Tâhereh lève le voile -Jalal Alavinia/ Thérèse Marini – Héloïse Dorsan Rachet –

J’ai rapproché cet extrait de cette illustration qui à l’origine sont étrangères l’une à l’autre. (accord de proximité)

La tente des habitants des flammes

a mis feu à tous les voiles

Extrait

In Tâhereh lève le voile Editions l’Harmattan – Poèmes choisis et traduits du persan

Illustration d’Héloïse DORSAN-RACHET

Appel pour les femmes iraniennes

Je relaie l’appel d’Héloïse Dorsan Rachet au soutien des femmes iraniennes.

Héloïse Dorsan Rachet/ Appel pour les femmes iraniennes

Une manifestation a lieu en soutien aux femmes iraniennes place de la République. Vérifiez la date.

Simin Behbahani/ recherche par Héloïse Dorsan Rachet

Je te reconstruirai ma patrie

Même avec l’argile de ma propre âme.

Je te bâtirai des colonnes

Même avec mes propres ossements.

Grâce à ta jeune génération, on s’amusera à nouveau.

Nous ne cessons de pleurer, tellement tu nous manques.

Même si je meurs à 100 ans, je resterai debout dans ma tombe.

Afin de faire disparaître le mal avec mon grognement.

Je suis vieille mais je peux rajeunir pour vivre une nouvelle vie aux côtés de mes enfants.

« Jin, Jiyan, Azadî » (slogan féministe kurde qui signifie « femme, vie, liberté »)

« Figure majeure de la poésie contemporaine persane, née à Téhéran en 1927 et décédée en 2014.
Membre du Conseil de la poésie et de la musique en Iran, elle adhère à l’Association des écrivains iraniens qui lutte contre la censure, peu avant la révolution de 1979. Elle se tourne alors vers la politique, les droits de l’homme et la liberté des femmes. Pendant dix ans, ses poèmes seront censurés en Iran.

Elle reçoit le prix Simone de Beauvoir en 2009 – destiné au collectif de femmes iraniennes « Un million de signatures pour la parité entre hommes et femmes ». » Source Editions Zulma

Crédit photographique : Simin Behbahani photographiée par Fakhradin Fakhraddini.(wikipedia)

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Saideh Pakravan

Fariba Vafi

Colloque international « L’univers de Gabriela Zapolska, les transferts culturels et la question féminine au tournant des XIXe et XXe siècles », les 27 et 28 septembre

Comme c’est un peu urgent car c’est pour demain et après-demain, et que je trouve l’objet de ce colloque passionnant. je transfère les informations qui m’ont été envoyées.

« Ce colloque dédié à Gabriela Zapolska est le fruit d’une collaboration entre plusieurs centres universitaires polonais, français (Inalco) et ukrainien. Il constitue le deuxième volet du cycle de trois rencontres intitulé « Gabriela Zapolska, à l’occasion du centenaire de la mort de l’autrice de « La Morale de Madame Dulska » » démarré en 2021.

L’univers de Gabriela Zapolska, les transferts culturels et la question féminine au tournant des XIXe et XXe siècles entre Cracovie-Lwów (auj. Lviv)-Varsovie, Paris, la Bretagne et Vienne 

Écrivaine, dramaturge, reporter et actrice, Gabriela Zapolska a été une grande figure de la vie culturelle polonaise et européenne à la charnière des XIXe et XXe siècles (1857-1921). Ses liens avec la France sont nombreux et appuyés sur une excellente connaissance de la langue française ainsi qu’un séjour de six années dans l’hexagone entre 1889 et 1895. Zapolska est montée sur les scènes du Théâtre libre d’Antoine puis du Théâtre de l’Œuvre du symboliste Lugné-Poe, elle été fiancée au peintre Paul Sérusier. En Pologne (et à l’étranger, à Vienne et en Hongrie particulièrement), sa pièce la plus célèbre reste La Morale de Madame Dulska traduite en français par Paul Cazin en 1933 (et revue par Cécile Bocianowski en 2011).  

Zapolska est l’auteure de 41 pièces de théâtre, 23 romans, 177 nouvelles, 252 articles de presse parmi lesquels des reportages et des critiques littéraires et artistiques, un scénario, de poèmes et 1 500 lettres.  

