m’en sors maman, il faut que je m’en sorte. Mais à quel âge, à quel prix, sur combien de divans devrais-je m’étendre […] »[13].

La violence conjugale[14], « la peur tu diras, plus tard, beaucoup plus tard, la peur de lui […][15]

Chacun de ces récits explore les différentes facettes de ce lien. Chacun m’a touchée, emportée. C’est pourquoi, je n’ai pas réussi à faire vraiment de chronique. Chaque texte répondait à un autre, engendrant une polyphonie presque parfaite, même si je n’ai pas pu tous les citer.

J’ai profondément aimé cette lecture.

Et Martine L. Jacquot, Danielle Michel-Chich, Gaël Octavia, Cécile Oumhani, Diane Regimbald


[1]

[2] Anissa Bellefqih

[3] Aïcha Bouabaci

[4] Louise L. Lambrichs

[5] Alicia Dujovne Ortiz

[6] Tanella Boni

[7] Nancy R. Lange

[8] Madeleine Monette

[9] Claudine Monteil

[10] Chochana Boukhobza

[11] Laurence Gavron

[12] Catherine Pont-Humbert

[13] Denise Desautels

[14] Laurence Dionigi Lunati

[15] Edith Payeux

De May Ziadé – Ouvrages en français

On peut trouver ici et là :

Fleurs de rêve qui est un contenu wikisource, recueil de poèmes

sous le pseudonyme d’Isis Copia.

Ténèbres et lueurs, rêveries d’une promeneuse du Levant, traduit de l’arabe aux éditions « L’Harmattan »

« En 1923, Khalil Gibran publie Le Prophète qui sera un succès mondial. La même année, May Ziadé publie discrètement Ténèbres et lueurs. Les deux « amants » correspondent depuis 1912 si bien qu’un souffle commun inspire les deux œuvres. Dans plusieurs textes, l’écrivaine semble s’adresser à lui comme dans « Toi l’étranger » et bien d’autres. Cet ouvrage reprend les thèmes chers à cette écrivaine : l’enfance, la quête existentielle, la patrie, la peur du temps qui passe. Enseignée dans tous les pays arabes, ses textes semblables à des poèmes en prose sont aussi des prises de position sociologiques et humanistes. Ce recueil est inclassable tant l’esprit de l’auteure y est éclectique. Jamais cette passionaria de la littérature arabe n’avait été traduite à ce jour. » Note de l’éditeur.

Des extraits de l’oeuvre de M. Ziadé (1886-1941), poète, essayiste et écrivaine libanaise pionnière de l’égalité entre les hommes et les femmes. ©Electre 2022

Existe-t-il un génie féminin ? May Ziadé/Carmen Boustani

Carmen Boustani – May Ziadé – La passion d’écrire – éditions des femmes Antoinette Fouque – 2024

Existe-t-il un génie féminin ? Ou est-il l’apanage des hommes ?  La création, prisonnière de la métaphore de l’enfantement, serait-elle destinée plus particulièrement aux hommes, la maternité étant, dans l’ordre du biologique, réservée aux femmes ?

La vie et le destin de Mya Ziadé, femme d’exception, égyptienne d’origine libanaise, est la parfaite illustration de ces débats qui ont lieu au XIXe et au début du XXe siècle au Moyen-Orient, au moment de la Nahda, la Renaissance arabe.

Carmen Boustani, avec talent, fait revivre pour nous, les écrits et la voix de cette autrice largement méconnue en France alors même qu’elle a beaucoup écrit en français. Dans un travail de recension des textes, d’extraits de sa correspondance, l’autrice nous livre une biographie vivante et éclairée de cette créatrice passionnante.

May Ziadé est restée, dans l’histoire littéraire, davantage liée aux hommes qui ont marqué sa vie qu’aux écrits qui ont été publiés de son vivant. C’est d’ailleurs le destin de la plupart des autrices, elles ne sont jamais que les femmes de ou maîtresses de… Pour le grand public, trouver des textes publiés encore aujourd’hui relève de la gageure.

D’où l’importance du travail de recherche de Carmen Boustani qui, en dehors des communications et des articles publiés, livre avec cette biographie un certain nombre d’éléments de son œuvre et de sa vie éclairant son statut d’intellectuelle et d’autrice.

Femme de grande culture, maîtrisant plusieurs langues, le français, l’italien, l’arabe, l’allemand, qu’elle parlait et écrivait couramment, travailleuse infatigable, lectrice assidue possédant une bibliothèque de plus de 7 000 ouvrages, épistolière, journaliste, poétesse, et romancière, May est emblématique de ce qu’il fallait de talent pour pouvoir sortir du rôle assigné aux femmes dans la société de son temps.

