
Je retrouve l’écriture de Laurène Marx, après la lecture de « Pour un temps sois peu », intense et profonde.
Cette écriture des bords, de la limite-frontière, mais aussi de la ligne, qui si elle démarque relie aussi les bords entre eux dans un savant travail de couture, travaille cette notion de frontière, d’identité, qui nous donne forme et en même temps nous déforme et nous ampute. La couture c’est le travail de création mais aussi de réparation de l’autrice. C’est également une visée vers un au-delà et un deçà qui n’est pas soi mais qui nous institue. Je repense à cette formule de Nietzsche qui disait que l’homme devait faire de lui-même une œuvre d’art, et j’ai cette impression d’une autrice qui d’œuvre en œuvre se crée et se recrée.
Je n’ai jamais vu aucune de ses pièces jouée mais de texte en texte, la rencontre devient inévitable avec la chair des mots.
Le texte de la pièce relate la rencontre entre une jeune femme et une autrice, son double peut-être, à laquelle elle livre le récit de sa vie, afin de retrouver son amoureux perdu, peut-être pour lui expliquer ce qu’est cet amour qui fait mal en elle, pour en faire la genèse et comprendre ce qui le rend si dangereux pour elle et pour les autres. La confession , en même temps qu’elle délivre son message, délivre de tout mal.
« Chez moi les femmes elles se passent l’amour et la beauté comme une maladie. »
Les métaphores s’organisent autour de l’odeur ( du corps, du tabac, de l’alcool etc.) , la saleté qui recouvre comme une seconde peau les organes, le corps, omniprésents, de cette mère qui « a pris l’habitude de vivre dans un coin de son corps » et dont la beauté est la malédiction qui la condamne à n’être qu’une apparence et un sortilège, jusqu’ au corps de ce père, qui déborde, qui pue et prend tout l’espace en passant par ce cousin dont la peau et les organes le fuient.
Elle dénonce ces amours toxiques, qui sont seulement des projections de soi-même en l’autre, de cette volonté de rendre l’autre heureux malgré lui, de force, de soumettre à travers son désir et d’appeler cette violence radicale de l’amour.
« Je ne veux pas qu’on m’aime mais qu’on ait peur de m’aimer » dit la narratrice.
Dans cette transmission malheureuse, au sein d’une société où parfois s’organise la haine des femmes, « une femme apprend à fuir dans sa tête et à rester dans son corps », à ne pouvoir s’échapper d’elle-même, mais celui-celle qui se sent femme dans sa tête est tout aussi coincé.e dans son corps. Voir, avec quelle férocité, l’histoire de nos sociétés, depuis le XIXe siècle a interdit leur féminin aux hommes. Dégoupiller les normes du genre, c’est peut-être décrasser nos têtes et nos pensées. C’est peut-être aussi traverser la frontière.
Une langue avec ses fulgurances, sa poésie et toujours cet humour féroce qui fait la nique au malheur.
A lire ! A voir !




Ce jeune homme tente de représenter la France à l’Eurovision cette année. Il déchaîne les passions sur les réseaux sociaux, autant chez ceux qui le soutiennent que ceux qui le critiquent parfois très violemment. En effet, il parle de la différence mais questionne aussi nos identités de genre. Il revendique des attributs la plupart associés au féminin, le maquillage, les vêtements et cela ne peut manquer de nous intéresser ici à Litterama. A suivre…




« Je suis devenue écrivain à cause de ces événements. Parce que quand je suis rentrée au Portugal à l’âge de onze ans, la réalité était tellement insupportable que j’ai été obligée de m’inventer des histoires pour que le quotidien soit supportable justement. Mais je ne savais pas vraiment comment raconter cette histoire parce que je ne voulais pas me contenter d’exhiber la souffrance de ces gens. Donc il m’a fallu une trentaine d’année pour que j’arrive à définir une proposition de réflexion pour écrire ce roman. Je ne voulais pas de règlement de comptes, je ne pensais pas qu’il y avait les bons d’un côté et les méchants de l’autre, je pense que nous étions noirs et blancs, bons et méchants en même temps, ce que j’ai compris c’est que ce roman devait être une radiographie de la perte. Et