Alina Nelega Comme si de rien n’était, traduit du roumain par Florica Courriol, 2021, des femmes-Antoinette Fouque
La littérature roumaine possède une extrême vitalité, déjà éprouvée avec Gabriela Adamesteanu et Adina Rosetti , Marta Petreu, et pour la poésie avec la grande poétesse Ana Blandiana.
Alina Nelega, revisite la dernière décennie de la dictature Ceausescu à travers le destin de deux femmes, Nana et Cristina, dont les amours interdites par le régime ne peuvent se vivre qu’à travers la clandestinité dans une société extrêment corrompue où tout se monnaye à coups de billets et de faveurs sexuelles.
A la violence étatique répond la violence d’une société extrêmement patriarcale, qui s’amplifient l’une l’autre, créant un enfermement, une peur sourde, rampante, quotidienne qui mine le fond des êtres, leur intériorité, jusqu’à leurs corps même.
Alina Nelega en démonte les mécanismes, car ce n’est pas de la terreur, non, mais « une brume légère qui descend peu à peu, invisible au début, telle une toile d’araignée qui se tisse dans un coin et qu’on ne remarque pas, puisqu’elle s’étend à chaque instant sans se faire remarquer. »
En effet, dans cet univers de faux-semblants où aucune parole sincère ne peut s’émettre, tout se passe comme si de rien n’était. Il faut faire comme si tout était normal, les coupures d’électricité, les magasins vides, l’interdiction de voyager et tutti quanti.
Cristina est adolescente dans les années 1980 et a une passion pour l’écriture. Mais comment écrire avec cette censure permanente ? Elle ne cesse d’écrire dans sa tête même lorsque ses mains, ses doigts restent silencieux, engourdis, pris dans la toile. Un texte, des mots, sont autant de preuves contre vous dans une société où existent les mots autorisés et les autres.
Elle aime Nana qui entreprend des études de théâtre dans un répertoire cadenassé, limité le plus souvent au folklore. Tout devient subversif dès lors qu’on ne respecte pas les codes, arbitraires, parfois absurdes et changeants fixés par le régime.
Les mots restent donc silencieux, ne peuvent ni s’inscrire dans le corps, ni se vivre, sinon dans des échanges mesurés, surveillés, commentés.
La sécuritate règne, et traque les mots interdits, dans une société verrouillée où l’on est parfois à soi-même son propre tombeau, enfermé dans une intériorité comme un no man’s land.
Le talent d’Alina Nelega est de dynamiter les tabous, avec une extrême précision narrative, même si elle cultive parfois l’ellipse, l’allusion (mais n’est-ce pas ainsi dans cette société qu’elle décrit et où tout se dit de manière détournée ?) dans un style contemporain et novateur, où des changements d’angle surviennent dans le récit, où les prises de paroles peuvent se fondre dans la narration, sans tiret, et le dialogue passer parfois du discours direct au discours indirect, créant une fluidité entre l’intérieur et l’extérieur, le dialogue, et le monologue intérieur, une étrangeté qui rend ce style très poétique.
J’ai vraiment pris le temps de lire ce livre, de le laisser et d’y retourner, de lire et de relire.
Un beau texte.
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