Archives pour la catégorie Pièces de théâtre

Les réécritures de Médée 8/11 : L’Assassine Médée 99 de Yonnick Flot

assassine

Yonnick Flot L’Assassine Médée 99, Editions Proverbe, 1999

Vignette Les femmes et le théatreCette Médée-là n’a a priori aucun lien de parenté avec La Médée antique, si l’on excepte quelques détails troublants. Tout d’abord, elle vit, ici en France, en 1999, dans le quartier des Batignolles à Paris. Elle est comédienne et va bientôt être jugée devant un tribunal : elle a assassiné ses deux enfants. On est bien loin de La Colchide et de la toison d’or.

Elle reçoit son avocat commis d’office en prison : son crime épouvantable fait d’elle un monstre et aucun avocat à la réputation établie ne veut la défendre.

D’ailleurs qui est-elle ? Un cas psychiatrique ? Une amante trahie qui sombre dans la déraison ?

Des ressemblances avec la Médée d’Euripide commencent à apparaître à la lecture : son amant s’appelle lui aussi Jason, et comme le Jason corinthien il l’a trahie pour une femme plus jeune, plus belle peut-être qui récolte les honneurs et les succès.

Médée des Batignolles est elle aussi une étrangère : elle vient d’un autre pays « mais il n’était pas de la bonne race, pas de la bonne religion, pas de la bonne géographie, pas de la bonne politique… ». Médée, comédienne, femme, doit jouer son rôle jusqu’au bout dans une pièce écrite avant elle.

Une intéressante mise en abyme structure la pièce : la comédienne qui va jouer Médée ressent quelques angoisses à jouer pareil rôle avant d’entrer en scène: « Pas le trac, la trouille. Pas du public, d’Elle. De jouer son rôle. J’aurais jamais dû accepter. Comment dire l’indicible, traduire l’impensable, l’incompréhensible, l’inexplicable, défendre l’indéfendable ? Je peux tout pardonner à une femme sauf ça ! »

Une comédienne « n’a pas le choix », elle doit dire son texte « jusqu’à la fin ».

« Il me reste à commettre pour l’éternité l’acte de la parole. Le théâtre crie la vérité ; le monde chuchote le mensonge. Je suis l’éphémère immortelle. Je meurs tout juste née mais je renais tous les soirs et le malheur d’exister devient le bonheur de jouer. »

La pièce sera jouée, rejouée sans fin, pour l’éternité. Médée revivra chaque soir devant les yeux des spectateurs. Elle n’aura pas d’échappatoire… Son crime sera posé à jamais devant elle.

Les réécritures de Médée (7/11)- Médée de Franca Rame et Dario Fo in « Récits de femmes et autres histoires »

Dario Fo (Prix Nobel de littérature 1997), Franca Rame, Médée in Récits de femmes et autres histoires