L’œuvre et la biographie de Zapolska continuent de nourrir la réflexion des sociologues, historiens, philosophes et bien sûr des spécialistes de littérature et/ou du théâtre (Anna Janicka) – plus récemment, son œuvre a été relue à travers le prisme des courants de la critique gender ou féministe étant donné que parmi les thèmes de prédilection de Zapolska figurent en bonne place « les divers aspects de la condition de la femme dans une société dominée par les hommes » (Knysz-Tomaszewska) ou encore la peinture à plusieurs niveaux d’une sexualité féminine cantonnée dans le tabou et plus ou moins refoulée et inconsciente. A cela s’ajoutent les efforts récents (Piotr Biłos) en vue de montrer que le théâtre de Zapolska apparaît comme une étape liminaire dans le développement du théâtre philosophique polonais de la révolte et des conflits sociaux ayant marqué le XXe siecle à travers des auteurs tels que Witold Gombrowicz ou Sławomir Mrożek. Précisons en outre que Zapolska a vécu de sa plume. En France depuis des années, Gabriela Zapolska a trouvé une propagatrice fervente en la personne d’Elżbieta Koślacz-Virol à qui l’on doit de nombreuses traductions, des lectures publiques et des travaux rédigés en français.   

Ce colloque ambitionne de rendre accessible en français l’état de la recherche sur Zapolska, sa production littéraire, théâtrale et journalistique, et de donner ainsi l’impulsion à de futures recherches françaises. Il fait suite au 1er colloque  intitulé « Gabriela Zapolska : Biographie – Esthétique – Idées » qui s’est tenu à Białystok, les 24 et 25 septembre 2021. »

Publié sur http://www.inalco.fr/actualite/colloque-international-univers-gabriela-zapolska-transferts-culturels-question-feminine

Cécile Sauvage ou l’ardeur d’aimer Le 17/09/2022 à Paris

Lecture

Par des extraits de ses recueils, la Cie donne à entendre la voix de la poétesse Cécile Sauvage (1883-1927), pour découvrir le parcours de sa vie : son entrée en poésie, la naissance de son fils aîné, sa relation passionnelle avec son éditeur, la guerre…

Avec la Cie à Hauteur 2 voix, Véronique Elena Malvoisin, comédienne et Jacques Fournier,

Credit photo : DR

Cécile Sauvage, grande poétesse dont œuvre commence à être redécouverte, est une femme de lettres française, née à La Roche-sur-Yon le 20 juillet 1883 et morte à Paris le 26 août 1927.

Cécile Sauvage est la mère du musicien Olivier Messiaen. Elle chante la mère Nature, distributrice de fleurs et d’étoiles. « La poésie de Cécile Sauvage est une poésie de plein air et de plein vent », écrit Jean de Gourmont en 1910. La neurasthénie va assombrir ses dernières œuvres. (source wikipedia)

Je t’apporte ce soir…

Je t’apporte ce soir ma natte plus lustrée

Que l’herbe qui miroite aux collines de juin ;

Mon âme d’aujourd’hui fidèle à toi rentrée

Odore de tilleul, de verveine et de foin;

Je t’apporte cette âme à robe campagnarde.

Tout le jour j’ai couru dans la fleur des moissons

Comme une chevrière innocente qui garde

Ses troupeaux clochetant des refrains aux buissons.

Je fis tout bas ta part de pain et de fromage;

J’ai bu dans mes doigts joints l’eau rose du ruisseau

Et dans le frais miroir j’ai cru voir ton image.

 Je t’apporte un glaïeul couché sur des roseaux.

Comme un cabri de lait je suis alerte et gaie ;

Mes sonores sabots de hêtre sont ailés

Et mon visage a la rondeur pourpre des baies

Que donne l’aubépine quand les mois sont voilés.

Lorsque je m’en revins, dans les ombres pressées

Le soc bleu du croissant ouvrait un sillon d’or;

Les étoiles dansaient cornues et lactées ;

Des flûtes de bergers essayaient un accord.

Je t’offre la fraîcheur dont ma bouche était pleine,

Le duvet mauve encore suspendu dans les cieux,

L’émoi qui fit monter ma gorge sous la laine

Et la douceur lunaire empreinte dans mes yeux.

