Archives pour la catégorie 8 – Autrices du XXe siècle

Auteure du mois (février) : Evelyne Bustros, militante libanaise

Evelyne Bustros (1878-1971). Elle est une personnalité éminente du Liban, qu’elle contribua à transformer par son action militante, politique et féministe. Femme de lettres, issue de l’une des familles les plus en vues du Liban[1], possédant une grande culture dans le domaine des arts et des lettres, son salon à Beyrouth réunissait l’intelligentsia littéraire  libanaise et contribua à diffuser les idées émancipatrices qui les réunissaient. Elle participa activement à la fondation de l’Union des organisations des femmes libanaises[2]. Son action sociale et politique en faveur des femmes fut déterminante et lui valut de siéger à la Commission d’études de la condition de la femme. En ce qui concerne son action politique, elle lutta pour la libération du Liban sous mandat français[3]. En 1942, elle présida l’Union féminine libanaise arabe, fédération groupant les trente associations féminines reconnues par l’État libanais, puis, en alternance, jusques en 1946, puis de 1949 à 1953.  Elle tint de nombreuses conférences et publia deux romans, « La main d’Allah » (paris, 1926) et « Sous la baguette de coudrier ». Le gouvernement libanais l’a décorée de la médaille d’or du mérite.

[1] Dictionnaire des femmes célèbres, article, Lucienne Mazenod, Ghislaine Schoeller, Robert Laffont, Paris 1992

[2] Le dictionnaire universel des créatrices, des femmes, Antoinette Fouque, Noha BAYOUMI

[3] wikipédia

Un chef-d’oeuvre d’animation autour de Virginia Woolf – Why should you read Virginia Woolf ? by Iseult Gillespie

Il faut regarder ce bijou, que dis-je ce chef-d’oeuvre d’animation autour de Virginia Woolf ! Pour les non-anglophones, la traduction française est offerte en sous-titres.

 

Cette seconde vie – Virginia Woolf

« Observez perpétuellement, observez l’inquiétude, la déconvenue, la venue de l’âge, la bêtise, vos propres abattements, mettez sur le papier cette seconde vie qui inlassablement se déroule derrière la vie officielle, mélangez ce qui fait rire et ce qui fait pleurer. inventez de nouvelles formes, plus légères, plus durables. »

Virginia Woolf (Cité par Geneviève Brisac dans « Les filles sont au café »)

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Paroles de femmes : Virginia Woolf

« Bien que différents, les sexes s’entremêlent. En tout être humain survient une vacillation d’un sexe à l’autre et, souvent, seuls les vêtements maintiennent l’apparence masculine ou féminine, tandis qu’en profondeur le sexe contredit totalement ce qui se laisse voir en surface. »

 

Orlando (1928), traduction de Catherine Pappo-Musard, Paris, LGF, 1993, p 184

 

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Goliarda Sapienza (1924-1996)

Goliarda sapienza est née à Catane en 1924, dans une famille socialiste anarchiste. A seize ans, elle entre à l’Académie d’Art Dramatique de Rome et travaille sous la direction de Luchino Visconti, Alessandro Blasetti et Francesco Maselli. A la fin des années 60, elle débute un cycle autobiographique de cinq ouvrages, mais l’élaboration de l’art de la joie lui prendra plus de dix années de sa vie. Elle meurt en 1996.

 « Elle écrivait habituellement le matin, commençant vers neuf heures et demie, et jusque vers une heure et demie – deux heures, tous les jours, essayant d’échapper – et ce n’était pas facile – aux nombreuses invitations à déjeuner au soleil de Rome […]Sa journée de travail se terminait souvent par un bain chaud. » Angelo Maria Pellegrino

Angelo Maria Pelligrino a rencontré Goliarda Sapienza en 1975. Il avait 29 ans. Il fut son dernier compagnon et vécut avec elle jusqu’à sa mort, en 1996. Lui-même comédien, écrivain, traducteur et éditeur, il fut le témoin privilégié de la genèse d’une grande partie de son oeuvre et sauva notamment L’Art de la joie de l’oubli. Il dirige désormais en Italie l’édition des oeuvres complètes de Goliarda Sapienza, au sein des prestigieuses éditions Einaudi. Il a publié un livre de souvenirs sur sa compagne.

