Archives pour la catégorie Femmes françaises

Les flèches perdues – Marie-Pierre Cattino

Les flèches perdues – Marie-Pierre Cattino Koïné éditions, 2012

Les flèches perdues - Marie-Pierre Cattino - Koine - Grand format - Place  des Libraires

J’ai rencontré cette œuvre dans des conditions très particulières : j’étais à Marseille et nous avions longé la mer avec ma fille pendant des kilomètres, nous émerveillant de la découverte de cette ville offerte à la Méditerranée, lorsque nous sommes arrivées devant le Mémorial des Rapatriés d’Algérie par César, cette immense pâle d’hélice qui semble tutoyer le ciel, et qui symbolise la traversée de la Méditerranée qu’ont du faire les rapatriés en 1962 pour rejoindre Marseille.

Deux ou trois semaines avant, j’écoutais la chanson de Camélia Jordana, « Dans mon sang un peu de bruine, Toujours lavait mes racines »

Et gravement, à la télévision, Emmanuel Macron parlait de la colonisation comme d’un crime contre l’humanité, suscitant tollé et polémiques, plus rarement quelques approbations et hochements de tête.

La flèche tirée par l’autrice n’a pas été perdue, elle m’a atteinte en plein cœur.

Je ne suis qu’une lectrice, ni critique littéraire, ni encensoir, mes émotions créent les conditions de ce partage entre un.e auteur.e et moi.

La pièce raconte l’histoire de trois jeunes gens, dont deux jeunes hommes partis faire leur service militaire en Algérie en 1956, et l’attente, les embuscades, l’incompréhension face à cette guerre qui ne dit pas vraiment son nom : « pacification… ». « On était là pour maintenir l’ordre, pas pour foutre le bordel ! » s’indigne le frère de Claire.

Ce sont des lettres échangées à la place des cœurs entre Paul et Claire, sa marraine de guerre. C’est le silence autour des mots, les mensonges par omission qui peuplent les missives entre les deux jeunes gens. Le talent de l’autrice est de suggérer, de tisser avec nos souvenirs, avec ce que nous savons ou pas de cette guerre, de nous relier à notre histoire.

Je suis souvent allée chercher des informations au sujet de cette guerre que je connaissais si mal. Cette lecture m’a engagée sur des chemins que je n’avais pas encore vraiment pris, sur une partie de ma mémoire que j’avais occultée.

Elle prouve q’un texte dramatique peut vivre un temps sans représentation si ses mots sont vibrants, si un flux, comme une marée, traverse le texte.

Nous faisons alors notre propre mise en scène, nous peuplons ce lieu encore fantôme de créatures que nous agitons d’abord en tous sens. Mais les silences qui peuplent le récit délimitent et bientôt organisent l’espace de notre scène imaginaire, lui conférent un sens et quelques directions.

Une belle lecture, merci.

Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces – Ella Balaert

Lire «  Poissons rouges et autres bêtes aussi féroces » d’Ella Balaert, c’est, selon les mots de Sylvie Germain, « apprendre à écouter la langue là où elle se tait, entre les mots, autour des mots, parfois au cœur des mots », c’est aussi croiser le fil avec l’autrice, tisser avec elle patiemment, parfois au bord du souffle, cette histoire sans fin qu’elle déroule de nouvelle en nouvelle. Une fois le livre refermé, ce livre à la couverture mousseuse, troué de bleu et de rouge en son centre, avec ce beau grain des éditions des femmes, on sait que l’énigme n’en sera que plus belle, plus épaisse et plus obscure encore, à jamais irrésolue.

Il serait tentant de dire qu’il s’agit de nouvelles fantastiques, qui puisent certainement à l’héritage du grand maître, et que le surnaturel et l’inexpliqué surgissent dans le réel pour mieux le mettre à l’épreuve, ce serait une définition hâtive, un peu scolaire, mais bon, faute de mieux ! Moi je dirais que c’est le contraire, c’est le réel qui fait irruption dans un certain nombre de faits et de sentiments humains irrationnels et inexpliqués, et que cette tension du réel, de l’inévitable, de la folie, de la solitude et de la finitude humaine fait imploser le récit, pour le poursuivre à la nouvelle suivante.

Oui, « ceux qui rêvent éveillés ont connaissance de mille choses », ceux qui ne croient pas à l’innocence des poissons rouges dans leur bocal, mais qui voit la main qui les a placés là, à tourner indéfiniment, tel cet Ecce Homo Scribens, dernier représentant de son espèce, que l’on vient regarder comme le poisson dans son bocal (l’oie).

Dans la férocité, il y a une force indomptable, une énergie démultipliée, un appel aux courants profonds qui nous habitent, et à ceux qui nous relient à la nature. La férocité des hommes donne peut-être la guerre, engendre la violence mais pas seulement. On peut être féroce sans être cruel. Peut-être cette force, cette férocité est-elle nécessaire à l’écrivain pour dynamiter les apparences et les faux-semblants.

Cela a d’étranges résonances d’ailleurs avec nos librairies fermées. La force des grands textes, se mesure à leur pouvoir de nous murmurer indéfiniment des choses à l’oreille, si on veut bien les écouter.

Oui, le manque d’amour, la manipulation sont choses bien réelles (l’araignée), et on peut bien vous offrir quelques roses magnifiques, vous ne saurez rien des intentions de celui qui vous les offre, de la façon dont il vous considère, fleur-femme peut-être, juste bonne à paraître.

