
Voix d’écrivaines francophones « Toi, ma mère », Récits , 2024 , des femmes-Antoinette Fouque
En partenariat avec le Parlement des écrivaines francophones.
Il s’agit ici du second volume d’une série de livres qui ont pour objet d’explorer le « dire » des femmes. Série absolument passionnante dont le 1er volume a été chroniqué ici.
Dans ces récits, au sein d’un ouvrage collectif, 24 autrices membres du Parlement des écrivaines francophones racontent leur expérience singulière du lien à la mère.
A la croisée de l’expérience intime et de l’extime comme processus de monstration et de mise à nu de soi créant un dedans partagé avec le lecteur- rice et une forme d’implicite/explicite évoquant l’environnement social, économique et culturel dans laquelle elle s’inscrit, cette relation acquiert une profondeur et des résonances particulières. En effet, l’intime partagé dans l’écriture, n’est pas l’intime vécu, aussi crus soient les mots, aussi fidèle soit le récit de l’expérience vécue. L’écriture suppose une mise à distance, des ellipses, et subit les transformations des souvenirs. Je me suis aussi demandé si tous les récits relevaient de l’écriture de soi.
Ces récits échappent à tous les clichés car s’y déploient des mères très différentes les unes des autres : mère fusionnelle ou distante, étouffante ou négligente, aimante ou hostile, modèle ou anti-modèle. Quoi qu’il en soit, se construire suppose ce lien et parfois son absence.
Ecrire aussi : « Dès mon retour chez moi, après son enterrement, je sentis éclore en moi le besoin d’écrire pour sortir ce cri muet […] [1]» , « comme si tu étais penchée par-dessus mon épaule et que tu me soufflais les mots justes,[2] « l’oreille bruissante des mots d’amour entrelacés [3]» « En secret, je te parle encore… »[4]
L’oreille bruissante aussi, de la langue maternelle, « cet espagnol métis et succulent que j’ai reçu de ma mère ».[5] Nous gardons en mémoire la douce voix maternelle ainsi que les caresses prodiguées tout au long de notre vie », ajoute Mariem Garaali Hadoussa.
Chacune évoque les legs au sein de cette transmission de mère à fille : le pouvoir des mots et la maîtrise de la voix pour l’une, la connaissance de sa propre culture et de l’Histoire pour une autre[6].
La ténacité, la volonté de fer des mères, « celui qui lèverait la main sur elle ne dormirait plus tranquille »[7]. Car que de force aussi chez une mère !
Et de soutien, d’encouragement, «[…] elle me laissait faire et me laissait tenter mes chances, elle se fiait à mon jugement »[8]
Une mère qui ne meurt jamais, qui vit à travers soi : « Non, ma mère n’est pas vraiment morte. Sa main accompagne mon chemin. »[9]
Parfois le fossé des générations semble insurmontable et fille et mère se perdent, soumission d’un côté et désir de liberté de l’autre, docilité extrême et « sauvagerie » [10], deux façons irréconciliables de mener sa vie de femme.
« Je me rebellai rapidement contre les vêtements de chez M jeune fille que tu voulais m’imposer, la politesse un peu soumise et les pseudo-bonnes manières qui ne m’amusaient pas du tout »[11]. Ce moment où l’on s’oppose pour se construire est parfois nécessaire et peut être dépassé.
Mais on ne sort pas toujours indemne de la relation à la mère.
Il y a parfois l’abandon. Une mère doit-elle tout sacrifier pour son enfant ? Qui est la mère, de la mère biologique ou adoptive ? Comment relier ces deux mères dont l’une manque parfois si cruellement à l’autre ?
« Tu fus celle qui s’absenta. Tu dessinas le manque. »[12]
« Oui, je m’en sors maman, il faut que je m’en sorte. Mais à quel âge, à quel prix, sur combien de divans devrais-je m’étendre […] »[13].
La violence conjugale[14], « la peur tu diras, plus tard, beaucoup plus tard, la peur de lui […][15]
Chacun de ces récits explore les différentes facettes de ce lien. Chacun m’a touchée, emportée. C’est pourquoi, je n’ai pas réussi à faire vraiment de chronique. Chaque texte répondait à un autre, engendrant une polyphonie presque parfaite, même si je n’ai pas pu tous les citer.
J’ai profondément aimé cette lecture.
Et Martine L. Jacquot, Danielle Michel-Chich, Gaël Octavia, Cécile Oumhani, Diane Regimbald
[2] Anissa Bellefqih
[3] Aïcha Bouabaci
[4] Louise L. Lambrichs
[5] Alicia Dujovne Ortiz
[6] Tanella Boni
[7] Nancy R. Lange
[8] Madeleine Monette
[9] Claudine Monteil
[10] Chochana Boukhobza
[11] Laurence Gavron
[12] Catherine Pont-Humbert
[13] Denise Desautels
[14] Laurence Dionigi Lunati
[15] Edith Payeux












