Archives pour la catégorie Les femmes et le théâtre

Rencontre « Le théâtre en mâle d’héroïnes », actrices, représentations, réalités/ Lundi 16 mars à 20H30 au théâtre de la colline

Sarah Bernhardt

Vignette Les femmes et le théatreOn se rend rarement compte des absences, de ceux qu’on n’invitent pas, qui ne sont pas là, ou plutôt de celles… Les femmes, là aussi, sont peu présente, pourtant elles assurent leur part de la création contemporaine. Elles sont là mais on ne les voit pas toujours, on ne les joue pas toujours… Les rôles féminins sont souvent stéréotypés, et les créateurs contemporains ont fort à faire pour déconstruire les représentations. Parfois, cela me fatigue d’avoir à signaler, avec d’autres, ce qui devrait aller de soi. C’est un système qui produit ses propres inégalités, et non des hommes ou des femmes. Un système qui génère ses propres représentations nées de l’habitude, de la tradition, de la paresse intellectuelle, du confort du déjà-connu ou du déjà-vu.  Et lutter contre cela demande une énergie considérable.

Une de mes relations me signalait qu’elle s’était rendue compte à la lecture de mon blog, qu’elle ignorait bon nombre des auteures que je citais, et qui faisaient donc partie du patrimoine. Elle s’est demandée pourquoi, mais c’était la première fois, vraiment, qu’elle se posait la question. La plupart du temps elle prend les livres sur les étals des libraires, ceux qui sont mis en avant, ceux dont les critiques sont les plus élogieuses. Ceux dont elle entend le plus parler.

avec
Stéphane Braunschweig, metteur en scène et directeur de La Colline,Marie Buscatto, professeure en sociologie à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne,Aline César, présidente de l’association HF Ile-de-France, metteure en scène,Valérie Dréville, comédienne,Geneviève Fraisse, philosophe, CNRS,Claire Lasne Darcueil, metteure en scène et directrice du Conservatoire national d’art dramatique,Magali Mougel, auteure,Célie Pauthe, metteure en scène et directrice du CDN de Besançon,

La Colline s’engage depuis 2 ans au côté de 29 théâtres franciliens dans la saison égalité hommes/femmes, rencontre animée par Joëlle Gayot, journaliste à France Culture et à l’hebdomadaire La Vie

Le théâtre classique a largement contribué à véhiculer les archétypes féminins. Mais que donnent à voir et à jouer les scènes contemporaines en matière de représentations féminines ? Les écritures dramatiques et les mises en scènes proposent-elles des rôles différents aux actrices ? Ces rôles sont-ils en phase avec les places qu’occupent les femmes dans notre société ?

Les invité(e)s balayeront le champ des possibles dans la carrière d’une comédienne d’aujourd’hui.
mmes portée par l’association HF ile-de-France www.hf-idf.org

La Pluie d’été – Marguerite Duras/Sylvain Maurice au CDN de Sartrouville

Théâtre de sartrouville

La pluie d’été mise en scène par Sylvian Maurice

Avec Nicolas cartier, Pierre-Yves Chapalain, Philippe Duclos, Julie Lesgages, Philippe Smith, Catherine Vinatier

Collaboration à la mise en scène, Nicolas Laurent, scénographie et costumes, Maria La Rocca, assistée de Jules Infante, lumière de Marion Hewlett, son de Jean de Almeida, construction décor du Bureau d’Etudes Spatiales, , répétitrices Béatrice Vincent, Olivia Sabran, régie générale Rémi Rose

 

La scène de théâtre est un lieu magique où les mots prennent vie, s’incarnent, où les corps eux-mêmes ont leur propre grammaire, leur syntaxe et où la rencontre du texte et du corps produit une émotion profonde et singulière.

Vignette Les femmes et le théatrePublié en 1990, La Pluie d’été raconte la vie d’une famille d’immigrés –le père, la mère et leurs nombreux enfants, hors de la culture, de la richesse et du pouvoir, vivant en banlieue parisienne, à Vitry, dans une ville dévorée par ses grands ensembles. Individus que l’on pourrait croire impuissants mais qui au contraire sont dotés d’une énergie, d’une vitalité extraordinaires. Ernesto, l’aîné, refuse d’aller à l’école car il ne veut pas apprendre ce qu’il ne connaît pas, mais fréquente tout de même les sorties d’écoles, les lycées, et des universités.

Cela m’a fait penser à une parole biblique que je ne saurais plus exactement situer mais qui dit en substance, « Tu ne m’aurais pas cherché, si tu ne m’avais déjà trouvé. » Peut-être ne cherche-t-on que ce que l’on connaît intimement, profondément, ce qui répond aux questions les plus urgentes que nous nous posons et auxquelles nous avons déjà apporté une réponse. Cela me fait penser à la réminiscence grecque, au christianisme, enfin à un certain mysticisme. Pourtant Ernesto n’est pas replié sur lui-même mais ouvert au monde qu’il observe intensément.

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Lorsque nous sommes arrivés dans la salle, les comédiens étaient assis au bord de la scène, le regard au loin. La mise en scène très dynamique, la scénographie, les lumières impulsent un mouvement qui emporte et captive le spectateur tout au long d’une représentation où l’on ne s’ennuie jamais. Les comédiens sont excellents, la mise en scène intelligente, sensible et efficace.