La force de la littérature, c’est de ne jamais « réduire l’inconnu au connu, la nuit au jour, le mystère à la science », et qui laisse pour Fortunato (Le bourdon) et nous-mêmes des questions sans réponse. Qui nous plonge dans l’obscur et l’opaque, qui nous rend à la peur de l’inconnu et au monde.

J’ai frémi parfois, je me suis glacée aussi (la meute), j’ai senti l’inquiétude, l’intranquillité de celle qui veut bien être bousculée, et j’ai ri aussi. Si je vous dis qu’une de ces nouvelles a pour titre « Le bouc », vous vous douterez peut-être de ce qui va advenir ? Et bien vous resterez, je suis sûre, bien en deçà de la chute incroyable de ce récit. Elle m’a horrifiée et à la fois beaucoup amusée.

Voilà, finalement je ne vous ai rien raconté, vous ne saurez définitivement pas de quoi parle ce livre, il vous faudrait aller de chronique en chronique, mais ce serait vain, je vous l’assure, autant lire ce livre sans tergiverser, vous ne serez pas déçu.e.

Mélancolie ouvrière – la belle figure de Lucie Baud, une des premières femmes syndicalistes françaises

Vendredi 10 juillet à 20h55 sur Arte. Téléfilm français de Gérard Mordillat (2018). Avec Virginie Ledoyen. 1h30. (Disponible en replay jusqu’au 11 août sur Arte.tv).

Une grande figure des luttes de femmes !

Mélancolie ouvrière, Michelle Perrot, Le Seuil, 2014

J’ai regardé ce soir ce beau film de Gérard Mordillat adapté d’un livre de Michelle Perrot, « Mélancolie ouvrière » qui a tenté de retracer la lutte mais aussi l’histoire de cette femme, ouvrière en soie du Dauphiné. Femme rebelle, courageuse, et qui paya très cher ses engagements. Elle organisa et soutint les grèves des ouvrières dans les usines de la soie dans lesquelles les femmes étaient exploitées, et où des fillettes de 10 à 12 ans travaillaient 12 heures par jour, quand ce n’était pas plus.

Les patrons, scandalisés, clament qu’augmenter les ouvrières les conduira à la faillite. Inutile de dire que cela n’est pas arrivé…Mais je crois qu’on entend encore certaines de ces diatribes encore de nos jours.

Elle aida les ouvrières italiennes, recrutées en grande partie dans le Piémont, et réduites pratiquement en esclavage, non seulement elles étaient payées encore moins que les ouvrières françaises mais on ne changeait leurs draps qu’une fois par an. de très belles scènes dans le film où ces femmes chantent.

Le choeur des esclaves…

« Je suis entrée comme apprentie chez MM. Durand frères. J’avais alors douze ans. » Ainsi commence le témoignage de Lucie Baud (1870-1913)…

Dans son livre, Michelle Perrot tente de comprendre son histoire, ses;luttes, ses souffrances et ses échecs mais aussi la singularité qui fait d’elle une personnalité forte, une meneuse, une femme révoltée.Ses échecs, ses chagrins qui durent être immenses. Sa mélancolie…Ce qui la brisa…

Ces femmes à qui l’on doit tant…

La parthénogenèse – Anne-Laure Julien Des filles, rien que des filles ?

LA PARTHÉNOGENÈSE
Un roman jubilatoire !

La parthénogenèse – Anne-Laure Julien – La P’tite Hélène Editions – 2019

Le titre du livre m’a d’abord fait penser à l’utopie féministe « Herland » dans laquelle les femmes se reproduisent uniquement par parthénogenèse et ne donnent naissance qu’à des filles.

C’est aussi le cas, en quelque sorte, dans ce livre, mais « La parthenogenèse » est plutôt une métaphore qu’une réalité biologique.

En 2003, Sophie mène sa vie comme elle l’entend, elle élève ses filles seule, comme sa mère avant elle et brosse des portraits sans concession des hommes et des femmes autour d’elle. Car tout le monde en prend pour son grade, mais joyeusement. Le ton est frondeur et impertinent, et la malicieuse Sophie mène sa vie tambour battant croquant les situations avec beaucoup d’humour.

Elle me fait penser à cette formule de Marguerite Duras « le gai désespoir ». Je la soupçonnerais presque d’avoir des rêves de midinette les soirs de solitude, mais elle se reprend bien vite et mord la vie à pleine dents. Elle prend ce qu’elle peut mais tout ce qu’elle peut.

Bien sûr, Sophie se défend, avec ses armes. Elle souligne les relations ambigües des hommes avec leur mère, et aussi des femmes entre elles, qui ont permis d’asseoir le patriarcat. Dans ce roman, j’ai eu parfois l’impression que celui qui se dérobe, celui qui est absent est aussi celui que l’on convoite avec une certaine rage et beaucoup de gourmandise.

Allez, la guerre des sexes n’aura pas lieu…

Angèle Dussaud Bory d’Arnex- Femme de lettres française (1849-1942)

Son portrait par Leon Comerre en 1887 au Musée d’Orsay

Angèle Bory D’arnex, née Angèle Berthe Venem (1849-1942), fut une femme de lettres française, épouse d’un riche banquier. Si elle signa ses articles « Mme Angèle Bory » dans le Revue des Deux Monde à laquelle elle collabora, elle[1] publia sous le pseudonyme de Jacques Vincent une dizaine de romans entre 1878 et 1901.

