Archives pour la catégorie ♥♥♥ – J’ai beaucoup aimé

La voix de tante Julia – Mario Vargas LLosa

la tante Julia et le scribouillard

Qui est donc cette tante Julia ? Julia a 32 ans, est bolivienne, et divorcée. Dans les années cinquante, au Pérou qui plus est, ce n’est pas une position enviable : « Ce qu’il y a de terrible pour une femme divorcée, ce n’est pas que tous les hommes se croient obligés de te faire des propositions, mais qu’ils pensent, puisque tu es une femme divorcée, qu’il n’est pas besoin de romantisme ».

Elle a sa beauté à elle, Julia, et son rire rauque, fort et joyeux lui fait ouvrir tout grand sa bouche, aux lèvres épaisses. Elle a aussi le sens de la répartie et raconte des histoires salées avec grâce. Mais la littérature, elle ne connaît pas, elle est même a-littéraire dit le narrateur, comme la plupart des femmes de son entourage. A peine si elle a lu quelques livres de Delly.

Elle est venue voir sa sœur au Pérou afin de « trouver » un mari. Elle est également la tante par alliance de « Varguitas » qui rêve de devenir écrivain mais poursuit « mollement » des études de droit pour faire plaisir à sa famille. Il travaille dans une radio dans laquelle il s’occupe des bulletins d’information quotidien.

Julia a un compatriote, Pedro Camacho qui écrit des feuilletons pour Radio central. Il a un très grand succès et ce sont des femmes pour la plupart qui l’écoutent.

D’ailleurs tous les bons ingrédients se retrouvent dans les feuilletons de Pedro : un peu de sexe, de la passion et des aventures. Les ficelles sont parfois un peu grosses mais le public en redemande.

Varguitas ne réussit pas à écrire, à peine a-t-il écrit quelques feuillets qu’il les froisse en boule et les jette à la corbeille. Pedro lui écrit tout le temps. Vivre est pour lui écrire.  Il est à la fois une parodie d’écrivain et en même temps « le seul qui, pour le temps consacré à son métier et l’œuvre réalisée méritait ce nom au Pérou ». Ses personnages de femmes, même s’ils sont parfois caricaturaux, sont souvent des personnages de femmes fortes, qui à un moment donné se révoltent, contre le mari, contre la société telle Dona Zoila et ses filles qui se révoltent et répondent aux coups du père ou cette jeune fille, Virago, qui joue dans les matches de rue, et possède autant d’agressivité que les garçons, ou ces prostituées qui sont délivrées un jour de leurs souteneurs.

Roman pour une partie autobiographique, Vargas Llosa, raconte ici comment il naquit à l’écriture à travers l’amour de Julia et la passion d’écrire et d’inventer de Pedro Camacho.

  J’ai beaucoup aimé la construction de ce roman, qui fait alterner les feuilletons radiophoniques de Pedro Camacho, à la fois mélodramatiques et grotesques, et l’histoire d’amour de Julia et Mario. J’ai souvent ri car ce roman est très drôle, toujours à la frontière du mauvais goût le plus total et tendre aussi car il raconte l’éveil amoureux d’un adolescent. La seule critique que je ferai peut-être est que je n’ai guère senti l’amour de Mario pour sa tante, l’émotion n’est pas venue de là mais davantage de l’histoire de Pedro Camacho, de son ascension et de sa chute.

Un très bon roman.

  Ce roman évoque le mariage de Mario Vargas LLosa avec Julia Urquidi Illanes, sa tante par alliance, à la fin des années cinquante. Elle était de dix ans son aînée et ils restèrent mariés une dizaine d’années. Elle l’aida beaucoup dans son métier d’écrvain.

vargas llosa urquidi 01Lecture commune avec   Hélène Choco

Lo que Varguitas no dijo

C’est la réponse de Julia Urquidi Illanes à Mario Vargas LLosa que l’on pourrait traduire par « ce que Vargas n’a pas dit ». Ils étaient respectivement âgés de 19 et 29 ans quand ils se marièrent en dépit de l’opposition de leur famille. Ils vécurent d’abord à Madrid où Mario Vargas LLosa avait obtenu une bourse pour un doctorat puis à Paris. Ils se séparèrent en 1964 quand Mario avoua par lettre à Julia qu’il était amoureux de sa nièce Patricia. Ce livre écrit en 1983, décrit un mariage perpétuellement en crise, et la jalousie terrible de Julia. Mais l’essentiel du livre n’est pas là; Julia raconte l’amour de Vargas LLosa pour la littérature, la façon dont elle le soutint et l’appuya quand il n’était pas encore connu. Il écrivit alors le livre qui sera publié quatre années plus tard sous le titre « La ville et les chiens ».