Elle a étudié et écrit en arabe qu’elle a contribué à moderniser et a établi des biographies d’autrices arabes et musulmanes qu’elle a permis de faire sortir de l’oubli.

Médiatrice entre deux cultures, arabe et occidentale, elle s’est attachée à bâtir des ponts, établir des correspondances entre elles et à les faire dialoguer.

Ce que fait également Carmen Boustani, entre le passé et le présent, entre des destins similaires, celui de Camille Claudel et de May Ziadé. Mais également entre les lecteurs et lectrices d’hier et d’aujourd’hui.

Née à Zahlé, Carmen Boustani est une universitaire et écrivaine franco-libanaise d’expression française. Professeure des universités, romancière et essayiste, elle a reçu la Médaille d’honneur des écrivains de langue française en 2011.

Louise Kennedy – Troubles/ Trespasses – Irlande du Nord

Louise Kennedy – Troubles/ Trespasses – 2022 -Editions Denoël, 2023 pour la traduction française

Louise Kennedy – Troubles/ Trespasses – 2022 -Editions Denoël, 2023 pour la traduction française (Cécile Leclère)

Louise Kennedy est née à Belfast en 1967. Cheffe pendant une trentaine d’années, Troubles est son premier roman ; il a figuré dans la sélection du Women’s Prize for Fiction 2023. Son recueil de nouvelles est inédit en français.

La période que l’on nomme « Troubles » a commencé selon l’autrice, à la fin de 1968, début 1969, lorsque certains étudiants de l’université Queen’s, sont descendus dans la rue pour protester contre un manque de droits civiques pour la communauté catholique et les pauvres en général. La réponse de l’Etat a été très violente, et une période tragique a ensanglanté l’Irlande jusqu’en 1998, où les accords de paix du Vendredi saint mettront fin au conflit.

Belfast, dans les années 70. Quelques années seulement après le Bloody Sunday, le 30 janvier 1972, où 14 personnes ont été tuées lors d’une manifestation pacifique par des parachutistes. Lors des funérailles, plus de 30 000 personnes se rassembleront devant l’ambassade britannique qui sera incendiée par des cocktail molotov.

Les années suivantes sont émaillées d’attentats et de fusillades, et en 1975, les différentes factions, entre l’Official IRA et l’Irish National Libération, les Républicains, catoliques, et les ( U V F (Ulster Volunteer Force, et UDA (Ulster Defence Association), unionistes/loyalistes protestants, sombrent dans des luttes intestines.

C’est dans cette atmosphère explosive, dans tous les sens du terme, qu’une jeune femme, Cushla, tente de mener une vie normale.

L’omniprésence des soldats, des contrôles, et des violences policières dans une atmosphère chauffée à blanc, rendent difficiles le quotidien d’une jeune catholique.

Comment aimer, travailler, nouer des liens ?

Surtout, entre les deux extrêmes, existe une variété de nuances, les êtres ne sont pas d’une seule étoffe : un avocat protestant qui se bat contre les violences et les bavures policières, un prêtre catholique pervers et violent, prennent place dans une galerie de portraits qui tente de décrire la vie et la complexité des habitants.

Des vies déchirées, des amours impossibles, et la force des amitiés.

Mais également la volonté d’émancipation à travers la transgression de la ligne catholique/protestant d’une jeune femme, qui souhaite vivre en accord avec ses sentiments et ses idées, loin des diktats de son milieu catholique.

Louise Kennedy rend compte de cette époque dans un roman attachant, à travers la vie et l’histoire d’amour d’une jeune catholique irlandaise, institutrice dans un établissement catholique dirigé par un homme dont elle n’approuve pas toujours les méthodes.

«  J’aimerais juste passer une journée, juste une seule, sans qu’on me rappelle que je suis du mauvais côté. »

Marie-Louise Gagneur – 1832 – 1902

Détail – Portrait Galerie des gens de Lettres

Née Marie-Louise Mignerot en 1832, Marie-Louise Gagneur a publié des essais, des nouvelles et plus de vingt romans. Membre de la Société des Gens de lettres, elle œuvre pour la féminisation des noms de métiers, lutte pour l’égalité des droits des femmes, et dénonce le sort injuste qui leur est fait depuis la Restauration, les plaçant sous la tutelle de leur mari, et leur interdisant de divorcer.

Ses propositions sur la féminisation du nom d’écrivain sont rejetées, sous prétexte que ce métier n’est peu ou pas exercé par les femmes. Elle mourra à l’entrée du siècle, en 1902, quelques mois après avoir reçu la Légion d’Honneur.

