Les trois lumières de Claire Keegan / L’art de l’ellipse

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          Une petite fille est conduite par son père dans la famille Kinsella, des fermiers du Wewbridge, car sa mère, à nouveau enceinte, va vientôt accoucher.

On pourrait résumer cette grande nouvelle par les mots de John Kinsella : « Il a perdu une occasion de se taire ». Car tout est là dans cette économie de paroles, dans cet art de dire l’essentiel sans les mots mais tout de même avec eux puisqu’il s’agit ici d’une œuvre littéraire qui joue magnifiquement avec l’ellipse et le non-dit : une lumière particulière au bord de la mer, une main tendue, un sourire, une corvée partagée en commun

Au fond, même les secrets les mieux gardés finissent un jour par être découverts. Le drame qui a bouleversé la famille Kinsella affleure tout au long de la nouvelle pour être dit à la fin mais il s’annonce par d’innombrables détails, par ce qui est tu, par les silences : les habits dont elle se voit affublée, la réaction de Mr Kinsella quand il les découvre sur elle, l’attitude de Mrs Kinsella lors de leurs sorties à la ville voisine… La vérité est aussi dans ce qui est caché. Les actes, cependant valent mieux que les paroles, car dans une valise oubliée, celle de l’enfant dans le coffre de la voiture de son père, lorsqu’il s’en va, se dit toutes les relations d’un père à sa fille. Toute la négligence et l’abandon. D’ailleurs, pour décrire un nouveau monde, « de nouveaux mots sont nécessaires » à l’enfant qui va devoir apprendre.

Ce  court roman est aussi roman d’apprentissage, car si l’enfant doit réapprendre le monde et ses codes, elle découvre une attention à l’autre, une qualité d’écoute qu’elle ne connaît pas. Et c’est la condition des femmes qui est ici esquissée, il ne faut pas oublier que l’avortement est interdit en Irlande, et le divorce très récemment autorisé. La mère est accablée de grossesses, elle doit accoucher d’un enfant après l’autre et a peu de temps pour s’occuper de sa fille. La misère sociale entrave ici réellement l’épanouissement des enfants.

Edna Kinsella n’a pas d’enfant et elle peut s’occuper réellement de la petite fille qui lui est confiée. Elle est d’un autre milieu social et ne manque de rien. Même si comme toutes les femmes de son temps, elle s’occupe des travaux domestiques, elle jouit de toute liberté pour le faire. Et de réels liens de respect et d’attention la lient à son mari.

 Il existe un autre monde, cela maintenant l’enfant le sait et on peut parier que, malgré la séparation inévitable et annoncée depuis le début, elle ne l’oubliera jamais et que cette révélation certainement va la porter.

Claire Keegan bat en brèche également la sacro-sainte famille irlandaise. La famille ici est celle qu’on se choisit, et elle a beaucoup plus d’importance que la famille biologique. Elle est celle qu’on crée à travers une filiation spirituelle.

Magnifique coup de cœur donc.

14 réflexions sur « Les trois lumières de Claire Keegan / L’art de l’ellipse »

  1. J’ai aussi grandement apprécié cette courte histoire qui se dévoile autant par les mots que par les « silences ». Claire Keegan crée une atmosphère mystérieuse et délicate pour dire l’enfance et pour dire son pays.

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