Archives pour la catégorie L’écriture des femmes

Paroles de femmes – Catherine Mavrikakis

catherine

« Comment écrivez-vous?

N’importe où : dans mon lit, sur la table de cuisine, dans la voiture (je ne conduis pas…), en voyage, chez moi, chez les autres. N’importe quand : dès que j’ai vingt minutes. N’importe comment : avec une plume, dans un carnet, avec un crayon, sur une feuille qui traîne dans mon sac ou encore directement sur mon ordinateur. L’idéal se serait d’avoir un rituel très tôt le matin, à mon bureau, devant mon clavier. J’y arrive parfois, mais la plupart du temps, je dois voler les mots au passage.

Pourquoi écrivez-vous?

Je ne sais pas. Je dis toujours que cela ne durera pas, que je n’en aurai pas envie plus tard. Pour l’instant, j’écris de façon très égoïste. Pour me faire signe. Pour voir si je suis là. Je frappe à ma propre porte et tant mieux si je me dérange.   »

extrait d’une interview passionnante à lire dans Catherine Mavrikakis en six questions – L’EXPRESS

Paroles de femmes : Siri Hustvedt

Siri

« Je ne me pense pas d’abord comme une femme. Ma réalité intérieure est bien plus complexe. Je me sens habitée par de multiples voix, de multiples personnes, des forces qui sont à la fois masculines et féminines. Je ne me sens limitée à aucune identité sexuelle. »

Interview Madame Figaro

Beaucoup de femmes lisent de la fiction. La plupart des hommes, non. Si un homme ouvre un roman, il aime voir sur la couverture un nom masculin ; cela a quelque chose de rassurant. […]. En outre, les hommes se vantent volontiers de négliger la fiction : « Je ne lis pas de romans, mais ma femme en lit. » De l’imagination littéraire contemporaine émane, semble-t-il, un parfum nettement féminin. Rappelez-vous Sabbatini : nous autres femmes, nous sommes douées pour le verbe. Mais à dire vrai, nous avons été consommatrices enthousiastes du roman dès sa naissance, vers la fin du XVIIe siècle, et, à cette époque, lire des romans vous avait un arôme de clandestinité. […] lire est une activité privée, souvent exercée derrière des portes fermées. Une jeune dame pouvait se retirer avec un livre, pouvait même l’emporter dans son boudoir et là, étendue sur ses draps de soie, tandis qu’elle s’imbibe des passions et frissons manufacturés par la plume d’un écrivain polisson, l’une de ses mains, pas absolument indispensable pour tenir le petit volume, pourrait s’égarer. »

Un été sans les hommes,  2011

Paroles de femmes : Edna O’Brien

Edna-O-Brien

Je crois que cette chose mystérieuse qui fait de l’un des membres d’une famille un écrivain, alors que les autres ne le sont pas, tient au fait qu’un écrivain est un écrivain avant même d’être capable de parler. L’histoire d’amour et le combat avec les mots viennent plus tard. Il faut ensuite être capable de se retirer en soi-même. Tous les auteurs que j’aime ont dû faire retraite en eux-mêmes. Ceux qui n’en sont pas capables peuvent certes écrire un bon livre, mais ils n’en écriront pas d’autres, car ils se laisseront tenter par le monde.

Je crois profondément que, pour écrire, il faut être perturbé. Sinon, pourquoi voudrait-on écrire ? Ce n’est pas une occupation naturelle, c’est une occupation obsessionnelle, névrotique, et surtout solitaire. Je crois que les écrivains sont plus perturbés que les peintres par exemple, car leur travail est uniquement mental alors que celui des peintres contient au moins une part physique. Je suis convaincue qu’écrire correspond à une tentative, à un besoin de créer un monde dont vous savez qu’il n’existe pas. Je crois que l’écrivain essaie toujours d’écrire quelque chose qu’il est à peine capable d’écrire, ou peut-être incapable d’écrire. Même quand vous tenez les mots les plus brillants, il reste toujours un obstacle infranchissable pour arriver à la perfection. Et cela rend impossible toute existence heureuse. Je pense toutefois que les écrivains expérimentent des moments d’extra-lucidité. Ces moments où vous essayez de faire quelque chose, vous y arrivez presque mais pas tout à fait, et soudain ça y est : vous avez obtenu ce que vous ne croyiez pas pouvoir obtenir, et cela est extraordinaire.

propos recueillis par  Alexis Liebaert. L’intégralité de l’interview a été publiée dans le numéro 501 du Magazine Littéraire en octobre 2010.

