Archives pour la catégorie – Femmes du Monde entier

Erin Hortle – L’Octopus et moi / Un roman qui fait commencement

Un roman qui fait commencement !

Erin Hortle – L’Octopus et moi (2020), Editions Dalva, 2021, pour l’édition française.

Avec ce premier roman, les éditions Dalva pour l’édition française et Erin Hortle, l’autrice, opèrent un véritable coup de maître.

Qu’est-ce que le féminin ? Posséder des seins, et un appareil génital qui vous permet d’enfanter ? Où le désir se niche-t-il ? La souffrance et la mort nous relient à notre profonde animalité, à ce lieu en nous, où n’existe aucun mot, mais où la pensée est mouvement, s’opérant par  de doux balancements, de joyeux bondissements,  ou de terribles rugissements lorsque la douleur ou la mort éprouvent notre instinct de vie et de conservation.

« Je laisse mon corps flotter d’avant en arrière et d’arrière en avant et d’arrière en arrière dans les courants les vagues qui bouillonnent tourbillonnent tout autour de moi. »

Dans le monde animal , les pieuvres femelles défendent leurs œufs jusqu’à la mort. Elles les couvent parfois pendant de longues années et meurent ensuite, exténuées, à leur éclosion.

Ce roman est l’histoire d’une rencontre, entre une pieuvre qui cherche à rejoindre l’Océan Pacifique pour y pondre ses œufs et une femme, meurtrie dans son corps et son esprit par de terribles épreuves. Une rencontre aux portes de la mort.

Le style est puissant et réussit à traduire une approche profondément sensuelle, le lecteur ou la lectrice vois-goûte-touche de concert avec la pieuvre et se laisse porter par les mouvements des flots.

Nous ne sommes pas séparé.e.s du monde animal, il fait écho en nous au plus primitif, au plus primordial, dans le bouillonnement de notre sang et les flux du monde qui nous traversent et avec lesquels nous nous entretissons.

Ce roman est profondément original, il fait commencement. Tricoter des seins pour se réparer n’est pas la moindre des surprises que vous y trouverez. Vous ferez connaissance aussi avec les tribulations d’un jeune phoque.

Autour de vous, la Tasmanie, et l’Océan, profondément sauvage, dont le cœur battra avec le vôtre. Un étonnant voyage…

C’est l’observation d’un étrange phénomène de migration des pieuvres qui a servi de point de départ à ce roman, « prétexte à une réflexion sur la manière dont s’enchevêtrent parfois les vies des hommes et celles des animaux. »

« Mêlés dans un même nid de ronces » – Les roses sauvages – Carole Martinez

Editions Gallimard, 2020 – Collection folio n°7036

« Nous faisons nos choix en lisant, Lola sera un bouquet composé à partir de quelques mots écrits et de vos propres souvenirs, de vos matériaux intimes. Elle sera notre œuvre commune, notre enfant, conçue dans le mitan du livre où nous dormons ensemble, lecteur et auteure, mêlés dans un même nid de ronces. »

De ces frontières poreuses entre le livre et moi, j’ai franchi le seuil de la chambre de Lola, postière  boiteuse et solitaire. Je contemple l’armoire bretonne qui palpite, je sens son odeur de vieux chêne, elle bat de ses cœurs en tissus, amassés là, sur les étagères. Les secrets qui les habitent bruissent dans la pièce, petite mélodie invisible, les mots se pressent, comme des lèvres sur le tissu, amoureusement.

L’autrice regarde elle aussi, entrebâille l’armoire, afin que l’histoire puisse commencer. Mes doigts incertains tournent les pages du livre.

Il faudra bien que ce cœur saigne, qu’il s’ouvre, afin que le monde retrouve sa cohérence. Que les mots s’en échappent, voraces, en équilibre sur un fil qui à chaque fois se déroule et menace de casser.

« De l’écriture à la lecture, tout circule, de l’auteur au personnage et du personnage au lecteur, les frontières sont poreuses ».

