Archives pour la catégorie – Femmes du Monde entier

Eriko Nakamura – Naaande ?

Eriko-Nakamura

Nââânde !? Les tribulations d’une Japonaise à Paris de Eriko Nakamura NiL éditions, Paris 2012

Kikou Yamata représentait l’expérience d’une franco-japonaise, quelle meilleure idée que de goûter aux tribulations de cette Japonaise à Paris ? bien sûr, l’exercice est difficile, et elle n’évite pas toujours les clichés, mais l’ensemble est drôle et rafraîchissant. Et si parfois elle frôle la caricature c’est aussi pour nous divertir. Et j’avoue que ma lecture a été ponctuée d’éclats de rire !

 

Nââândé ! s’exclame-t-elle souvent devant les mœurs des parisiens, leur mauvaise humeur, leur grossièreté parfois. Cette interjection manifeste la stupéfaction et le trouble face à un comportement ou un acte jugé choquant. Et les occasions ne manquent pas, la politesse et l’extrême pudeur de mise dans l’éducation japonaise, le conformisme se heurtent souvent au laisser-aller, au sans-gêne de ces français qui « montrent leurs visages », expriment leurs émotions sans vergogne! Mais ces travers sont en partie compensés par la créativité, la convivialité, la chaleur humaine qu’Eriko aime par-dessus tout dans notre pays.

Et j’ai appris grâce à ce livre de nombreuses petites choses. Ainsi la politesse au Japon veut qu’on n’aborde pas les sujets politiques lors d’une soirée avec des amis de peur de les contrarier ou de mettre une mauvaise ambiance. A Tokyo, raconte-t-elle les grévistes marchent en silence sur une petite partie de la chaussée pour ne pas gêner la circulation et portent un brassard noir, tout comme ils débrayent aux horaires qui dérangent le moins les usagers.

En filigrane, elle souligne ainsi l’extrême rigidité de la société japonaise, son côté policé, où l’on apprend à ne pas montrer ses sentiments, cette façon d’être toujours sous contrôle qui engendre comme revers des comportements un peu inquiétants, une obsession et une sorte de fétichisme pour les lolitas un rien perverses et leurs petites culottes (qui se vendent comme des petits pains), les relations inexistantes entre les maris et leurs femmes.

Cette pression exercée sur les individus commence à l’école primaire où l’on passe des concours pour entrer dans une école prestigieuse et ceci jusqu’à la fin de ses études. Les japonaises sont souvent obligées de rester à la maison car les modes de garde pour les enfants sont quasiment inexistants ou très onéreux.

 

Donc si elle célèbre le civisme, la propreté, la politesse, la gentillesse des Japonais, elle en souligne aussi les excès en nous montrant l’envers du décor. Exquise politesse qui consiste à s’offusquer ouvertement des débordements des français pour mieux critiquer les excès de sa propre culture. A force de vouloir être « un mari convenable, un père modèle, un employé irréprochable » et d’accumuler les frustrations, l’homme japonais se coupe de véritables relations avec sa compagne parce qu’il ne parvient pas à exprimer ses désirs et à être suffisamment créatif pour trouver des solutions qui lui seraient personnelles. Un intéressant va-et-vient entre les deux cultures et un livre dont je vous conseille la lecture si vous aimez aussi les livres légers.

Soeurs Chocolat – Catherine Velle

Soeurs-chocolat-

  j'aime coup de coeurj'aime coup de coeur

Sœurs Chocolat- Catherine Velle Editions Anne Carrière, 2007

Ne vous imaginez surtout pas deux plantureuses gourmandes, bruissantes d’étoffes, tenant un de ces fameux salon où l’on servait ce breuvage délicieux ,non l’ambiance est plus austère, monacale dirais-je.

 

Communauté au cœur de la France, l’abbaye de Saint-Julien du Vaste-Monde 

Honore la tradition du chocolat en recevant la Cabosse d’or. 

Or, pour pouvoir continuer à le produire, les Sœurs doivent se rendre en 

Colombie  pour recevoir la part de fèves qui leur est réservée.

Oublieuses du danger, n’écoutant que leur courage, bravant anacondas, piranhas, et

Les araignées venimeuses, en pleine forêt amazonienne, ou sous un nom d’emprunt,

Anne et Jasmine, les deux sœurs prêtes à tout pour sauver leur communauté,

Trouvent encore la force d’ affronter les bandits qui en veulent à leur cabosse !