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« Comme la langue d’origine des personnages n’est pas le français ou bien qu’ils sont analphabètes, Duras invente une langue originale. Surtout, elle donne l’illusion « qu’on pense comme on parle. ». les pensées s’énoncent en direct , au présent, dans un étonnement permanent. Ernesto et sa mère, qui fonctionnent en miroir, accouchent de ce qu’ils ont à dire en même temps qu’ils le disent. La pensée est sur un fil, dans une continuelle reformulation. Les pensées les plus hautes se heurtent à la trivialité d’un parler populaire. […]Au fur et à mesure qu’Ernesto acquiert de nouveaux savoirs (et il assimile tout), il va être traversé par « une conscience de l’inconnaissable ». Ernesto se sert du grand livre brîlé, L’Ecclésiaste. En même temps qu’il s’identifie à david, roi de jérusalem, il en acquiert la pensée tragique : « J’ai compris que tout est vanité/ Vanité des vanités/ Et poursuite du Vent. » explique Sylvain Maurice qui donne à entendre Duras de la plus intelligente façon.

Les réécritures de Médée 9/11 : Medealand de Sara Stridsberg. Le féminin en exil…

Sara Stridsberg – Medealand – L’Arche – 2011 (2009 Sara Stridsberg)

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Vignette Les femmes et le théatre« Quand personne ne te voit, tu peux douter, t’effondrer. Mais tu dois apprendre à t’incliner devant le monde quand il te regarde. Personne n’y échappe. Aucune femme. Pas même toi, Médée » dit la mère de Médée qui apparaît dans une sorte de rêve alors que Médée est allongée par terre sur le sol de la salle d’attente d’un hôpital psychiatrique.

La Médée de Sara Stridsberg est le féminin en exil. La femme marginale, celle qui ne sait pas se tenir dans les limites de la décence, de la raison, celle qui se révolte alors qu’elle devrait se résigner. Elle fait exploser le cadre. Et elle porte toute la douleur et l’indifférence de celui qui n’aime pas. Elle aime Jason qui ne l’aime plus, et cet amour qui lui a donné tant de force la rend immensément fragile, bruyante, pleine de fureur, inconvenante. Sa révolte est absurde et funeste. L’Autre est absolument libre, hors de portée parfois de nos désirs. Le nier, c’est entrer dans la folie.

Il faudrait juste qu’elle puisse l’oublier, et qu’elle parte avec ses enfants. Mais au lieu d’accepter la réalité, elle s’immole dans sa douleur alors que Jason représente la raison, le sort, le destin contre lequel on ne peut rien.

« L’amour c’est le gaz carbonique du sang. L’amour c’est une punition. Dans le futur, personne n’aimera. L’amour sera supprimé. Une barbarie révolue, incompréhensible et antidémocratique. Tout le monde rira de nous, pauvres fous aimants. »

L’amour est une folie relativement inoffensive quand elle est partagée. Celui qui aime seul est comme une toupie aveugle dont la seule force est son propre centre, une force centrifuge. Qui n’a jamais vécu cela ? Aimer quelqu’un qui ne vous aime pas ? A force de tourner sur soi-même, on se disloque :

« Etat de Médée : Détruite. Eteinte. Morte. Etat de Médée : Avale des somnifères. Avale trop de somnifères. Suicidaire. »

Mais que ferait Médée, cette femme charnelle, dont le corps de femme amoureuse est une île délaissée, dont on image les caresses comme autant de chants. Un corps prisonnier de la violence de son désir. Que ferait-elle aujourd’hui ? Comment ne pourrait-elle pas nous toucher ?

Que peut-elle faire ici, dans un monde d’infidèles, de sites de rencontres qui vous aide à truquer vos vies et à mentir ? Comment pourrait-elle vivre aujourd’hui ?

L’amour dure trois ans dit-on, alors Médée est condamnée à mourir sans fin, éternellement.

Jason arrive :

« Bien sûr qu’on va rester amis. Tu t’en remettras. On n’a qu’à s’appeler quand tout sera calmé ? »

Ne disent-ils (et elles) pas tous ça ? Et si on ne s’en remet pas ?

Comment Médée pourrait-elle jamais se calmer ? Elle, l’étrangère sous le coup d’un arrêt d’expulsion. Elle qui n’a plus aucune attaches, rien qui la retienne, ni son amour, ni ses enfants.

« Le verdict est le suivant : Médée est expulsée. Elle doit impérativement quitter le pays. Sans délais. Sous peine d’être reconduite à la frontière avec escorte policière, si elle ne quitte pas le territoire volontairement ».

Dans la pièce de Sara Stridsberg, elle est dans l’après.

Médée tue ses enfants pour ne plus aimer, pour être délivrée. Médée me bouleverse profondément et parle à la femme que je suis.

« Plus de retour possible. Plus rien à détruire. Plus personne à aimer. »

Plus personne…

Les réécritures de Médée 8/11 : L’Assassine Médée 99 de Yonnick Flot

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Yonnick Flot L’Assassine Médée 99, Editions Proverbe, 1999

Vignette Les femmes et le théatreCette Médée-là n’a a priori aucun lien de parenté avec La Médée antique, si l’on excepte quelques détails troublants. Tout d’abord, elle vit, ici en France, en 1999, dans le quartier des Batignolles à Paris. Elle est comédienne et va bientôt être jugée devant un tribunal : elle a assassiné ses deux enfants. On est bien loin de La Colchide et de la toison d’or.