(Tandis que la Terre tourne, 1910)

Erin Hortle – L’Octopus et moi / Un roman qui fait commencement

Un roman qui fait commencement !

Erin Hortle – L’Octopus et moi (2020), Editions Dalva, 2021, pour l’édition française.

Avec ce premier roman, les éditions Dalva pour l’édition française et Erin Hortle, l’autrice, opèrent un véritable coup de maître.

Qu’est-ce que le féminin ? Posséder des seins, et un appareil génital qui vous permet d’enfanter ? Où le désir se niche-t-il ? La souffrance et la mort nous relient à notre profonde animalité, à ce lieu en nous, où n’existe aucun mot, mais où la pensée est mouvement, s’opérant par  de doux balancements, de joyeux bondissements,  ou de terribles rugissements lorsque la douleur ou la mort éprouvent notre instinct de vie et de conservation.

« Je laisse mon corps flotter d’avant en arrière et d’arrière en avant et d’arrière en arrière dans les courants les vagues qui bouillonnent tourbillonnent tout autour de moi. »

Dans le monde animal , les pieuvres femelles défendent leurs œufs jusqu’à la mort. Elles les couvent parfois pendant de longues années et meurent ensuite, exténuées, à leur éclosion.

Ce roman est l’histoire d’une rencontre, entre une pieuvre qui cherche à rejoindre l’Océan Pacifique pour y pondre ses œufs et une femme, meurtrie dans son corps et son esprit par de terribles épreuves. Une rencontre aux portes de la mort.

Le style est puissant et réussit à traduire une approche profondément sensuelle, le lecteur ou la lectrice vois-goûte-touche de concert avec la pieuvre et se laisse porter par les mouvements des flots.

Nous ne sommes pas séparé.e.s du monde animal, il fait écho en nous au plus primitif, au plus primordial, dans le bouillonnement de notre sang et les flux du monde qui nous traversent et avec lesquels nous nous entretissons.

Ce roman est profondément original, il fait commencement. Tricoter des seins pour se réparer n’est pas la moindre des surprises que vous y trouverez. Vous ferez connaissance aussi avec les tribulations d’un jeune phoque.

Autour de vous, la Tasmanie, et l’Océan, profondément sauvage, dont le cœur battra avec le vôtre. Un étonnant voyage…

C’est l’observation d’un étrange phénomène de migration des pieuvres qui a servi de point de départ à ce roman, « prétexte à une réflexion sur la manière dont s’enchevêtrent parfois les vies des hommes et celles des animaux. »

Barbara Hepworth – Figures in a landscape

Madeleine de L’Aubespine ( 1546-1596) – Sonnet

L’on verra s’arrêter le mobile du monde,

Les étoiles marcher parmi le firmament,

Saturne infortuné luire bénignement,

Jupiter commander dedans le creux de l’onde.

L’on verra Mars paisible et la clarté féconde

Du soleil s’obscurcir sans force et mouvement,

Vénus sans amitié, Stilbon sans changement,

Et la lune en carré changer sa forme ronde,

Le feu sera pesant et légère la terre,

L’eau sera chaude et sèche et dans l’air qui l’enserre,

On verra les poissons voler et se nourrir,

Plutôt que mon amour, à vous seul destiné,

Se tourne en autre part, car pour vous je fus née,

Je ne vis que pour vous, pour vous, je veux mourir

Epouse d’un secrétaire d’Etat, Madeleine de L’Aubespine a été dame d’honneur de Marie de Médicis. Elle a tenu un salon fréquenté par des poètes. Ronsard fit l’éloge de ses dons littéraires dans un sonnet. Et son amant, Philippe Desportes, lui consacra plusieurs poèmes d’amour. Certains de ses manuscrits ne furent découverts qu’au début du XXe siècle. Ses réflexions prennent la forme de méditations visant à atteindre la paix de l’âme par l’exercice des vertus. Il faut aller consulter le riche article publié par les Editions des femmes dans le Dictionnaire des créatrices sous la plume savante et alerte de Colette H. WINN pour en savoir davantage.

Editer les femmes ? Rien que des femmes ?