Elle dénonce l’éducation des femmes dans les couvents auxquelles on fait subir un véritable lavage de cerveau, visant à les rendre parfaitement soumises à Dieu et à leur mari. Son expérience du couvent nourrira son anticléricalisme.

Les éditions « talents hauts » publie un inédit, « Trois sœurs rivales » , roman feuilleton  du journal « La presse » de juillet à août 1861 dans lequel « elle place les premiers jalons de son combat en faveur de l’émancipation des femmes »[1].

En outre le site Gallica lui consacre un long article sous la plume de Roger Musnik avec des liens vers ses œuvres désormais dans le domaine public.

Elle mérite d’être redécouverte, la littérature est pour elle une arme de combat, qu’elle manie avec une redoutable efficacité et sa vie est passionnante à lire (Voir Gallica).


[1] Préface d’isabelle Pasquet

L’oiseau rare – Guadalupe Nettel/ Derrière les mères, l’aventure !

Guadalupe Nettel – L’oiseau rare, 2020 – Editions Dalva, 2022 pour l’édition française.

Pendant de nombreux siècles, les femmes ont été reléguées à leur fonction reproductrice, et leur ventre contrôlé de façon drastique par l’organisation patriarcale de la société. Il s’agissait de s’assurer de la filiation, d’autant plus qu’aucun test génétique ne pouvait permettre de confirmer la paternité. Le destin des femmes est depuis toujours lié à leur corps et à l’enfantement, qu’elles le ressentent comme un accomplissement ou comme une malédiction. Rarement un choix.

Le roman de Guadalupe Nettel est passionnant parce qu’il met en scène, à travers plusieurs destins de femmes, ce choix, toujours crucial, de la maternité et l’émergence d’une pluralité de voies.

Les histoires se nouent autour d’un phénomène de la nature qui est le parasitisme de couvée. Un oiseau dépose parfois son œuf dans le nid d’une autre espèce, dont il évince à certaines occasions l’œuf originaire, afin que le sien soit couvé et nourri.

Laura et Alina ne voulaient pas renoncer à leur liberté en étant mère. Avoir un enfant, c’est souvent sacrifier une part de son développement personnel, des études ou une carrière. Or chacune va être mère à sa manière, et déléguer une partie de ce pouvoir à quelqu’un d’autre.

On pourrait presque parler de co-maternité. Les sociétés traditionnelles laissaient rarement les femmes seules après l’accouchement, elles étaient secondées par le reste de la famille ou de la communauté dans laquelle elles vivaient. Le monde moderne et l’émancipation des femmes les a rendues à la solitude et la maternité est devenue, d’une autre façon, un fardeau harassant, les tâches domestiques leur étant dévolues dans leur majorité. Les choses changent lentement, les pères prennent de plus en plus leur part. Aurelio, le mari d’Alina, se révèle un père attentif et aimant.

Laura prend une autre voie, elle secondera une mère défaillante en adoptant symboliquement.

Devenir mère signifiera pour chacune transformer leurs préjugés.

En toile de fond, cependant, les violences faites aux femmes et les nombreux féminicides qui ont lieu au Mexique. Les traumatismes, quand elles s’en sortent, et la peur qui condamne certaines d’entre elles à ne plus sortir de chez elles.

Le récit, parfaitement écrit et articulé, se lit presque comme un polar, tellement les rebondissements sont nombreux. Je l’ai littéralement dévoré. Il est à la fois intelligent et prenant, et entre parfaitement en résonance avec notre époque. Il nous aide aussi à réfléchir.

L’autrice : Guadalupe Nettel est née au Mexique en 1973 et a partagé sa vie entre Mexico, Barcelone, ou Paris. Elle est l’autrice de plusieurs livres de contes, de recueils de nouvelles et de romans : l’Hôte (Actes Sud, 2006), Le Corps où je suis née (Actes Sud, 2011) et Après l’hiver (Buchet-Chastel, 2016). Lauréate de nombreux prix littéraires, en France, en Espagne et au Mexique, , elle est traduite dans une dizaine de pays et elle est considérée aujourd’hui comme l’autrice la plus lumineuse de sa génération.

Corps de fille, corps de femme/ des femmes Antoinette Fouque- Parlement des écrivaines francophones

Voix d’écrivaines francophones /

Corps de fille, corps de femme, Récits, des femmes Antoinette Fouque, 2023, en partenariat avec Le Parlement des écrivaines francophones

Avec ce premier volume d’une série de livres dont la visée est d’explorer le « dire » des femmes dans leur être au monde, à travers leurs expériences singulières, les éditions des femmes, Antoinette Fouque réalisent un véritable exploit éditorial en conjuguant l’ouverture à la francophonie, ce français d’outre-langue chatoyant et changeant, à l’exploration du féminin.