 

Eriko Nakamura – Naaande ?

Eriko-Nakamura

Nââânde !? Les tribulations d’une Japonaise à Paris de Eriko Nakamura NiL éditions, Paris 2012

Kikou Yamata représentait l’expérience d’une franco-japonaise, quelle meilleure idée que de goûter aux tribulations de cette Japonaise à Paris ? bien sûr, l’exercice est difficile, et elle n’évite pas toujours les clichés, mais l’ensemble est drôle et rafraîchissant. Et si parfois elle frôle la caricature c’est aussi pour nous divertir. Et j’avoue que ma lecture a été ponctuée d’éclats de rire !

 

Nââândé ! s’exclame-t-elle souvent devant les mœurs des parisiens, leur mauvaise humeur, leur grossièreté parfois. Cette interjection manifeste la stupéfaction et le trouble face à un comportement ou un acte jugé choquant. Et les occasions ne manquent pas, la politesse et l’extrême pudeur de mise dans l’éducation japonaise, le conformisme se heurtent souvent au laisser-aller, au sans-gêne de ces français qui « montrent leurs visages », expriment leurs émotions sans vergogne! Mais ces travers sont en partie compensés par la créativité, la convivialité, la chaleur humaine qu’Eriko aime par-dessus tout dans notre pays.

Et j’ai appris grâce à ce livre de nombreuses petites choses. Ainsi la politesse au Japon veut qu’on n’aborde pas les sujets politiques lors d’une soirée avec des amis de peur de les contrarier ou de mettre une mauvaise ambiance. A Tokyo, raconte-t-elle les grévistes marchent en silence sur une petite partie de la chaussée pour ne pas gêner la circulation et portent un brassard noir, tout comme ils débrayent aux horaires qui dérangent le moins les usagers.

En filigrane, elle souligne ainsi l’extrême rigidité de la société japonaise, son côté policé, où l’on apprend à ne pas montrer ses sentiments, cette façon d’être toujours sous contrôle qui engendre comme revers des comportements un peu inquiétants, une obsession et une sorte de fétichisme pour les lolitas un rien perverses et leurs petites culottes (qui se vendent comme des petits pains), les relations inexistantes entre les maris et leurs femmes.

Cette pression exercée sur les individus commence à l’école primaire où l’on passe des concours pour entrer dans une école prestigieuse et ceci jusqu’à la fin de ses études. Les japonaises sont souvent obligées de rester à la maison car les modes de garde pour les enfants sont quasiment inexistants ou très onéreux.

 

Donc si elle célèbre le civisme, la propreté, la politesse, la gentillesse des Japonais, elle en souligne aussi les excès en nous montrant l’envers du décor. Exquise politesse qui consiste à s’offusquer ouvertement des débordements des français pour mieux critiquer les excès de sa propre culture. A force de vouloir être « un mari convenable, un père modèle, un employé irréprochable » et d’accumuler les frustrations, l’homme japonais se coupe de véritables relations avec sa compagne parce qu’il ne parvient pas à exprimer ses désirs et à être suffisamment créatif pour trouver des solutions qui lui seraient personnelles. Un intéressant va-et-vient entre les deux cultures et un livre dont je vous conseille la lecture si vous aimez aussi les livres légers.

Colette, un génie féminin ? Julia Kristeva

Colette, un génie féminin

Elle est née en Bulgarie, travaille et vit en France depuis 1966. Linguiste, sémiologue, psychanalyste, écrivain, elle est professeur à l’Institut universitaire de France (classe exceptionnelle, 1999), professeur émérite à l’Université Paris 7 – Denis Diderot, et enseigne dans l’UFR de Lettres, en se consacrant tout particulièrement à la littérature du XXe siècle. Elle est, par ailleurs, membre titulaire de la Société Psychanalytique de Paris, et membre du groupe des personnalités qualifiées de la section des relations extérieures du Conseil économique et social.
Elle enseigne régulièrement à l’Université de Columbia et à la Newschool à New York, à l’Université de Toronto, ainsi que dans d’autres universités aux Etats-Unis et en Europe. Ses livres sont tous traduits en anglais par Columbia University Press. (source : France Culture)

Julia Kristeva achève avec Colette (1873-1954) son triptyque consacré au “génie féminin”,  après Hannah Arendt (1906-1975) et  la psychanalyste Melanie Klein (1882-1960).