Des femmes et de l’écriture das le bassin méditerranéen

« Qu’il soit prise directe avec soi-même pour compenser des manques, ou affrontement avec les mots, ou même dénonciation d’un ordre établi, le roman écrit par des femmes est une mise à feu, un règlement de compte avec un monde créé par l’homme aux mesures de l’homme qui a inventé la guerre, hérissé la planète de barbelés et fait croire à la femme qu’elle n’a pas de valeur en dehors de lui. »

 

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Résumé de l’éditeur

 

Le pouvoir de l’écriture qui soulève le problème du rapport des sexes sera une compensation à un pouvoir politique féminin souvent absent sur les deux rives de la Méditerranée, en particulier sur la rive Sud. Des littéraires, linguistes, philosophes, psychologues, sociologues, anthropologues, juristes, et journalistes ont examiné et analysé dans des approches pluridisciplinaires l’écriture des femmes du bassin méditerranéen donnant aux lecteurs et lectrices qui s’interrogent sur le sujet des outils de réflexion qui leur permettront d’alimenter leur propre travail. Un ouvrage dirigé par Carmen Boustani et Edmond Jouve.

Paroles de femmes : Sahar Khalifa

Sahar Khalifa portrait

As a female writer, I believe that I was able to really dig into different aspects of Palestinian society. Few men can do likewise, because when you look into a mirror you do not want to see how ugly you are. You do not want to see the dimension of things. Men are not used to taking a brave look at things that might hurt their soul. A woman on the other hand, is different. This is because of her education, and how she is raised as a marginal being and an outsider. She is accustomed to look at things not in a glorified manner, but in a more realistic one. However, this does not mean that all women writers see this reality. Several neglect their unprivileged role in society and ignore in the process all marginal people, because they think that they are leaders and have become part of the elite. A woman writer has to have feminist awareness not an ideology. Middle class people can afford to sit and write anything and produce beautiful pieces, but unfortunately this is not the reality of our society. 

En tant que femme qui écrit, je pense avoir été capable de creuser les différents aspects de la société palestinienne. Peu d’hommes ont pu faire la même chose, parce quand vous vous regardez dans un miroir, vous n’avez pas envie de voir combien vous êtes laid. Vous ne voulez pas voir la réalité des choses. Les hommes n’ont pas le courage de regarder en face les choses qui pourraient les blesser. Une femme est tout à fait différente. Cela est dû à son éducation, à la façon dont elle est marginalisée, considérée comme une outsider. Elle a l’habitude de voir les choses comme elles sont, dans leur trivialité. Cependant , cela ne veut pas dire que toutes les femmes écrivains voient cette réalité. Beaucoup ne tiennent pas compte de leur rôle mineur dans la société, et du coup ignorent les marginaux, parce qu’elles pensent qu’elle font partie de l’élite, de ceux qui décident. Une femme écrivain doit avoir une conscience féministe sans s’enfermer dans une idéologie. Les gens de la classe moyenne peuvent se permettre de s’assoir et  d’écrire tout ce qu’ils veulent et créer de belles choses, mais malheureusement ce n’est pas la réalité de notre société.

extrait d’une interview donnée The Star, Jordania, 1998 Interview

Féminismes – La littérature et les femmes au Japon

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« Au Japon les femmes ont grandement contribué à l’élaboration de la littérature classique aux environs de l’an mille. Après une longue éclipse, ce n’est en revanche qu’à l’époque moderne qu’elles réapparaissent et transforment à nouveau le paysage littéraire de leur pays. Comment brisèrent-elles ce silence ? En abordant quels thèmes et en faisant face à quel type de fonctionnement social et moral ? Peut-on lire dans l’évolution de la littérature féminine le reflet de l’évolution de la condition féminine ? Est-il possible de dégager une tendance générale chez les auteurs femmes d’aujourd’hui ? Cet article examine chronologiquement (de 1868 à nos jours) ces différents points. Il s’ouvre et se referme sur une réflexion concernant la notion de « littérature féminine » au Japon. »

 

Claire Dodane « Femmes et littérature au Japon », Cahiers du Genre 3/2006 (HS n° 1), p. 197-218.
URL : www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2006-3-page-197.htm.