C’est aussi une démarche politique au sein de la lutte féministe et à travers l’engagement littéraire pour changer la perception de ce féminin, si souvent menacé, attaqué et violenté dans le monde.

Des cris à l’é-cris-ture pour faire taire la violence, et à travers les voix des autrices tracer des chemins. Marie-Rose Abomo-maurain, Emna Belhaj Yahia, Anissa Bellefqih, Sophie Bessis, Bettina de Cosnac, Suzanne Dracius, Alicia Dujovne Ortiz, Sedef Ecer, Lise Gauvin, Viktor Lazlo, Sylvie Le Clech, Danielle Michel-Chich, Madeleine Monette, Cécile Oumhani, Fawzia Zouari tracent les sillons.

Dans ces récits, les femmes enfreignent les lois tacites de la société patriarcale qui condamnent les femmes à restreindre leur espace à leur foyer,  à travers « un corps qui prend des libertés », qui ose revendiquer l’espace tout entier, l’espace public comme son possible territoire. Dé la « petite Nigériane excisée à la lame de rasoir rouillée » à « la fillette mariée de force qui ne pourra plus aller à l’école », le corps des femmes est l’enjeu de tous les pouvoirs .

Comme l’écrit si bien Sedef Ecer, il faut être libre pour créer, parce que les femmes « inventent leurs histoires avec leurs cinq sens », et que l’imagination se nourrit de la mémoire de leur corps.

« Mon corps n’est pas le prix à payer » s’insurge l’adolescente d’une de ces histoires, mon corps n’est pas coupable, et les signes de ma féminité ne sont pas des fautes ou les stigmates d’un corps maudit.

Mon corps est puissance, déploiement, lieu de tous mes trésors.

« Surtout ne pas souffler mot du bonheur, du plaisir et de l’immensité de leurs espaces… »C’est ce que disent aussi ces récits : affranchissez-vous des mille pesanteurs invisibles afin de ne plus « buter sur vos corps », partez à l’aventure de vous-mêmes, vous, femmes. 

Un livre à lire absolument.

Rosemonde Gérard ( 1866-1954)

Rosemonde Gérard ( 1866-1954) Photo credit : Wikipedia

Je me souviens d’une conversation passionnée avec Jacques Fournier, ancien directeur de la Maison de la Poésie de saint-Quentin-en-Yvelines (Il a fait tout un travail biographique et des lectures autour de Rosemonde Gérard), et sa compagne, au sujet de la pièce qui faisait grand bruit à l’époque autour d’Edmond Rostand, et dans laquelle Rosemonde Gérard, compagne de l’écrivain, jouait un rôle tout à fait mineur. Ce qui prouve combien les processus d’invisibilisation des œuvres de femme sont encore vivaces dans nos sociétés.

Or, Rosemonde Gérard était loin d’être une inconnue dans le domaine des Lettres. Son premier recueil poétique, Les Pipeaux, la fait connaître en 1889 et la même année elle épouse Edmond Rostand.

Par la suite, elle publie d’autres ouvrages, notamment l’Arc-en-ciel en 1926, Les Papillotes en 1931, Féeries en 1933, et Rien que des chansons en 1939.

Elle a écrit aussi pour le théâtre, Un bon petit diable avec son fils Maurice, et des pièces comme La Robe d’un soir, La Marchande d’allumettes, ou La Tour Saint-Jacques.

D’ailleurs la vie de Rosemonde Gérard ne se résume pas à sa vie amoureuse, car elle en eut plusieurs.

Non, sa vie se lit dans ses poèmes, dans ce feu sacré qu’elle entretiendra toute sa vie.

Nous connaissons tous ces quelques vers : « Car vois-tu, chaque jour je t’aime davantage,
Aujourd’hui plus qu’hier et bien moins que demain. »

Ils font partie d’un très beau poème « Lorsque nous serons vieux ».

J’ai appris par Diglee, et son magnifique recueil dont je vous conseille la lecture « je serai le feu », aux éditions « la ville qui brûle », qu’elle avait entrepris le projet littéraire d’un recueil de poèmes exclusivement composé de poétesses, Les Muses françaises publié en 1943 chez Fasquelle éditeurs.

En 1901, elle est nommée chevalier de la Légion d’honneur

Elle fait partie du jury Femina en 1939.

Cathe­rine Wein­zaep­flen, Ismaëla

Cathe­rine Wein­zaep­flen, Ismaëla, Edi­tions des Femmes — Antoi­nette Fouque, Paris, 2023, 128 p. 