Pourquoi ce terme de“Génie féminin” ? Le génie dispenserait-il de la somme d’efforts et de travail que nécessite une œuvre ? Serait-il un destin pour certains au détriments d’autres ? Le génie s’attrape-t-il ? Julia Kristeva explique qu’il ne s’agit pas de sous-évaluer les déterminismes de l’Histoire , de la condition féminine ou des conditions sociales propres à une époque-mais de montrer comment ces femmes ont dépassé leur statut, et fait fi de leur condition pour réaliser leur liberté. Leurs destinées, malgré les soubresauts de l’histoire sont d’abord individuelles et singulières, accomplies dans l’urgence et la nécessité de la création.

C’est le postulat de départ avec lequel on peut être en désaccord, estimant que Colette, comme d’autres, fut d’abord l’enfant de son siècle. Julia Kristeva ne le conteste pas , elle entend le génie comme étant celui de chacun : « Chacun a son génie, car chacun a sa singularité. »

Julia Kristeva est écrivain, psychanalyste, professeur à l’institut universitaire de France et auteur de nombreux ouvrages traduits dans plusieurs pays.

Colette souffre encore aujourd’hui de l’image d’un écrivain un peu désuet, symbole d’une France surannée.  Cela est peut-être dû en partie à ses positions antiféministes puisqu’elle déclarait à Paris-Théâtre , le 22 janvier 1910  :

« Moi féministe ? Ah !non ! Les suffragettes me dégoûtent. Et si quelques femmes en France s’avisent de les imiter,  j’espère qu’on leur fera comprendre que ces mœurs-là n’ont pas cours en France. Savez-vous ce qu’elles méritent les suffragettes ? Le fouet et le harem ! »

A côté d’une Simone de Beauvoir, qui fut très engagée dans la modernité et dans le combat féministe, Colette apparaît en retrait, comme déconnectée des débats de son temps, elle qui fut et vécut en femme libre. Cet aspect se trouve renforcé également  par son « indifférence » politique et son comportement pendant la seconde guerre mondiale, puisque qu’elle collabora à des journaux tels que le Petit Parisien, pétainiste et collaborationniste et également à Gringoire qui se situait également à l’extrême droite de l’échiquier politique(pages 64,65). Ce qu’on lui reprocha amplement.

Julia Kristeva l’explique par son rapport à l’art et à l’écriture autant que son rapport à la mère, l’un étant indissociable de l’autre.

Car dit Julia Kristeva, Colette n’est pas une intellectuelle, qui tient son objet suffisamment à distance pour le connaître, mais elle est plutôt sur le mode de la « sublimation », s’appropriant l’objet maternel, dans un détachement de la pensée, une « immersion dans la sensorialité de la langue » p 59.

«  Je sais bien que je perds maman, dit-elle, mais je ne suis pas pressée de la quitter. Je veux éprouver le fonds de fusion/destruction qui nous lie, je veux sentir ses charmes et ses brûlures ; et si m’en détacher un jour, ce ne sera jamais qu’en saturant de saveurs, de parfums  et de sons ce souvenir qui nous contient et qui passe par notre langage commun, devenu ainsi seulement une parole sensible ».

Cette fusion ne permet pas la distance de l’intellect mais une autre voie par l’art et le style. Une réappropriation de ce qui est ou semble perdu. Enfin ceci est mon interprétation personnelle.

Ainsi dans ses expériences homosexuelles, Colette  inclura la rencontre avec la figure maternelle, en faisant une « jouissance féminine secrète, à objets interchangeables, éperdue d’innocence et de solitude qui la fascine. P 41 » La jouissance de l’écriture est une jouissance autre, qui s’organise et se ramifie à partir de la jouissance sexuelle elle-même ou de la libido, mais qui est au cœur de toute création, où la personne est « tous les sexes » et sujet de  toutes les sensations qui la traversent.