Délicieux, futile et revigorant… On ne s’ennuie pas une seconde tant les aventures rocambolesques des soeurs se succèdent à un rythme effréné. Une belle réflexion toutefois en filigrane sur ce qui conduit à l’engagement monastique.

lecture commune avec Hélène Choco

Elan d’elles – Collection d’Elan sud – Muriel Rossi/Les centiments

J’aimerais présenter la collection « Elan d’elles », créée par la maison d’édition Elan Sud et que je trouve particulièrement intéressante dans son projet.

Cette collection est présentée comme résolument « féminine » sans être « féministe », et rassemble des textes intimistes dans lesquelles la voix singulière d’une femme se fait entendre, révélant la difficulté qu’il y a parfois à être « Femme d’ici ou d’ailleurs dans un monde résolument masculin. »

      Son intérêt réside aussi dans le fait qu’il s’agit d’une collection, et non de l’ensemble des publications, comme le font les éditions « Des femmes » ou « Le chèvrefeuille étoilé », qui s’insère ainsi harmonieusement dans une pluralité de démarches et de voix.

 J’ai lu le premier livre de la collection, celui de Mireille Rossi, « Les centiments », « Toute petite unité de mesure à valeur fluctuante ».

Les-centiments

  L’objet « livre » est très soigné, la pagination élégante et la qualité du papier comme de l’impression assurent une lecture confortable.

J’ai lu ce livre d’une traite, en une après-midi. Il s’en émane un charme subtil, une atmosphère feutrée, une lecture à mi-voix, qui ont fait qu’une fois commencé je ne l’ai plus lâché.

On renoue ici avec une tradition liée au féminin en littérature, l’exploration de la sphère de l’intime et des sentiments qui, parce qu’elle n’est pas exclusive et ne cherche pas à être un genre où l’on cantonne l’écriture féminine, trouve sa place  et se réinvente dans notre modernité.

        Mireille Rossi pose la question de l’écriture et de la création et interroge cette nécessité  , cette urgence que ressent celui qui écrit à « contresigner ce que d’autres vivent sans en faire de copie ». Elle l’enracine dans un texte où s’organisent de nombreuses filiations, à la mère, à sa grand-mère mais aussi à l’enfant qui ne naîtra pas. Elle y établit aussi la genèse de son désir d’écrire et de raconter ce qu’elle observe et les gens qu’elle croise, qu’elle devine. Elle prouve si besoin n’était qu’il n’y a pas de création ex-nihilo, mais qu’on crée avec son propre fond au sein d’une histoire singulière dans un réseau de relations et dans un espace déterminé. Elle explore toutes ces figures dans sa relation à l’impossible amant, relation démultipliée à l’infini dans d’autres histoires où la quête est tout aussi problématique.

Si raconter c’est tisser, Mireille Rossi utilise souvent l’image des fils de soie , du cordon qui la relient de tous les endroits d’où elle vient à tous ceux où elle va au fil des saisons qui rythment le récit et le clôt également sur lui-même. Elle raconte et se raconte, se livre et se délivre dans des pages où le ton est aussi parfois celui de la confidence plus que de la confession, le ton celui du murmure, explore les failles et les blessures, les absences et les deuils qui donnent aux sentiments ce goût de cendre et de mélancolie.

Purge de Sofi Oksanen

Purge par Oksanen

Purge de Sofi Oksanen, traduit du finnois par Sébastien cagnoli, Editions Stock, Paris, 2010 Quatrième de couverture :

En 1992, l’union soviétique s’effondre et la population estonienne fête le départ des Russes. Mais la vieille Aliide, elle, redoute les pillages et vit terrée dans sa maison, au fin fond des campagnes.
Ainsi, lorsqu’elle trouve Zara dans son jardin, une jeune femme qui semble en grande détresse, elle hésite à lui ouvrir sa porte. Ces deux femmes vont faire connaissance, et un lourd secret de famille va se révéler, en lien avec le passé de l’occupation soviétique et l’amour qu’Aliide a ressenti pour Hans, un résistant.

Aliide Tru est estonienne. En 1992, son pays retrouve l’indépendance après un demi-siècle de chape soviétique et elle est déjà âgée lorsqu’elle fait la connaissance de Zara, jeune femme venue se réfugier dans la cour de sa maison.