Une nouvelle maison d’édition a vu le jour en mai 2021 qui met à l’honneur les autrices contemporaines. Les éditions Dalva publient une dizaine de livres par an en littérature française et étrangère, à travers des œuvres de fiction, des récits et des essais. Le nom de la maison est » un clin d’œil au livre éponyme de Jim Harrison. Dalva est une femme libre qui s’installe seule dans le ranch familial. Elle se réapproprie l’espace et sa vie, son histoire. »

Dans « Le Génie lesbien », un passage avait mis le feu aux poudres, où l’autrice Alice Coffin expliquait à propos des oeuvres des auteurs : « Je ne lis plus les livres des hommes, je ne regarde plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie du moins. L’art est une extension de l’imaginaire masculin. Ils ont déjà infesté mon esprit. Je me préserve en les évitant. »

Toute une génération de femmes a été privée de références à l’imaginaire féminin, si tant est qu’il y en ait un, à l’art au féminin, sous toutes ses formes. En tout cas, pour ma part, je n’ai pas lu une seule oeuvre de femme jusqu’au lycée, ni Georges Sand, ni même Mme de La Fayette. De même pour les compositrices, qui semblaient n’avoir jamais existé où les peintresses, dont le féminin même résonne étrangement, tellement il a dû être peu usité. (Pourtant maîtresse ne choque personne).

Juliette Ponce explique ainsi son projet lors des interviews qu’elle a données à la presse : « Tous genres confondus, 65 % d’hommes sont publiés pour 35 % de femmes, et les grands prix littéraires institutionnels leur ont été largement moins attribués sur les vingt dernières années (25 %), même en incluant les années post #MeToo qui ont pourtant auguré de vrais changements. »

Les autrices ont appris à penser en dehors de ces zones de pouvoir dont elles ont été largement exclues. Elles ont dû faire ce pas de côté dont parle Geneviève Brisac dans « La marche du cavalier » et penser et créer à partir d’un « angle mort ».

Sans compter que leur accès à l’édition de leurs écrits s’est fait sous condition : respecter un genre féminin (roman sentimental, romance) ou publier sous un pseudonyme masculin. Au XIX e siècle, elles sont pléthore. Aujourd’hui encore, Juliette Ponce fait remarquer que « Les femmes sont surreprésentées en romance, dans le livre pratique et naturellement sur les tables de librairie traitant du féminisme et de la question du droit des femmes. »

Les éditions des femmes-Antoinette Fouque étaient nées de cette même nécessité militante de porter les oeuvres des femmes peu présentes sur la scène éditoriale des années soixante-dix.

Dalva apporte un point de vue un peu différent mais complémentaire :

«  C’est comme ça qu’est née l’idée de Dalva : porter des voix de femmes, avec des récits qui mettent en scène des thématiques sur lesquelles on les attend moins, comme les sciences. »

L’équipe de Dalva :

Litterama accompagne cette jeune maison avec enthousiasme à travers un premier opus qui sera chroniqué ici : « L’Octopus et moi » de Erin Hortle.

Isabelle de Charrière, femme des lumières …

Isabelle de Charrière, née Van Tuyll van Zuylen. Femme de lettres suisse d’origine néerlandaise (Zuylen, près d’Utrecht, 1740 – château du Colombier, canton de Neuchâtel, 1805). Elle a été épistolière, romancière, essayiste, dramaturge et compositrice

Elle est issue d’une famille noble. Elle a vécu aux Pays-Bas jusqu’en 1767. Après un voyage en Angleterre, elle a épousé M. de Charrière, noble vaudois sans grande fortune, qu’elle suivit en Suisse. Ils se sont installés dans le château du Colombier, sur les bords du lac de Neuchâtel, où elle a demeuré toute sa vie.

Elle a reçu une éducation rare pour les femmes de l’époque, et possédait de vastes connaissances : elle parlait plusieurs langues, s’adonnait aux mathématiques et à la physique, a lu les classiques et écrit en français qui est la langue de la noblesse de l’Europe.Elle y a tenu un salon fréquenté par beaucoup d’intellectuels de l’époque : Benjamin Constant était parmi ceux-là et tenait Mme de Charrière en grande estime.