L’histoire de ces femmes, sauvages et libres qui reprennent possession de leur corps, trament et tissent notre féminin, le féminin du monde, sans lequel rien n’advient, tremble comme une image à la surface de l’eau. Y affleurent les tourments de l’autrice, sa vie aux prises avec l’inquiétude et la fragilité de l’amour.

« Je me suis réfugiée ici, dans cette histoire, pour fuir la mort de l’amour éternel. »

Ce danger de la page, de ce qui pourrait « nous sauter à la gorge et nous étouffer » si nous ne prenions pas garde, si la page et le livre nous absorbaient tout à fait dans la profondeur de ses mystères, et que l’univers réel perde ses contours, se dilue et se crevasse.

La nécessité d’une amarre, de l’amour, de n’importe quel amour … qui puisse solidement nous tenir.

Avec Carole Martinez, lire est faire œuvre commune, « mêlés dans un même nid de ronces », c’est entamer une conversation qui se poursuit de livre en livre, qui jamais ne cesse et toujours s’approfondit, se creuse, se fait, et se défait, pour renaître encore et encore.

Parole d’autrice : Carole Martinez

« Un roman n’est pas un mensonge, puisqu’il ne se présente pas comme la vérité, même s’il s’en donne les apparences. il peut pourtant contenir plus de réalité qu’un témoignage, permettre de toucher à l’intime, de dire ce qui ne saurait être dit autrement. »

« Dans le silence de mes cahiers, un monde a germé qui ressemble plus ou moins au nôtre, un monde fait de bric et de broc, mon héroïne s’y niche entre les lignes, et peu importe si j’use de tiges de ronces pour dire les liens profonds qui la ligotent, d’un peu de suie pour dessiner ses yeux, de morceaux de ferraille pour lui bricoler un corps. »

in « Les roses fauves », Editions Gallimard 2020

Maria Primachenko – artiste ukrainienne

Le Nüshu, une écriture-femme en Chine

Une conférence passionnante ! Du textile au texte : tisser son émancipation.

Le Nüshu est « l’écriture des femmes », un système d’écriture exclusivement utilisé par les femmes du district de Jiangyong dans la province du Hunan en Chine.

En dehors de la conférence de Loan Diaz, présentée ici , vous trouverez d’autres informations en cliquant sur ce lien : Nushu, une écriture féminine sur le site LTL Mandarin school.
  •  (nǚ) signifie « femme »
  •  (shū) signifie « écriture » ou « style d’écriture »

Créée au XVème siècle, le Nüshu est une écriture inventée par les femmes, pour les femmes, que les hommes ne peuvent pas comprendre.

Ce n’est pas une langue puisqu’elle n’est pas parlée. Elle est la seule écriture au monde spécifique aux femmes.

Les femmes et la littérature : Carole Martinez

Je suis très très lente, je mets près de dix, quinze ans pour un roman, en fait, entre le moment où je commence à raconter et la fin de l écriture. Parce qu’avant d écrire,  je raconte, et mon histoire mûrit dans les yeux des gens auxquels je la raconte. Et c’est dans leur écoute, que je trouve la force et le désir d’aller plus loin. Je suis une conteuse, je fais ma Shéhérazade, et il y a des gens extraordinaires,  à qui on a envie de raconter plus longtemps. Alors on va plus plus loin, et l on se dit, il ne faut pas oublier ce qu’on vient d inventer pour eux . En général, je ne note pas, et si ça ne tient pas, c’est que l’histoire n était pas assez forte, mais petit à petit, normalement l’histoire se fait comme ça. Quand finalement je me mets à écrire, il se passe autre chose, et c’est assez étonnant d’ailleurs car l’histoire écrite n’est pas celle que j’ai racontée. C’est le fil même de l’écriture qui va me conduire ailleurs.

Carole Martinez, Meulan-en-Yvelines, le samedi 9 avril 2022

Lire pour l’Ukraine / Żanna Słoniowska  – Une ville à cœur ouvert/ Lviv

Żanna Słoniowska  – Une ville à cœur ouvert – Editions Delcourt, 2018, pour la traduction française, roman traduit du polonais par Caroline Raszka-Dewez

Nous assistons, impuissant.es au martyr de nombreuses villes ukrainiennes et à la souffrance de leurs habitants, quand ce n’est pas leur mort par dizaines, par milliers. Ce roman a pour personnage principal une ville d’Ukraine qui, au cours de l’Histoire, a été le théâtre d’affrontements entre différents états, jouet de leur désir d’hégémonie et de puissance. Ella a été tour à tour polonaise, autrichienne, russe puis enfin ukrainienne avant d’être aujourd’hui à nouveau prise dans la tourmente de la guerre.