Aliide a connu l’invasion allemande puis l’occupation soviétique. Entre les deux femmes, rien n’est dit, on devine peu à peu un secret si lourd qu’il ne peut être dit, un secret dont elles partagent des pans entiers sans le savoir. Un secret indicible, car les mots impuissants ne pourraient faire autrement que « s’entrechoquer », se « recroqueviller aux mauvais endroits ». Ce secret est logé dans le corps des femmes, lieu de tous les désirs mais aussi de toutes les violences, partie la plus tendre, la plus douce mais aussi la plus vulnérable. Ce que Sofi Oksanen dénonce ici est la façon dont le corps des femmes est pris en otage, comment elles en sont dépossédées par des hommes pour n’être plus que des objets de marchandage. Ici les femmes ne font pas l’histoire, tout au plus peuvent-elles l’esquiver.

Zara, deux fois plus jeune « sent la peur à plein nez », et Aliide reconnaît cette odeur , la palpe et la fait sienne. Ce qu’elle a passé sa vie à vouloir oublier revient à fleur de mémoire, ce qu’elle avait fui la rattrape inexorablement.

Les informations sont distillées peu à peu, on devine plus qu’on ne sait. Qu’est-ce qui s’est passé que ces femmes expient dans leur corps, quelle faute ont-elles commise, existe-t-il une possible rédemption ? Et pourquoi inlassablement des hommes pillent-ils le corps des femmes ?

Ainsi « Tout se répétait », « il venait toujours de nouvelles bottes de cuir chromé, toujours de nouvelles bottes, semblables ou différentes, mais qui avaient la même façon de marcher sur la gorge. Dans la forêt, les tranchées s’étaient refermées, les douilles ternies, les blockhaus écroulés, les morts à la guerre s’étaient décomposés, mais les événements déjà vus se répétaient. »»

La mémoire d’Aliide est comme sa maison, pleine de cloisons amovibles, de caches de placard et de chausse-trappes. Dans cet infernal labyrinthe, Zara tendra un fil que sans le vouloir la vieille dame saisira afin de trouver une possible sortie. Car sous son apparente aigreur, elle est aussi guérisseuse et concocte des potions médicinales dans son arrière-cuisine : crèmes de souci, prêle des champs, menthe, mille-feuille et carvi. Purge peut être entendu à double sens, ce qui purge est à la fois ce qui violente, les indésirables que l’on a éliminés au nom de l’histoire, misérables assassinats politiques, et ce qui guérit en permettant l’élimination de ce qui fait mal.

Ainsi est la lecture du livre de Sofi Olsanen.

 

Quand le requin dort – Milena Agus

   

 Milena Agus – Quand le requin dort – Liana Levi Date de parution : 04-03-2010, 160 pages traduit de l’italien par Françoise Brun

A travers la narratrice, jeune fille sarde de dix-huit ans, nous suivons les péripéties d’une famille sarde pas comme les autres ! Un père qui voyage tout le temps, surtout en Amérique latine, une mère angoissée et fragile qui a une passion pour la peinture, une tante très belle mais seule, un frère enfermé dans sa musique, composent le tableau familial.

 Dans ces eaux troubles de la tragi-comédie familiale, le requin dort parfois, et les malheurs de l’existence  cèdent la place à quelques périodes de bonheur, aussi ne faut-il pas le réveiller. La narratrice, prise dans les tourments de l’adolescence, joue les jeux dangereux de l’amour et de la mort à travers une passion débridée pour son amant violent et marié.

 D’ailleurs, c’est le thème récurrent dans ce livre, les relations des hommes avec les femmes, sont toujours malheureuses ou impossibles, et on a du mal à comprendre la ferveur des femmes pour des hommes volages ou violents mais en tout cas peu fiables. Ces relations sont vouées à l’échec dès le départ.

L’histoire, narrée par cette jeune fille a un ton presque enfantin, et s’esquisse par touches successives. Elle a la violence crue de la lumière , le chant profond et rugueux de la terre…

J’ai été beaucoup moins séduite par cette histoire que par les deux autres, à savoir, Mal de Pierre et Battement d’elles. Peut-être ce jeu avec la mort de la narratrice m’a-t-il mis assez mal à l’aise, même si j’ai pris plaisir à lire ce roman, plaisir renouvelé à chaque fois que je lis cette auteure.

 

L’échappée belle d’Anna Gavalda

l'échappée belle

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Cet ouvrage est paru hors commerce chez France Loisirs en 2001. C’est la version revue et corrigée par l’auteur

 

          C’est l’histoire de trois frères et sœurs qui se retrouvent lors d’un mariage et décident de s’en échapper pour retrouver le petit dernier qui est gardien d’un château en province.