Des femmes en littérature – Martine Reid

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Je me rends compte aujourd’hui que je ne me suis jamais demandé pourquoi j’étudiais uniquement les œuvres d’auteurs masculins à l’école et que pratiquement aucun nom d’auteur féminin ne me venait à l’esprit quand je considérais les siècles passés. Je pensais certainement comme beaucoup que les femmes avaient très peu écrit à cause de leur condition qui le leur interdisait et du manque d’éducation. Il fallait attendre la libération des femmes et Simone de Beauvoir  pour que les femmes aient pleinement accès à l’écriture.

Je comprends aujourd’hui que l’effacement progressif des femmes dans l’histoire littéraire a été un acte politique au sein de sociétés où des rapports de domination s’exerçaient au détriment des femmes.

Simone de Beauvoir elle-même méconnaît cette histoire, considérant que l’exercice de la littérature est essentiellement masculin et que les femmes avant de prétendre être les égales des hommes dans ce domaine doivent se libérer de leurs servitudes (les tâches domestiques, la maternité, etc). Sa position universaliste lui interdit l’exploration et la réflexion sur le genre comme condition d’accès à la littérature. Elle ne cherche pas à déconstruire les concepts, à envisager leur phallocentrisme.

Ce n’est que dans les années 70 avec Hélène Cixous et Luce Irigaray que l’écriture sera interrogée dans son rapport au corps féminin, non pour l’y circonscrire mais pour en transcender les limites. Grâce aux études anglo-saxonnes, l’histoire des femmes sera réévaluée dans tous les domaines de la création. Il ne s’agit pas de chercher une écriture propre aux femmes mais de comprendre comment leur histoire et leur condition a influé non seulement sur leur création mais aussi sur la réception de leurs œuvres et comment ces œuvres ont été marginalisées.

Mais pour cela fallait-il encore que les femmes écrivissent, ce qui n’était pas évident tant on les en décourageait. D’ailleurs les rares femmes qui écrivaient étaient au XVIIe des nobles puisque seules celles-ci avaient reçu une éducation qui même si elle était relativement pauvre dans les couvents de l’époque ne leur en donnait pas moins les rudiments de la lecture et de l’écriture. Celles qui avaient cette prétention subissaient la pression symbolique de toute une société patriarcale qui considérait que non seulement les femmes n’avaient ni suffisamment d’esprit ni assez d’éducation pour le faire mais qu’elles risquaient à cause de leur activité littéraire abandonner leurs tâches domestiques et négliger leur foyer et leurs enfants. Elles devenaient ainsi des putains et des monstres.

Mme de Staël le remarque déjà, les femmes risquent « se distraire de leurs devoirs naturels et entrer en rivalité avec les hommes. »

Une femme doit savoir rester à sa place et être digne des qualités propres à son sexe : pudeur, réserve et discrétion et ne pas devenir une sorte de prostituée par la publicité qui est offerte à son nom lorsqu’elle devient auteure.

Il s’agit de maintenir les femmes dans le domaine étroit de la vie domestique. Certains proposeront même au lendemain de la Révolution de les empêcher d’apprendre à lire. L’espace littéraire se définit ainsi comme un champ de forces dans lequel jouent à plein des rapports de domination et de sujétion.

Mais lorsque les femmes malgré toutes les pressions qu’elles subissent s’obstinent à écrire, une autre stratégie consiste à les cantonner dans des styles et des genres qui les empêchent de rivaliser vraiment avec les hommes.

Des tentatives sont ainsi faites de définir une écriture féminine ou des genres dans lesquels la femme auteure excellerait du fait de sa nature. Les femmes auteures elles-même vont dans ce sens comme Germaine de Staël qui remarque que les femmes excellent dans les œuvres d’imagination et la peinture des sentiments.

Ainsi c’est entendu depuis le milieu du XVIIe siècle, les caractéristiques naturelles de la femme, sa vivacité, sa mobilité, sa sentimentalité et son goût du détail impriment à son écriture les caractères indélébiles de son sexe !

Une chambre à soi – Virginia Woolf

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Virginia Woolf – Une chambre à soi – Denoël 1977

En 1928, chargée de faire l’ouverture d’une conférence sur le féminisme en traitant du thème « Les femmes et le roman », Virginia Woolf évoque dans ce court pamphlet, comment les femmes, placées sous la dépendance spirituelle et économique des hommes, ont été empêchées d’écrire.

Dans ce livre, on entend véritablement la voix de Virginia Woolf. Peut-être parce qu’il a été écrit pour être dit et possède de ce fait une oralité propre. Une voix vibrante, exaspérée parfois, ironique. Une voix bouleversante et quelquefois prophétique. Un texte qui redonne sa mémoire aux femmes, qui les lie à cette lignée d’ancêtres, à cette longue lignée de femmes épouses, ménagères, filles, mères,  et qui ne furent  rien d’autre que cela.