Vignette Les femmes et le théatreDans cette courte pièce, avec un angle de vue très féministe, le mythe de Médée est totalement déconstruit. Qu’est-ce qui est dit du statut de la femme à travers Médée ? Ce mythe a été écrit et réécrit jusqu’au XXe siècle par des hommes. Les femmes qui s’attaquent au mythe le transforment. Les quelques auteures, Sara Stridsberg, Franca Rame (Il est d’ailleurs très curieux que les réécritures soient essentiellement masculines) et Christa Wolf ont un regard très différent sur Médée, Sara Stridsberg en fait un cas psychiatrique (qui peut expliquer le meurtre), Christa Wolf en fait une guérisseuse victime des Corinthiens (elle ne tue pas ses enfants) et Franca Rame le traduit en fonction de rapports sociaux de sexe, dans le cadre d’une société patriarcale, où l’image de la femme est conditionnée par des relations de soumission et de dépendance. Médée donne à Jason la jeunesse et la beauté, et pour cela accepte de vieillir. « Car si deux êtres ne sont pas unis par l’amour VRAI, fait d’affection surtout et de respect, eh bien ! quand tu vieillis et que tu perds ton attrait sexuel, tu es bonne à jeter. » Voilà le statut de la femme : un objet sexuel dont dispose les hommes selon leur désir. Il n’est pas rare, dit-elle, de voir des hommes avec des femmes de vingt ou trente ans plus jeunes et Franca Rame, impertinente, ne résiste pas au plaisir de se moquer des risques sérieux que ces hommes encourent (infarctus etc.) Sa Médée n’est pas une Médée « sentimentale », ivre de jalousie et de colère, mais une Médée révoltée, qui s’adressant aux autres femmes, dénonce la façon dont les hommes se servent de leur maternité pour les aliéner. Elle enjoint ses congénères à tuer symboliquement, bien sûr, à travers une allégorie, leurs enfants. On sait que le féminisme des années 70 a beaucoup fait pour la contraception des femmes, et leur libération du poids des grossesses à répétition qui les enchaînaient au foyer, et les épuisaient physiquement et psychiquement. Il n’y a pas de doute, la Médée décrite par les femmes, ne tue pas ses enfants par amour. L’amour n’est pas toute sa vie ; elle est un être autonome dont les intérêts sont multiples et dont les objets d’attachement ne se limitent pas à un seul homme. Le mythe n’en a pas fini de grandir, nous pouvons en être sûrs…. Texte jubilatoire bien sûr… Franca Rame, née le 18 juillet 1929 à Parabiago, dans la province de Milan en Lombardie et morte le 29 mai 2013 à Milan, est une comédienne, une femme de lettres, auteur de pièces de théâtre ainsi qu’une femme politique italienne. (source Wikipédia)

Les réécritures de Médée (7) : Médée de Hans Henny Jahnn

médée jahnn

Médée de Hans Henny Jahnn traduit par Huguette et René Radrizzani , José Corti , 1988 pour l’édition allemande, 1926 pour la première version, 1998 pour la présente traduction

Vignette Les femmes et le théatre« Médée, c’est moi »[1] aurait pu dire Hans Jenny Jahnn qui se sentait lui-même « femme, marginal, barbare », et a pu « réinventer le mythe de l’intérieur »[2].

La nouveauté de cette transposition au XXe siècle réside dans d’importantes transformations de la version d’Euripide dans le sujet, le déroulement, la thématique et la conception des personnages : tout d’abord Médée est noire, ses fils sont mulâtres et sont parvenus à l’adolescence. Le fils aîné devient amoureux de Créuse mais lorsque le père, Jason, va demander sa main au roi Créon (raciste et xénophobe), ce n’est pas pour son fils qu’il fait cette démarche mais pour lui-même. Doté de l’éternelle jeunesse, Jason a de fréquents et violents appétits sexuels qu’il satisfait autant avec les filles que les garçons. Des relations incestueuses existent dans la famille, le père a des relations sexuelles avec le fils aîné et le fils aîné avec le frère, ce que Jahnn nomme pudiquement « être ami ». Une très grande vitalité sexuelle habite tous les personnages et Médée n’est pas en reste et, bien que vieillissante, attend toujours Jason pour honorer sa couche.

Le prétexte au drame sera donc celui-là : Médée attend en vain Jason qui ne vient plus la voir, tout occupé qu’il est de ses conquêtes. Non seulement il ne viendra plus mais il va en épouser une autre.

L’auteur a adopté la forme du vers libre où prédomine le vers classique allemand (le Blankvers) dans cette version , mais une première version manuscrite a été rédigée en prose.

Plusieurs grands thèmes structurent l’œuvre dans des oppositions fondamentales : la barbare et le civilisé, la femme et l’homme, la jeunesse et la vieillesse, la sexualité et la mort (création et destruction) et lumière et obscurité.

L’auteur critique aussi la société occidentale du début du siècle, colonialiste et raciste :

« Pourquoi les nègres doivent-ils être pour nous des barbares, comme les Colchidiens l’étaient pour les Grecs? – Peut-être seulement parce que nous nions l’histoire de l’humanité et ses grandes nostalgies. ce que les nègres et les Chinois n’ont pas encore fait. Si nous réfléchissons à ce que nous sommes, nous oublierons le mot « barbare ».