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L’art de la joie – Goliarda Sapienza

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L’art de la joie – Goliarda Sapienza, traduit de l’italien par Nathalie Castagne,1998, 2005 pour la traduction française, éditions Viviane Hamy

Que d’avanies aura connu ce roman avant d’être publié en Italie en 1996 et traduit en France en 2005 ! Achevé en 1976, après dix ans de labeur acharné, et des difficultés matérielles innombrables, -Goliarda Sapienza connut même la prison-  ce roman fut certainement jugé trop sulfureux pour être publié par les éditeurs italiens. Jugez plutôt la teneur des critiques : « C’est un ramassis d’insanités. Moi vivant, jamais on ne publiera un livre pareil », ou « Mais qu’est-ce que j’ai à faire avec cette chose-là ? ». (cité par Angelo Maria Pellegrino). Après sa mort, son mari le publia à compte d’auteur et le roman resta dans un relatif anonymat pendant encore une dizaine d’années, avant d’être publié en France et reconnu. Ce succès lui valut d’être redécouvert en Italie.

En effet, certains ingrédients eurent de quoi choquer la morale bourgeoise de son temps, des crimes perpétrés sans remords (ni regrets à vrai dire), des amours homosexuelles, un éloge de l’amour physique, des descriptions assez précises de certaines pratiques sexuelles mais sans aucune vulgarité ni grossièreté, une femme libre qui avoue même ses désirs incestueux tout en sachant qu’ils sont interdits et qu’elle doit y renoncer et surtout une critique radicale du mariage. Pas de tabou dans ce roman, tout est dit, débattu ou simplement évoqué. Mais Goliarda est née dans une famille socialiste anarchiste, et elle est donc très avance sur son temps. Elle serait même en avance sur le nôtre. D’ailleurs son roman paraît aujourd’hui parfaitement moderne, et complètement d’actualité.

Bien, qui est cette femme ? Modesta est née le 1er janvier 1900 dans une famille très pauvre, affublé d’une sœur handicapée qu’elle déteste, et d’une mère qu’elle méprise. A l’âge où d’autres jouent à la poupée, la petite Modesta connaît ses premiers émois sexuels en compagnie d’un jeune homme dont l’âge n’est jamais précisé. Elle se débarrasse donc de cette famille encombrante, après avoir subi le viol de celui qui se fait passer pour son père. Elle atterrit dans un orphelinat dont la mère supérieure s’entiche d’elle. Modesta ne reculera devant rien pour parvenir à ses fins, complètement immorale. D’ailleurs, elle prouve parfaitement que le crime, s’il est justifié, paie toujours. En tout cas, dans ce livre, il est un moyen très simple d’éliminer ceux qui se dressent sur son chemin. Pour le reste, Modesta vit, aime, apprend, écrit et participe aux grandes tragédies de cette première moitié du XXe siècle. Elle a des valeurs fortes, de partage et d’amour, s’engage et se bat.

L’art de la joie est une fresque des événements politiques de la première moitié du XXe siècle, un roman d’apprentissage, et une évocation grandiose de la Sicile. Il est un plaidoyer pour la vie des sens, son innocence, son foisonnement et sa richesse, et pour la liberté des femmes. Il est toujours passionnant et Modesta, qu’elle irrite, qu’elle choque, ou qu’elle séduise, un personnage de femme assez extraordinaire. On assiste à la naissance du monde moderne, aux agonies et aux révolutions de l’ancien. Une multitude de personnages, enfants, amants, amantes partagent la vie de Modesta, pour quelques heures, quelques mois, quelques années ou pour toujours. Sur le plan formel, l’alternance de la narratrice, intérieure ou extérieure à l’histoire multiplie les perspectives sur la vie intérieure, intense, du personnage et agit comme une chambre d’écho.

Goliarda Sapienza est décédée quelques mois avant la parution du roman, et il est considéré aujourd’hui comme son chef-d’œuvre.

A lire absolument, un incontournable.

 

Une très bonne idée chez Eimelle, qui consiste à découvrir l’Italie et sa littérature pendant tout le mois d’Octobre ,  le mois italien.