Elle a eu beaucoup d’influence sur lui de 1787 à 1796, mais il l’a quittée lorsqu’il a rencontré Mme de Staël.

Un portrait de femme dans Adolphe s’inspire des traits de caractère de Mme de Charrière. Leur correspondance fut publiée en 1844.

Certains de ses écrits ont une veine polémique avant 1793, Observations et conjectures politiques, Lettres d’un évêque français à la nation puis deviennent des écrits de fiction après cette date, Lettres trouvées dans des portefeuilles d’émigrés, Trois femmes, (nouvelle).

Elle écrit des romans : les Lettres neuchâteloises (1784) et Caliste ou Lettres écrites de Lausanne (1785-1788), Lettres de Mistriss Henley, publiées par son amie ; Lettres écrites de Lausanne et sa suite, Caliste, Sir Walter Finch et son fils William,. Son œuvre allie l’analyse psychologique aux méditations morales et nous fournit de nombreux tableaux de mœurs mais elle ne manque pas d’être rangée sous l’étiquette dévalorisée de roman féminin, pourtant elle déjoue avec habileté tous les stéréotypes du genre.

Son œuvre dialogue avec les esprits du temps, Rousseau, Mme de Genlis et Germaine de Staël.

Elle a publié anonymement de « Le Noble » en 1763 qui est une satire ironique des préjugés de son milieu social (vite retirée par sa famille). Elle a entretenu une correspondance féminine, avec Isabelle de Henriette L’Hardy, Caroline de Sandoz-Rollin, Isabelle de Gélieu, qui lui permet d’exposer ses idées sur l’éducation des femmes.

La Tour a réalisé un très beau portrait d’Isabelle de Charrière, La Belle de Zuylen.

sources : Dictionnaire des femmes célèbres de tous les temps et de tous les pays – Lucienne Mazenod – Ghislaine Schoeller, wikipedia, Laurence VANOFLEN (Dictionnaire Universel des Créatrices, Editions des Femmes

Miss Tic s’en est allée de ses pas ailés

Poétesse et graffeuse, Miss Tic a laissé ses oeuvres au détour des rues parisiennes. Peut-être ailleurs mais je ne le sais pas. Elle a décidé de plier bagage pour partir dans un endroit certainement connu d’elle seule, le 22 mai 2022. Elle ne reviendra pas mais elle a laissé ses graffes-poèmes sur les murs afin que nous puissions continuer à la chercher.

Elle s’appelait Radhia Novat née en 1946 dans le centre de la France d’un père tunisien et d’une mère normande. Elle dessinait souvent de longues femmes brunes, un peu à son image.

Ses poèmes, d’un seul vers, faisaient toujours mouche. L’image continuait le poème ou lui répondait.
Lui dire merci avec d’autres graffeurs et graffeuses

Carole Martinez – Dédicace

« Mêlés dans un même nid de ronces » – Les roses sauvages – Carole Martinez

Editions Gallimard, 2020 – Collection folio n°7036

« Nous faisons nos choix en lisant, Lola sera un bouquet composé à partir de quelques mots écrits et de vos propres souvenirs, de vos matériaux intimes. Elle sera notre œuvre commune, notre enfant, conçue dans le mitan du livre où nous dormons ensemble, lecteur et auteure, mêlés dans un même nid de ronces. »

De ces frontières poreuses entre le livre et moi, j’ai franchi le seuil de la chambre de Lola, postière  boiteuse et solitaire. Je contemple l’armoire bretonne qui palpite, je sens son odeur de vieux chêne, elle bat de ses cœurs en tissus, amassés là, sur les étagères. Les secrets qui les habitent bruissent dans la pièce, petite mélodie invisible, les mots se pressent, comme des lèvres sur le tissu, amoureusement.

L’autrice regarde elle aussi, entrebâille l’armoire, afin que l’histoire puisse commencer. Mes doigts incertains tournent les pages du livre.

Il faudra bien que ce cœur saigne, qu’il s’ouvre, afin que le monde retrouve sa cohérence. Que les mots s’en échappent, voraces, en équilibre sur un fil qui à chaque fois se déroule et menace de casser.

« De l’écriture à la lecture, tout circule, de l’auteur au personnage et du personnage au lecteur, les frontières sont poreuses ».