(Ame d’Artiste, Ce que femme veut, Un bonheur, etc).

Elle tint, avec son mari, un salon littéraire qui rassembla les célébrités littéraires de l’époque, parmi lesquelles Leconte de Lisle, Heredia, Henri de Régnier, Coppée, Camille Flammarion, Renée Vivien, et Edmon Rostand qui avait obtenu le succès avec Cyrano de Bergerac.

Ses œuvres sont disponibles sur le site de la BnF, mais elle est, aujourd’hui, tombée dans l’oubli, car à l’exception d’un prix, ses œuvres ne rencontrèrent pas véritablement le succès.

Elle a publié ses souvenirs de salonnière  dans : Un salon parisien d’avant-guerre, paru en 1929.

1888 Prix Montyon de l’Académie française
Vaillante : ce que femme veut


sources : Femmes de lettres au XIXe siècle : Autour de Louise Collet

Dictionnaire des femmes célèbres de tous les temps et de tous les pays – Lucienne Mazenod – Ghislaine Schoeller

Le repos du guerrier – Christiane Rochefort. Le roman qui fit scandale !

Le Repos du guerrier
Le premier roman de l’autrice qui fit scandale.

Le repos du guerrier, est le premier roman de Christiane Rochefort en 1958. Il fit scandale par sa liberté de ton et de mœurs. En effet, l’héroïne découvre le plaisir sexuel avec son amant Renaud, qu’elle a sauvé du suicide en entrant par erreur dans sa chambre. D’ailleurs, c’est peut-être cela qui fait de cette oeuvre, à l’époque, une proposition romanesque originale. Le langage est cru, et Christiane Rochefort bat en brèche un territoire traditionnellement masculin.

L’autre aspect du roman, est le contrepied permanent à la morale bourgeoise de l’époque : Renaud est cynique et ne fait rien, il profite de l’argent d’une femme et se présente comme l’antithèse du gendre idéal. Les rôles de genre, l’homme soutien de famille, la femme qui tient le ménage, sont complètement dynamités.

Pourtant cette femme est « le repos du guerrier », « Toi tu es le repos du guerrier, du guerrier lâche, de l’embusqué ; Notre-Dame des Déserteurs, aie pitié de moi. Je veux dormir-mourir, et pour ça une femme c’est le meilleur système ». Le seul pouvoir qu’elle détient, est son inlassable patience et son amour. Le repos du guerrier est-il alors un roman féministe ? Ou n’est-il que l’histoire d’une femme, qui une fois encore, se sacrifie, jusqu’à mettre sa vie en danger pour suivre la folie éthylique de son amant ? Son amour ne serait-il pas une sorte de rédemption, de chemin de croix ? A vrai dire, l’héroïne ne ressent jamais aucune culpabilité, et surtout elle choisit de suivre son amant. Rien ne l’y oblige et même, à l’inverse, tout le lui interdit.

En 1971, Christiane Rochefort contribue d’ailleurs à créer le mouvement féministe « Choisir la cause des femmes » et toute son œuvre sera marquée par son ton irrévérencieux, son style cru, causant le scandale parce qu’elle traitera de sujets non conformistes.

« Je n’aime pas les femmes qui ne résistent pas …quand je vois des signes de résistance, je suis très contente… j’aime la littérature de révolte. » Monique Crochet, « Entretien avec Christiane Rochefort, » French Review 3 (1981): 428-37.

Renaud ne part pas vraiment guerroyer, si ce n’est contre ses démons. Son arme est la bouteille qu’il manie plus souvent que le balai.

Non, lui fait la tournée des bars. Nietzsche ne fait-il pas dire à Zarathoustra : « L’homme doit être élevé pour la guerre et la femme pour le délassement du guerrier : tout le reste est folie » 

Christiane Rochefort dynamite ce modèle. Chez elle, la femme est forte, rebelle, et elle fait ce qu’elle veut. Définitivement.

 Le Secret des Conteuses de Martine Amsili -Théâtre Dejazet du 10 septembre au 12 octobre 2019

Du 10 Septembre au 12 Octobre 2019

Du mardi au samedi à 20 h30. Matinée  samedi à 16 h.

Au théâtre Déjazet  (75003)

 Le Secret des Conteuses est une comédie sur fond d’histoire de France et de Roi Soleil. Nous sommes chez Ninon de Lenclos, courtisane, sublime, spirituelle, piquante, en compagnie de la grande Epistolière Madame de Sévigné, de l’éloquente romancière Mademoiselle de Scudéry, de Madame Scarron (future épouse morganatique de Louis XIV) sans oublier la chambrière de Ninon (Louison). Ces femmes incarnent le temps d’une pièce, sous l’égide de Ninon, le courant sceptique et libertin du XVIIe siècle dont l’impertinent écho portera jusqu’aux cafés célèbres de la Révolution. Nous sommes en 1671, à l’âge d’or du théâtre, des grands épistoliers, du Mercure Galant et de la préciosité. A la faveur d’un secret, des conteuses vont déployer leur verve en toute liberté, et faire montre d’éloquence  afin  d’évoquer un amour singulier. Le Secret des Conteuses nous révèle au fil des scènes, l’héritage social, amoureux et intellectuel auquel la femme d’aujourd’hui pourrait s’identifier sans rougir.