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Maria Iordanidou – Loxandra

Maria Iordanidou – Loxandra, Athènes 1963, Actes Sud 1994, traduit du grec par Blanche Molfessis, 249 pages

LITTERAMA copieFemme du XIXe siècle finissant, Loxandra La Grecque s’épanouit dans sa vie de femme mariée, après avoir élevé frères et sœurs dans la belle Constantinople. Aimant la vie, gourmande, généreuse, pleine d’entrain, elle est le pivot de la grande maison d’où elle peut voir la mer. Elle a l’opulence et la magnificence des orientales et règne sur la cuisine où elle prépare de succulents petits plats dont elle régale sa maisonnée.
Elle n’entend pas grand-chose à la politique, mais qu’y a-t-il à comprendre, un tyran chasse l’autre et le petit peuple n’a aucun pouvoir de décision. Si le sultan veut votre chat, il l’aura, et il a pouvoir de vie et de mort sur ses sujets.
Les événements politiques pourtant traversent le roman car ils ont une incidence sur la vie des habitants, krach boursier, massacre des Arméniens, monarchie constitutionnelle, mais Loxandra y assiste de loin. Elle n’a pas besoin de travailler, son mari puis ses beaux-fils l’entretiendront toute sa vie. Mais il n’en ira pas de même pour sa descendance, sa fille et sa petite fille auront un autre destin et devront prendre leur vie en main.
Les événements marquants sont les mariages, les deuils, les départs en mer, la réussite des maris, des frères, des oncles qui eux bataillent au loin pour faire fortune, toujours en activité, ne revenant auprès des femmes que pour goûter le repos du guerrier.
Les lieux et les espaces du roman ne sont pas seulement des repères topographiques mais intégrés à l’intrigue, ils font progresser la narration, représentant des ruptures, des changements de vie, liés au temps. Constantinople fait partie du récit à la manière d’un personnage, ou plutôt d’une trame, qui rend le canevas de l’histoire parfaitement lisible. La nostalgie de la mère patrie, la Grèce, mais l’attachement aux racines turques se traduisent par des aller-retours qui ressemblent à ceux de la mémoire. Entre Orient et Occident, chacun essaie de construire une identité.

Ce roman est la chronique d’une famille, d’une ville mais aussi d’un siècle finissant, d’une condition de la femme qui va se transformer sous les assauts de la modernité.

Ce récit est truculent et drôle et on rit, ou au moins on sourit devant l’intrépidité de Loxandra ou sa naïveté.

Née en 1897 à Istanbul, la Constantinople des Grecs, Maria Iornanidou, est morte à Athènes en 1989. Conteuse avertie, et experte, elle est très populaire en Grèce.

Mary Webb (1881-1927) – L’histoire d’une vie

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Mary Webb est née le 25 mars 1881 dans le village de Leighton, au sud de Shrewsbury, dans le Shropshire. Son père, George Edward Meredith diplômé d’Oxford en lettres classiques, influera sur son « entrée » en littérature.. Très tôt, elle s’attache à mettre en mots son amour de la nature et écrit de la poésie qu’elle soumet à son père. Puis elle écrit des pièces de théâtre et des histoires tirées du folklore local . Elle s’échappe souvent de la maison, discute avec les habitants des environs, des gens simples qu’elle côtoie lors de ses promenades, et développe une personnalité intuitive, spontanée et généreuse et des capacités d’observation originales. Elle est profondément reliée à sa terre natale et développe une forme de spiritualité (panthéisme) issue de sa symbiose avec la nature. Son écriture est empreinte de  lyrisme et son pouvoir d’évocation l’aide à traduire ce souffle profond, ces palpitations, les mille odeurs, frôlements, pulsations du monde naturel. Le monde est habité d’une vie puissante et sauvage, innocente, mais aussi cruelle. Ce lien privilégié la pousse à considérer les choses essentielles par lesquelles un être humain est relié au monde dont il est issu et lui fait développer une forme de critique sociale à l’égard de conventions arbitraires instituées par les hommes à seule fin d‘asseoir leur pouvoir sur un ensemble de règles immuables qui visent à contraindre les individus et surtout les femmes.

A vingt ans, elle découvre qu’elle est atteinte de la maladie de Graves, trouble de la thyroïde qui entraîne une grande maigreur. A vingt et un ans, elle rédige ses premiers essais et poèmes inspirés par la nature. Elle fréquente la Société littéraire où ses essais sur Jane Austen, les sœurs Brontë, George Eliot et George Meredith sont finalement remarqués.
En janvier 1909, tragiquement endeuillée par la mort de son père, elle se tourne résolument vers l’écriture. Sa première histoire « A cedar rose, paraît dans le magazine Country Life en juillet 1909.