Si Colette n’est pas sensible à la géopolitique, elle est sensible aux destins individuels à travers l’histoire politique, aux drames humains. Et si elle se détourne du féminisme à l’époque, c’est peut-être qu’elle a conscience de la possibilité d’une surcharge  pour la femme émancipée ou la femme politique, qui  conduit beaucoup de femmes aujourd’hui à vivre exténuées et dépressives, assumant et voulant tout mais sans être déchargée pour autant des tâches que la société leur a attribuées depuis des siècles. Une femme toujours belle et disponible, enceinte et sexy ( ! entre le fourneau et la table à repasser). Ce que dit Colette peut-être, c’est qu’avant de changer de statut, il faut affranchir le sujet « femme », à travers sa créativité et son imagination, et l’inscrire dans une pluralité de liens. Le couple n’est peut-être pas sa destinée, ni l’amour…

Le plaisir de vivre est pour Colette un plaisir des sens et un plaisir des mots ; il ouvre aux femmes de larges horizons, ne les cantonne en aucun lieu, et ne les destine à personne… Colette est écrivain et femme et  appartient aussi à la culture du paraître de son temps. Sa carrière de mime et de comédienne, lui a donné à mon avis, cette première expérience du texte qui prend corps, qui est le corps et invente notre modernité.

Critique par Eva Domeneghini

  Julia Kristeva est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages, romans et essais parmi lesquels : Étrangers à nous-mêmes (Fayard, 1988), Les Samouraïs (Gallimard, 1992), Les Nouvelles Maladies de l’âme (Fayard, 1993), Possession (Fayard, 1996), Sens et non-sens de la révolte (Fayard, 1996), La Révolte intime (Fayard, 1997), Le Génie féminin : Hannah Arendt, tome 1 (Fayard, 1999), Melanie Klein, tome 2 (Gallimard, 2003), Colette, tome 3 (Fayard, 2002), La Haine et le Pardon (Fayard, 2005), Meurtre à Byzance (Fayard, 2004), Pouvoirs et limites de la psychanalyse, tomes I, II, III (Fayard, 1996/1997/2005), Seule, une femme (éditions de l’Aube, 2007), Colette : un génie féminin (éditions de l’Aube, 2007), Cet incroyable besoin de croire (Bayard, 2007).

Le complot contre l’Amérique de Philip Roth

le-complot-contre-lamerique

Le complot contre l’Amérique de Philip Roth Gallimard 2006

   jaime-adoréjaime-adoréjaime-adoré     

Vignette Les personnages féminins dans l'ecriture masculineComme vous le savez peut-être, Charles Lindberg, le célèbre aviateur a battu le président Roosevelt aux élections présidentielles de 1940 en devenant le 33e Président des Etats-Unis ! Un président pacifiste, qui tient des propos pro-nazis et qui tient à garder les États-Unis hors des conflits qui déchirent l’Europe. Il a signé un pacte de non-agression avec Hitler afin de renforcer les liens entre les deux pays et dans son discours radiophonique à la nation, accuse les juifs de vouloir pousser les États-Unis à la guerre afin de préserver leurs intérêts.

Le petit Philip Roth,  âgé de sept ans à l’époque, va raconter  ce qu’a vécu et ressenti la famille pendant cette époque, et surtout l’antisémitisme de plus en plus manifeste qui va s’exprimer dans les discours et les actes de leurs contemporains.

Un même conflit  va opposer les deux frères, Philip et Sandy, fervent admirateur de Lindberg dont il cache les portraits qu’il a dessinés au fusain dans son carton à dessins.

Bien sûr, vous connaissez l’histoire, les États-Unis vont entrer en guerre contre l’Allemagne, mais vous savez peut-être moins comment Lindberg a fini sa présidence.

Où se situe la frontière entre la fiction, le roman, et la réalité ?

Car il s’agit bien d’une reconstruction fictive de l’histoire, faits réels et imaginaires s’entremêlent sans cesse. Ce qu’on appelle en littérature une uchronie, un non-temps qui permet de mettre en situation et d’expérimenter une hypothèse. Que se serait-il passé si Roosevelt n’avait pas été réélu une troisième fois ?

Vous le saurez en lisant ce livre. Lorsqu’on l’a ouvert, on ne le lâche plus. Philip Roth joue avec son lecteur au chat et à la souris, il s’amuse à le perdre dans un écheveau de détails ou de fausses pistes. Quant au lecteur, il sort de ce récit échevelé un peu pantelant.