Tarifs :

Première catégorie : 39 euros

Deuxième catégorie : 32 euros

Troisième catégorie : 24 euros

Etudiants : 20 euros

Fanny Raoul et Typhaine D au Café de la Gare le samedi 12 octobre – Un texte puissant et beau !

J’avais écrit une petite chronique sur ce texte magnifique !

Fanny-Raoul

Raoul (Fanny) – Opinion d’une femme sur les femmes

« Il est remarquable de voir des philosophes s’attendrir sur le sort d’individus dont un espace immense les sépare tandis qu’ils ne daignent pas s’apercevoir des maux de ceux qu’ils ont sous les yeux ; proclamer la liberté des nègres, et river la chaîne de leurs femmes est pourtant aussi injuste que celui de ces malheureux ».

Dominique Bona –  Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir / L’été des femmes artistes – Litterama

Dominique Bona –  Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir – Editions Grasset& Fasquelle, 2000

Dominique Bona –  Berthe Morisot, Le secret de la femme en noir – Editions Grasset& Fasquelle, 2000

Dominique Bona, grande érudite, s’appuie sur un travail de documentation remarquable pour nous livrer cette biographie de Berthe Morisot qu’elle va lier, pour l’essentiel, à la famille Manet, et entre tous,  Edouard Manet, illustre peintre, contemporain des impressionnistes qui n’a jamais voulu se rallier au mouvement, et que Berthe a rencontré au tout début de sa formation lorsque elle allait copier des œuvres au Louvre.

Le Musée d’Orsay lui consacre une magnifique exposition que l’on peut voir encore jusqu’au mois de septembre.

Je ne retracerai que vaguement les grandes lignes de cette biographie, d’autres l’ont fait beaucoup mieux que je ne le pourrais. Je voudrai juste souligner ce qui a été, pour moi, la force et l’intérêt de ce livre.

Tout d’abord, Dominique Bonat, si elle ne néglige pas l’influence d’Edouard Manet sur le style de Berthe Morisot, montre comment elle s’en est vite dégagée et de quelle manière elle a trouvé sa voie et son propre style.

Berthe Morisot a-t-elle eu une histoire d’amour avec le peintre ? On ne le saura jamais avec certitude. Manet la peindra plusieurs fois en de sublimes figures, à la fois sensuelles et énigmatiques.

«  Elle mesure toujours la vie d’après ses drames mais dissimule son pessimisme sous un masque de sérénité. Ce tourment profond et constant, qui jamais ne se dissipera et dont son regard porte les reflets, la rapproche de Manet, lui permet de comprendre et d’aimer ce qu’il peint, la violence, la brutalité de sa vision, le magnétisme de ses couleurs la fascinent. »

L’auteure a cherché dans les archives, aucune lettre n’est restée qui pourrait l’attester ou l’infirmer. On peut juste s’étonner cette absence de traces de la relation qu’il y eut entre ces deux êtres, pendant toute une période, si proches.

Le talent de Dominique tient aux hypothèses qu’elle élabore, au suspense qu’elle entretient savamment sur cette relation entre deux êtres hors du commun. Et surtout aux éléments qu’elle met en scène pour vous faire revivre la vie, les pensées, le caractère de cette artiste singulière. Vous pourrez ainsi vous faire votre propre idée. Vous nous direz ce qu’il en est selon vous, et votre analyse.

Berthe Morisot fut un des chefs de file du mouvement impressionniste, première et seule femme à exposer aux côtés de Monet, Degas et Renoir.

On connaît l’origine du nom donné au mouvement, attribuée à une remarque sarcastique du critique d’art Louis Leroy. Il aurait écrit après avoir vu une toile de Monet: « Que représente cette toile ? Impression ! Impression, j’en étais sûr. Je me disais aussi puisque je suis impressionné, il doit y avoir de l’impression là-dedans ». Claude Monet devant donner un titre à son tableau, un paysage au Havre peint en 1872, propose « Mettez Impression, soleil levant ».

Elle créa, avec ses amis, le groupe d’avant-garde les « Artistes Anonymes Associés » qui allait devenir la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs dans laquelle figureront ceux que l’on a appelé impressionnistes à la suite du fameux Monsieur Leroy.

L’autre intérêt de cette biographie est de montrer la condition de la femme artiste au XIXe siècle, la façon dont l’art, de même que l’écriture, ont permis aux femmes de revendiquer une certaine indépendance. Lorsque Berthe peint, c’est-à-dire lorsqu’elle travaille, c’est son mari et sa fille que l’on peut voir sur le tableau.

Mais ce parcours d’artiste exigera de surmonter les conflits intérieurs qui la minent.

« Tiraillée entre deux pôles, entre deux exigences, celle de la peinture et celle de la femme, « elle se monte et se démonte comme devant », dit sa prosaïque mère. Elle lutte pour affirmer sa différence. Des conflits psychologiques la minent. Maux de tête et d’estomac, crampes, migraines. »

Elle a réussi à écrire une biographie extrêmement vivante, précise et documentée, et sa parfaite maîtrise de tous les éléments biographiques, la synthèse qu’elle peut alors opérer, rend le récit d’une grande fluidité, et son sens de la narration lui donne suspense et intérêt.