L’année suivante, elle rencontre Henry Bertram Law Webb, philosophe et écrivain, diplômé de Cambridge. Ils se marient malgré l’opposition de la famille Webb. Mary a alors 29 ans et, fait qui révèle bien sa personnalité et illustre son mépris des conventions, elle invite alors à son mariage des pauvres gens des environs et pour demoiselle d’honneur choisit la fille du jardinier.

Elle quitte sa région natale pour suivre son mari qui a trouvé un poste d’enseignant à Weston-super-mare. Elle entreprend son premier roman « La flèche d’or » et retourne à chaque fois qu’elle peut dans sa région natale. Elle mûrit ses œuvres longtemps avant de les rédiger en quelques mois.

En 1914, les Web retourne s’installer dans le Shropshire qui manque tant à Mary. Ils adoptent un mode de vie frugal et vivent de leurs propres ressources.

La guerre éclate et Henry est réformé car il souffre de dorsalgies. Mary s’engage à sa manière en vendant sa production excédentaire sur les marchés à bas prix.

En 1916, la parution de la Flèche d’or est un succès mais il est mal reçu par la population locale choquée par sa liberté de ton.

En effet ses idées libérales sur le mariage, le sexe, et l’avortement choquent dans une société corsetée par un moralisme rigide et le sens des convenances. Son roman est même brûlé par de petits groupes de personnes qui manifestent ainsi leur mécontentement.

Mais leur situation financière étant devenu trop difficile, Henry accepte un poste de maître assistant en anglais, latin et histoire à Chester. Très affectée par la guerre et ses horreurs, l’éloignement de son mari, la santé de Mary se dégrade. Elle écrit son second roman « La Renarde », dont le titre anglais « Gone to earth » est une expression qui signifie que le renard s’est échappé en retournant à son terrier et qu’il faut choisir une autre proie.Il est publié en 1917 et reçoit des critiques élogieuses, comparé à Tess d’Urberville de Thomas Hardy. (décrété meilleur ouvrage de l’année par la critique Rebecca West). En 1920, son troisième roman, « Le poids des ombres » est un échec commercial. Elle publie encore « Sept pour un secret » en 1922 puis, deux ans plus tard, son roman le plus célèbre, « Sarn (Precious Bane, Précieux poison ». Elle reçoit pour ce livre le prix Femina étranger. Mais la reconnaissance de ses pairs n’est pas celle du public.

En 1927, Mary, devant la liaison d’Henry avec une de ses élèves, s’installe sur les rives de la Manche, à St Leonards-on-sea. Elle meurt à l’âge de quarante-six ans. L’œuvre de Mary Webb a connu un succès posthume, depuis qu’en 1928, le Premier ministre, Stanley Baldwin, en a fait l ‘éloge et préfacé une nouvelle édition de Sarn. La plupart de ses romans ont été adaptés au cinéma et à la télévision..

Ces informations sont tirées de la préface d’Isabelle Viéville Degeorges qui fait un beau travail d’édition aux éditions archipoche, ainsi que des articles publiés sur le Web (wikipedia anglais).

Virginia Woolf – Elles

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Virginia Woolf Elles Portraits de femmes « Four figures », Rivages poche/Petite bibliothèque, traduit par Maxime Rovere

vignette femme qui écritJ’aime beaucoup Virginia Woolf essayiste, et je la préfère parfois à la romancière.

Dans ce livre qu’elle consacre aux « expériences de vie » de quatre femmes, Virginia Wolf célèbre le génie féminin à son époque objet d’un constant déni.

Virginia Woolf écrit en tant que femme mais elle ne fait pas de la littérature de femme, elle se veut écrivain à part entière. A son époque encore, non seulement on ne traite pas une femme de lettres et un homme de lettres de la même manière, mais en plus on établit à priori que celle-ci ne pourra jamais, quels que soient ses efforts, égaler le génie masculin. C’est perdu d’avance, en quelque sorte. Dans « Four figures », elle ne cherche pas seulement à dénoncer la condition des femmes qui écrivent mais cherchent des « amies », des femmes qui grâce à leur ténacité, leur volonté, ont eu le courage d’écrire. Virginia Woolf veut raconter les expériences de ces femmes. Maxime Rovere, dans sa passionnante préface l’exprime ainsi : « Elle invite à faire confiance au jeu d’échos qui permet aux sujets de se répondre les uns aux autres, comme des voix parlant dans le noir, discutant à travers les siècles. » et parvient à travers ces biographies à inventer « une forme de distance critique qui à la fois souligne la différence des êtres mais aussi affermit leur mutuelle compréhension. »