« Médée, femme bafouée, victime de l’homme pour lequel elle a tout sacrifié, tenue à l’écart par une civilisation patriarcale, est proche de la nature et des grandes forces qui règnent dans l’univers. Elle est la matrice de l’univers et la puissance destructrice, symbole des forces qui pour Jahnn préside à toute destinée. ».

A signaler que dans le mythe, dans certaines versions, Médée ne tue pas ses enfants, c’est Eumélos de Corinthe (vers 700 avant J.-C 😉 , le premier à introduire l’épisode corinthien, Médée tue ses enfants accidentellement, par la cérémonie de dépeçage destinée à leur assurer l’immortalité ou une jeunesse perpétuelle.

 Hans Henny Jahnn (né le 17 décembre 1894 à Hambourg Stellingen – mort le 29 novembre 1959 à Hambourg) était un romancier, dramaturge facteur d’orgue et éditeur de musique allemand(fondateur des éditions Ugrino-Verlag).

Né Hans Jahn, il changera plus tard son prénom en Henny et ajoutera un « n » à son nom de famille, considérant le bâtisseur de cathédrales Jann von Rostockcomme son ancêtre. Au centre du travail littéraire de Hans Henny Jahnn on trouve l’angoisse existentielle à laquelle l’homme ne peut échapper que par l’amour, l’empathie avec les autres et la création. La perte de l’amour est donc toujours une chute tragique dans les agonies fondamentales au-delà du simple deuil. Jahnn occupe une place singulière dans la littérature allemande et ne peut être assigné à aucun mouvement littéraire. Il a dépassé les éléments expressionnistes présents dans son œuvre de jeunesse pour un style original que l’on peut caractériser de « réalisme magique ». Ses travaux évoquent parfois le Surréalisme en peinture.

Antimilitariste et adversaire résolu du nazisme, figure exemplaire d’une lutte pour la défense de la vie sous toutes ses formes, Hans Henny Jahnn a laissé une œuvre baroque, noire, singulière, considérée par ses pairs comme l’une des plus originales de la littérature contemporaine. (Wikipédia)

[1] Postface de Huguette et René Radrizzani

[2] ibid

Les réécritures de Médée (6) – Médée Matériau de Heiner Müller

heiner mullerMédée Matériau in Germania, Mort à Berlin, 1985 pour la traduction française. traduit de l’allemand par Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger

Vignette Les femmes et le théatre« Mes textes sont écrits souvent de telle manière que chaque phrase, ou une phrase sur deux, ne montre que la partie émergée de l’iceberg, et ce qu’il y a en dessous ne regarde personne. »
Heiner Müller

La Médée de Heiner Müller me touche particulièrement par sa force brute, forme ramassée en vers, entre théâtre et poésie, toujours au bord de l’implosion. Mais peut-être aussi parce que sa brièveté, entre deux textes (Rivage à l’abandon, Paysage avec Argonautes), éclaire un aspect qui pour moi s’était dilué dans les autres versions beaucoup plus longues, le rapport entre la trahison et la mort. Les propos de Heiner Müller le rendent encore plus bouleversant lorsqu’il raconte ce qui a semblé pour lui la pire expérience de la trahison : « Quand mon père a été arrêté en 33, j’ai compris ce qui se passait. On a jeté pêle-mêle ses livres, on l’a frappé et moi j’ai regardé par le trou de la serrure — ce qui est aussi une situation théâtrale -, et puis je suis retourné dans mon lit. (…) Et puis la porte s’est ouverte, mon père était encadré par deux SA, et il m’a appelé. J’ai fait semblant de dormir. C’était ça, ma trahison. »[1]

Ce thème est éternel car nous faisons chacun notre propre expérience de la trahison ; elle s’inscrit dans notre humanité même, nos failles les plus profondes, trahison d’un amant, d’un ami, d’une idée, d’un idéal, d’un rêve. Ce moment où on est projeté rampant sur le sol condamné à ne plus jamais vraiment se relever.