Elle reçoit son avocat commis d’office en prison : son crime épouvantable fait d’elle un monstre et aucun avocat à la réputation établie ne veut la défendre.

D’ailleurs qui est-elle ? Un cas psychiatrique ? Une amante trahie qui sombre dans la déraison ?

Des ressemblances avec la Médée d’Euripide commencent à apparaître à la lecture : son amant s’appelle lui aussi Jason, et comme le Jason corinthien il l’a trahie pour une femme plus jeune, plus belle peut-être qui récolte les honneurs et les succès.

Médée des Batignolles est elle aussi une étrangère : elle vient d’un autre pays « mais il n’était pas de la bonne race, pas de la bonne religion, pas de la bonne géographie, pas de la bonne politique… ». Médée, comédienne, femme, doit jouer son rôle jusqu’au bout dans une pièce écrite avant elle.

Une intéressante mise en abyme structure la pièce : la comédienne qui va jouer Médée ressent quelques angoisses à jouer pareil rôle avant d’entrer en scène: « Pas le trac, la trouille. Pas du public, d’Elle. De jouer son rôle. J’aurais jamais dû accepter. Comment dire l’indicible, traduire l’impensable, l’incompréhensible, l’inexplicable, défendre l’indéfendable ? Je peux tout pardonner à une femme sauf ça ! »

Une comédienne « n’a pas le choix », elle doit dire son texte « jusqu’à la fin ».

« Il me reste à commettre pour l’éternité l’acte de la parole. Le théâtre crie la vérité ; le monde chuchote le mensonge. Je suis l’éphémère immortelle. Je meurs tout juste née mais je renais tous les soirs et le malheur d’exister devient le bonheur de jouer. »

La pièce sera jouée, rejouée sans fin, pour l’éternité. Médée revivra chaque soir devant les yeux des spectateurs. Elle n’aura pas d’échappatoire… Son crime sera posé à jamais devant elle.

Les réécritures de Médée (7/11)- Médée de Franca Rame et Dario Fo in « Récits de femmes et autres histoires »

Dario Fo (Prix Nobel de littérature 1997), Franca Rame, Médée in Récits de femmes et autres histoires

Vignette Les femmes et le théatreDans cette courte pièce, avec un angle de vue très féministe, le mythe de Médée est totalement déconstruit. Qu’est-ce qui est dit du statut de la femme à travers Médée ? Ce mythe a été écrit et réécrit jusqu’au XXe siècle par des hommes. Les femmes qui s’attaquent au mythe le transforment. Les quelques auteures, Sara Stridsberg, Franca Rame (Il est d’ailleurs très curieux que les réécritures soient essentiellement masculines) et Christa Wolf ont un regard très différent sur Médée, Sara Stridsberg en fait un cas psychiatrique (qui peut expliquer le meurtre), Christa Wolf en fait une guérisseuse victime des Corinthiens (elle ne tue pas ses enfants) et Franca Rame le traduit en fonction de rapports sociaux de sexe, dans le cadre d’une société patriarcale, où l’image de la femme est conditionnée par des relations de soumission et de dépendance. Médée donne à Jason la jeunesse et la beauté, et pour cela accepte de vieillir. « Car si deux êtres ne sont pas unis par l’amour VRAI, fait d’affection surtout et de respect, eh bien ! quand tu vieillis et que tu perds ton attrait sexuel, tu es bonne à jeter. » Voilà le statut de la femme : un objet sexuel dont dispose les hommes selon leur désir. Il n’est pas rare, dit-elle, de voir des hommes avec des femmes de vingt ou trente ans plus jeunes et Franca Rame, impertinente, ne résiste pas au plaisir de se moquer des risques sérieux que ces hommes encourent (infarctus etc.) Sa Médée n’est pas une Médée « sentimentale », ivre de jalousie et de colère, mais une Médée révoltée, qui s’adressant aux autres femmes, dénonce la façon dont les hommes se servent de leur maternité pour les aliéner. Elle enjoint ses congénères à tuer symboliquement, bien sûr, à travers une allégorie, leurs enfants. On sait que le féminisme des années 70 a beaucoup fait pour la contraception des femmes, et leur libération du poids des grossesses à répétition qui les enchaînaient au foyer, et les épuisaient physiquement et psychiquement. Il n’y a pas de doute, la Médée décrite par les femmes, ne tue pas ses enfants par amour. L’amour n’est pas toute sa vie ; elle est un être autonome dont les intérêts sont multiples et dont les objets d’attachement ne se limitent pas à un seul homme. Le mythe n’en a pas fini de grandir, nous pouvons en être sûrs…. Texte jubilatoire bien sûr… Franca Rame, née le 18 juillet 1929 à Parabiago, dans la province de Milan en Lombardie et morte le 29 mai 2013 à Milan, est une comédienne, une femme de lettres, auteur de pièces de théâtre ainsi qu’une femme politique italienne. (source Wikipédia)

Festival « Seules en scène » 5e édition au Théâtre de l’Ouest Parisien Boulogne Billancourt