 

          La lecture d’un roman d’Anna Gavalda est toujours une expérience jubilatoire ; on est touchés par l’humanité de ses personnages avec lesquels on sent une étrange empathie, même s’ils sont différents par l’âge et la situation sociale. Ils sont des sortes de kaléidoscopes dans les fragments duquel on se reconnaît, en partie, mais jamais totalement.

 

          L’écriture de Gavalda est pétrie d’humanisme mais dénuée de complaisance. Ses personnes sont toujours un peu décalés, en marge de la société dans laquelle ils vivent ou en dehors de la morale bien-pensante. Est-ce par faiblesse ?

« Pourquoi sommes-nous ainsi tous les quatre ? pourquoi les gens qui crient plus fort que les autres nous impressionnent-ils ? Pourquoi les gens agressifs nous font-ils perdre nos moyens ? »

       C’est ce décalage qui produit des effets poétiques parce qu’il génère une sorte de spleen à la Baudelaire : une telle joue au poker, telle autre vient de divorcer ou est gardien dans un château. Aucun de ses personnages ne cherche à exploiter les autres, non, mais tous sont à la recherche d’un bonheur impossible. C’est une philosophie de la joie et du lien qui court dans ce roman comme dans tous les autres : le lien social, la jouissance du moment présent.

On ressort de la lecture le sourire aux lèvres, même si au fond il ne s’est pas passé grand-chose.

 

Le conflit, la femme et la mère Elizabeth Badinter

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Elizabeth Badinter – Le conflit, la femme et la mère

 

 

            vignette Les femmes et la Pensée« On ne naît pas femme, on le devient », cette célèbre formule de Simone de Beauvoir a résumé à elle-seule l’approche culturaliste de la condition féminine. L’identité féminine ne vient pas d’une essence, d’une nature féminine qui existerait de toute éternité mais elle est constituée par une société patriarcale qui impose ses normes et son pouvoir. Il s’agit de contrôler la procréation et la filiation. C’est pourquoi la vertu féminine est l’objet d’une surveillance constante, (duègnes, gouvernantes, etc) afin de limiter les relations sexuelles hors du mariage.

Cette approche critique a alimenté nombre des revendications féministes. Ce modèle reposait sur la complémentarité des sexes et non sur la ressemblance et l’égalité, introduisant une stricte différenciation des rôles et des destins : la femme admirable, la mère, devait se sacrifier à ses enfants car elle était la plus à même de le faire.

Ce modèle battu en brèche dans les années 60, 70par les féministes, revient aujourd’hui en force à travers des discours pseudo-médicaux des partisans de la leche league et autres qui prônent l’allaitement et préconisent le retour des femmes au foyer pendant au moins les premières années de la vie de l’enfant. Tout ceci, bien sûr, dans l’intérêt et le bien-être de l’enfant.

Le levier sur lequel appuie ces militants, est le sentiments de culpabilité des mères, qui subissent la pression sociale et idéologique de ce que devrait être la bonne mère. Les femmes qui ont d’autres désirs, ou qui se sentent incapables d’assumer ce modèle, peuvent se sentir déchirées par des exigences contradictoires et vivent un profond malaise.

Les tenants de ces nouvelles normes qui voient insidieusement le jour, affirment que l’allaitement par le biberon, la garde précoce des enfants par un tiers mercenaire (nourrice, crèche) sont nuisibles au bon développement de l’enfant. Des études sont publiées qui vont dans ce sens afin de donner une crédibilité accrue aux arguments qui sont avancés.

Il s’agit, en effet, de créer un consensus social et une obligation morale, par le fait, qui ne peut qu’aboutir  à la mise à l’index de toutes celles qui dérogeraient à ce modèle.

La diversité des aspirations féminines n’est plus prise en compte. Il y a une voie et une seule.

Les politiques visant à aider les femmes à concilier leur rôle de mère et leurs aspirations professionnelles ou leur désir profond, sont, dans certains pays pratiquement inexistantes (voir l’Allemagne et le Japon). Cet état de fait contribue à renforcer la voie du tout ou rien : soit je me conforme à la norme ambiante, soit je ne fais pas d’enfant au risque de créer un conflit intérieur où s’opposent des désirs contradictoires et le sentiment d’être dans une impasse.