«  Ma trahison qui fut ton plaisir », « Prends Jason ce que tu m’as donné/ Les fruits de la trahison issu de ta semence. »

Médée a trahi la confiance de son père en aidant Jason à voler la Toison d’or, sa patrie, la Colchide, pour l’envahisseur étranger, son frère qu’elle a tué et dépecé pour ralentir leur fuite.

La collaboration avec l’ennemi dans sa tentative de colonisation, est la première des trahisons de Médée, et peut se lire dans toute l’histoire de l’Europe, pour tous ceux qui à un moment donné ou un autre, ont aimé l’envahisseur étranger.

Une Médée puissante qui résonne de manière vibrante de toute l’Histoire de ce continent mais pas seulement (Que pouvait-on penser des amours d’une vietnamienne et d’un yankee ?).

Heiner Müller est un dramaturge, directeur de théâtre, et poète est-allemand. Après la Seconde Guerre mondiale, il choisit de rester dans la RDA naissante, pour des raisons politiques et personnelles. Ses parents sont passés à l’ouest en 1951 mais il ne les a pas suivis. Nombre de ses textes ont été interdits et joués à l’Ouest avant la chute du mur. Il est mort à l’âge de soixante-six ans[2] , né en 1929 mort le 30 janvier 1996. Directeur du Berliner Ensemble, le théâtre mythique de Bertolt Brecht, « il avait été profondément marqué par la guerre et ses trahisons qui lui inspirèrent une œuvre puissante, provocatrice et sans illusion  sur la nature des hommes et de la politique. » (voir la revue de presse très complète sur le site des Éditions de Minuit).

[1] http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Medee-Materiau-2093/ensavoirplus/idcontent/11527

[2] http://www.leseditionsdeminuit.fr/f/index.php?sp=livAut&auteur_id=1436

Les réécritures de Médée (5) : Médée de Max Rouquette

Max Rouquette – Médée – traduit de l’occitan par Max Rouquette – Magnard 2008

Vignette Les femmes et le théatreMax Rouquette a vécu à Aniane, près d’Argelliers pendant une dizaine d’année comme médecin avant de se fixer définitivement à Montpellier où il prend sa retraite de médecin conseil en 1974. Ardant défenseur de la culture et de la langue occitanes, il a écrit toute son œuvre dans cette langue avant de la traduire en français.
C’est donc une Médée occitane que met en scène l’auteur, renouant avec la sorcière de la mythologie, par delà le bien et le mal, éternelle et insaisissable autant qu’allégorique.
Médée, dont l’orgueil démesuré précipitera la perte de Jason et de ses enfants.
Max Rouquette voyait sa pièce dans un style « pierreux, brutal, dur, sans ornements, mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit. »
La Médée de Rouquette se veut éternelle. Elle continue à interroger chaque homme à travers le mythe.
Il renoue avec la tradition du chœur, resté vivant dans la culture méridionale, le groupe des vieilles, sur le pas des portes, ou sur les bancs, sur les places, épient et commentent la vie du quartier ou du village et de ses habitants. Ce sont les commères à la langue acérée, sans illusions et cruelles, qui déchiquètent de leurs mots celui ou celle qui s’éloignerait de la morale publique. Elles sont mielleuses, et savent distiller le soupçon, alimenter la rumeur.
Il les imagine avec des masques (préface) qui « leur donneraient l’apparence de chouettes, hiboux, grands ducs […], hurlant à la mort, et sans grande pitié au cœur. »
La mère du chœur renvoie la parole majeure, « reprise et balancée et envoyée d’un groupe à l’autre. »
De cette terre de rocailles, et de soleil, rendue chrétienne après de furieux massacres, l’auteur utilise la forme des psaumes qui s’accordant parfaitement à l’occitan, et donnant une musicalité plus grande au texte, lui insuffle une certaine sacralité.
La langue est comme le ruisseau dans les rocailles, elle coule, s’élance, rebondit en cascades, s’apaise en murmures.