Située à moins de cent kilomètres de la frontière polonaise, Lviv (Lwów en polonais) et Lvov en russe. Selon la traductrice, Caroline Raszka-Dewez, son nom se prononce « Li’viv » avec un L initial au son mouillé. L’autrice écrit en polonais.

 Ce roman a reçu le prix Conrad Award.

L’histoire de la ville est racontée à travers quatre destins de femmes, intimement liée, chacune, aux bouleversements politiques de l’Ukraine. Des combats polono-ukrainiens de 1918 à la russification à marche forcée, de la Renaissance fusillée par Staline (purges d’écrivains ukrainiens), à la suppression dans les dictionnaires de nombre de mots d’origine ukrainienne, afin que la langue se rapproche du russe.

Elle débute en 1988, alors que Marianna meurt, abattue lors d’une manifestation antisoviétique. Le drapeau ukrainien est interdit, et le brandir lors d’une manifestation est passible d’arrestation, voire de mort. Le monde soviétique ne plaisante pas avec le nationalisme ukrainien. Tout comme le chant des fusiliers ukrainiens entonné par Marianna :

« Oh ! dans la clairière s’est couché l’obier rouge,

Notre glorieuse Ukraine est tout en peine… »

La ville souffre et porte les stigmates de la mort de Marianna. « Le jour de son enterrement, c’était comme si les accords de l’orchestre militaire allaient faire voler en éclat les façades qui, tels de gros gâteaux à la crème, ornaient les édifices de notre rue. »

L’histoire entre dans les vies de ses habitants « en forçant portes et fenêtres »

Chanteuse d’opéra, Marianna devient symbole de la ville martyr, pleurée par le peuple, par sa fille inconsolable et son jeune amant, Miko, scénographe.

Les plaques commémoratives poussent sur les murs comme des champignons, les balcons s’effondrent, la ville bat comme un cœur, gémit, exhibe ses pustules, perd ses membres.

Et comme partout, ce sont les pavés de la révolte  que l’on jette… Jusqu’à la victoire, qui au fond, n’est que provisoire.

Carole Martinez à Meulan-en-Yvelines, qu’on se le dise !

Samedi 9 avril à 15h, la bibliothèque multimédi@ et mon amie Karine reçoivent la romancière Carole Martinez pour son dernier roman Les roses fauves publié en 2020 chez Gallimard. Cette rencontre sera suivie d’une dédicace. Karine étant une très talentueuse intervieweuse, la rencontre sera forcément intéressante. L’écriture de Carole Martinez est belle, puissante. Elle fait partie de ces autrices qui ont fortement marqué le paysage littéraire français et dont je suis une lectrice assidue !

Entre autres, vous pourrez lire les chroniques de :

Coeur cousu

Du domaine des murmures

La terre qui penche

Entrée libre, il n’est pas nécessaire de l’avoir déjà lue pour assister aux échanges. INFOS au 01 30 95 74 23

Carole Martinez et Karine Josse

Oksana Zaboujko : « Nous avons été élevés par des hommes baisés de toutes parts »

Récit d’une relation passionnelle, entre un homme, un peintre ukrainien et une femme, la narratrice,  mais aussi entre une femme et un pays, ce roman raconte l’Ukraine dont l’Histoire est une tragédie.

Cette histoire d’amour vouée à la souffrance, à l’échec porte en elle l’histoire du pays qui a façonné les relations entre les êtres à travers l’humiliation et la souffrance.

Les rapports de domination d’un genre sur un autre sont aussi la métaphore de ceux d’un pays soumis à un autre . Un pays, qui de ce fait, flotte dans la « non-existence » d’une langue, d’une nation et d’une culture.