L’art de Berthe Morisot voulait « Fixer quelque chose de ce qui passe ». L’art de Dominique Bona, est de restituer l’atmosphère de ces années-là, les mouvements intérieurs de Berthe Morisot, ses combats et ses contradictions, afin que nous aussi, nous puissions approcher ce mystère.

A lire absolument…

Résultat de recherche d'images pour "berthe morisot"

source image : wikipedia

Zoé Valdès – La femme qui pleure / Dora Maar – L’été des femmes artistes/ Litterama

Zoé Valdès – La femme qui pleure – Arthaud poche – 2016 Flammarion

La Femme qui pleure eBook by Zoé Valdés

Doraa Maar fut une artiste surréaliste, photographe et peintre, et aussi muse de Picasso. Une rétrospective de son œuvre lui a été consacrée récemment au Centre Pompidou. Sa carrière a été complètement absorbée par son rôle de muse, à l’ombre du génie de Picasso. Il a fait d’elle « La femme qui pleure », manifeste de la déconstruction du portrait.

Résultat de recherche d'images pour "dora maar"

Portrait de Dora Maar, Pablo Picasso, 1937 | Paris 1937 Huil… | Flickr

Le livre de Zoé Valdès retrace une période censée être clef, un voyage à Venise, quelques années après sa rupture avec Picasso, en compagnie de deux amis, à l’issue duquel elle se retirera du monde pour vivre mystique et recluse, loin des mondanités parisiennes.

L’originalité du récit tient à ce que Zoé Valdès entremêle des éléments de sa propre biographie, et de sa relation rêvée ou imaginaire avec Dora Maar, qui tient plus de la rencontre manquée que d’une véritable relation.

« La vérité c’est que je me trouvais aussi vide qu’elle, à la limite de ma réserve d’illusions […]. », écrit-elle.

Par de savants aller-retours, elle retrace les amours de Dora Maar avec Picasso, dont on peut dire qu’ils sont violents et malsains. L’artiste a disparu au profit de la muse.

Résultat de recherche d'images pour "dora maar"

Dora Maar in an Armchair | Pablo Picasso Dora Maar in an Arm… | Flickr

Ce qui est intéressant, cependant, c’est l’effacement dû à ce statut, qui rend le suprêmement visible, l’image, invisible. Cette « femme qui pleure », exposée dans les musées cachera toujours l’autre femme, celle qui crée.

Dora Maar raconte : « Tout s’est alors transformé, mon indépendance a été abolie et je me suis annulée comme artiste ».

Picasso est un ogre, aux appétits sexuels démesurés. Il la méprisera, l’insultera et la fera terriblement souffrir, voilà ce que je retiens de ce livre. Et pour moi ce n’est pas assez.

J’ai eu l’impression d’assister à une scène continue de dévoration.

« Elle revoyait parfois, en ironisant, silencieuse et amusée, les affronts d’apparent désamour qu’elle avait dû essuyer. Le Grand Génie racontant, par exemple, à ses amis que sa maîtresse obéissait plus vite que son chien Kazbeck, un lévrier afghan paralysé de paresse. Tandis que le chien faisait la sourde oreille, Dora répondait en courant au moindre appel, et elle avait grand plaisir à lui obéir. « Ce n’est qu’une fillette, une petite chienne, une bête… Tu lui lances un os et elle court le chercher pour te le rapporter. »

Quand ils faisaient l’amour et qu’il se juchait sur elle, il se moquait de ses gestes, lui pinçait la peau du cou, de la poitrine, lui laissait des bleus partout. »

La frontière devient floue entre vie publique et vie privée. Sur les toiles de Picasso, je vois maintenant l’ombre meurtrie de Dora Maar, comme de longues traînées sales, rougeâtres, imprégnées de ce sang des menstrues avec lequel il aimait peindre…

Et les larmes qu’il lui fit pleurer, sur ce tableau….

L’hostie de mer de Béatrix Balteg pour la ville de Cancale / En ces premiers jours de vacances…

Résultat de recherche d'images pour "cancale"

L’hostie de mer

Malika porta la main à son ventre. La douleur disparut pendant un instant, pour revenir encore plus violente. L’enfant qu’elle abritait avait glissé d’elle, tous ses espoirs étaient réduits à néant.

Le néant, le vide… voilà ce qu’elle ressentait, ce matin, en se promenant sur la plage. Ses yeux ne voyaient plus rien, un poids immense pesait sur sa tête, ses épaules. Tout ce que l’enfance évoquait de doux, de tendre, avait fui dans un ailleurs inaccessible. Elle se trouvait nue jusqu’à l’os parcourue d’éclairs vertigineux à la limite de l’insoutenable.

Elle avait repris sa voiture, roula en direction de Cancale, et la gara dans le parking, qui fait face au port. Ses pas la portèrent vers la promenade de la Houle. Elle distinguait les autres promeneurs, les chiens qui couraient en jappant, les enfants qui se poursuivaient en riant. Bien sûr, ils sont en vacances pensa t’elle. Elle alla jusqu’au bout de la jetée, s’accouda à la balustrade derrière le phare, ferma les yeux, les rouvrit. Des vaguelettes venaient clapoter rythmiquement contre la paroi de béton. La mer s’étendait devant elle, calme, sereine.