Ismaëla a quitté le Mexique pour un futur meilleur aux États-Unis. Dans ce trajet pour l’exil, elle risque sa vie . Et elle rencontre l’amour. Elle s’arrache à ce cocon douillet alors que rien ne l’assure qu’elle trouvera un travail et un logement à son arrivée dans un pays qui ne veut pas d’elle.

Ismaëla n’est pas une « perdante », mais une femme pleine de vie, qui malgré l’aridité de son existence et les privations qu’elle endure pour envoyer de l’argent à sa famille, est toujours en éveil. Elle observe, raisonne, et des pensées la traversent, des flux qui ont la beauté de cette mer qu’elle regarde le plus souvent de loin.

A travers son regard, apparaît Los Angeles, prise dans le brouillard, à cinq heures du matin ou floutée par la vitre d’un bus, une ville où les inégalités sont criantes, et où se côtoient d’extravagantes propriétés et des logements misérables.

Les souvenirs, les odeurs, les couleurs du Mexique, viennent rythmer le récit, lui donnent une douceur et un balancement qui effacent la grisaille des jours sans joie.

Et au cœur de cette femme, qui ne se résume jamais à sa pauvreté, palpite une vie secrète, d’infinis mouvements, la pulsation du désir. Et l’émerveillement. Elle est éblouie par la beauté de certains lieux, par les fontaines, les sculptures, par la facilité avec laquelle sa fille s’adapte à ce nouveau monde.

Elle savoure les petits matins et les moments où le ciel s’éclaire, l’odeur des hibiscus. Elle est incroyablement vivante.

A travers ses rencontres, elle fait l’expérience d’autres vies que la sienne, d’autres mondes, d’autres manières d’être femme.

L’autrice parvient à nous captiver, à travers son regard, à nous intéresser aussi aux problématiques sociales et politiques soulevées par la situation des émigré.e.s mexicain.e.s.

Plus largement, elle fait écho aux migrations que connaît l’Europe qui accueille, plus ou moins mal, ses réfugié.e.s. Elle rappelle cette injustice fondamentale dont souffrent les populations qui ne trouvent ni le travail, ni la sécurité, ni l’éducation dans leurs pays minés par la corruption, la guerre, et une pauvreté endémique.

Tout s’incarne en Ismaëla, tout devient, proche, palpable, et cette colère qu’elle dit ne plus pouvoir éprouver, nous la prenons avec nous, pour qu’elle puisse continuer à gronder et à secouer le monde.

Laurène Marx Borderline love/ «  Chez moi les femmes elles se passent l’amour et la beauté comme une maladie. »

Je retrouve l’écriture de Laurène Marx, après la lecture de  « Pour un temps sois peu », intense et profonde.

Cette écriture des bords, de la limite-frontière, mais aussi de la ligne, qui si elle démarque relie aussi les bords entre eux dans un savant travail de couture, travaille cette notion de frontière, d’identité, qui nous donne forme et en même temps nous déforme et nous ampute. La couture c’est le travail de création mais aussi de réparation de l’autrice. C’est également une visée vers un au-delà et un deçà qui n’est pas soi mais qui nous institue. Je repense à cette formule de Nietzsche qui disait que l’homme devait faire de lui-même une œuvre d’art, et j’ai cette impression d’une autrice qui d’œuvre en œuvre se crée et se recrée.

Je n’ai jamais vu aucune de ses pièces jouée mais de texte en texte, la rencontre devient inévitable avec la chair des mots.

Le texte de la pièce relate la rencontre entre une jeune femme et une autrice, son double peut-être, à laquelle elle livre le récit de sa vie, afin de retrouver son amoureux perdu, peut-être pour lui expliquer ce qu’est cet amour qui fait mal en elle, pour en faire la genèse et comprendre ce qui le rend si dangereux pour elle et pour les autres. La confession , en même temps qu’elle délivre son message, délivre de tout mal.

«  Chez moi les femmes elles se passent l’amour et la beauté comme une maladie. »

Les métaphores s’organisent autour de l’odeur ( du corps, du tabac, de l’alcool etc.) , la saleté qui recouvre comme une seconde peau  les organes, le corps, omniprésents, de cette mère qui « a pris l’habitude de vivre dans un coin de son corps » et dont la beauté est la malédiction qui la condamne à n’être qu’une apparence et un sortilège, jusqu’ au corps de ce père, qui déborde, qui pue et  prend tout l’espace en passant par ce cousin dont la peau et les organes le fuient.