le roman est organisé comme si c’était l’histoire d’un deuil, avec toutes les phases que la psychologie décrit comme étant celles du deuil, étant entendu qu’à la fin c’est le renouveau, un recommencement, ce roman évoque la fin d’un cycle, en l’occurrence la fin de l’empire portugais, comme en ce moment on se trouve à la fin d’un cycle, la fin du rêve européen, mais cela ne signifie pas que la fin d’un cycle soit tragique. Il dépend de nous de faire en sorte que ce recommencement soit meilleur, c’est pour cette raison que le personnage est un adolescent, afin que ça corresponde à une nouvelle étape dans sa vie, car lui aussi doit redéfinir son futur, son avenir, et ça coïncide avec ce qui se passait dans le pays lui-même. Cette histoire est racontée à la première personne par Rui, et c’était ça pour moi le plus grand défi, au niveau formel, pour écrire ce roman. J’essaye de relever un défi formel à chaque roman, et pour celui-ci c’était l’adolescent qui devait s’exprimer. J’écrivais pendant des semaines et des semaines et quand je m’arrêtais, je relisais et j’avais vraiment l’impression que c’était une femme qui s’exprimait, et qui plus est, une femme âgée. Ca a été très difficile pour moi de restituer la voix de cet adolescent qui s’étonnait de tout, qui avait la rage, qui avait une forme d’ingénuité, qui avait aussi de l’espoir, tous les sentiments de quelqu’un qui a quinze ans alors que moi j’étais près d’avoir cinquante ans. Ça ça a été le plus grand défi pour moi, aussi quand les lecteurs hommes me disent qu’ils se reconnaissent dans ce personnage, c’est le meilleur éloge qu’on puisse me faire. Pour moi écrire, c’est être quelqu’un d’autre, et parvenir à être quelqu’un d’autre, c’est-à-dire un homme, un jeune homme, c’est ce qu’il y a de plus difficile. »
Dans le roman de Dulce Maria Cardoso, un jeune adolescent raconte la fuite précipitée de sa famille en 1975, hors d’Angola, vers la métropole portugaise, l’accueil dans un hôtel à Lisbonne, et la reconstruction après le traumatisme de l’exil et de la dépossession. L’approche formelle est vraiment intéressante : l’écriture est proche du langage parlé, les dialogues s’insèrent dans la voix du jeune garçon (d’un discours rapporté à un discours direct) qui porte ainsi de multiples voix comme autant de perspectives sur ce qui est vécu. Ce que disent les autres est toujours filtré par le prisme de sa subjectivité propre. La narration à la première personne permet de comprendre les sentiments du jeune homme, les émotions qui le bouleversent, sa découverte de l’amour et de la sexualité, sa honte et l’ostracisme dont lui et les siens sont victimes.
Que de malentendus sur la question du sexe et du genre…. Homme, femme, féminin, masculin. La tradition en a enregistré deux, or, nous le savons aujourd’hui, des individus naissent porteurs d’un caryotype sexuel atypique. Il y a des « filles » X0, qui seront stériles, d’autres sont « mosaïques » (X0 et XY), des « garçons » XXY, avec des caractères secondaires féminins. Il y a aussi des individus XY dont l’apparence génitale est quasi féminine, d’autres XX avec des organes masculinisés, et des « hermaphrodites vrais » (XX ou XY) dotés des deux appareils génitaux. mais ces « cas » seraient de l’ordre du pathologique.
Le changement de sexe, pour ces hommes qui se sentent femmes, mais aussi l’androgynie où l’identité sexuelle reste volontairement floue, à travers la série des « Modern lovers » en 1990, les « Espionnes » (1992) et les Gender studies (2011) pose de manière cruciale la question de l’identité sexuelle. Les sujets sont nus à la fois leur corps mais aussi émotionnellement. Il n’est pas si évident d’être un homme ou une femme parce le sexe psychique ne correspond pas toujours au sexe biologique et au sexe social. Litterama tente d’explorer ces différents champs à travers la littérature mais plus largement à travers l’art. « Danish girl » récemment porté à l’écran, et nominé aux Oscars, et le livre de David Ebershoff que je suis en train de lire font écho à l’exposition de Bettina Rheims et plus largement aux questions du Temps.