Médée est une gitane, une nomade, une étrangère. A l’orée de la ville, dont elle entend seulement les échos, elle fait partie « des voleurs, des exilés, des chasseurs sans feu ni lieu, des condamnés, des bannis. »
Elle est « de ceux qui ont fui leur pays, leur roi, leur peuple ; ceux que poursuit la vengeance éperdue de la haine, et les meutes féroces du malheur. »
Elle est celle par qui le mal arrive.
Elle se dresse, seule, face à l’opprobre et au malheur, indomptable dans son orgueil : « Nous sommes de la race du soleil : nous savons le regarder en face. Il n’est ni roi, ni dieu pour nous faire agenouiller. »
Elle est lucide : « Il n’y a personne pour nous aimer. Quand ils nous acceptent c’est par crainte de nos maléfices. Ils nous donnent pour nous voir partir. Nos feux d’herbes et de chiffons leur empestent tout le pays. »
La solitude de Médée est la solitude de l’exilée, de celui qui se retrouve loin de sa terre natale dont elle a été bannie après le vol de la toison d’or et le meurtre de son frère.
Mais l’homme pour lequel elle a tout quitté non seulement l’abandonne mais la condamne à un nouvel exil. Un exil encore plus douloureux loin de l’homme qu’elle aime et sans ses enfants.
La pièce acquiert à nouveau ici une dimension politique :
« Qui peut parler d’amour, quand c’est la raison d’Etat qui domine ? « (p 59)
Jason abandonne Médée parce qu’il a peur :
« Nous sommes encerclés. Notre tête est déjà vendue. Notre sang va finir par se mêler à tout celui qui marque ton chemin. »
Médée ne tendra pas l’autre joue, non, elle n’est pas cette femme obéissante, à qui l’on peut dicter ses actes. Elle ne se laissera pas frapper deux fois et rendra coup pour coup.
« A moi, monstres cachés dans le sommeil de la matière ; tigres qui n’attendez que l’éclair dans l’apparence du sommeil. »

Elle est bien loin de la résignation professée par le chœur : « Que peut le pauvre dans le malheur ?/Il doit plier comme jonc dans le vent. »
Après avoir enchanté de ses sortilèges des présents mortels pour Créuse et le roi Créon, Médée décide de sacrifier ses enfants :
« Ils sont ces deux innocents, le piège de ta faiblesse, le masque de l’amour que tu gardes à Jason et qu’il faut sacrifier. »
Et il y a cette lutte entre Médée et la vieille pour arracher le couteau funeste. Le temps est suspendu.
« L’eau sera plane quand j’aurai tout effacé et que tout sera redevenu comme au temps passé. »
Comme si le meurtre pouvait tout annuler, comme si les événements pouvaient s’effacer de la mémoire.
« Je suis maîtresse du temps ! » clame-t-elle. Maîtresse du temps tragique, du temps circulaire, du temps de la pièce qui ne s’achève pas lors de la représentation , puisque la pièce continuera à être jouée.
L’espace de la tragédie est l’espace de l’exil : « l’exil de tout bonheur, de toute paix, de tout apaisement, de tout amour. »
Mais l’espace tragique est aussi ouverture sur la pensée et le mythe dans lesquels chaque humain puise assez de souffle pour continuer à avancer.

Les réécritures de Médée (1/11) : Médée endeuillée de Sylvain Grandhay

Médée endeuillée de Sylvain Grandhay, 2011, 80 pages, éditions du Panthéon

Vignette Les femmes et le théatreSylvain Grandhay revisite le mythe intemporel de Médée, magicienne de Colchide qui aide Jason et les Argonautes à conquérir la Toison d’Or. Femme étrangère, femme barbare, Jason l’épouse par gratitude et lui donne deux fils avant de la répudier pour épouser la fille de Créon, roi de Corinthe.
Médée, femme bafouée, organisera la plus terrible des vengeances.

Dans la version de Sylvain Grandhay, dans des références constantes au monde contemporain (Jason lui annonce la rupture par texto) mêlant des aspects oniriques et des anachronismes, Médée est la « femme totale », amoureuse et passionnée, « fatale » dans tous les sens du terme, femme d’un seul homme, mais aussi femme sensuelle, éminemment charnelle et sauvage qui bascule dans le crime par excès de colère et d’amour.
Elle se révolte contre la toute-puissance de la société patriarcale :
« Les hommes ont tous les droits ici-bas. », reconnaît-elle, amère, dans un des nombreux dialogues avec sa nourrice à qui elle se confie.