Le conflit, la femme et la mère Elizabeth Badinter

Badinter, le conflit la femme la mère

jaime-adoréjaime-adoréjaime-adoré

Elizabeth Badinter – Le conflit, la femme et la mère

 

 

            vignette Les femmes et la Pensée« On ne naît pas femme, on le devient », cette célèbre formule de Simone de Beauvoir a résumé à elle-seule l’approche culturaliste de la condition féminine. L’identité féminine ne vient pas d’une essence, d’une nature féminine qui existerait de toute éternité mais elle est constituée par une société patriarcale qui impose ses normes et son pouvoir. Il s’agit de contrôler la procréation et la filiation. C’est pourquoi la vertu féminine est l’objet d’une surveillance constante, (duègnes, gouvernantes, etc) afin de limiter les relations sexuelles hors du mariage.

Cette approche critique a alimenté nombre des revendications féministes. Ce modèle reposait sur la complémentarité des sexes et non sur la ressemblance et l’égalité, introduisant une stricte différenciation des rôles et des destins : la femme admirable, la mère, devait se sacrifier à ses enfants car elle était la plus à même de le faire.

Ce modèle battu en brèche dans les années 60, 70par les féministes, revient aujourd’hui en force à travers des discours pseudo-médicaux des partisans de la leche league et autres qui prônent l’allaitement et préconisent le retour des femmes au foyer pendant au moins les premières années de la vie de l’enfant. Tout ceci, bien sûr, dans l’intérêt et le bien-être de l’enfant.

Le levier sur lequel appuie ces militants, est le sentiments de culpabilité des mères, qui subissent la pression sociale et idéologique de ce que devrait être la bonne mère. Les femmes qui ont d’autres désirs, ou qui se sentent incapables d’assumer ce modèle, peuvent se sentir déchirées par des exigences contradictoires et vivent un profond malaise.

Les tenants de ces nouvelles normes qui voient insidieusement le jour, affirment que l’allaitement par le biberon, la garde précoce des enfants par un tiers mercenaire (nourrice, crèche) sont nuisibles au bon développement de l’enfant. Des études sont publiées qui vont dans ce sens afin de donner une crédibilité accrue aux arguments qui sont avancés.

Il s’agit, en effet, de créer un consensus social et une obligation morale, par le fait, qui ne peut qu’aboutir  à la mise à l’index de toutes celles qui dérogeraient à ce modèle.

La diversité des aspirations féminines n’est plus prise en compte. Il y a une voie et une seule.

Les politiques visant à aider les femmes à concilier leur rôle de mère et leurs aspirations professionnelles ou leur désir profond, sont, dans certains pays pratiquement inexistantes (voir l’Allemagne et le Japon). Cet état de fait contribue à renforcer la voie du tout ou rien : soit je me conforme à la norme ambiante, soit je ne fais pas d’enfant au risque de créer un conflit intérieur où s’opposent des désirs contradictoires et le sentiment d’être dans une impasse.

Elizabeth Badinter explique de cette manière la baisse du taux de natalité dans ces pays. La France, parce qu’elle a su développer des politiques favorables au femmes, création de crèches et de l’école maternelle, mais aussi politiques familiales pour celles qui souhaitent rester à la maison les deux premières années, ont permis jusqu’à présent de concilier les différentes aspirations des femmes en n’imposant pas un seul modèle. Or, ce fragile équilibre n’est-il pas à nouveau menacé ?

 

No et moi – Delphine de Vigan

No-et-moi-Delphine-de-Vigan

Adolescente surdouée, Lou Bertignac rencontre No, SDF. Elle tente de la sauver, l’accueille chez elle et l’aide à prendre un nouveau départ. mais No a touché le fond, trop blessée par la vie. Elle repartira de son côté.

La question posée ici est : à partir de quel moment est-il trop tard dans la vie de quelqu’un ? A quel moment le basculement s’est-il produit ? Pourquoi à un moment donné cesse le désir de vivre et de se battre? A quel moment, l’individu va-t-il se laisser dévaler la pente?

 » Sommes-nous de si petites choses, si infiniment petites, que le monde continue de tourner, infiniment grand, et se fout pas mal de savoir où nous dormons? ».


Nos souffrances n’ont pas de poids, personne ne viendra nous sauver ou soulager nos maux. Le pire mal des sociétés humaines est cette indifférence.