Dorothy Osborne ( 1627-1695 ) est née à une époque où la femme était entravée par la croyance que l’écriture était pour son sexe « un acte inconvenant. [Seule] Une grande dame ici et là, qui bénéficiait par son rang de la tolérance et peut-être de l’adoration d’un cercle servile, pouvait écrire et imprimer ses textes ». Comme les autres, elle se moque du ridicule qu’il y a à écrire un livre. Mais si elle a intériorisé les interdits de l’époque, cette obscure volonté d’écrire prendra d’autres voies, plus inoffensives, qui ne risqueront pas la mettre au ban de la société. Elle écrira des lettres. Cette activité convient bien à l’univers domestique des femmes, car une lettre peut être écrite au coin d’une table et interrompue à tout moment. Elle a laissé de sa vie, grâce à elles,  un témoignage « à la fois savant et intime ». Mais les lettres à son amant cessèrent lorsqu’elle se maria et elle se consacra désormais à servir la carrière diplomatique de son mari.

Il en va autrement de Mary Wollstonecraft (1759-1797), en laquelle brûlent le feu et l’ardeur de la révolte. Pour elle rien d’autre n’a de sens que d’être indépendant : « Je ne me suis encore jamais résolue à faire quelque chose d’important sans y adhérer entièrement. » peut-elle affirmer. Le déclenchement de la Révolution française fait écho à ses préoccupations et exprime certaines de ses convictions et de ses théories les plus profondes. Elle écrit alors « Réponse à Burke » et la « Défense des droits de la femme » qui restera son livre le plus célèbre. Elle fut témoin de la misère et de l’injustice et résolut de gagner sa vie par sa plume. Écrire pour elle n’était pas ridicule, c’était l’arme même de son combat. Trahie par le père de son enfant, Imlay, elle tente de se suicider. Puis elle rencontre un homme extraordinaire pour l’époque, qui pense que les femmes n’ont pas à vivre en inférieures. Ils vécurent une relation amoureuse intense et riche. Mais Mary mourut en donnant naissance à celle qui plus tard écrira Frankestein et comme l’écrit Virginia Woolf, Mary, cette femme extraordinaire, et si attachante, n’est pas morte, elle nous touche encore car « elle est vivante et active, elle multiplie arguments et expériences, elle nous fait entendre sa voix et percevoir son influence, aujourd’hui encore, parmi les vivants. »

Bien différente est sa contemporaine Dorothy Wordsworth (1771-1855), dont aucun des écrits n’est, à ma connaissance, traduit en français. Elle écrivit des lettres, un journal, des poèmes, et des « short stories » sans aucune ambition d’être un auteur. Elle vécut toute sa vie avec son frère, même lorsqu’il se maria. Elle était très éloignée des préoccupations sociales et politiques d’une Mary Wollstonecraft. Pour elle nous ne « pouvons pas ré-former, nous ne devons pas nous rebeller, nous ne pouvons qu’accepter et essayer de comprendre le message de la nature. » Aucune révolte chez elle, plutôt l’acceptation et la compréhension de ce qui est. Non soumise à la nécessité, elle ne fut pas confrontée à la violence sociale qu’exerce la misère sur les individus. Elle célèbre tout ce qu’elle voit, le décrit minutieusement, en cherchant à être au plus près de la vérité. Elle écrit.

Geraldine Jewsbury (1812-1880) fut une figure importante de la vie littéraire londonienne de l’époque victorienne. Dans ses romans , elle remit en question la vision idéalisée de l’épouse et de la mère et tenta de promouvoir le rôle spirituel du travail dans la vie des femmes. Ses personnages féminins sont souvent plus forts que les personnages masculins. Virginia Woolf, tente de saisir ce qui se joue dans son amitié tourmentée et passionnée avec Jane Carlyle. Ce qui l’a conduit à l’écriture, est peut-être la même chose qui l’a conduite à aimer Jane d’un amour platonique mais violent et tire sa source d’ « une sombre figure masculine […] une créature infidèle mais fascinante, qui lui avait appris que la vie est perfide, que la vie est dure, que la vie est l’enfer matériel pour une femme. »
Madame de Sévigné (1626- 1696) notre célèbre épistolière, est vue à travers son amour passionné et quelque peu morbide pour sa fille mais surtout dans son art de l’évocation et on entend « çà et là le son de sa voix qui parle à nos oreilles, suivant son rythme qui augmente et retombe en nous, nous prenons conscience, au détour d’une phrase évoquant le printemps, un voisin de campagne ou quelque autre chose qui apparaît en un éclair, que nous sommes, bien entendu, les interlocuteurs de l’un des plus grands maîtres de la parole. »

Elles tentèrent toutes à leur manière l’aventure de la page blanche et leurs mots résonnent encore aujourd’hui pour qui veut bien les entendre. Elles furent courageuses et audacieuses car écrire était vaincre le plus terrible des tabous qui interdisait aux femmes d’exister par leur esprit. Un livre en miroir où se jouent les correspondances.