L’histoire de ces femmes, sauvages et libres qui reprennent possession de leur corps, trament et tissent notre féminin, le féminin du monde, sans lequel rien n’advient, tremble comme une image à la surface de l’eau. Y affleurent les tourments de l’autrice, sa vie aux prises avec l’inquiétude et la fragilité de l’amour.

« Je me suis réfugiée ici, dans cette histoire, pour fuir la mort de l’amour éternel. »

Ce danger de la page, de ce qui pourrait « nous sauter à la gorge et nous étouffer » si nous ne prenions pas garde, si la page et le livre nous absorbaient tout à fait dans la profondeur de ses mystères, et que l’univers réel perde ses contours, se dilue et se crevasse.

La nécessité d’une amarre, de l’amour, de n’importe quel amour … qui puisse solidement nous tenir.

Avec Carole Martinez, lire est faire œuvre commune, « mêlés dans un même nid de ronces », c’est entamer une conversation qui se poursuit de livre en livre, qui jamais ne cesse et toujours s’approfondit, se creuse, se fait, et se défait, pour renaître encore et encore.

Parole d’autrice : Carole Martinez

« Un roman n’est pas un mensonge, puisqu’il ne se présente pas comme la vérité, même s’il s’en donne les apparences. il peut pourtant contenir plus de réalité qu’un témoignage, permettre de toucher à l’intime, de dire ce qui ne saurait être dit autrement. »

« Dans le silence de mes cahiers, un monde a germé qui ressemble plus ou moins au nôtre, un monde fait de bric et de broc, mon héroïne s’y niche entre les lignes, et peu importe si j’use de tiges de ronces pour dire les liens profonds qui la ligotent, d’un peu de suie pour dessiner ses yeux, de morceaux de ferraille pour lui bricoler un corps. »

in « Les roses fauves », Editions Gallimard 2020

Tamara de Lempicka, peintre des années folles

« Oui, tu négliges ta famille. Ton mari, ta fille. Ta sœur, ta mère. Il n’y a qu’une seule chose qui compte pour toi : ton art.

Je m’interroge… Si tu avais été un homme, aurais-je pu écrire ces mots ? Non. Les hommes ont le droit, eux, de ne pas s’embarrasser d’une vie familiale lorsqu’ils créent. On ne devait jamais demander à Picasso, à Braque, ce qu’il y avait à diner. » in Tamara par Tatiana – Le portrait d’une femme libre qui a traversé le XXe siècle

Pocket – Editions Michel Lafon 2018

Tamara de Lempicka est considérée comme la peintre la plus emblématique du mouvement de l’art déco au XXe siècle. Elle assume une totale liberté sexuelle, et travaille de manière acharnée.

Elève à l’Académie des beaux-arts de Saint- Pétersbourg, issue d’une riche et opulente famille russe, elle se marie à 18 ans à Tadeusz Lempicki qui la quittera une dizaine d’années plus tard, las de ses excès et addictions aux drogues, au sexe et à l’alcool. Fuyant la révolution russe en 1917, la famille de Tamara s’installera d’abord au Danemark puis à Paris à la fin de la Grande Guerre. Elle suit l’enseignement d’André Lhote et se spécialise dans l’art du portrait.

Elle puise autant ses influences chez les grands maîtres de la Renaissance italienne que chez les cubistes, à travers une palette où domine les tonalités fauves sur des fonds gris et bleus.

Elle fait partie de ces artistes qui vivent ouvertement leur bisexualité, et en fait le sujet de son art. Le désir anime les surfaces, impulse les tonalités de la palette, à travers la construction de son regard féminin sur le corps d’une autre femme.

Son oeuvre sombrera un temps dans l’oubli après la deuxième guerre mondiale, ensevelie par les mondanités et le luxe tapageur qui rythment sa vie après son mariage avec le baron Kuffner. On parle plus de ses soirées que de ses oeuvres.

Travailleuse infatigable, elle a laissé une oeuvre considérable qui est redécouverte depuis les années 70.