Festival Seules… en scène Théâtre de l’Ouest Parisien – Boulogne Billancourt

Vignette Les femmes et le théatrePour la cinquième année, le TOP présente le festival de théâtre SEULES… EN SCENE dédié aux femmes artistes.
Femmes auteur, metteur en scène ou comédienne…
« Elles nous ouvrent la porte de leur monde ou nous font entendre les voix d’autres femmes. Seules en scène, elles nous
racontent des histoires singulières, profondes ou légères, drôles ou poétiques, des histoires de vie. »site du TOP

Le silence de Molière de Giovanni Macchia le mardi 12 mai 20H30 avec Ariane Ascaride

Esprit-Madeleine était la fille de Molière et d’Armande Béjart. Si son existence fut bien réelle, on sait très peu de choses sur sa vie, sinon qu’elle a choisi de fuir la scène pour se murer dans la solitude et un étrange silence.
Ariane Ascaride, dirigée par Marc Paquien, fait résonner toute l’intensité du secret d’une vie.

A la recherche d’Albertine Sarrazin le mercredi 13 mai à 20H30 avec Mona Heftre mise en scène de Manon Savary

Abandonnée à la naissance, Albertine Sarrazin est une enfant brillante et indisciplinée. Le jour du bac, elle s’enfuit pour rejoindre Paris en auto-stop. Mineure et recherchée, s’enchaîne alors l’inévitable : vol, prostitution, prison…
En 1966, Albertine Sarrazin devient brusquement célèbre en publiant ses deux romans autobiographiques, tous deux écrits en prison : La Cavale et L’Astragale.
Mona Heftre dit et chante Albertine Sarrazin. Elle dévoile l’autre visage de cet écrivain qui a tant défrayé la chronique.

L’odeur des planches de Sedira Samira le samedi 16 mai

« Samira était comédienne, elle jouait sur les scènes des plus grands théâtres. Puis, du jour au lendemain, plus aucune proposition. L’Odeur des planches raconte ce qui peut arriver à chacun de nous : perdre son emploi et voir son existence basculer. Sandrine Bonnaire incarne cette comédienne avec la grâce et la délicatesse qu’on lui connaît et apporte avec pudeur un témoignage sur la crise d’aujourd’hui. »

Entretiens d’embauche de Anne Bourgeois et Laurence Fabre Mise en scène Anne Bourgeois le mardi 19 mai

La femme, qu’incarne Laurence Fabre, trie inlassablement ce qui est acceptable dans l’existence, et ce qui ne l’est pas. Elle demande du travail, des objets, du temps, de l’amour… tout ce en quoi il est nécessaire de croire pour vivre. Sur le mode comique, ce spectacle raconte la force de vivre face à l’adversité.

Madame Marguerite De Roberto Athayde Mise en scène Xavier Lemaire le mercredi 20 mai AVEC VALÉRIE ZARROUK

Dans sa classe de CM2 Madame Marguerite se croit investie d’une mission vitale. Le but de cette foldingue, c’est le bonheur même si elle n’y croit plus tout à fait. Ses leçons de vie sont des appels à la résistance et tous les moyens sont bons. Valérie Zarrouk prend à bras le corps le personnage extravagant de cette institutrice rendue célèbre par l’adaptation de Jean- Loup Dabadie et l’interprétation à sa création d’Annie Girardot.

Journal de ma nouvelle oreille – de et avec  Isabelle Ruchart  le jeudi 21 mai à 20H30 – Adaptation et mise en scène de Zabou Breitman

Entendre, c’est le grand problème auquel la comédienne Isabelle Fruchart a été confrontée dès l’âge de quatorze ans alors qu’elle perdait, sans explication, une grande partie de son audition de manière irréversible. Isabelle se construit alors un monde d’approximations qui l’isole et la rend étrange… jusqu’à ce que, vingt ans plus tard, elle se fasse appareiller. Commence alors l’apprentissage du vacarme du monde.

Paroles de femmes : Médée (4)

– Non Médée, c’est la nature, c’est de nature que l’homme met plus longtemps à vieillir… L’homme avec le temps se fait et nous nous défaisons. Pour nous autres femmes c’est l’avachissement, pour lui la maturité pleine de saveur. Le pouvoir que  nous perdons, il l’acquiert. Ainsi va le monde.

– Misérables que vous êtes ! Je vois bien, femmes, que rien n’a autant servi à l’homme que de nous avoir dressées à sa loi, enseignées à sa doctrine… Répéter sa leçon devient votre bonheur. Vous vous inclinez au lieu de vous rebeller. »

in Dario Fo et Franca Rame – récits de femmes et autres histoires

Franca Rame

Les réécritures de Médée (7) : Médée de Hans Henny Jahnn

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Médée de Hans Henny Jahnn traduit par Huguette et René Radrizzani , José Corti , 1988 pour l’édition allemande, 1926 pour la première version, 1998 pour la présente traduction

Vignette Les femmes et le théatre« Médée, c’est moi »[1] aurait pu dire Hans Jenny Jahnn qui se sentait lui-même « femme, marginal, barbare », et a pu « réinventer le mythe de l’intérieur »[2].