Ce roman a fait date dans l’histoire littéraire ukrainienne, car il traduit une nouvelle liberté dans l’écriture, une liberté syntaxique et stylistique, à travers une narration éclatée entre le je et le elle, d’un sujet engagé émotionnellement dans la narration, où en même temps il se regarde dans un essai de distanciation. En tout cas, c’est ainsi que je l’ai ressenti.

Iryna Dmitrytrychyn, sa traductrice, évoque dans sa postface, une narration qui semble « emmêlée dans le temps et l’espace ».

Le lecteur ou la lectrice ne savent pas toujours à quel moment se situe cette histoire, le passé et le présent s’entrechoquent, émaillés de considérations philosophiques et politiques sur l’histoire de l’Ukraine dé-colonisée.

Entre ce « je » et ce « elle », il y a ces « ils », l’histoire nationale, ses fractures, ses luttes et la façon dont elles influent sur les destins individuels et causent de profonds traumatismes.

Le destin individuel prend le pas sur le destin national dans la narration mais pourtant la vie de la narratrice implose sous les coups de boutoir de la violence politique qui rend impossible les relations d’amour entre soi et l’autre.

Les hommes subissent des traumatismes, des blessures qu’ils infligent à leur à leurs compagnes. J’ai ressenti cela aussi très fortement dans la littérature palestinienne.

La fidélité à la nation suppose la fidélité aux hommes qui se battent pour elle.

« Les traumatismes subis de génération en génération et la peur intériorisée rendent impossibles l’amour » affirme l’auteur selon sa traductrice.

«  Nous avons été élevés par des hommes baisés de toutes parts, et que c’est comme ça, que ces hommes vous baisaient à leur tour » écrit l’autrice.

                Lu aujourd’hui dans le fracas de la guerre, le texte est encore plus bouleversant : «  Dans la vraie vie les tragédies ne sont pas belles. »

Putain d’histoire, s’exclame-t-elle, qui recommence alors que ce peuple déjà tant éprouvé pensait qu’enfin c’était « derrière ».

Putain d’Histoire …

Paroles d’autrice : Oksana Zaboujko – Le peuple se meurt…

« Le peuple se meurt en esclavage, je le dis une nouvelle fois, je mâche et remâche cette pensée jusqu’à la perte complète du goût, tout pour arrêter cette douleur lancinante, comme le mauvais temps, comme les entrailles vides tous les mois – la survie prend rapidement la place de la vie, en dégénérant ? »

Zaboujko, Oksana. Explorations sur le terrain du sexe ukrainien, roman, trd. Iryna Dmytrychyn-Bonin, éditions Intervalles, Paris, 2015

Oksana Zaboujko est une romancière, philosophe et poétesse ukrainienne. Son oeuvre, marquée par ses engagements féministes, constitue une réflexion d’envergure sur l’identité ukrainienne et l’empreinte de l’Histoire sur les destins individuels. Publié en 1996, Explorations sur le terrain du sexe ukrainien a connu un immense succès et suscité d’intenses polémiques dès sa parution. Ce roman a été traduit en une douzaine de langues. –Ce texte fait référence à l’édition paperback.

Photo credit : wikipédia

Cette réflexion, tirée d’un roman paru en 1996, est d’une terrible actualité. Le malheur qui s’accroche au peuple ukrainien tout au long de son histoire, reprend une nouvelle vigueur :

Chacune de vos pauses-café « coûte une vie », lance l’écrivaine ukrainienne Oksana Zaboujko devant le Parlement européen à Strasbourg, le 8 mars 2022 ( source AFP/Frederick FLORIN) 

Laissez-nous chanter ! Lessia Oukraïnka (1871-1913)

Lessia Oukraïnka

« Grands noms et grandes voix! De leur bruit sonore l’univers retentit!.. Certes, la faible voix d’une esclave qui chante n’aura pas la gloire d’attirer l’attention de ces grands demi-dieux à la tête couronnée de lauriers et de roses. Mais nous autres, pauvres poètes des cachots, nous sommes habitués aux chants sans échos, aux prières inexaucées, aux malédictions vaines, aux larmes inconsolées, aux gémissements sourds. On peut tout comprimer hors la voix de l’âme, elle se fera entendre dans un désert sauvage si ce n’est dans la foule ou devant les rois. Et le front qui n’a jamais connu de lauriers n’en est pas moins fier, n’en est pas moins pur, il n’a pas besoin de lauriers pour cacher quelque opprobre. Et la voix qui n’a jamais éveillé l’écho d’or n’en est pas moins libre, n’en est pas moins sincère, elle n’a pas besoin de célèbres interprètes pour se faire bien comprendre.