Granville, le Mont Saint-Michel, Mont-Dol se profilaient au loin, comme des repères familiers. Elle aspira l’air et éprouva un plaisir qui la surprit. Il était chargé de l’odeur âcre du goudron et de celle si spéciale des algues. Il lui sembla que l’eau inondait ses narines, sa tête, son corps. Elle eut l’impression d’être portée, de flotter sur un coussin moelleux. Elle soupira et , détachant ses yeux de al mer qu’elle venait de fixer, reprit la direction du port. Elle regarda quelques vitrines, huma au passage le parfum de brioche qui provenait de la boulangerie, puis décida brusquement d’entrer au « Pied de cheval » et de déguster des huîtres. La jeune fille, souriante, vint prendre la commande, lui proposant des « pieds de cheval » ou des « portugaises ». Elle opta pour ces dernières. Lorsqu’elle revint vers sa table, chargée d’une assiette d’où débordaient des algues, Malika se détendit, sourit, et en contempla le contenu avant de se mettre à manger.

La première huître portée à sa bouche la remplit de joie. D’une joie qui dépassait de beaucoup le simple plaisir gustatif. Elle but le jus frais et une grande vague la frappa au visage, lui fit perdre pied, l’attira dans un fond marin, la comblant d’une félicité primitive, aqueuse et ronde. Elle flottait dans le ventre de sa mère, dans le ventre de la mer. Et du plus profond d’elle même remontait la certitude d’une autre filiation, celle qui la liait à la terre. Elle sut, d’une façon instinctive, que rien n’était irrémédiablement perdu. Que l’embryon qui s’était détaché de son ventre pour rouler vers la mort vivait mystérieusement quelque part dans une goutte d’eau salée, comme celle de la mer. Il lui semblait toucher toutes les vies et les morts, et qu’elles convergeaient vers un point unique que la goutte englobait.

Soudain, elle repensa à un rêve qu’elle avait fait quelques années auparavant : il en ressortait une phrase nette, inexplicable à ce moment là : « Cancale est le dernier bastion de la royauté ». Comme cela était vrai aujourd’hui. La clé du monde trouvée dans la goutte d’eau de la mer la sacrait reine de sa propre vie.

Source : printemps des poètes

Image : wikipédia

Profession : autrice, Catel/ Claire Bouilhac – Mme de La Fayette (1634-1693)

Pierrette Fleutiaux s’en est allée, de ses pas ailés

Crédit photo : Site société des gens de lettres

Née en 1941 dans la Creuse, prix Femina en 1990 avec « Nous sommes éternels », dont l’oeuvre tente de sonder les relations familiales et le poids de la famille, Pierrette Fleutiot s’en est allée mercredi 27 février 2019 écrire un peu d’éternité.

Destiny, paru en 2016, écrit avec force le combat  pour la survie d’une jeune migrante Nigérian.Résultat de recherche d'images pour "destiny pierrette fleutiaux"

 

Elle militait pour l’effacement des barrières, notamment entre les disciplines puisque elle avait créé des ponts entre la science et la littérature en invitant des scientifiques auteurs de fiction à témoigner de leur expérience lors des rencontres « Sciences et littérature ».

Elle écrivait : « Les morts ont forcément le dernier mot, ils ne lâchent jamais prise, ils sont en vous désormais »

 

Bibliographie :

  • Destiny, Arles, Actes Sud, 2016
  • Loli le temps venu, Paris, Éditions Odile Jacob, 2013
  • Bonjour, Anne : Chronique d’une amitié (Actes Sud, 2010)
  • La saison de mon contentement (Actes Sud, 2008)
  • Neuf leçons de littérature, ouvrage collectif (Thierry Magnier, 2007)
  • Les étoiles à l’envers : New York, Photoroman co-écrit avec JS Cartier (Actes Sud, 2006)
  • Les Amants imparfaits (Actes Sud, 2005)
  • Des phrases courtes, ma chérie (Actes Sud, 2001)

Annie Salager : Quelqu’un

Résultat de recherche d'images pour "ombre femme"

Quelqu’un

Au souvenir adorable de ce qui jamais fut la vie
sous sa paupière de mythes quelqu’un
avait d’enfance un jouet de lumière
Quand trop d’humain l’eut piétiné
dans le cœur jour à jour sali
par son double de violence
quand trop d’humain l’eut piétiné
il se remit à respirer comme il l’avait cru impossible
en trébuchant sur le chaos
des sueurs d’angoisse et des voix
l’air lui emplissait la poitrine d’une musique de couleurs
et son cœur silencieux choisit de les aimer
sous l’humiliation obscure de ce qui jamais fut la vie

Annie Salager

Source : printemps des poètes

Le secret des conteuses du 15 mars au 27 avril 2019 – Théâtre Déjazet

Le secret des conteuses
du 15 mars au 27 avril 2019/ du mardi au samedi 19h / Matinées samedi 16h /