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

Fanny, Jane, Mary,Virginia et les autres….

 vignette femme qui écrit« La littérature est ma profession (…)La voie me fut frayée, voilà bien des années par Fanny Burney, par Jane Austen, par Harriet Martineau, par George Eliot… Beaucoup de femmes célèbres, et d’autres, plus nombreuses, inconnues et oubliées, m’ont précédée, aplanissant ma route et réglant mon pas. Ainsi, lorsque je me mis à écrire, il y avait très peu d’obstacles matériels sur mon chemin : l’écriture était une occupation honorable et inoffensive. » Virginia Woolf, Profession pour femmes, 1939

Ecrire et publier fut pour les femmes une conquête. Fanny Burney (1752 – 1840)fut l’une de celles qui ouvrit la voie aux romancières anglaises. Sa cadette de 23 ans, Jane Austen lui rend hommage dans les premières pages de Northanger Abbey.

Une jeune fille à qui l’on demande ce qu’elle lit, répond : « Oh, ce n’est qu’un roman, ( …), Ce n’est que Cecilia, ou Camilla ou Belinda : c’est seulement une œuvre dans laquelle les plus belles facultés de l’esprit sont prodiguées et qui offre au monde, dans un langage de choix, la plus complète science de la nature humaine, la plus heureuse image de ses variétés, les plus vives affections d’esprit et d’humour. »

 Les commentateurs soulignent que le premier roman de Fanny Burney « Evelina » a largement inspiré « Orgueil et préjugés » de Jane Austen (1775- 1806). Inspiré (affinités électives ?) et non copié, car l’œuvre de Jane Austen est singulière et possède la marque de son univers.

Toutes les deux durent contourner les préjugés de leur temps, et la difficulté pour les femmes de concilier bienséance, codes moraux d’une époque, et création. Les thèmes sont imposés par les dictat de l’époque en matière de pudeur féminine. Hors de question d’évoquer ouvertement la sexualité, ou l’indépendance des femmes sans provoquer le scandale. La réputation des femmes doit être vertueuse pour que leur œuvre n’encoure pas l’opprobre.

 Mary Wollstonecraft (1759 – 1797) qui fut à la fois maîtresse d’école, femmes de lettres, philosophe et féministe anglaise écrivit un pamphlet contre la société patriarcale de son temps « Défense des droits de la femme ». Elle eut une vie non conventionnelle (dépressive et suicidaire) bien éloignée de celle de Jane Austen et de Fanny Burney(qui connut la gloire de son vivant). Mais autant de talent. A propos de son ouvrage « Lettres écrites de Suède, de Norvège et du Danemark » son futur mari William Godwin écrira  « si jamais un livre a été conçu pour rendre un homme amoureux de son auteur, il m’apparait clairement que c’est de celui-ci qu’il s’agit. Elle parle de ses chagrins, d’une manière qui nous emplit de mélancolie, et nous fait fondre de tendresse, tout en révélant un génie qui s’impose à notre totale admiration».

Fanny Burney en fera une caricature dans ses romans et la vilipendera en moraliste soucieuse des conventions : attention jeunes filles à ne pas devenir une Mary Wollstonecraft. Seule George Eliot(1819-1880) rompra l’oubli dans laquelle son œuvre et sa vie tombèrent au XIXe siècle en la citant dans un essai consacré au rôle et aux droits des femmes. Et Viginia Woolf, bien plus tard, évoquera ses expériences de vie (Four figures traduit en français par « Elles » et publié en rivages poches).

Elles furent très différentes les unes des autres mais apportèrent chacune leur pierre à l’édifice fragile et compliqué de la littérature écrite par des femmes.

le mois anglaisMois anglais que le blog « Plaisirs à cultiver » Titine  » organise avec Cryssilda et Lou.

