Le roman « La garçonne » fut très célèbre en son temps, best-seller des Années Folles, sulfureux et provocateur pour certains, moderne et avant-gardiste pour d’autres, il déclencha autant d’intérêt que d’indignation et valut à Victor Margueritte (1896-1946) d’être radié de la Légion d’honneur.
Écrit en 1922, dans une société très imprégnée des valeurs morales héritées du catholicisme, et de manière plus générale de la culture judéo-chrétienne, les thèmes abordés par Victor Margueritte avaient de quoi enflammer l’opinion, et choquer cette France bien-pensante de l’après-guerre, qui avait renvoyé les femmes à leurs fourneaux, et les avait de nouveau assignées à leur fonction reproductrice. Il fallait, n’est-ce pas, repeupler la France. Et où allait-on, je vous le demande, si on les laisser se perdre dans des amours saphiques improductives, ou dans une vie de dissipation et de dérèglement des mœurs, peu propices à un foyer bien ordonné.
Mais il y a bien plus grave, car il s’attaque à la haute bourgeoisie parisienne, sans morale, menant une vie de débauche, derrière la façade hypocrite de la civilité bourgeoise. Et si cela n’était pas assez, il dénonce « les profiteurs de guerre » qui se sont enrichis sur le dos des poilus.
On peu supposer qu’après avoir chargé la barque, Victor Margueritte ne dut pas être vraiment surpris par la riposte de ceux qui, après tout, détenaient le pouvoir. Toutefois la censure produisit son effet, elle relança la curiosité pour cet ouvrage qui sentait le soufre, et les ventes s’envolèrent.
Pour tout dire, elles dépassent même la série des Claudine publiées par Colette.
La coiffure à la « garçonne » deviendra le symbole de la liberté, virilisation des femmes ou indifférenciation des sexes qui permet d’aborder également la bisexualité et le lesbianisme. Comme on le voit, Victor Margueritte fait feu de tout bois. Il remet en cause l’ordre établi, les préjugés et le pouvoir, traditionnellement chasse gardée des hommes. On comprend l’ampleur de la riposte.
Monique Lerbier, son héroïne, est indépendante financièrement grâce à son métier de décoratrice et aime comme les garçons, c’est-à-dire, librement, pour sa seule satisfaction sexuelle, sait s’abandonner à tous les plaisirs et tient à choisir librement son destin.
Victor Marguerite féministe ?
Selon Yannick Ripa, qui écrit une préface absolument passionnante à ce livre, il ne fut guère aimé des féministes qui tenaient à la respectabilité pour faire accepter leur mouvement, et ne souhaitaient pas que le libertinage soit associé à leurs luttes et dénature leur image. Lutter pour l’égalité des droits ne voulait pas dire coucher avec n’importe qui, voire à plusieurs, ou remettre en cause la monogamie institutionnelle.
L’ouverture d’esprit de Victor Margueritte aura elle aussi ses limites et la morale sera finalement sauve. Le bonheur semble hétérosexuel, monogame et pour toujours. La chair est triste hélas, et point n’est besoin d’avoir lu tous les livres, pour en être complètement dégoûté. Les femmes ont besoin d’amour, qu’on se le tienne pour dit, et la maternité donne un sens à leur vie : sans enfants, quelle solitude !
Si ce roman a tant fait parler de lui, ce n’est pas pour son style, légèrement ampoulé mais pour sa portée iconoclaste, Victor Margueritt

e a fait vaciller sur leurs socles les vieilles idoles. Qu’il en soit encore aujourd’hui remercié !
« Monique Lerbier est heureuse : elle épousera bientôt l’homme qu’elle aime.Un soir, pourtant, elle le surprend en compagnie de sa maîtresse. Humiliée, elle se venge sur le premier venu, puis, au lieu de rentrer dans le rang comme ses parents le lui intiment, elle décide de prendre en main son destin et ses amours. Avec glourmandise, curieuse de tout, Monique va alors multiplier les expériences émancipatrices, avec des femmes comme avec des hommes qu’elle ravale au rang de simples reproducteurs ou de « belles machines à plaisir »
Bonjour Anis, merci pour ce billet car un livre qui s’attaque à l'(hypocrisie) de la haute bourgeoisie (parisienne ou non) ne peut que me plaire. Je connais l’écrivain de nom ainsi que le titre mais je ne l’ai jamais lu. Il faut donc remercier les éditions Payot si je comprends bien car je pense que cet ouvrage n’était plus disponible (sauf erreur de ma part). Bonne après-midi.
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Effectivement, il n’était plus disponible. J’imagine bien combien il a pu choquer à l’époque. Passionnant…
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En effet, il n’a pas fait dans la dentelle et c’est très bien ainsi…
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Oui. J’avoue que je me suis bien amusée en le lisant et en imaginant les réactions de l’époque.
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Scandaleux, je crois! Une réedition je pense, il devait être introuvable…
Il me semble avoir lu un titre de l’auteur, rayon jeunesse (incroyable, non?)
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Comment a-t-il pu écrire en jeunesse? Il est tombé dans l’oubli car son pacifisme l’a conduit à une collaboration de plume pendant la guerre.
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Je le note immédiatement, ce genre de démarche est suffisamment rare pour être relevé. En plus j’adore les livres qui dénoncent leur société …et qui sont brocardés par tous les « partis ».
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J’imagine le scandale qu’a pu faire ce livre à sa parution… c’est parfois une bonne manière de faire avancer les mentalités.
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Je ne connais l’auteur que de nom, j’en ai un peu honte… et ma foi ton billet m’intrigue beaucoup et me donne très envie de découvrir ce texte, autant pour le sujet que pour le contexte historique et social. Je note précieusement, merci à toi pour cette chouette chronique ! Bon dimanche à toi !
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Oui, franchement, il vaut la peine.
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J’ai envie de lire ce livre !!!
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Et bien laisse-toi tenter !
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je ne connaissais pas ce titre! J’aime la dimension scandaleuse… 🙂
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Je suis sûre que tu sourirais vraiment à certaines évocations. J’ai pas mal gloussé je l’avoue.
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