La nouveauté de cette transposition au XXe siècle réside dans d’importantes transformations de la version d’Euripide dans le sujet, le déroulement, la thématique et la conception des personnages : tout d’abord Médée est noire, ses fils sont mulâtres et sont parvenus à l’adolescence. Le fils aîné devient amoureux de Créuse mais lorsque le père, Jason, va demander sa main au roi Créon (raciste et xénophobe), ce n’est pas pour son fils qu’il fait cette démarche mais pour lui-même. Doté de l’éternelle jeunesse, Jason a de fréquents et violents appétits sexuels qu’il satisfait autant avec les filles que les garçons. Des relations incestueuses existent dans la famille, le père a des relations sexuelles avec le fils aîné et le fils aîné avec le frère, ce que Jahnn nomme pudiquement « être ami ». Une très grande vitalité sexuelle habite tous les personnages et Médée n’est pas en reste et, bien que vieillissante, attend toujours Jason pour honorer sa couche.

Le prétexte au drame sera donc celui-là : Médée attend en vain Jason qui ne vient plus la voir, tout occupé qu’il est de ses conquêtes. Non seulement il ne viendra plus mais il va en épouser une autre.

L’auteur a adopté la forme du vers libre où prédomine le vers classique allemand (le Blankvers) dans cette version , mais une première version manuscrite a été rédigée en prose.

Plusieurs grands thèmes structurent l’œuvre dans des oppositions fondamentales : la barbare et le civilisé, la femme et l’homme, la jeunesse et la vieillesse, la sexualité et la mort (création et destruction) et lumière et obscurité.

L’auteur critique aussi la société occidentale du début du siècle, colonialiste et raciste :

« Pourquoi les nègres doivent-ils être pour nous des barbares, comme les Colchidiens l’étaient pour les Grecs? – Peut-être seulement parce que nous nions l’histoire de l’humanité et ses grandes nostalgies. ce que les nègres et les Chinois n’ont pas encore fait. Si nous réfléchissons à ce que nous sommes, nous oublierons le mot « barbare ».

« Médée, femme bafouée, victime de l’homme pour lequel elle a tout sacrifié, tenue à l’écart par une civilisation patriarcale, est proche de la nature et des grandes forces qui règnent dans l’univers. Elle est la matrice de l’univers et la puissance destructrice, symbole des forces qui pour Jahnn préside à toute destinée. ».

A signaler que dans le mythe, dans certaines versions, Médée ne tue pas ses enfants, c’est Eumélos de Corinthe (vers 700 avant J.-C 😉 , le premier à introduire l’épisode corinthien, Médée tue ses enfants accidentellement, par la cérémonie de dépeçage destinée à leur assurer l’immortalité ou une jeunesse perpétuelle.

 Hans Henny Jahnn (né le 17 décembre 1894 à Hambourg Stellingen – mort le 29 novembre 1959 à Hambourg) était un romancier, dramaturge facteur d’orgue et éditeur de musique allemand(fondateur des éditions Ugrino-Verlag).

Né Hans Jahn, il changera plus tard son prénom en Henny et ajoutera un « n » à son nom de famille, considérant le bâtisseur de cathédrales Jann von Rostockcomme son ancêtre. Au centre du travail littéraire de Hans Henny Jahnn on trouve l’angoisse existentielle à laquelle l’homme ne peut échapper que par l’amour, l’empathie avec les autres et la création. La perte de l’amour est donc toujours une chute tragique dans les agonies fondamentales au-delà du simple deuil. Jahnn occupe une place singulière dans la littérature allemande et ne peut être assigné à aucun mouvement littéraire. Il a dépassé les éléments expressionnistes présents dans son œuvre de jeunesse pour un style original que l’on peut caractériser de « réalisme magique ». Ses travaux évoquent parfois le Surréalisme en peinture.

Antimilitariste et adversaire résolu du nazisme, figure exemplaire d’une lutte pour la défense de la vie sous toutes ses formes, Hans Henny Jahnn a laissé une œuvre baroque, noire, singulière, considérée par ses pairs comme l’une des plus originales de la littérature contemporaine. (Wikipédia)

[1] Postface de Huguette et René Radrizzani

[2] ibid

Médée jouée (2) Médée d’Anouilh

Paroles de femme : Médée (3)

« Ce que tu dis des hommes

ne vaut pas pour toi; mais cela accable

deux, trois fois plus une femme

qui a dû accoucher. Elle vieillit avant l’heure,

et ensevelit le sang de son corps, pour qu’éclate

le rire des enfants. A ses seins

les innocents boivent, afin qu’un futur,

un devenir s’accomplisse; une vie

périlleuse, et la déchéance de l’éternelle beauté. »

in » Médée » Hans Henny Jahnn

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Les réécritures de Médée (6) – Médée Matériau de Heiner Müller

heiner mullerMédée Matériau in Germania, Mort à Berlin, 1985 pour la traduction française. traduit de l’allemand par Jean Jourdheuil et Heinz Schwarzinger

Vignette Les femmes et le théatre« Mes textes sont écrits souvent de telle manière que chaque phrase, ou une phrase sur deux, ne montre que la partie émergée de l’iceberg, et ce qu’il y a en dessous ne regarde personne. »
Heiner Müller