Sibilla Aleramo Une femme – L’égérie italienne

sibilla aleramo

Sibilla Aleramo – Une femme première édition 1906 et 2002 pour la traduction française aux Editions du Rocher dans la collection Anatolia 249 pages
Traduction de Pierre-Paul Plan révisée et amendée par James-Aloïs Parkheimer

En 1906, une jeune italienne de 30 ans publie un premier roman « Une femme » qui agit comme une déflagration dans la société de son temps. Elle est considérée comme une héroïne par les féministes de son temps, puis élevée par celles des années 70 au rang d’icône. Son premier roman, largement basé sur des éléments autobiographiques, fait partie aujourd’hui du patrimoine mondial de la littérature écrite par des femmes. D’ailleurs il fut traduit assez rapidement en France en 1908 aux Editions Calmann-Levy et reçut les éloges enthousiastes d’un critique de l’époque, au Figaro, Anatole France.

Tout au long de sa vie elle voyagea beaucoup et vint notamment à Paris, où elle rencontra Rodin, Anna de Noailles, Valery Larbaud, Charles Péguy, Apollinaire et Colette qui la fêtèrent et qu’elle fascina durablement.
On dit même que Stefan Zweig au retour de Rome où il l’avait vue, s’exclama : « Qui n’a pas vu Sibilla Aleramo en cette première décennie du XXe siècle n’a rien vu. »
Elle était belle et indépendante, vivait librement ses amours mais s’engagea en politique de manière plutôt sporadique (pour à la fin de sa vie adhérer au Parti Communiste).

Sibilla Aleramo de son vraie nom Rina Faccio est née en 1876 à Alexandrie dans le Piémont et passa son enfance à Milan puis dans les Marches. Elle fut éduquée dans une famille bourgeoise, son père, au tempérament plutôt emporté, était directeur d’une entreprise après avoir été professeur,  et sa mère femme au foyer, dépressive,  fut internée au milieu de sa vie dans un établissement psychiatrique. Elle mourut à Rome en 1960.

Sibilla Alaramo raconte la période de sa vie qui va de son enfance à l’âge adulte. Le récit s’arrête à l’âge de 26 ans alors qu’elle quitte le domicile conjugal. A travers ce récit, elle construit son propre mythe, sélectionne les événements qui agissent en tant que symboles, en expurge d’autres, notamment ses amours avec le poète Felice Guglielmo Damiani (cf préface du traducteur) et construit ainsi le personnage d’une héroïne féministe pure et sans tache dont la vie sentimentale et les appétits sensuels pèsent peu dans les choix existentiels. Dans ce récit, elle n’a que des rapports sexuels forcés ou obligés et doit subir la violence de son mari qu’elle a épousé alors qu’elle n’avait que quinze ans.
Tout cela est bien réel, effectivement, elle a subi le viol et sa vie conjugale fut pour elle un calvaire. En proie au désespoir, parce que toute issue lui semblait condamnée, elle tente même de se suicider.
Quels sont les droits pour les femmes italiennes à l’époque ? On peut dire qu’il n’y en a pas encore : elles sont soumises à l’autorité de leur mari, éternellement mineures puisqu’elles n’ont aucun droit légal sur les enfants – le père étant seul chef de famille- ne peuvent disposer librement de leur capital, revenus ou héritage. (cf Alison Carton-Vincent : Sibilla Aleramo, une héroïne du féminisme italien, revue Clio)
Il semble donc pour les commentateurs qu’il n’y ait pas de pure adéquation entre la vie de Sibilla et les faits mentionnés dans son roman. C’est  la fiction qu’il faut interroger et l’intention, ou la question qui sous-tendent cette narration. Que veut montrer l’auteure ?
Que les femmes sont dépossédées de leur vie, soumise à la violence des hommes et enfermées dans un stricte rôle d’épouse et de mère. Elles ne peuvent choisir de métier qui les intéressent vraiment car beaucoup de carrières leur sont encore interdites. Leur vie étriquée conduit les bourgeoises à la neurasthénie, à la mélancolie, parfois à la folie. Elles ne peuvent pas quitter des époux avec lesquels elles ne sont pas heureuses sous peine de se retrouver sans revenus ou d’abandonner leurs enfants. La liberté se paye chèrement. Si Sibilla adore son père qui l’éduque de manière assez libre pour l’époque, elle ressent peu d’amour pour sa mère dont la timidité et la mélancolie lui répugnent. C’est en vivant à son tour le destin des femmes mal mariées qu’elle sera en mesure de mieux la comprendre . Si son destin devient un exemple pour les autres femmes et si ce roman a un tel retentissement, c’est qu’il est le récit d’une lutte pour l’émancipation. Tout d’abord par l’écriture, le journalisme, les revendications pour les droits des femmes, la critique de la misère sociale et de la condition des ouvriers, et l’expression de sa propre individualité et de sa liberté, quitte pour cela à laisser son enfant. Elle sait que son mari se sert de leur fils qu’il prend en otage pour mieux la retenir. Ce lien est un joug qu’ elle doit le rompre. D’une certaine manière, il faut trancher dans le vif, pour renverser la tradition qui assignent à la femme des rôles étroits dans lesquels leur individualité ne peut s’exprimer totalement. Cela ne peut se faire sans douleur.
Franca Rame et Dario Fo, des compatriotes de Sibilla, qui participèrent à la seconde vague du féminisme en Italie font dire à Médée dans Récits de femmes et autres histoires : « Nos enfants sont comme le joug de bois dur pour la vache : vous autres hommes, vous nous les mettez au cou pour mieux nous assujettir, dociles, afin de nous traire et de nous monter. »