Elle imagine parcourir les rayons d’une bibliothèque à d’Oxbridge, lieu imaginaire, où seuls les étudiants et les professeurs ont le droit de marcher sur la pelouse, les femmes devant se contenter du gravier. Et elle témoigne de sa propre colère devant les déclarations de ce professeur qui encore en son temps stipulent que les femmes sont intellectuellement, moralement et physiquement inférieures aux hommes. Elle s’interroge : pourquoi cet homme est-il ainsi en colère contre les femmes ? S’il insiste ainsi sur leur infériorité, n’est-ce pas pour prouver sa propre supériorité et ainsi établir son autorité ? Et la femme n’est-elle pas ce miroir indispensable dans lequel il peut contempler son incontestable supériorité ?

Accéder à l’égalité des droits et des statuts est se libérer de cette tutelle qui vous assigne à la seule fonction de miroir pour devenir soi-même maître de sa vie et de ses choix. Pour cela, les femmes doivent accéder à l’indépendance économique et financière qui permet de décider des orientations de sa propre existence. Une femme qui veut écrire doit posséder les moyens d’assurer sa subsistance pendant qu’elle écrit et qu’elle n’est pas encore publiée. Elle doit aussi posséder une chambre à elle, un lieu où elle peut se réfugier pour travailler sans être interrompue. D’ailleurs, elle explique que c’est une des causes de la prédilection des femmes pour le roman : on peut l’écrire dans une pièce commune, où l’on vous interrompt fréquemment car son écriture nécessite moins de concentration que la rédaction d’un essai.

Elle remarque que si les personnages féminins envahissent la littérature écrite par les hommes, les femmes, elles, sont étrangement absentes de l’Histoire. On n’a pratiquement aucun témoignage des femmes avant le XVIIIe siècle car elles n’écrivaient ni poèmes, ni mémoires, à peine quelques lettres. Il n’existe pas non plus, regrette-t-elle, d’Histoire des femmes qui pourrait nous renseigner sur les conditions d’existence de ces dernières mais ce qui est sûr c’est qu’elles étaient et mariées  et assujetties très tôt à tous les travaux domestiques.

Les quelques femmes qui auraient voulu se révolter et assumer une vie libre, n’auraient pas résisté à la pression psychologique, au déchirement, à la solitude, à la réprobation sociale et à l’exclusion qui en découle. Les femmes devaient se battre contre l’image qu’on leur renvoyait d’elles-mêmes car dès leur berceau, on leur assenait qu’elles étaient inférieures, qu’elles ne pouvaient faire ni ceci, ni cela. Comment être assuré de soi-même et de ses capacités dans ces conditions ?

Les femmes ont pu commencer à devenir des écrivains à part entière quand elles ont pu gagner de l’argent en étant publiées. C’est ainsi que Jane Austen et Emily Brontë purent écrire. Elles le firent à leur manière, comme écrivent les femmes,  dit Virginia Woolf et non comme des hommes. Elles furent sourdes aux conseils qui disaient aux femmes ce qu’il fallait écrire et comment. Virginia Woolf pense à son époque que l’esprit d’une femme est différent de celui d’un homme, bien qu’ils soient égaux en dignité et en valeur. Elle utilise la métaphore de l’allure et de la démarche. Ce que l’on vit, les épreuves que l’on traversent, travaillent l’esprit différemment, comme l’eau travaille le lit de la rivière. En ce sens,  il  y a bien une écriture féminine. Non qu’elle soit d’une essence différente mais seulement parce qu’elle est travaillée de l’intérieur par des sensations, des expériences intérieures, et des conditions de vie différentes. Elle a une vision parfois différente et élargie parce que ses expériences lui ouvrent des champs de possibles différents.

Mais il y a fort à parier que lorsque les femmes auront leur liberté de mouvement, elles répartiront différemment leurs ressources et leur énergie, et écriront différemment. Mais en femme de son temps, elle insiste plus sur les différences que sur les ressemblances et en matière d’éducation se révèle très conservatrice.

Les choses changent cependant, et il sûr qu’un jour les femmes pourront bénéficier d’une indépendance intellectuelle parce qu’elles accèderont à l’indépendance matérielle. Et Virginia Woolf prophétise : « Logiquement elles participeront à toutes les activités, à tous les emplois qui leur étaient refusés autrefois. » Elles auront alors une chambre à soi, où elles pourront écrire.