Ecrire une femme dans la peau d’un homme – Festival America 2018, avec Omar El Akkad, Néhémy Pierre-Dahomey et Brad Watson

Un écrivain peut-il écrire un personnage féminin, sonder son être, sa chair et endosser son destin ? Quelle est sa légitimité pour évoquer un autre que lui, différent par son genre ? Peut-on parler d’une femme quand on est soi-même un homme ? La question pourrait être inversée en ce qui concerne les femmes qui écrivent, elles, dans la peau d’un homme. je me souviens ici du magnifique roman de Dulce Maria Cardoso, Le retour. .

Pour répondre à ces questions, trois écrivains étaient invités qui, chacun à sa manière, a endossé, le temps d’un livre, la destinée d’une femme.

  

Pierre-Dahomey Néhémy s’est glissé dans la peau de Belliqueuse Loussaint, jeune haïtienne au caractère intrépide, qui tente avec d’autres une traversée clandestine de la mer des Caraïbes pour rejoindre les États-Unis. Brad Watson, lui,  a prêté sa voix et son corps à Jane Chisholm venue au monde avec une malformation, en 1915, dans une petite ferme du Mississippi. Quant à Omar El Akkad, il donne vie à Sarah Chestnut  qui perd son père à l’âge de six ans et doit rejoindre avec sa famille un camp de réfugiés. Elle deviendra une impitoyable machine de guerre sous l’influence de son mentor.

Selon Pierre-Dahomey Néhémy, si légitimité il y a, elle est plutôt d’ordre esthétique, dans un travail artistique de la parole. Ce n’est pas mettre en scène des points de vue mais engager celui du narrateur qui n’est pas sexué. Il s’agit pour lui de chercher une complexité, une nuance. Les écrivains sont souvent invités à prendre la parole, mais cet exercice est très différent de celui d’écrire un roman. Dans l’exercice de l’écriture, l’écrivain fait ce qu’il veut, le personnage devient témoin d’une complexité et non le porte-parole d’un point de vue qui serait celui de l’auteur. Ainsi, lui même ne vit-il pas dans un Haïti qui serait carcéral car il voyage tout le temps, il répond juste d’une vérité de l’entertainement. « Je ne parle pas des femmes, en vérité », avoue-t-il.

Omar El Akkad, donne à Sarah Chestnut  la dimension d’une Antigone, au sein d’une tragédie qui sert à sous-tendre le récit. C’est un livre sur l’universalité de la vengeance, un livre « américain », sorti à l’époque de l’élection de Trump. Cependant, l’écrivain n’a pas voulu faire allusion au président,  l’action se situe dans un monde qui a vu la création d’un nouvel empire géopolitique où le niveau des mers a atteint un seuil catastrophique et permet de penser des guerres qui sont arrivées et qui arrivent encore très loin d’ici… pour les ramener à côté de chez nous, dans notre occident. La souffrance des gens qui vivent de l’autre côté de la planète n’est pas unique ou exotique. Elle nous concerne tous.

Est-elle portée ici par une femme parce que les femmes et les enfants sont les plus vulnérables face à la guerre ?

L’écrivain a la légitimité de s’éloigner de sa réalité. Par exemple, une femme mexicaine, aujourd’hui aurait beaucoup de mal à être entendue.

Miss Jane, au fond, est un portrait de l’Amérique, le Mississippi représente le côté déliquescent de la géographie, explique Brad Watson.

Cette légitimité existe pourvu qu’on soit respectueux et en accord avec soi-même.

« Je me suis posé de grandes questions avant d’entrer dans la peau de cette femme. C’est le livre qui va permettre cette entrée dans le personnage. »

C’est bien le sens du lieu, de la nature, comme les serpents, les marais qui vont donner leur place aux personnages et le rapport d’identification qu’ils permettent. « Ils font le lien entre les personnages et moi ».

Cela représente, pour l’héroïne, le lieu dont elle ne peut sortir, s’enfuir, pour incarner sa vie, son devenir. Pourtant, elle va être portée par quelque chose qui va être son moteur afin de lui permettre d’incarner sa vie, son devenir et ce moteur c’est la vie. Son destin épouse son territoire mais elle ne sera pas réduite au lieu d’où elle vient.

Quelle légitimité éthique pour Omar El Akkad  ?

Ce n’est pas un roman sur les USA, dit-il, confronté à ce type d’injustice, n’importe qui pourrait réagir de la même manière. Cette guerre civile, imaginée en 2075, rend le lointain plus proche.

« Jenny, c’est moi », pourrait dire Brad Watson,« Je n’imagine pas qu’on puisse genrer les sensations« . Les noms des animaux, en anglais, n’ont pas de genre. Quand on crée un personnage, on peut y faire entrer d’autres sortes d’aliénations, d’étrangeté. « It’s an attempt to understand, to empathize »

 

« Longtemps, les femmes ont été cantonnées au rôle de personnages secondaires. Heureusement, les choses ont bien changé. Aujourd’hui, les femmes marquent de leur empreinte la richesse et la diversité de la culture contemporaine. Mais il est encore utile de s’interroger sur la place des femmes dans le monde, ce qui a été acquis de haute lutte et ce qu’il reste à conquérir. Quelle est maintenant la place des femmes dans la fiction ? Écrit-on de la même manière un personnage féminin lorsqu’on est un homme ou une femme ? »

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