L’amour de Médée est un amour charnel, sensuel, qui la gouverne entièrement et auquel tous ses actes sont soumis.
« Je suis femme avant d’être Médée. Je nous revois, lui et moi, nus, sur la toison d’or, enlacés, la première fois embrassée et embrasée. Je découvrais, par une mystérieuse abolition du temps et de l’espace, le goût de sa patrie. Je sentais le parfum des olives qui mûrissent sous le soleil, celle des lavandes céruléennes et l’odeur du goudron qui fond sous la chaleur de l’été. »

Médée devient criminelle, dans un basculement, et une logique qui est la conséquence de la nature de cet amour. Quand on lui fait remarquer qu’il y a plusieurs étapes dans le deuil, qu’il lui suffit d’attendre, elle se moque, elle n’est pas femme de nuances, ni de raison. Sa seule logique est implacable, le crime lui coûte, car elle aime ses enfants, mais ses enfants eux-mêmes n’existent qu’en raison de son amour pour Jason auquel elle a tout sacrifié. Si Jason disparaît, tout doit disparaître avec lui.

Amour absolu et charnel, d’autant plus redoutable, qu’il est éminemment pulsionnel et sexuel. L’amour est jouissance de soi et de l’autre, fièvre et tourment, extase et dénuement.

La tragédie de Médée est qu’elle aime toute seule, de cet amour-là, qui est sa valeur suprême. Jason conditionne l’amour à sa réussite personnelle, à son ambition politique, alors que Médée est toute entière dans sa passion.

Il y a de très beaux passages dans cette pièce, d’autres un peu moins réussis, notamment les moments où la nourrice raconte à nouveau la fuite de Médée avec Jason, et la trahison dont va souffrir celui-ci à son retour en Grèce. Finalement, une pièce doit être jouée et vue, et j’aimerais bien voir celle-là.

Pauline Sales Family art

family-art

j'aime un peu beaucoup passionnémentj'aime un peu beaucoup passionnément

Le titre m’a fait penser à une des scènes que nous avons jouées pour une pièce de Jean-Michel Ribes, « Musée haut, musée bas » qui est à mon avis une scène d’anthologie tellement elle est effiace :

Paulines Sales – Family art – Les solitaires intempestifs 2009

Saluons cette maison d’édition consacrée aux œuvres d’art dramatique située à Besançon

 « Les homes ne vivent que par ce que les femmes le veulent bien. Ils l’oublient trop souvent. Elles acceptent à plusieurs reprises de les prendre chez elles et régulièrement ça finit par une cohabitation de neuf mois. Il ne s’agit pas de colocation. Tout est à leur charge, la nourriture, le chauffage, l’électricité. Ce n’est pas grand mais je n’ai jamais entendu un homme se plaindre. Je l’ai déjà dit. Les hommes oublient. Et là-dessus, ils sont amnésiques. Quand ils sortent de là ils ne sont pas grand-chose. Mais comme ils n’étaient rien en entrant. Les trois-quarts se plaignent de sortir, les trois quart pleurent. On ne sait pas quoi puisque personne ne se souvient. Peut-être simplement d’être sortis ».

La plume malicieuse de Pauline sales pourrait faire croire tout d’abord à un pamphlet sexiste. Non, point de misandrie qui est : « est un sentiment sexiste d’aversion pour les hommes en général, ou une doctrine professant l’infériorité des hommes par rapport aux femmes. Elle peut être ressentie ou professée par des personnes des deux sexes. » Mais une pièce drôle et alerte qui explore en filigrane la vie d’une femme « Suzanne » pour qui la maternité pose problème. Ou selon n’en pose pas assez. On peut dire que d’une certaine façon elle s’en débarrasse (du problème).