La Médée de Heiner Müller me touche particulièrement par sa force brute, forme ramassée en vers, entre théâtre et poésie, toujours au bord de l’implosion. Mais peut-être aussi parce que sa brièveté, entre deux textes (Rivage à l’abandon, Paysage avec Argonautes), éclaire un aspect qui pour moi s’était dilué dans les autres versions beaucoup plus longues, le rapport entre la trahison et la mort. Les propos de Heiner Müller le rendent encore plus bouleversant lorsqu’il raconte ce qui a semblé pour lui la pire expérience de la trahison : « Quand mon père a été arrêté en 33, j’ai compris ce qui se passait. On a jeté pêle-mêle ses livres, on l’a frappé et moi j’ai regardé par le trou de la serrure — ce qui est aussi une situation théâtrale -, et puis je suis retourné dans mon lit. (…) Et puis la porte s’est ouverte, mon père était encadré par deux SA, et il m’a appelé. J’ai fait semblant de dormir. C’était ça, ma trahison. »[1]

Ce thème est éternel car nous faisons chacun notre propre expérience de la trahison ; elle s’inscrit dans notre humanité même, nos failles les plus profondes, trahison d’un amant, d’un ami, d’une idée, d’un idéal, d’un rêve. Ce moment où on est projeté rampant sur le sol condamné à ne plus jamais vraiment se relever.

«  Ma trahison qui fut ton plaisir », « Prends Jason ce que tu m’as donné/ Les fruits de la trahison issu de ta semence. »

Médée a trahi la confiance de son père en aidant Jason à voler la Toison d’or, sa patrie, la Colchide, pour l’envahisseur étranger, son frère qu’elle a tué et dépecé pour ralentir leur fuite.

La collaboration avec l’ennemi dans sa tentative de colonisation, est la première des trahisons de Médée, et peut se lire dans toute l’histoire de l’Europe, pour tous ceux qui à un moment donné ou un autre, ont aimé l’envahisseur étranger.

Une Médée puissante qui résonne de manière vibrante de toute l’Histoire de ce continent mais pas seulement (Que pouvait-on penser des amours d’une vietnamienne et d’un yankee ?).

Heiner Müller est un dramaturge, directeur de théâtre, et poète est-allemand. Après la Seconde Guerre mondiale, il choisit de rester dans la RDA naissante, pour des raisons politiques et personnelles. Ses parents sont passés à l’ouest en 1951 mais il ne les a pas suivis. Nombre de ses textes ont été interdits et joués à l’Ouest avant la chute du mur. Il est mort à l’âge de soixante-six ans[2] , né en 1929 mort le 30 janvier 1996. Directeur du Berliner Ensemble, le théâtre mythique de Bertolt Brecht, « il avait été profondément marqué par la guerre et ses trahisons qui lui inspirèrent une œuvre puissante, provocatrice et sans illusion  sur la nature des hommes et de la politique. » (voir la revue de presse très complète sur le site des Éditions de Minuit).

[1] http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Medee-Materiau-2093/ensavoirplus/idcontent/11527

[2] http://www.leseditionsdeminuit.fr/f/index.php?sp=livAut&auteur_id=1436

Médée-matériau

Les réécritures de Médée (5) : Médée de Max Rouquette

Max Rouquette – Médée – traduit de l’occitan par Max Rouquette – Magnard 2008

Vignette Les femmes et le théatreMax Rouquette a vécu à Aniane, près d’Argelliers pendant une dizaine d’année comme médecin avant de se fixer définitivement à Montpellier où il prend sa retraite de médecin conseil en 1974. Ardant défenseur de la culture et de la langue occitanes, il a écrit toute son œuvre dans cette langue avant de la traduire en français.
C’est donc une Médée occitane que met en scène l’auteur, renouant avec la sorcière de la mythologie, par delà le bien et le mal, éternelle et insaisissable autant qu’allégorique.
Médée, dont l’orgueil démesuré précipitera la perte de Jason et de ses enfants.
Max Rouquette voyait sa pièce dans un style « pierreux, brutal, dur, sans ornements, mais parfois avec l’ampleur du vent, de la chaleur, de l’air, du ciel, de la nuit. »
La Médée de Rouquette se veut éternelle. Elle continue à interroger chaque homme à travers le mythe.
Il renoue avec la tradition du chœur, resté vivant dans la culture méridionale, le groupe des vieilles, sur le pas des portes, ou sur les bancs, sur les places, épient et commentent la vie du quartier ou du village et de ses habitants. Ce sont les commères à la langue acérée, sans illusions et cruelles, qui déchiquètent de leurs mots celui ou celle qui s’éloignerait de la morale publique. Elles sont mielleuses, et savent distiller le soupçon, alimenter la rumeur.
Il les imagine avec des masques (préface) qui « leur donneraient l’apparence de chouettes, hiboux, grands ducs […], hurlant à la mort, et sans grande pitié au cœur. »
La mère du chœur renvoie la parole majeure, « reprise et balancée et envoyée d’un groupe à l’autre. »
De cette terre de rocailles, et de soleil, rendue chrétienne après de furieux massacres, l’auteur utilise la forme des psaumes qui s’accordant parfaitement à l’occitan, et donnant une musicalité plus grande au texte, lui insuffle une certaine sacralité.
La langue est comme le ruisseau dans les rocailles, elle coule, s’élance, rebondit en cascades, s’apaise en murmures.

