A l’occasion de la sortie du film « La vie domestique » inspiré du roman de Rachel Cusk, j’ai ressorti de mes cartons cet article publié sur Litterama.fr il y a quelques années de cela.
Rachel Cusk s’est imposée sur la scène littéraire internationale avec ce premier roman traduit en Français, « Arlington Park » comme la digne héritière de Virginia Woolf, ce qu’ elle assume pleinement, reconnaissant qu’elle est une de ses auteurs fétiches .
Les personnages de son livre sont des personnages essentiellement féminins et blancs de la classe moyenne anglaise. Certaines de ces femmes travaillent mais assument également l’essentiel des tâches domestiques. Les maris sont beaucoup plus impliqués dans leur vie professionnelle, ont un plan de carrière et rentrent tard le soir.
Même si ces femmes ont fait des études -parfois brillantes- le mariage, et la maternité entraînent pour elles une sorte de subtil déclassement. Leur métier, choisi la plupart du temps, pour concilier vie professionnelle et vie de famille, ne peut les valoriser socialement. On assiste à une subtile dépossession de soi chez ces femmes qui pour ne pas être tout à fait des femmes au foyer, n’en étouffent pas moins dans un quotidien étriqué et morne qui n’est transcendé par aucune passion, aucun but et aucun dépassement de soi. Ces femmes ont sacrifié l’idéal de leur jeunesse, trahi leurs aspirations profondes sur l’autel d’une vie bourgeoise.
Ce basculement se produit au moment de la maternité. Les rôles se répartissent à nouveau selon les codes de la société patriarcale. Elles aiment sincèrement leurs enfants mais la maternité devient un terrible enfermement pour ces femmes intelligentes et éduquées, les femmes enceintes semblent « pleine d’air », alors que les hommes paraissent « se durcir en une masculinité mince et verticale. »
Les actions des personnages se déroulent sur une seule journée, ce qui conduit l’auteure à un souci extrême du détail et aussi des mouvements intérieurs des personnages. C’est aussi pour cette raison qu’on la compare à Virginia Woolf.
Elle avoue avoir emprunté la construction du récit à Mrs Dalloway, dans une interview accordée à un journaliste d’Evène :
“Je voulais être capable d’utiliser cette structure, qui requiert une bonne dose de connaissance émotionnelle des femmes, tout en laissant aux personnages leur subjectivité. C’est dans cette relation aux personnages que je voulais me placer.”
Toutefois, nulle empathie pour ces femmes, sinon parfois de l’agacement car on se dit qu’elles l’ont bien cherché ou qu’ici, dans ce monde occidental,post-féministe, elles auraient pu faire autrement.
Grossière erreur, répondrait certainement Rachel Cusk, qui s’étonne de la quasi indifférence à l’égard du féminisme, qui selon elle est le seul combat qui vaille aujourd’hui. Les destinées individuelles sont vaines si elles ne sont pas relayées par un combat collectif.
« En fait […], chacun avait ses peurs, non ? C’était ça qui rendait les gens si intéressants. Tout le monde avait des choses particulières qui les touchaient, qui les faisaient voir rouge. »
J’ai trouvé ce livre véritablement passionnant, l’écriture parfois très belle, le style personnel et fluide. Et l’auteure analyse bien le post-féminisme, la période de régression sociale pour beaucoup de jeunes femmes lorsqu’elles se mettent en couple et deviennent mères.
“ Elle se demanda si les livres qu’elle aimait la consolaient précisément parce qu’ils étaient les manifestations de son propre isolement. Ils étaient pareils à de petites lumières sur une étendue déserte, une lande : de loin ils semblaient serrés les uns contre les autres, innombrables, mais de près on voyait que des kilomètres et des kilomètres d’obscurité les séparaient. »
