Elle dénonce ces amours toxiques, qui sont seulement des projections de soi-même en l’autre, de cette volonté de rendre l’autre heureux malgré lui, de force, de soumettre à travers son désir et d’appeler cette violence radicale de l’amour.

«  Je ne veux pas qu’on m’aime mais qu’on ait peur de m’aimer » dit la narratrice.

Dans cette transmission malheureuse, au sein d’une société où parfois s’organise la haine des femmes, « une femme apprend à fuir dans sa tête et à rester dans son corps », à ne pouvoir s’échapper d’elle-même, mais celui-celle qui se sent femme dans sa tête est tout aussi coincé.e dans son corps. Voir, avec quelle férocité, l’histoire de nos sociétés, depuis le XIXe siècle a interdit leur féminin aux hommes. Dégoupiller les normes du genre, c’est peut-être décrasser nos têtes et nos pensées. C’est peut-être aussi traverser la frontière.

Une langue avec ses fulgurances, sa poésie et toujours cet humour féroce qui fait la nique au malheur.

A lire ! A voir !

Jasmin Darznik – L’oiseau captif / La vie et l’œuvre de Forough Farrokhzad, poétesse iranienne (1935-1967)

Jasmin Darznik – L’oiseau captif / La vie et l’œuvre de Forough Farrokhzad, poétesse iranienne (1935-1967)

Bragelonne 2019, pour la traduction française, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Florence Moreau

L’œuvre de cette poétesse persane nous parvient par les multiples détours de la traduction : du persan à l’anglais et de l’anglais au français. J’écris poétesse mais l’autrice voulait être poète, à l’égal des grands poètes de son pays, être traitée de poétesse signifiait être cantonnée à un registre mineur et dévalorisé.

Cette biographie romancée néglige les aspects les moins documentés pour favoriser une forme d’empathie littéraire.

La vie de Forough Farrokhzad se déroule entre le règne de Reza Shah Pahlavi (Etat impérial d’Iran) ,  et les premiers soubresauts de la révolution qui conduiront à la création de la république islamique d’Iran.

Un certain nombre de réformes vont être conduites à cette époque et notamment l’interdiction du port du voile pour les femmes et l’obligation pour les hommes de porter un habit à l’occidentale. Une période passionnante s’ouvre enfin pour les femmes qui excèderait les limites de cet article.

C’est dans ce contexte que Forough Farrokhzad va écrire. Un grand désir de liberté s’empare de la jeune génération sous l’influence, peut-être, de ces nouveaux modes de vie inspirés du monde occidental, et des combats féministes qui l’agitent.

La poétesse écrit des poèmes dès l’âge de 14 ans, elle lit le premier devant son père, et n’arrêtera plus d’écrire jusqu’à sa rencontre avec Ebrahim Golestãn, où sa carrière littéraire se doublera d’une carrière cinématographique.

L’intérêt de ce récit tient dans le fait que les processus d’écriture sont replacés dans le contexte historique et littéraire de l’époque car Forough Farrokhzad a fait partie d’un ensemble de poètes qui a transformé les règles d’écriture, sous l’égide de Nima Youshidj qui « rompt les règles de la métrique traditionnelle »[1] pour ouvrir la voie à un lyrisme personnel inspiré des romantiques et une rupture avec les stéréotypes, pour s’ancrer dans la vie, les émotions, et la personnalité de celui ou celle qui écrit. La poésie de la poétesse ne cessera d’évoluer tout au long de sa courte vie vers plus de simplicité, de profondeur. Elle sera vilipendée par une certaine presse populaire qui lui reprochera sa liberté de mœurs, et après son divorce perdra la garde de son fils. Elle sera victime d’une société tiraillée en tradition et modernité.

De nombreux extraits de ses poèmes émaillent le récit dont celui-ci qui fait partie des premiers qu’elle a publiés et que j’aime particulièrement.

J’ai commis un péché, comble de délice,

Dans une étreinte qui fut forte et comme enflammée

J’ai péché dans des bras qui furent brûlants, vengeurs, d’acier.

Dans cette retraite sombre et sans voix

J’ai vu son œil plein de secrets

Dans ma poitrine, mon cœur frémitaux prières de son regard avide.

Dans cette retraite sombre et sans voix

Dévastée à ses côtés, je m’asseyais

Ses lèvres ont déversé sur mes lèvres la tentation

Me délivrant de la tristesse d’un cœur fou.

Dans son oreille je racontai l’histoire d’aimer

Je te veux, ô ma substance, je te veux, ô mon étreinte, qui

Me ranime.

Je te veux mon amour fou.

De désir sa prunelle alors s’est embrasée

Le rouge du vin a dansé dans la coupe

Mon corps au creux de ses doux draps

Contre son corps ivre a tremblé.