Elizabeth Badinter explique de cette manière la baisse du taux de natalité dans ces pays. La France, parce qu’elle a su développer des politiques favorables au femmes, création de crèches et de l’école maternelle, mais aussi politiques familiales pour celles qui souhaitent rester à la maison les deux premières années, ont permis jusqu’à présent de concilier les différentes aspirations des femmes en n’imposant pas un seul modèle. Or, ce fragile équilibre n’est-il pas à nouveau menacé ?

 

No et moi – Delphine de Vigan

No-et-moi-Delphine-de-Vigan

Adolescente surdouée, Lou Bertignac rencontre No, SDF. Elle tente de la sauver, l’accueille chez elle et l’aide à prendre un nouveau départ. mais No a touché le fond, trop blessée par la vie. Elle repartira de son côté.

La question posée ici est : à partir de quel moment est-il trop tard dans la vie de quelqu’un ? A quel moment le basculement s’est-il produit ? Pourquoi à un moment donné cesse le désir de vivre et de se battre? A quel moment, l’individu va-t-il se laisser dévaler la pente?

 » Sommes-nous de si petites choses, si infiniment petites, que le monde continue de tourner, infiniment grand, et se fout pas mal de savoir où nous dormons? ».


Nos souffrances n’ont pas de poids, personne ne viendra nous sauver ou soulager nos maux. Le pire mal des sociétés humaines est cette indifférence.


Delphine De Vigan  montre ainsi le paradoxe : nous sommes capables des plus extraordinaires découvertes scientifiques, d’envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l’espace, mais aussi de laisser mourir des gens dans la rue. La puissance de cette raison qui semble si  efficace et la faiblesse du cœur et des sentiment, la tragédie de l’Homme, en fait, incapable d’amour.

L’élégance des veuves – Alice Ferney

L-elegance-des-veuvesUne force obscure pousse les corps les uns contre les autres, creuse le désir et fait chanter la chair car « le sang et la chair ont une éternité derrière et devant eux. »

Le livre d’ Alice Ferney, à travers une chronique familiale, rythmée par les décès et les naissances dans un cycle vital, explore la condition des femmes au début du XXe siècle dans le milieu de la bourgeoisie.
Le destin des femmes est d’être mère, de « s’occuper de la maison, des repas, des invitations, de l’enfant à venir, de son époux et de ses amies ». Les couples ne font pas l’amour mais des enfants. Le conservatisme religieux pèse sur le destin des femmes de la bourgeoisie qui à l’instar de Mathilde, un des personnages principaux, enchaîne une grossesse après l’autre. Dieu commande et la chair obéit, il donne et il retire.

Mathilde, épuisée par ses grossesses successives en mourra. Le mari sera complice de cette mort, car il sera resté sourd aux avertissements du médecin qui lui recommandait d’épargner une nouvelle grossesse à sa femme.
Pourtant le mariage d’Henri et de Mathilde est un mariage d’amour mais dans lequel aucun des deux époux ne remet en question le poids de la tradition. Mathilde aime ses enfants, car c’est l’enfant qui la fait et lui donne « une place dans l’immensité de l’inconnu ». La peau de ses enfants est « la continuation de la sienne », mère et enfant fusionnant ensemble. Elle semble être de ces femmes qui s’épanouissent dans la maternité.

Je mettrai ce livre en regard avec celui d’Elizabeth Badinter, « Le conflit. La femme et la mère », dans lequel elle dénonce le retour à un certain conservatisme qui réduit les femmes au statut de mère en les confinant à leur fonction de reproductrice, la maternité étant considérée comme l’expérience cruciale autour de laquelle s’articule l’identité féminine. C’est tout à fait ce que décrit Alice Ferney. La différence sexuelle définit le rôle de chacun dans la société. Il faudra attendre le combat des féministes, l’avènement de la contraception qui permet le contrôle des naissances et de l’émancipation financière des femmes pour changer la donne.

