Femmes, art, pouvoir
Sous l’impulsion des musées anglo-saxons, héritiers de l’extrême vitalité des études sur le genre américaines, les musées européens tentent de redonner une visibilité et une reconnaissance aux femmes artistes dans l’histoire. L’association AWARE (Archives of Women Artists, Research and Exhibitions) soutient ces manifestations ; elle tente de replacer les artistes femmes du XXe siècle dans l’histoire de l’art et de pallier la sous-représentation des artistes femmes dans les ouvrages d’art, les expositions et les collections de musée.
A Vienne, Le Léopold Museum consacre une partie de l’exposition « Vienne 1900 » à la place de la femme artiste et plus largement de la femme intellectuelle dans la société viennoise.
A Paris, le Musée d’Orsay consacre une exposition à Berthe Morisot, reconnue aujourd’hui comme une figure majeure de l’impressionnisme, souvent reléguée à une quasi-obscurité parce que femme, et un parcours dans les collections du musée autour de la thématique de « Femme, art et pouvoir ».
Laurence des Cars, présidente des musées d’Orsay et de l’Orangerie tente de répondre à deux grandes questions « Quelle place occupent les femmes dans le grand récit de la modernité naissante » ( 1848-1914) et « Comment ont-elles contribué à l’élaboration du champ créatif et artistique ? »
Elle souligne l’absence des femmes artistes dans les collections du Musée d’Orsay, absence qui est le témoin de la minoration, par l’administration, des Beaux-Arts à la fin du XIXe siècle des œuvres de femmes, la collection du Musée d’Orsay étant en partie héritière des collections acquises par l’Etat.
Les travaux de Linda Nochlin, spécialiste de la représentation de la femme dans la peinture du dix-neuvième siècle, et autrice de l’ouvrage qui donne son titre à ce parcours, tente de déconstruire la façon dont l’histoire de l’art s’y est prise pour naturaliser l’absence de grands artistes femmes.

L’œuvre de Berthe Morisot en est un exemple, reléguée dans le rang des artistes mineures, parce que le sujet de ses œuvres concernait un environnement quotidien et des figures surtout féminines, elle sera considérée longtemps comme une artiste « féminine » donc mineure.
D’ailleurs, « les femmes sont-elles capables de création à l’égal des hommes ou leur nature féminine les conditionnent-elle à un rôle mineur ? ».
Quels sont donc les critères d’entrée dans une collection publique ? Quels sont les processus de diffusion et de reconnaissance des œuvres du passé mais aussi contemporaines ?
L’absence de ces femmes artistes sera-t-elle un jour réparée ? Et comment ?
Car comme l’affirment Sabine Cazenave, conservatrice en chef peinture et Scarlet Reliquet, responsable de programmation cours, colloques et conférences, « La présence de femmes artistes est déjà attestée dans les ateliers du Moyen-Age et de nombreux exemples de femmes associées en particuliers aux travaux de leur pères, frères et époux jalonnent les XVIe et XVIIe siècle. A la fin du XVIIIe siècle, les femmes accèdent à une plus grande visibilité et à une liberté croissante. »[1]
Cantonnées longtemps à une pratique amateure, faisant partie des talents d’agréments d’une jeune fille à marier, tolérées comme copistes parfois extrêmement douées, et pour les femmes d’origine modeste, cantonnées à une pratique liée aux arts appliqués, les femmes peu à peu se lancent dans une pratique professionnelle dont elles espèrent tirer un bénéfice financier. Mais il faudra attendre 1870 pour l’ouverture de l’académie Julian aux femmes.
Ce statut est également renforcé par les techniques utilisées. En effet, on considère que le pastel , l’aquarelle et le dessin sont « des arts mineurs pour artistes mineures »[2]. Elles répondraient aux vertus féminines de « légèreté, finesse, douceur, délicatesse, et sentiment », les femmes étant incapable de maîtriser la grande peinture héroïque, les scènes de batailles et de bravoure (auxquelles entre parenthèses, elles ne participent pas) qui nécessitent de la virilité et du tempérament et…la peinture à l’huile, le chevalet et l’atelier, toutes choses difficilement accessibles aux femmes jusqu’à la fin du XIXe siècle. Il faudra attende les années 1880, et la naissance des avant-gardes, qui remettent à l’honneur le pastel, et le processus de création dans la peinture pour que cette technique sorte du carcan. Berthe Morisot, exploitera jusqu’à l’extrême la notion du non-fini dans l’art, ouvrant la voie à l’abstraction. Madeleine Lemaire, Louise Breslau et Mary Cassat s’affirmeront comme artistes professionnelles en utilisant ces techniques.

Images wikipédia, domaine public
La critique d’art jusque-là réservée aux hommes, va progressivement s’ouvrir aux femmes, moins attachées au genre de l’artiste, que leurs collègues masculins. En effet ceux-ci n’hésitent pas à brocarder l’entrée des œuvres de femmes dans les « Salons ». Les plus connues sont Claire Christine de Charnacé (1849-1912) qui écrit sous le pseudonyme de C.de Sault dans le Temps à partir de 1863 ou encore Marie-Amélie de Montifaud (1849-1912) dans l’Artiste sous le pseudonyme de Marc[3]. Les femmes critiques et journalistes sont soumises à la même pression que les autrices. Une femme qui rend son œuvre publique se rabaisse au rang de prostituée.
C’est ainsi que sera accueillie la prétention de Berthe Morisot à vendre ses œuvres.
La situation est encore plus critique pour les sculptrices, dont l’art est considéré comme viril. Marie d’Orléans, Félicie de Fauveau, Marcello (pseudonyme d’Adèle d’Afry[4]) et plus connue Camille Claudel devront affronter bien des difficultés pour imposer leur art.
Marie Barshkirtseff le résume ainsi : « Je n’étonnerai personne en disant que les femmes sont exclues de l’Ecole des beaux-arts comme elles le sont de presque partout. […] ce qu’il nous faut, c’est la possibilité de travailler comme les hommes et de ne pas avoir à exécuter des tours de force pour en arriver à avoir ce que les hommes ont tout simplement. »
Exclues des écoles, les femmes ont souvent recours à des professeurs privés dont les tarifs sont le double de ceux des hommes[5]. Rien ne leur sera épargné.
Près de 50 ans après les premiers mouvements de revendication cherchant à redonner une place aux femmes, les recherches, les initiatives et les associations se multiplient pour briser le plafond de verre.
Lorsque j’ai commencé ce blog, il y a près de dix ans, j’étais pratiquement la seule à évoquer ces sujets sur la toile en dehors de la recherche, souvent peu accessible au grand public. Aujourd’hui, c’est pour moi une joie immense de voir se multiplier les tentatives de réhabilitation et la diffusion de plus en plus grande des œuvres de femmes.
Le Léopold Muséum sera l’objet d’un prochain article.
[1] Notice du parcours
[2] Leïla Jarbouai, conservatrice arts graphiques, notice du parcours
[3] Sabine Cazenave, notice du parcours
[4] Ophélie Ferlier-Bouat, conservatrice sculpture, notice du parcours
[5] idem
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