Or, laissez nous chanter, le chant est notre seul bien, on peut tout comprimer hors la voix de l’âme. »

Laryssa Petrivna Kossatch-Kvitka (en ukrainien : Лариса Петрівна Косач-Квітка), née le 13 février 1871 àNovohrad-Volynskyï en Ukraine, et morte le 19 juillet 1913  à Surami en Géorgie, plus connue sous le nom de Lessia Oukraïnka (ukrainien : Леся Українка), est une écrivaine, critique et poétesse ukrainienne, engagée activement en politique et en féminisme (source Wikipédia)

Le texte est extrait de L’encyclopédie de la vie et de l’oeuvre de Lessia Oukraïnka

Autrices ukrainiennes – Lutter pour écrire, écrire pour lutter

La littérature en langue ukrainienne a été profondément liée aux soubresauts de l’Histoire, souvent reléguée comme langue secondaire par la domination étrangère quand elle n’a pas été tout simplement interdite. Dès 1920, dans l’Ukraine de l’Ouest, naît un mouvement qui considère la langue ukrainienne comme un patrimoine culturel à préserver et participant à l’identité. Staline organisera une répression féroce contre les écrivains engagés pour une identité ukrainienne dans les régions soumises à la Russie, emprisonnés au goulag puis fusillés.

Le blog lettres ukrainiennes présente un panorama des oeuvres littéraires et à travers un diaporama  » Les dispositifs narratifs de la mise en (in)visibilité des « grandes femmes » de la littérature ukrainienne par Galyna DRANENKO.

Maria Markovytch, sous le pseudonyme de Marko Vovtchok, est l’une des premières femmes de lettres ukrainiennes. Elle a fait un véritable travail d’ethnographe, recueillant le folklore, les chansons, qu’elle réutilisa dans ses écrits. Elle écrivit des histoires courtes dont l’une assurera sa postérité : Maroussia est l’ histoire d’une petite Ukrainienne du XVII° siècle, qui se sacrifie pour la liberté de son pays au moment des luttes contre Russes, Polonais et Turcs. P. J. Stahl reprendra cette histoire pour en faire un roman qui sera régulièrement réédité jusque dans les années 80.

Lina Kostenko est une autre des figures féminines de la littérature ukrainienne dont l’œuvre a été censurée à partir des années 60. Elle participa au mouvement dissident des poètes ukrainiens. Elle a reçu en 2012, le titre d’ « écrivain d’or de l’Ukraine » à titre de réhabilitation et de reconnaissance.

Si les femmes durent s’imposer pour écrire, leurs oeuvres furent également, pour certaines, une manière de lutter contre les dominations étrangères.

1800-1850 : Marko Vovtchok (1833–1907), nom de plume de Maria Aleksandrovna Vilinska, romancière, nouvelliste, traductrice /Olena Ptchilka (1849–1930), poète, ethnographe, traductrice

Photo credit : wikipedia domaine public

1850-1900 : Natalia Kobrynska (1851–1920), nouvelliste et éditrice/ Dniprova Tchaïka  (1861–1927), poète, nouvelliste, écrivaine pour enfants/ Lioubov Ianovska  (1861–1933), nouvelliste, romancière, dramaturge/ Hrytsko Hryhorenko  (1867–1924), nom de plume d’Olexandra Soudovchtchykova-Kossatch, poète, nouvelliste, traductrice, journaliste/ Levhenia Iarochynska  (1868–1904), journaliste, nouvelliste, traductrice, éditrice/ Lessia Oukraïnka (1871–1913), poétesse, dramaturge, critique littéraire, essayiste / Marika Pidhirianka  (1881–1963), poétesse, écrivaine pour enfant