Et ce sont deux hommes qui en héritent. Paul est gynécologue obstétricien et « la douceur flageolante des muqueuses » ne l’« effraie pas ». Sur scène coexistent son personnage jeune et âgé. Ce qui perturbe un peu la lecture mais qui imaginé dans l’espace scénique produit un effet intéressant. Son nom est révélateur en partie de son histoire car il s’appelle Paul Jesus.

Jean est le père de Maxime qui est clown pour enfants malades.

Le deuxième personnage féminin, Alice, suit des cours dans une école de dessin et maîtrise difficilement son cycle hormonal : « il y a des mois qui passent comme des années d’autres comme une journée et on prétend que c’est régulier ».

Une sorte de filiation s’établit entre Suzanne et Alice car c’est la même comédienne qui joue les deux rôles.

Ce procédé vise peut-être par une sorte de catharsis (pour la nouvelle génération représentée par Alice et Maxime) à éviter en la jouant, la répétition au cœur de toute histoire familiale, en se défaisant dans le présent des liens du passé, et des obsessions dont nous sommes les jouets parce que nous en héritons de manière inconsciente. Le théâtre est le lieu éminent de la parole. Pour moi, en tout cas.

Les hommes ont fort à faire et rétablissent à leur tour une saine vérité : « Les femmes naissent parce que les hommes le veulent bien. Elles l’oublient trop souvent. »

On suit donc les effort de ces hommes, pour contrôler l’incontrôlable, et leurs efforts désespérés mais pas totalement inutiles m’ont fait sourire plus d’une fois. Une pièce souvent jubilatoire !

  » On aimerait se dire que, dans ce que l’on est, peu de choses sont déterminées.
Que l’on aurait été “soi“ quelque soit notre père, notre mère, notre époque, notre milieu, on aurait été soi.
À l’inverse, dans certains moments de sa vie, on s’excuse soi-même de n’être pas à la hauteur de ce qu’on aurait pu être, et les premiers responsables de ce gâchis sont invariablement notre mère, notre père, notre milieu, notre époque.
La famille, celle dont on est issu et celle qu’on bâtit, les seuls à nous aimer pour ce que l’on est, les premiers à nous cadenasser dans des prisons sur mesure.
Ce serait un jeu pour mettre à l’épreuve “soi“ dans le cadre familial, Le grand mystère de l’inné et de l’acquis. Est-ce qu’on aurait pu être un autre ? Lequel aurait-on pu être ? »

Pauline Sales

Grand Prix de littérature dramatique 2007 – Les marchands de Joël Pommerat

Présentation de l’éditeur

Une femme raconte. Son mal de dos, les rêves de sa voisine et amie, l’usine locale menacée de disparition, les familles au bord de la catastrophe, la guerre possible. Une simple chronique de la misère ? L’histoire déborde vite la volonté de neutralité de la narratrice, le paranormal infiltre le réel, l’action des individus contredit la parole collective. Sur un mode ironique et tragique, les artisans de cette fable théâtrale Missent une comédie noire.

Biographie de l’auteur

Joël Pommerat met en scène ses propres textes avec la compagnie Louis Brouillard qu’il a créée en 1990. Au-delà du texte, il écrit avec la présence des acteurs sur scène, la lumière et le son. Les Marchands est le dernier volet de la trilogie commencée avec Au monde en 2004 puis D’une seule main en 2005 .

Grand Prix de littérature dramatique 2008 – Michel Deutsch/ David Lescot

Présentation de l’éditeur

La Décennie rouge raconte l’histoire de la dérive des soldats perdus d’une génération qui voulait changer le monde et qu’on a appelée en Allemagne la « Protestgeneration « . On date la naissance de la « Rote Armee Fraktion » ( » RAF « ), plus connue sous le nom de « Groupe Baader- Meinhof » ou « Bande à Baader », du 1er mai 1970. Après le reflux de la révolte étudiante, Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof et leurs camarades décident d’engager la lutte armée contre l’Etat et les structures autoritaires de la société libérale. Ils veulent instruire le procès des pères accusés d’être, sans exception, d’anciens nazis. La « RAF » affirme que l’heure est à la lutte armée dans les métropoles impérialistes et que ce n’est plus le prolétariat allemand embourgeoisé mais elle, désormais, qui est le sujet révolutionnaire. Aujourd’hui, ironie de l’histoire, la « RAF » est rapatriée dans le musée de l’histoire allemande.