Une salle lui est consacrée au Musée du Luxembourg, au sein de l’exposition « Pionnières – Artistes dans le Paris des Années folles, exposition magnifique que je vous recommande vivement. « La belle Rafaela », sublime le corps d’une de ses amantes, et le tableau « Les deux amies » découvre un moment d’intensité érotique entre deux femmes. Suzy Solidor, icône lesbienne de ces années-là, chanteuse ayant un répertoire de chansons saphiques, est aussi le modèle et l’amante de la peintre.

La vierge et autres racontars sur l’éternel féminin. Visions de la femme dans les romans masculins

Dans la littérature, majoritairement écrite par des hommes jusqu’au XIXe siècle se déploie un imaginaire autour de deux figures clivées de la religion chrétienne : Eve la pécheresse et Marie la rédemptrice.
Ces deux figures se retrouvent dans la littérature dans deux figures opposées mais complémentaires de la mère, celle de la mère aimante et protectrice et la marâtre des contes, mauvaise mère, indifférente ou cruelle.

De même dans le domaine des relations amoureuses, l’épouse chaste et vertueuse qu’on ne désire pas renvoie à l’image de la maîtresse qu’on n’épouse pas et qu’on ne respecte guère mais que l’on désire.

L’espace érotique ou fantasmatique quant à lui  s’articule autour de deux figures : la muse qu’on ne possède jamais mais qui guide la plume de l’écrivain et la putain qu’on ne possède que pour de l’argent. 

Dans la littérature contemporaine écrite par des femmes, le personnage s’inverse. Je pense à Virginie Despentes et à Nawal El Saadawi que je viens de lire récemment, pour lesquelles le personnage de la prostituée incarne la femme qui ne peut être possédée : « Prostituée […] Je protégeais mon être en soustrayant ma personne profonde et je livrais à l’homme un corps vide et insensible. »

On retrouve ces deux pôles dans les figures de la méchante sorcière et de la bonne fée.

Chaque niveau interpénètre tous les autres : ainsi l’épouse vertueuse a la beauté et la grâce d’une fée, s’accomplit dans le rôle de mère aimante et douce tandis que la maîtresse joue parfois à la putain, manipule son amant en se servant de l’appétit de ses sens, le mène par le bout du nez, cruelle et parfois machiavélique à l’instar d’une sorcière.

La Femme parfaite est tout cela à la fois ; c’est ce qu’on appelle le mythe de l’éternel féminin. Chaque femme est à la fois maman, putain, sorcière ou fée selon les moments et les désirs des hommes.

En ce qui concerne les femmes réelles, c’est un peu plus compliqué !

           Selon Cédric Erard et Garance Kutukdjian, auteurs d’une anthologie regroupant des textes de l’histoire littéraire autour de ces thèmes, le personnage de la mère n’est pas vraiment un motif littéraire, si l’on excepte Fantine, mère exceptionnellement aimante des Misérables qui vendra ses dents et sa chevelure pour procurer quelque argent à sa fille, ou la mère de L’enfant de Jules Vallès qui fouette son fils chaque matin avant d’aller à l’école.

La mère du narrateur d’A la recherche du temps perdu, est une exception en ce qu’elle représente une « figure protectrice, apaisante, un point de repère stable ».

Dans la littérature contemporaine et traduite, la mère de Karitas, sans titre, est une véritable héroïne des temps modernes, figure féministe s’il en est, puisqu’elle se battra pour assurer l’éducation et la scolarité à tous ses enfants et notamment à ses filles dans l’Islande du début du siècle.

            Les relations mères/filles sont par contre largement exploitées dans des registres opposés : celui de l’amour idéal,  doux et fusionnel et celui de la rivalité amoureuse. La correspondance de la Marquise de Sévigné avec sa fille (rééditée dans la collection folio femmes de lettres) est un exemple du premier, comme du second car leur relation ne fut pas sans nuages, et la beauté de Mme Grignan, louée par ses contemporains, ne dut pas manquer de faire ombrage à sa mère.