1900-1950 : Olena Teliha (1906–1942), romancière, nouvelliste, dramaturge, traducteur, critique littéraire/ Sophie Jablonska (1907-1971), récits de voyage/ Vira Vovk (1926-), poète, romancière, dramaturge, traductrice/ Lina Kostenko (1930-), poétesse, romancière, écrivaine pour enfants/ Emma Andiyevska (1931-), romancière, poétesse, nouvelliste/ Nina Bitchouïa (1937-), romancière, écrivaine pour enfants/ Iryna Jylenko (1941-), poétesse, nouvelliste, écrivaine pour enfants/ Lydia Grigorieva (1945-), poétesse/ Lioudmyla Skyrda(1945-), poétesse, traductrice, critique littéraire / Olena Tchekan (1946-2013), actrice, scénariste, éditrice, journaliste politique, activiste sociale, nouvelliste, éditorialiste, essayiste, féministe, humaniste 1950-2000 : Oksana Zaboujko (1960-), romancière, poétesse, essayiste / Anna Shevchenko (1965), romancière, linguiste, interprète/ Marina Yuryevna Diatchenko-Shyrshova (1968-)/ Natalia Sniadanko (née en 1973), romancière, nouvelliste, journaliste, traductrice/ Svitlana Pyrkalo (1976-), romancière, essayiste, éditrice, journaliste/ Maryna Sokolian (1979-), romancière, nouvelliste, dramaturge/ Sofia Androukhovytch (1982-), romancière, traductrice, éditrice/ Kateryna Kalytko (1982-), poétesse, écrivaine, traductrice

Paroles de poétesse : Anne Sexton

Anne Sexton, détail

« Si j’écris rats et je découvre que rats lit star à l’envers […] alors est-ce que star n’est pas vrai ? […] Je sais bien sûr que les mots sont un jeu qui raconte, je le sais jusqu’à ce qu’ils commencent à s’arranger de sorte qu’ils écrivent quelque chose mieux que je ne pourrais jamais le faire. […] Tout ce que je suis est l’artifice des mots s’écrivant eux-mêmes. » Lettre au Dr Orne, D. W. Middlebrook p 82

 » If I write RATS and discover that rats reads STAR backwards […] then is star untrue ? Of course, I KNOW that words are just a counting game, I know this until the words start to arrange themselves and write something better than I would ever know. […] All I am is the trick of words writing themselves. »

Anne Sexton, « Tu vis ou tu meurs », oeuvres poétiques (1960-1969) » bientôt disponible en France

Et nous sommes de la magie se parlant à elle-même,

bruyante et solitaire. Je suis la reine de tous mes vices

oubliés. Suis-je toujours égarée ?

Jadis j’étais belle. Maintenant je suis moi-même,

comptant des mocassins rangée après rangée

sur l’étagère muette où ils continuent d’espérer

Cela faisait des années que j’attendais cela, et ce sont les Edition « des femmes – Antoinette Fouque » qui ont réalisé ce rêve de voir enfin traduites, en France, les oeuvres poétiques d’Anne Sexton ! Prix Pulitzer en 1967 pour « Live or Die », immense poétesse qui devint une figure marquante du confessionalisme américain incarné par le poète Robert Lowell, Anne Sexton(1928-1977) est l’autrice d’une oeuvre poétique composée de plus d’une dizaine de recueils. Elle s’est vue décerner de nombreux titres honorifiques dans des universités telles que Harvard, Colgate ou encore Boston.

Son style est novateur et transgressif, d’une incroyable modernité, les menstruations, l’avortement, le lien matriciel ou l’inceste et la psychanalyse sont parmi les thèmes de cette poésie iconoclaste. Poétesse tourmentée, à la biographie parfois polémique (voir Diane Wood Middlebrook, Anne Sexton, a biography), qui finira par se suicider, à l’instar de Sylvia Plath, et dont le poème « Mercy Street » a fait l’objet d’une chanson par Peter Gabriel, son oeuvre mérite d’être davantage connue en France.