Delphine De Vigan  montre ainsi le paradoxe : nous sommes capables des plus extraordinaires découvertes scientifiques, d’envoyer des avions supersoniques et des fusées dans l’espace, mais aussi de laisser mourir des gens dans la rue. La puissance de cette raison qui semble si  efficace et la faiblesse du cœur et des sentiment, la tragédie de l’Homme, en fait, incapable d’amour.

L’élégance des veuves – Alice Ferney

L-elegance-des-veuvesUne force obscure pousse les corps les uns contre les autres, creuse le désir et fait chanter la chair car « le sang et la chair ont une éternité derrière et devant eux. »

Le livre d’ Alice Ferney, à travers une chronique familiale, rythmée par les décès et les naissances dans un cycle vital, explore la condition des femmes au début du XXe siècle dans le milieu de la bourgeoisie.
Le destin des femmes est d’être mère, de « s’occuper de la maison, des repas, des invitations, de l’enfant à venir, de son époux et de ses amies ». Les couples ne font pas l’amour mais des enfants. Le conservatisme religieux pèse sur le destin des femmes de la bourgeoisie qui à l’instar de Mathilde, un des personnages principaux, enchaîne une grossesse après l’autre. Dieu commande et la chair obéit, il donne et il retire.

Mathilde, épuisée par ses grossesses successives en mourra. Le mari sera complice de cette mort, car il sera resté sourd aux avertissements du médecin qui lui recommandait d’épargner une nouvelle grossesse à sa femme.
Pourtant le mariage d’Henri et de Mathilde est un mariage d’amour mais dans lequel aucun des deux époux ne remet en question le poids de la tradition. Mathilde aime ses enfants, car c’est l’enfant qui la fait et lui donne « une place dans l’immensité de l’inconnu ». La peau de ses enfants est « la continuation de la sienne », mère et enfant fusionnant ensemble. Elle semble être de ces femmes qui s’épanouissent dans la maternité.

Je mettrai ce livre en regard avec celui d’Elizabeth Badinter, « Le conflit. La femme et la mère », dans lequel elle dénonce le retour à un certain conservatisme qui réduit les femmes au statut de mère en les confinant à leur fonction de reproductrice, la maternité étant considérée comme l’expérience cruciale autour de laquelle s’articule l’identité féminine. C’est tout à fait ce que décrit Alice Ferney. La différence sexuelle définit le rôle de chacun dans la société. Il faudra attendre le combat des féministes, l’avènement de la contraception qui permet le contrôle des naissances et de l’émancipation financière des femmes pour changer la donne.

Cosmétique de l’ennemi – Amélie Nothomb

cosmétique de l'ennemi

La philosophie, en somme, est la multiplication des points de vue, qui en se répondant, en se faisant écho, tissent tout un réseau de significations. Elle n’est pas seulement un discours logique, ou une antithèse viendrait contredire la thèse avant de se fondre en elle dans une superbe synthèse . Dans notre culture, notre expérience, nos légendes et nos histoires, il y a tous ces éclats de miroir qui permettent ce tissage subtil.
Le mot texte vient du verbe latin texere qui signifie tisser, nous apprend Amélie Nothomb, dans « Cosmétique de l’ennemi ». Le texte serait d’abord un tissage de mots. Amélie Nothomb présente un dialogue entre un homme et son ennemi intérieur, son inconscient, un homme coupé en deux, abritant en lui-même un dangereux étranger. Terrifiante psychose. « Ces cloisons si étanches que tu as construites dans ta tête ne tiennent plus : elles cèdent. », avertit l’autre soi-même, l’ennemi.  Et dans cet étrange dialogue, qu’un meurtrier tient avec lui-même, surgit cette implacable réponse. « Il valait mieux que je sois étranger afin de me différencier de toi ». La partie refoulée devient l’autre soi-même, l’étranger, celui que l’on tient derrière la frontière de la conscience , frontière qui ne sera jamais franchie que dans le dédoublement.
 » C’est inquiétant, ça menace tes cloisons. Heureusement, la plupart des gens ont trouvé le remède : ils ne pensent pas. » On peut bien dire que le « je » est un autre , mais la plupart du temps, réconfortante certitude, « je suis moi, tu es toi, et chacun reste chez soi. » Ce superbe moi, plein d’orgueil, qui ne souffre aucune étrangeté.