Médée est une gitane, une nomade, une étrangère. A l’orée de la ville, dont elle entend seulement les échos, elle fait partie « des voleurs, des exilés, des chasseurs sans feu ni lieu, des condamnés, des bannis. »
Elle est « de ceux qui ont fui leur pays, leur roi, leur peuple ; ceux que poursuit la vengeance éperdue de la haine, et les meutes féroces du malheur. »
Elle est celle par qui le mal arrive.
Elle se dresse, seule, face à l’opprobre et au malheur, indomptable dans son orgueil : « Nous sommes de la race du soleil : nous savons le regarder en face. Il n’est ni roi, ni dieu pour nous faire agenouiller. »
Elle est lucide : « Il n’y a personne pour nous aimer. Quand ils nous acceptent c’est par crainte de nos maléfices. Ils nous donnent pour nous voir partir. Nos feux d’herbes et de chiffons leur empestent tout le pays. »
La solitude de Médée est la solitude de l’exilée, de celui qui se retrouve loin de sa terre natale dont elle a été bannie après le vol de la toison d’or et le meurtre de son frère.
Mais l’homme pour lequel elle a tout quitté non seulement l’abandonne mais la condamne à un nouvel exil. Un exil encore plus douloureux loin de l’homme qu’elle aime et sans ses enfants.
La pièce acquiert à nouveau ici une dimension politique :
« Qui peut parler d’amour, quand c’est la raison d’Etat qui domine ? « (p 59)
Jason abandonne Médée parce qu’il a peur :
« Nous sommes encerclés. Notre tête est déjà vendue. Notre sang va finir par se mêler à tout celui qui marque ton chemin. »
Médée ne tendra pas l’autre joue, non, elle n’est pas cette femme obéissante, à qui l’on peut dicter ses actes. Elle ne se laissera pas frapper deux fois et rendra coup pour coup.
« A moi, monstres cachés dans le sommeil de la matière ; tigres qui n’attendez que l’éclair dans l’apparence du sommeil. »

Elle est bien loin de la résignation professée par le chœur : « Que peut le pauvre dans le malheur ?/Il doit plier comme jonc dans le vent. »
Après avoir enchanté de ses sortilèges des présents mortels pour Créuse et le roi Créon, Médée décide de sacrifier ses enfants :
« Ils sont ces deux innocents, le piège de ta faiblesse, le masque de l’amour que tu gardes à Jason et qu’il faut sacrifier. »
Et il y a cette lutte entre Médée et la vieille pour arracher le couteau funeste. Le temps est suspendu.
« L’eau sera plane quand j’aurai tout effacé et que tout sera redevenu comme au temps passé. »
Comme si le meurtre pouvait tout annuler, comme si les événements pouvaient s’effacer de la mémoire.
« Je suis maîtresse du temps ! » clame-t-elle. Maîtresse du temps tragique, du temps circulaire, du temps de la pièce qui ne s’achève pas lors de la représentation , puisque la pièce continuera à être jouée.
L’espace de la tragédie est l’espace de l’exil : « l’exil de tout bonheur, de toute paix, de tout apaisement, de tout amour. »
Mais l’espace tragique est aussi ouverture sur la pensée et le mythe dans lesquels chaque humain puise assez de souffle pour continuer à avancer.

Paroles de femmes (2) : Médée

Oh! des couronnes fleuries pour la mariée, des joueuses de flûte aux pieds nus, des danseuses sans voiles, des musiques dessinant déjà les vagues de l’amour, les vagues que dans le soir, avec quelque peur, brûlée de désir, elle attendra ; les vagues de l’amour qui vinrent vers moi dans le chant seul, la seule musique de la mer;

des vagues seules nous venait le rythme, les vagues profondes du plaisir; et le vent du sud nous dérobait le râle à fleur de lèvres.(Un temps)

L’amour n’a pas besoin de musique pour engendrer la danse de l’amour, ni d’un lit de soie, ni d’une chambre obscure.

L’arche du ciel était notre palais, les étoiles en étaient les lustres, la mer était musique et danse,

et la danse, c’est avec elle que nous la faisions, fidèle à son rythme, venu du fond du temps. (Un temps)

Max Rouquette – Médée

Médée d'après delacroix

Les réécritures de Médée (4/11) – Médée de Jean Anouilh

Jean Anouilh – Médée – La petite vermillon – Editions la Table Ronde – 1947,1997

Vignette Les femmes et le théatre« Quelque chose bouge dans moi comme autrefois et c’est quelque chose qui dit non à eux là-bas, c’est quelque chose qui dit non au bonheur. » (cf p16)

Cette réécriture de Médée a lieu en 1947, la guerre est finie mais a laissé de profondes blessures, et l’Europe se relève à peine de ses décombres.

La version d’Anouilh s’inscrit dans une réflexion sur la résistance. C’est une écriture très belle et très épurée, ma version préférée, à ce jour, de Médée.

Dans la lignée d’Antigone, Médée se pose comme héroïne du refus, libre de dire non, dont la seule liberté consiste à dire non. Héroïne résistante, seule, quand le monde autour d’elle sombre dans la compromission.