Le 13 janvier 2022 paraîtra « Tu vis ou tu meurs », oeuvres poétiques (1960-1969) », traduit de l’anglais par Sabine Huynh, et présenté par Patricia Godi. Cette édition réunit les quatre premiers recueils d’Anne Sexton (1928-1977) publiés dans les années soixante.

« Chaque être en moi est un oiseau.
Je bats toutes mes ailes.
Ils voulaient te retrancher de moi
mais ils ne le feront pas.
Ils disaient que tu étais infiniment vide
mais tu ne l’es pas.
Ils disaient que tu étais si malade que tu agonisais
mais ils avaient tort.
Tu chantes comme une écolière.
Tu n’es pas déchirée. »
A. S., Pour fêter ma matrice

Anne Sexton

Timeless – Rupi Kaur – Recueil « Le soleil et les fleurs »

Alina Nelega Comme si de rien n’était/ le silence des mots

Alina Nelega Comme si de rien n’était, traduit du roumain par Florica Courriol, 2021, des femmes-Antoinette Fouque

La littérature roumaine possède une extrême vitalité, déjà éprouvée avec Gabriela Adamesteanu et Adina Rosetti , Marta Petreu, et pour la poésie avec la grande poétesse Ana Blandiana.

Alina Nelega, revisite la dernière décennie de la dictature Ceausescu à travers le destin de deux femmes, Nana et Cristina, dont les amours interdites par le régime  ne peuvent se vivre qu’à travers la clandestinité dans une société extrêment corrompue où tout se monnaye à coups de billets et de faveurs sexuelles.

A la violence étatique répond la violence d’une société extrêmement patriarcale, qui s’amplifient l’une l’autre, créant un enfermement, une peur sourde, rampante, quotidienne qui mine le fond des êtres, leur intériorité, jusqu’à leurs corps même.

Alina Nelega en démonte les mécanismes, car ce n’est pas de la terreur, non, mais « une brume légère qui descend peu à peu, invisible au début, telle une toile d’araignée qui se tisse dans un coin et qu’on ne remarque pas, puisqu’elle s’étend à chaque instant sans se faire remarquer. »

En effet, dans cet univers de faux-semblants où aucune parole sincère ne peut s’émettre, tout se passe comme si de rien n’était. Il faut faire comme si tout était normal, les coupures d’électricité, les magasins vides, l’interdiction de voyager et tutti quanti.

Cristina est adolescente dans les années 1980 et a une passion pour l’écriture. Mais comment écrire avec cette censure permanente ? Elle ne cesse d’écrire dans sa tête même lorsque ses mains, ses doigts restent silencieux, engourdis, pris dans la toile. Un texte, des mots, sont autant de preuves contre vous dans une société où existent les mots autorisés et les autres.

Elle aime Nana qui entreprend des études de théâtre dans un répertoire cadenassé, limité le plus souvent au folklore. Tout devient subversif dès lors qu’on ne respecte pas les codes, arbitraires, parfois absurdes et changeants fixés par le régime.

Les mots restent donc silencieux, ne peuvent ni s’inscrire dans le corps, ni se vivre, sinon dans des échanges mesurés, surveillés, commentés.

La sécuritate règne, et traque les mots interdits, dans une société verrouillée où l’on est parfois à soi-même son propre tombeau, enfermé dans une intériorité comme un no man’s land.

Le talent d’Alina Nelega est de dynamiter les tabous, avec une extrême précision narrative, même si elle cultive parfois l’ellipse, l’allusion (mais n’est-ce pas ainsi dans cette société qu’elle décrit et où tout se dit de manière détournée ?) dans un style contemporain et novateur, où des changements d’angle surviennent dans le récit, où les prises de paroles peuvent se fondre dans la narration, sans tiret, et le dialogue passer parfois du discours direct au discours indirect, créant une fluidité entre l’intérieur et l’extérieur, le dialogue, et le monologue intérieur,  une étrangeté qui rend ce style très poétique.

J’ai vraiment pris le temps de lire ce livre, de le laisser et d’y retourner, de lire et de relire.

Un beau texte.