« Au 36 rue des Tournelles, chez Ninon De Lenclos, on pouvait croiser Molière, La Rochefoucauld, Jean de La Fontaine, Saint-Evremond, Huygens… Tout
ce beau monde se rendait aussi à la cour.
Le Roi en personne prenait toujours de ses nouvelles en ces termes «Comment se porte sa Majesté du Marais » ?
Que les travers d’une grande demoiselle se résolvent en qualités historiques pourra
surprendre la morale d’aujourd’hui, sans doute, mais guère celle d’hier.
Cette déesse Aphrodite, grande séductrice se distingua dans l’Art de se faire aimer et
inventa une jeu curieux et amusant intitulé : Le Secret des Conteuses.
Ninon de Lenclos prient quelques grandes dames, qui représentent à elles seules : L’Esprit Féminin Français du XVIIe siècle, Madame de Sévigné, Madame Scarron, Mademoiselle de Scudéry à confier un secret d’alcôve, à narrer une passion cachée dans laquelle ces dames se seraient jetées éperdument pour les beaux yeux d’un  galant homme dont le nom ne saurait être révélé avant que toutes n’aient parlé.
Le bruissement de la soie des robes se mêle aux arias qui enchanteront les oreilles de tous les amoureux de la musique baroque. »
Auteur et Mise en scène Martine Amsili
Avec Ninon De Lenclos – Anne Jacquemin,
Mademoiselle De Scudéry – Annie Sinigalia,
Madame Scarron – Emma Colberti,
Madame De Sévigné – Niseema Theillaud
et Louison – Léa Betremieux

L’AUTEUR – METTEUR EN SCÈNE MARTINE AMSILI
Comédienne-Auteur-Metteur en scène . Après le conservatoire d’art dramatique,
Martine Amsili poursuit des études de lettres et intègre l’Institut d’Études Théâtrales à
Censier. Ses professeurs Alexandre Grecq et Yves Furet de la Comédie-Française, éminents disciples de Louis Jouvet lui transmettent l’art du théâtre.
Elle joue les grands rôles du répertoire : Armande et Célimène dans Les Femmes Savantes et le Misanthrope de Molière, Émilie dans Cinna de Corneille, la Duchesse dans Louison, Marianne dans Les caprices de Marianne d’Alfred de Musset, Esther de Racine.
Ses dernières adaptations pour le théâtre sont issues de correspondances : Maux d’Auteurs, Lettres de Westerbork d’Etty Hillesum qu’elle interprète avec Emmanuelle Galabru, Voyage terrestre et Céleste de Simone Martini de Mario Luzi qu’elle interprète avec Serge Barbuscia. Elle crée avec Bastien Miquel (écrivain, historien et journaliste) Compagnie Nuits d’Auteurs.
Martine Amsili partage son temps entre l’écriture, la direction d’acteurs et l’enseignement.
Elle a mis en scène La Collection d’Harold Pinter, La Mère confidente de Marivaux, Lettres aux Hébreux. Auteur de pièces de théâtre, Martine Amsili a publié Chez Ninon de Lenclos aux Éditions de la Librairie Théâtrale (rue Marivaux), L’Épistolière aux Éditions Fiacre. Elle travaille actuellement à l’écriture d’une pièce intitulée Le théâtre Monsieur!.
Au cinéma et à la télévision, elle tourne avec Patrick Jamain, Rémy Duchemin, George Lautner ou encore David Delrieux. Elle a coréalisé et joué dans un court-métrage d’après une nouvelle de Mark Twain Quelle heure est-il ? de Bastien Miquel avec Michel Galabru. »

A la rencontre de deux femmes : Eliane Viennot et Marguerite de Valois

Résultat de recherche d'images pour "eliane Viennot marguerite de valois"Eliane Viennot est une chercheuse infatigable, spécialiste de Marguerite de Valois et engagée dans une somme « La France, les femmes et le pouvoir », entre autres. La redécouverte d’écrits de femmes et notamment ceux de Marguerite de Valois m’a donné envie de lui poser quelques questions.

A.G.R  (Litterama) : Quel est l’itinéraire personnel et professionnel qui vous a conduite à Marguerite de Valois ?

Eliane Viennot : Le hasard. Quand j’ai fait ma maîtrise, que je voulais faire « sur les femmes », la première enseignante que j’ai trouvée (qui acceptait de tels sujets) m’a proposé de travailler sur Brantôme, sur l’amour et le mariage dans l’œuvre de Brantôme. Quelques mois plus tard, j’ai compris que la femme à laquelle ce mémorialiste dédiait toutes ses œuvres, cette Marguerite de Valois, était celle que moi je connaissais sous le nom de « reine Margot ». Or les deux personnages — celui dont parlait Brantôme et celui que j’avais dans la tête — n’avaient rien à voir. Cela ma intriguée. J’ai décidé de comprendre ce qui lui était arrivé pour qu’il en soit ainsi.
Résultat de recherche d'images pour "eliane Viennot marguerite de valois"

 A.G.R  (Litterama) : A-t-elle souffert de la réputation que lui a faite Alexandre Dumas ?

Oui et non. Marguerite de Valois a commencé à être un sujet d’étude à partir de la seconde moitié du 18e siècle. Après le succès de La Reine Margot (1845), elle l’est en partie restée pendant quelques décennies, mais de plus en plus d’historiens ont décidé que c’était un sujet indigne, et elle a été abandonnée des chercheurs et chercheuses durant la presque totalité du 20e siècle. Bien d’autres romanciers ont travaillé, après Dumas, à sa « chute » dans l’ornière. Au 20e siècle, elle n’est plus un sujet d’étude, mais elle est un sujet de bavardages pseudo historiques incessants, de romans de gare, comme les Histoires d’amour de l’histoire de France de Guy Breton (c’est le pire).