Présentation de l’éditeur

Et si l’Europe culturelle se jouait et se décrétait sur scène, et en musique ? Comment faire repartir l’Europe avec un compositeur qui pense pouvoir faire mieux que Beethoven. un poète épique, un performer portugais révolté, une installatrice allemande, une linguiste belge adepte de l’intercompréhension passive, une fantomatique jeune femme slovaque, trois musiciens en quête d’orchestre, une sous-déléguée dépassée par les événements et la plus vieille Européenne encore vivante… L’art doit les y aider, mais pourra-t-il résister au principe de réalité ? Suffit-il de se parler pour se comprendre ?

Biographie de l’auteur

Il monte son premier texte en 1998, Les Conspirateurs, au TILF (Théâtre International de Langue Française), pièce qu’il qualifie de « comédie musicale noire ».

Il compose ensuite la musique de différents spectacles, notamment pour Anne Torrès qui met en scène Le Prince de

Machiavel au Théâtre Nanterre-Amandiers (2001) ou Le Fou d’Elsa d’Aragon au Théâtre National de la Colline  (janvier 2005).

David Lescot participe à de nombreux festivals comme La Mousson d’étéTemps de paroleCourt toujoursChambre ouverte, où il présente ses nouveaux textes. Parallèlement, il enseigne les études théâtrales à l’université Paris X Nanterre depuis 1999 . Il s’essaie à la mise en scène en mélangeant écriture et improvisation, théâtre et musique. Le spectacle Quelques dommages physiques, avec le comédien Scali Delpeyrat  et le trompettiste Médéric Collignon , porte les traces de cette recherche.

À l’invitation d’ Emmanuel Demarcy-Mota, il est auteur associé au centre dramatique de la Comédie de Reims puis au Théâtre de la Ville. (Source Wikipédia)

Grands Prix de littérature dramatique 2006/ Daniel Danis/Denise Bonal

Présentation de l’éditeur

Dans sa cour, J’il s’est endormi dans les bras d’un bosquet. Des jours entiers, les soldats azzédiens anxieux viraillent dans la cour à écouter Rhinos, les oreilles sur les charbons ardents, négocier les accords ce paix à voix haute dans sa main-téléphone.
Derrière les volets bleus ajourés, Romane voit tout par les découpés de son masque de cuir.

Présentation de l’éditeur

D’ordinaire, les dimanches en famille sont joyeux, faits de siestes réparatrices ou de promenades vivifiantes. D’ordinaire, frères et soeurs sont réunis pour des jeux interminables pendant que les adultes bavardent autour du café. Mais lorsque les parents ne parviennent plus à retirer leur fille des mains d’amis, sortes de nounous provisoires devenues quasi-geôliers trop zélés, tout se dérègle. La tension est palpable. La valise n’est plus le symbole des vacances, mais celui du dimanche de trop où l’on n’a pas su récupérer la petite. L’écriture sensible de Denise Bonal s’accorde merveilleusement à ce tableau impressionniste, tout en pointillés, Dans cette pièce à trois, l’auteure propose un huis clos tendre que les silences de sa langue habillent parfaitement. Ces dimanches laissent les personnages dans un désarroi provisoire et immergent lecteur et spectateur dans un plaisir rare.

Grands Prix de littérature dramatique 2005/ Marc Dugowson

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« 1890. Comme nombre d enfants issus de la classe paysanne, Jules¬Étienne Scornet naît sous une bien mauvaise étoile. Une mère morte en couches, un père mesquin, une éducation confiée à un homme d Église hypocrite et pervers hantent l esprit du jeune garçon lorsque survient la Grande Guerre. Terré au milieu des tranchées froides et incertaines, embarqué dans une camaraderie de circonstances, horrifié devant le sordide spectacle des obus qui explosent et mutilent des vies, sortira¬t¬il indemne de tant d absurdités ? »