Cosmétique de l’ennemi – Amélie Nothomb

cosmétique de l'ennemi

La philosophie, en somme, est la multiplication des points de vue, qui en se répondant, en se faisant écho, tissent tout un réseau de significations. Elle n’est pas seulement un discours logique, ou une antithèse viendrait contredire la thèse avant de se fondre en elle dans une superbe synthèse . Dans notre culture, notre expérience, nos légendes et nos histoires, il y a tous ces éclats de miroir qui permettent ce tissage subtil.
Le mot texte vient du verbe latin texere qui signifie tisser, nous apprend Amélie Nothomb, dans « Cosmétique de l’ennemi ». Le texte serait d’abord un tissage de mots. Amélie Nothomb présente un dialogue entre un homme et son ennemi intérieur, son inconscient, un homme coupé en deux, abritant en lui-même un dangereux étranger. Terrifiante psychose. « Ces cloisons si étanches que tu as construites dans ta tête ne tiennent plus : elles cèdent. », avertit l’autre soi-même, l’ennemi.  Et dans cet étrange dialogue, qu’un meurtrier tient avec lui-même, surgit cette implacable réponse. « Il valait mieux que je sois étranger afin de me différencier de toi ». La partie refoulée devient l’autre soi-même, l’étranger, celui que l’on tient derrière la frontière de la conscience , frontière qui ne sera jamais franchie que dans le dédoublement.
 » C’est inquiétant, ça menace tes cloisons. Heureusement, la plupart des gens ont trouvé le remède : ils ne pensent pas. » On peut bien dire que le « je » est un autre , mais la plupart du temps, réconfortante certitude, « je suis moi, tu es toi, et chacun reste chez soi. » Ce superbe moi, plein d’orgueil, qui ne souffre aucune étrangeté.

Ne tirez pas …

Ne tirez pas sur l'oiseau moqueur - Harper Lee - Babelio

Quelle magnifique découverte que ce livre !

J’ai pensé tout d’abord que Harper Lee était un homme, puis j’ai découvert en m’intéressant un peu plus à la biographie de l’auteur qu’il s’agissait d’une femme, et que cette femme était la romancière la plus lue des Etats-Unis !

Son livre, paru en 1960, a eu un succès critique et public immédiat et il est devenu un livre culte. Depuis, Harper Lee, qui vit toujours dans sa ville natale, Monroeville (Alabama), n’ a plus rien publié et refuse toute interview.

L’histoire se passe en Alabama dans les années 1930 de la Dépression, racontée par une petite fille de 8 ans, Jean Louise. Son père, avocat, défend un Noir accusé d’avoir violé une Blanche. Or dans l’Amérique de ces années-là, beaucoup préfèrent voir pendre un Noir innocent qu’un Blanc coupable.  La narratrice et son frère, deux enfants du Sud, vont être confrontés à la violence , l’injustice et aussi à l’impuissance des adultes face à la brutalité et l’inéluctabilité du Mal.  Élevés  par un père veuf  qui veut leur inculquer un véritable sens moral, en étant un modèle d’intégrité, les enfants vont être amenés à construire des valeurs profondément humanistes.

L’un des deux enfants, la fille, est « la voix du livre, son chant profond »1.

J’ai senti ce livre comme un chant d’amour porté par les plus humbles et les plus fragiles de la société américaine des années 30, les enfants, les femmes, les Noirs et aussi cet enfant qui jusqu’à l’âge d’homme vivra reclus dans la maison de ses parents, intégristes religieux vivant en marge de la société de l’époque.

C’est pourquoi ce livre est terriblement bouleversant, ses accents ceux d’une véritable tragédie, dans une société où tout semble joué d’avance, et où la place de chacun semble immuable. Pourtant, cette société déjà secouée par la crise économique, est la proie d’une crise plus profonde qui est la crise des valeurs. L’injustice est tellement criante, la soif d’équité si immense qu’elle impulse le désir d’un nouvel ordre social qui ne relèguerait plus ni les femmes, ni les noirs, ni personne. Ainsi est décrit l’une des victimes de cet apartheid généralisé :

« Chacun de ses gestes était incertain, comme s’il n’était pas sûr que ses mains et ses pieds puissent entrer en contact avec les choses qu’il touchait. »2

Il est significatif que le livre soit porté par la voix d’un enfant, qui plus est d’une fille, car l’avenir est ouvert, les changements possibles et la place des femmes toujours à conquérir…

« Le sermon était une franche dénonciation du péché, un austère discours sur la devise de la bannière qui se trouvait derrière lui : il mit ses ouailles en garde contre les conséquences funestes des boissons capiteuses, du jeu et des femmes de mauvaise vie. Les bootleggers causaient pas mal de dégâts dans les Quartiers, mais les femmes étaient pires. Ainsi que cela m’était souvent arrivé dans ma propre église, je me trouvai de nouveau confrontée à la doctrine de l’impureté des femmes qui semblait préoccuper tous les hommes d’Eglise. »3

1  Michel Grisolia, l’Express.fr, du 01/02/2005

2 p 428, édition de poche

3 p 192, édition de poche