A.G.R  (Litterama) : Quelle est la postérité que vous lui souhaiteriez ?

Eliane Viennot : La plus juste possible : une postérité qui s’appuie sur ses actions, ses écrits, ses mérites…

A.G.R  (Litterama) : Quels sont les goûts de Marguerite en matière de littérature à son époque ? Que lit-elle?

Eliane Viennot : Elle a lu énormément de choses, mais elle n’en parle pas précisément donc c’est difficile de savoir quoi exactement. Elle a grandi au temps où la Pléiade brillait à la cour. Ronsard a écrit une bergerie qu’elle a joutée, et elle cite (mal) Du Bellay. Elle s’est nourrie de Plutarque, comme tous ses frères, et la Vie des hommes illustres se devine en transparence dans ses écrits. Elle a d’ailleurs demandé à Brantôme d’écrire sa Vie… Elle a lu beaucoup de philosophes (surtout des néoplatoniciens), elle dit à quel point la lecture l’a réconfortée quand elle était gardée à vue au Louvre dans les années 1570 — mais elle a sûrement en tête les longues années passées à Usson. Ses contemporains la considéraient comme un puits de sciences, et en plus elle s’intéressait à tout. Il faut lire aussi les dédicaces qu’on lui a adressées (certaines sont en ligne sur le site que je lui ai consacré): elles disent beaucoup des relations intellectuelles que « ses » auteurs entretenaient avec elle.

A.G.R  (Litterama) : En quoi ses Mémoires, et ses différents écrits, présentent-ils un intérêt pour l’histoire littéraire ?

Eliane Viennot : Ses Mémoires sont à l’origine du genre des mémoires aristocratiques. Ils ont paru en 1628, et tout de suite le livre a été célèbre. Quarante ans plus tard, des témoins disent encore que « le livre est dans toutes les mains ».

A.G.R  (Litterama) : Est-ce un geste unique à son époque ? D’autres femmes parmi ses contemporaines se sont-elles essayé à cet exercice ?

Eliane Viennot : Elle est la première, mais elle ne savait pas qu’elle était en train d’inventer un genre ! Le début de ses Mémoires montre qu’elle ne fait que répondre à Brantôme, qui lui a envoyé un discours sur sa vie. Elle dit « stop », là, vous vous trompez, je vais vous expliquer la véritable histoire, comme ça vous pourrez retoucher votre discours. Mais elle s’est prise au jeu. Puis, en revenant à Paris, elle a laissé tomber le texte, elle avait mieux à faire, sans doute. En tout cas elle ne s’est pas occupée de le laisser en bonne forme pour la postérité. D’où le fait qu’on n’en possède qu’un morceau: toute la fin manque.

A.G.R  (Litterama) : Vous avez créé deux collections, « La Cité des dames » et « L’École du genre », aux Publications de l’université de Saint-Étienne, quels ouvrages recommanderiez-vous plus particulièrement ?

Eliane Viennot : Je trouve tous ces livres importants. La première collection a remis en circulation des textes très difficiles d’accès, soit parce que non réédités, soit parce que reparus dans des collections très onéreuses. L’édition des Mémoires en est à son troisième retirage, celle des Enseignements d’Anne de France au deuxième. C’est la preuve que ces textes ont circulé, été étudiés. La seconde collection a fait connaitre  beaucoup de travaux étrangers, et en général des problématiques tout à fait pionnières. Elle a participé la diffusion des études sur le genre — et de la prise de conscience de l’intérêt des travaux sur la longue durée; car c’est une caractéristique de cette collection.

A.G.R  (Litterama) : Vous êtes une chercheuse particulièrement active et engagée, quelles initiatives auprès du grand public  manquent encore pour diffuser les résultats de la recherche ? Cela pourrait-il contribuer à changer les mentalités ?

Eliane Viennot : Il faudrait que les directions officielles de la recherche suivent ! Et que des enseignements pérennes soient mis en place, au lieu de dépendre de la bonne volonté de quelques enseignantes. Aujourd’hui en France, il y a toujours aussi peu de chaires d’études féministes (ou de genre) qu’il n’y en avait dans  les années 1980 ! Personnellement, tout le travail que j’ai réalisé à Saint-Etienne (enseignement, recherche, éditions) est annulé par mon départ à la retraite. Tout s’arrête.

A.G.R : De tous les livres que vous avez écrits ou ceux auxquels vous avez participé, quel est votre « bébé », celui qui vous a coûté le plus, et dans lequel vous vous retrouvez totalement ? Lequel en priorité nous recommanderiez-vous ?

E.V : J’ai beaucoup aimé faire l’édition des écrits de Marguerite, notamment celle de sa correspondance, qui était très inconnue du monde de la recherche et qui ne peut plus être contournée à présent.

L’autre travail très important est ma recherche sur La France, les femmes, et le pouvoir

J’y suis depuis plus de vingt ans, et ce n’est pas fini: le volume 4 devrait paraître d’ici peu, et je dois confectionner le dernier volume. Au bout du compte, nous disposerons d’une histoire de  France des relations de pouvoir entre les femmes et les hommes.
A.G.R : Pour finir, qu’aimeriez-vous dire aux lecteurs de Litterama ?

E.V :  Lisez des autrices !

Photo Eliane Viennpt : Nattes à chat [CC BY-SA 4.0 (https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0)%5D, de Wikimedia Commons