            Les figures des épouses et maîtresses sont légion dans la littérature, de la Farce du Moyen-Age jusqu’aux romans contemporains où elle prend la figure de l’Autre femme, en passant par la littérature populaire du XIXe siècle où elle est largement exploitée. Entre l’amour pur et la passion physique, il n’y a pas de circulation possible jusqu’au XIXe siècle car l’éducation, ou plutôt le manque d’éducation sexuelle des filles de bonne famille en fait des gourdes dans le domaine des arts de l’amour. Leur rôle de mères aimantes et toutes dévouées à leurs enfants s’accommode mal d’un érotisme brûlant. D’ailleurs la religion chrétienne ne tolère le commerce charnel qu’en vue de la reproduction et le plaisir est-il interdit. Cela résout la question. La femme respectable n’a pas d’orgasme. Entre l’amour spirituel ou l’amour charnel, il faut choisir.

            Les auteurs déjà cités évoquant Julie ou La Nouvelle Héloïse de Rousseau, remarquent que l’héroïne, si elle est amante et épouse ne l’est pas avec le même homme et elle n’accède à sa fonction maternelle qu’en renonçant à l’amour.

Barbey d’Aurevilly, exaspère encore cette opposition et dans Une vieille maîtresse montre un personnage déchiré entre son amour platonique pour Hermangarde de Polastron (remarquez, avec un nom pareil), et la passion charnelle qu’il éprouve pour sa vieille maîtresse depuis plus de dix ans. La première est blonde et éthérée, la seconde brune et volcanique. Comme l’on sait, ces clichés seront reconduits à satiété.

            Comme on l’a vu, la femme idéale est hors d’atteinte, pour la bonne raison qu’elle n’existe pas, elle est sur un piédestal, prend la figure de la muse pour le poète, femme éternelle et passive. Elle est la réplique de Marie, restée chaste dans son immaculée conception. Elle consacre la domination masculine car les hommes sont nécessairement dans le domaine de l’action, dans un monde sur lequel ils ont prise, hors du foyer qui est le domaine de la mère et de l’épouse.

            Les putains sont nombreuses en littérature, Nana est l’une des plus célèbres. Femme vénale comme Nana, ou femme perdue comme Fantine des Misérables, elle possède une ambivalence que l’on retrouve chez Baudelaire, dans ce poème magnifique, A une mendiante rousse, mais aussi dans le personnage de Boule de Suif de Maupassant. Elle représente la part bestiale de l’homme, sa part mauvaise et inavouable, son commerce avec le diable car dans l’amour tarifé, seuls comptent le plaisir et la jouissance. 

            La fée a un lien avec la divinité par les pouvoirs qui lui sont donnés, figure païenne par excellence, elle est la femme perçue comme être magique, dans son pouvoir d’enfanter et de donner la vie. Délivrée des vertus guerrières qui sont seules réservées aux hommes, elle est toute douceur et bienveillance, apaise et guérit. La sorcière, elle,  est du côté du diable et des mauvais esprits. Ces deux personnages n’ont pas toujours été aussi tranchés dans l’histoire. « L’être faé » est un terme neutre et peut s’incarner dans une gente dame comme dans un preux chevalier au Moyen Age.

Dans l’antiquité, Circé dans l’Odyssée d’Homère est une magicienne qui change les compagnons d’Ulysse en pourceaux, Cassandre, princesse troyenne a reçu d’Apollon le don de prophétie et Médée, est la magicienne qui aida Jason à enlever la Toison d’Or. Elles peuvent être de précieuses auxiliaires si l’on prend garde à ne pas les courroucer.

            La sorcière de Jules Michelet est un texte très intéressant à cet égard, car il évoque ces figures, ainsi que celle de Sibylle qui dans l’antiquité était une devineresse, une femme inspirée qui prédisait l’avenir. Elle a la figure de la belle vierge. Michelet rappelle également que pendant longtemps la figure de la sorcière fut la seule guérisseuse car elle connaissait le remède des plantes, et donc les secrets de la nature, plus proche de la nature par sa puissance d’enfanter.

La littérature contemporaine, dans les romans écrits par des femmes repense cette figure de la sorcière dans ses aspects les plus dynamiques et les plus positifs. Je pense notamment à Cœur cousu  de Carole Martinez mais aussi à des romans latino-américains, influencés par le réalisme magique, comme Chocolat de Laura Esquivel.

La sorcière est un être double, dont la puissance peut être contrôlée et mise au service de la vie, mixte particulièrement réussi de ces deux figures antagonistes de la sorcière et de la fée pour un temps réconciliée.

Maria Primachenko – artiste ukrainienne