La parole de Médée s’élève dans une solitude radicale. Alors que les gens du commun cherchent le plaisir de chaque jour, dans ces petits riens dont la reproduction et la répétition sont essentiels à la satisfaction et au bien-être. Quitte à ce que d’autres meurent pour eux. (cf la Nourrice et le garde pages 90 et 91)

« C’est alors que c’est bon, si on a pu grappiner quelques sous, la petite goutte chaude au creux du ventre. »

Médée vit dans le présent de la scène où elle advient à elle-même, en même temps que naît sa haine pour Jason et sa folie meurtrière. Ce moment où elle devient Médée, personnage tragique, dans la splendeur et le vertige de sa propre démesure.

Ce personnage naît dans le creuset d’un amour fou, terriblement charnel, indomptable et indompté, et de la douleur de l’abandon.

Médée n’est pas de ce monde, sa roulotte trace un espace à la lisière de l’espace social, commun et partagé (Ne pas oublier également que de nombreux roms furent déportés). Elle est en transit, n’appartient à aucun lieu, sinon celui de la tragédie, dans sa lumière solaire et implacable. Sa liberté est le destin auquel elle ne pourra pas échapper.

La scène est le lieu de l’exil, lieu qui condamne le personnage à aller jusqu’au bout de son texte, dans une série limitée d’actions et de paroles qui toutes auront une fin.

Lieu fermé et ouvert puisque Médée sans cesse rejouée et dé-jouée existe à nouveau dans chaque représentation, laissant ouvert le jeu des significations.

La fin tragique n’est pas une fin en soi mais un temps de transition qui ouvre sur de multiples interprétations.

Jason, lui, s’inscrit dans une généalogie, un temps linéaire et orienté : « Faire sans illusions peut-être comme ceux que nous méprisons ; ce qu’ont fait mon père et le père de mon père et tous ceux qui ont accepté avant eux. » (d’avoir les mains sales ?). Il croit échapper au temps de la tragédie dans une illusion qui semble sincère. Il fait le choix de l’avenir. Il accepte ce monde comme il est et souhaite y imprimer sa marque. Ce temps est aussi celui de la génération (sa jeune épouse veut des enfants ; on parle des futurs frères des fils de Jason et Médée.)

Alors que Médée renonce à l’amour et à la procréation symboles de sa soumission.

« Je l’attendais tout le jour, les jambes ouvertes, amputée . » p 21

« Il fallait bien que je lui obéisse, et que je lui sourie et que je me pare pour lui plaire puisqu’il me quittait chaque matin m’emportant, trop heureux qu’il revienne le soir et me rende à moi-même. »

Dans la passion amoureuse, le sujet s’aliène mais la femme plus encore. L’histoire, la psychanalyse, la littérature, la religion, la morale bourgeoise et puritaine l’ont réduite a être une absence de pénis, « amputée », une « chienne » vautrée dans son animalité, une « chair faite d’un peu de boue et d’une côte d’homme. », un « morceau d’homme », et une « putain ».

La femme est-elle seulement l’esclave de sa chair et du désir de l’autre ?

« Mais c’est fini ce soir, nourrice, je suis redevenue Médée. »

Le temps tragique permet à l’héroïne de reprendre possession d’elle-même dans une circularité bienfaisante. Elle revient à elle-même, à sa propre origine comme sujet autonome (capable de se donner sa propre loi.).

Trois longs dialogues d’une grande beauté (Médée et la nourrice, Médée et Créon, Médée et Jason) articulent l’œuvre et lui donne sa respiration dans un lyrisme qui engendre l’émotion (on atteint souvent au sublime, et ici je pense à la pièce de Corneille).

Le rythme est heurté, haletant parfois, contracté dans la douleur, il est celui de la passion (de la pulsion).

Les dialogues sont souvent asymétriques (Jason répond à Médée par des phrases très courtes puis le dialogue enfle jusqu’à donner cette magnifique réplique (p 62 à 68) où Jason raconte son amour de Médée.)

L’amour-passion fait de chacun un monde pour l’autre. Et c’est pourquoi il est tragique et circulaire.

Médée : « Sans moi. Tu as donc pu imaginer un monde sans moi, toi ? »

« Le monde est Médée pour toi, à jamais. »

Jason : « Le monde a-t-il donc toujours été Jason pour toi ?

Médée : Oui ! » (p 53)

La passion réduit le monde à n’être qu’un seul au détriment de tous les mondes possibles, au détriment aussi du monde réel.

La passion fait d’elle un « vautour », une « louve » ainsi que la nomme sa nourrice. Elle redevient Médée dans la solitude du héros tragique.

Jason dit qu’il veut accepter enfin, sortir des griffes de cette passion exclusive et violente. Je ne sais pas si on peu l’entendre dans le sens d’une collaboration. Mais être heureux dans le contexte d’un monde en guerre semble tout bonnement impossible. Comme il me semble également impossible de vivre un amour passionnel et exclusif où un seul prend la place de tous les autres. Les voies de Jason et de Médée sont toutes deux des impasses. C’est pourquoi chacun des deux se retrouvera finalement dans une solitude tragique.
Médée meurt, simple mortelle, dépouillée de son char et de ses dragons.

Jason : « Oui, je t’oublierai. Oui, je vivrai et malgré la trace sanglante de ton passage à côté de moi, je referai demain avec patience mon pauvre échafaudage d’homme sous l’œil indifférent des dieux. »

Paroles de femmes : Médée

Médée :
Tu l’entends?
La nourrice :
Quoi?
Médée :
Le bonheur. Il rôde.
Jean Anouilh – Médée