J’ai commis un péché, comble de délice,

Contre une idole qui fut fémissante

Insensée, ô mon Dieu, que sais-je,

Qu’ai-je fait dans cette retraite sombre et sans voix.

Il ne vous reste plus qu’à pousser la porte d’une bonne librairie…


[1] Avant-propos de Sara Saïdi B in Au seuil d’une saison froide, recueil de poèmes traduit du persan Sara Saïdi B

Credit photo : wikipedia – Domaine public

Forough Farrokhzad (1935-1967)

Elle révolutionna la poésie iranienne et fut la figure de proue du féminisme en Iran. Elle est l’une des plus grandes icônes iraniennes. Elle mourut tragiquement dans un accident de voiture.

Tâhereh lève le voile -Jalal Alavinia/ Thérèse Marini – Héloïse Dorsan Rachet –

J’ai rapproché cet extrait de cette illustration qui à l’origine sont étrangères l’une à l’autre. (accord de proximité)

La tente des habitants des flammes

a mis feu à tous les voiles

Extrait

In Tâhereh lève le voile Editions l’Harmattan – Poèmes choisis et traduits du persan

Illustration d’Héloïse DORSAN-RACHET

Appel pour les femmes iraniennes

Je relaie l’appel d’Héloïse Dorsan Rachet au soutien des femmes iraniennes.

Héloïse Dorsan Rachet/ Appel pour les femmes iraniennes

Une manifestation a lieu en soutien aux femmes iraniennes place de la République. Vérifiez la date.

Simin Behbahani/ recherche par Héloïse Dorsan Rachet

Je te reconstruirai ma patrie

Même avec l’argile de ma propre âme.

Je te bâtirai des colonnes

Même avec mes propres ossements.

Grâce à ta jeune génération, on s’amusera à nouveau.

Nous ne cessons de pleurer, tellement tu nous manques.

Même si je meurs à 100 ans, je resterai debout dans ma tombe.

Afin de faire disparaître le mal avec mon grognement.

Je suis vieille mais je peux rajeunir pour vivre une nouvelle vie aux côtés de mes enfants.

« Jin, Jiyan, Azadî » (slogan féministe kurde qui signifie « femme, vie, liberté »)

« Figure majeure de la poésie contemporaine persane, née à Téhéran en 1927 et décédée en 2014.
Membre du Conseil de la poésie et de la musique en Iran, elle adhère à l’Association des écrivains iraniens qui lutte contre la censure, peu avant la révolution de 1979. Elle se tourne alors vers la politique, les droits de l’homme et la liberté des femmes. Pendant dix ans, ses poèmes seront censurés en Iran.

Elle reçoit le prix Simone de Beauvoir en 2009 – destiné au collectif de femmes iraniennes « Un million de signatures pour la parité entre hommes et femmes ». » Source Editions Zulma

Crédit photographique : Simin Behbahani photographiée par Fakhradin Fakhraddini.(wikipedia)

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Saideh Pakravan

Fariba Vafi

Colloque international « L’univers de Gabriela Zapolska, les transferts culturels et la question féminine au tournant des XIXe et XXe siècles », les 27 et 28 septembre

Comme c’est un peu urgent car c’est pour demain et après-demain, et que je trouve l’objet de ce colloque passionnant. je transfère les informations qui m’ont été envoyées.

« Ce colloque dédié à Gabriela Zapolska est le fruit d’une collaboration entre plusieurs centres universitaires polonais, français (Inalco) et ukrainien. Il constitue le deuxième volet du cycle de trois rencontres intitulé « Gabriela Zapolska, à l’occasion du centenaire de la mort de l’autrice de « La Morale de Madame Dulska » » démarré en 2021.

L’univers de Gabriela Zapolska, les transferts culturels et la question féminine au tournant des XIXe et XXe siècles entre Cracovie-Lwów (auj. Lviv)-Varsovie, Paris, la Bretagne et Vienne 

Écrivaine, dramaturge, reporter et actrice, Gabriela Zapolska a été une grande figure de la vie culturelle polonaise et européenne à la charnière des XIXe et XXe siècles (1857-1921). Ses liens avec la France sont nombreux et appuyés sur une excellente connaissance de la langue française ainsi qu’un séjour de six années dans l’hexagone entre 1889 et 1895. Zapolska est montée sur les scènes du Théâtre libre d’Antoine puis du Théâtre de l’Œuvre du symboliste Lugné-Poe, elle été fiancée au peintre Paul Sérusier. En Pologne (et à l’étranger, à Vienne et en Hongrie particulièrement), sa pièce la plus célèbre reste La Morale de Madame Dulska traduite en français par Paul Cazin en 1933 (et revue par Cécile Bocianowski en 2011).  

Zapolska est l’auteure de 41 pièces de théâtre, 23 romans, 177 nouvelles, 252 articles de presse parmi lesquels des reportages et des critiques littéraires et artistiques, un scénario, de poèmes et 1 500 lettres.  

L’œuvre et la biographie de Zapolska continuent de nourrir la réflexion des sociologues, historiens, philosophes et bien sûr des spécialistes de littérature et/ou du théâtre (Anna Janicka) – plus récemment, son œuvre a été relue à travers le prisme des courants de la critique gender ou féministe étant donné que parmi les thèmes de prédilection de Zapolska figurent en bonne place « les divers aspects de la condition de la femme dans une société dominée par les hommes » (Knysz-Tomaszewska) ou encore la peinture à plusieurs niveaux d’une sexualité féminine cantonnée dans le tabou et plus ou moins refoulée et inconsciente. A cela s’ajoutent les efforts récents (Piotr Biłos) en vue de montrer que le théâtre de Zapolska apparaît comme une étape liminaire dans le développement du théâtre philosophique polonais de la révolte et des conflits sociaux ayant marqué le XXe siecle à travers des auteurs tels que Witold Gombrowicz ou Sławomir Mrożek. Précisons en outre que Zapolska a vécu de sa plume. En France depuis des années, Gabriela Zapolska a trouvé une propagatrice fervente en la personne d’Elżbieta Koślacz-Virol à qui l’on doit de nombreuses traductions, des lectures publiques et des travaux rédigés en français.   

Ce colloque ambitionne de rendre accessible en français l’état de la recherche sur Zapolska, sa production littéraire, théâtrale et journalistique, et de donner ainsi l’impulsion à de futures recherches françaises. Il fait suite au 1er colloque  intitulé « Gabriela Zapolska : Biographie – Esthétique – Idées » qui s’est tenu à Białystok, les 24 et 25 septembre 2021. »

Publié sur http://www.inalco.fr/actualite/colloque-international-univers-gabriela-zapolska-transferts-culturels-question-feminine

Cécile Sauvage ou l’ardeur d’aimer Le 17/09/2022 à Paris

Lecture

Par des extraits de ses recueils, la Cie donne à entendre la voix de la poétesse Cécile Sauvage (1883-1927), pour découvrir le parcours de sa vie : son entrée en poésie, la naissance de son fils aîné, sa relation passionnelle avec son éditeur, la guerre…

Avec la Cie à Hauteur 2 voix, Véronique Elena Malvoisin, comédienne et Jacques Fournier,

Credit photo : DR

Cécile Sauvage, grande poétesse dont œuvre commence à être redécouverte, est une femme de lettres française, née à La Roche-sur-Yon le 20 juillet 1883 et morte à Paris le 26 août 1927.

Cécile Sauvage est la mère du musicien Olivier Messiaen. Elle chante la mère Nature, distributrice de fleurs et d’étoiles. « La poésie de Cécile Sauvage est une poésie de plein air et de plein vent », écrit Jean de Gourmont en 1910. La neurasthénie va assombrir ses dernières œuvres. (source wikipedia)

Je t’apporte ce soir…

Je t’apporte ce soir ma natte plus lustrée

Que l’herbe qui miroite aux collines de juin ;

Mon âme d’aujourd’hui fidèle à toi rentrée

Odore de tilleul, de verveine et de foin;

Je t’apporte cette âme à robe campagnarde.

Tout le jour j’ai couru dans la fleur des moissons

Comme une chevrière innocente qui garde

Ses troupeaux clochetant des refrains aux buissons.

Je fis tout bas ta part de pain et de fromage;

J’ai bu dans mes doigts joints l’eau rose du ruisseau

Et dans le frais miroir j’ai cru voir ton image.

 Je t’apporte un glaïeul couché sur des roseaux.

Comme un cabri de lait je suis alerte et gaie ;

Mes sonores sabots de hêtre sont ailés

Et mon visage a la rondeur pourpre des baies

Que donne l’aubépine quand les mois sont voilés.

Lorsque je m’en revins, dans les ombres pressées

Le soc bleu du croissant ouvrait un sillon d’or;

Les étoiles dansaient cornues et lactées ;

Des flûtes de bergers essayaient un accord.

Je t’offre la fraîcheur dont ma bouche était pleine,

Le duvet mauve encore suspendu dans les cieux,

L’émoi qui fit monter ma gorge sous la laine

Et la douceur lunaire empreinte dans mes yeux.

(Tandis que la Terre tourne, 1910)