J’ai dévoré ce roman qui est pour moi un bijou de l’histoire littéraire. J’étais très émue d’entendre la voix de cette femme par delà le temps, de me dire que c’était grâce à des femmes comme elle que je pouvais décider aujourd’hui librement de ma vie.

La Pluie d’été – Marguerite Duras/Sylvain Maurice au CDN de Sartrouville

Théâtre de sartrouville

La pluie d’été mise en scène par Sylvian Maurice

Avec Nicolas cartier, Pierre-Yves Chapalain, Philippe Duclos, Julie Lesgages, Philippe Smith, Catherine Vinatier

Collaboration à la mise en scène, Nicolas Laurent, scénographie et costumes, Maria La Rocca, assistée de Jules Infante, lumière de Marion Hewlett, son de Jean de Almeida, construction décor du Bureau d’Etudes Spatiales, , répétitrices Béatrice Vincent, Olivia Sabran, régie générale Rémi Rose

 

La scène de théâtre est un lieu magique où les mots prennent vie, s’incarnent, où les corps eux-mêmes ont leur propre grammaire, leur syntaxe et où la rencontre du texte et du corps produit une émotion profonde et singulière.

Vignette Les femmes et le théatrePublié en 1990, La Pluie d’été raconte la vie d’une famille d’immigrés –le père, la mère et leurs nombreux enfants, hors de la culture, de la richesse et du pouvoir, vivant en banlieue parisienne, à Vitry, dans une ville dévorée par ses grands ensembles. Individus que l’on pourrait croire impuissants mais qui au contraire sont dotés d’une énergie, d’une vitalité extraordinaires. Ernesto, l’aîné, refuse d’aller à l’école car il ne veut pas apprendre ce qu’il ne connaît pas, mais fréquente tout de même les sorties d’écoles, les lycées, et des universités.

Cela m’a fait penser à une parole biblique que je ne saurais plus exactement situer mais qui dit en substance, « Tu ne m’aurais pas cherché, si tu ne m’avais déjà trouvé. » Peut-être ne cherche-t-on que ce que l’on connaît intimement, profondément, ce qui répond aux questions les plus urgentes que nous nous posons et auxquelles nous avons déjà apporté une réponse. Cela me fait penser à la réminiscence grecque, au christianisme, enfin à un certain mysticisme. Pourtant Ernesto n’est pas replié sur lui-même mais ouvert au monde qu’il observe intensément.

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Lorsque nous sommes arrivés dans la salle, les comédiens étaient assis au bord de la scène, le regard au loin. La mise en scène très dynamique, la scénographie, les lumières impulsent un mouvement qui emporte et captive le spectateur tout au long d’une représentation où l’on ne s’ennuie jamais. Les comédiens sont excellents, la mise en scène intelligente, sensible et efficace.

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« Comme la langue d’origine des personnages n’est pas le français ou bien qu’ils sont analphabètes, Duras invente une langue originale. Surtout, elle donne l’illusion « qu’on pense comme on parle. ». les pensées s’énoncent en direct , au présent, dans un étonnement permanent. Ernesto et sa mère, qui fonctionnent en miroir, accouchent de ce qu’ils ont à dire en même temps qu’ils le disent. La pensée est sur un fil, dans une continuelle reformulation. Les pensées les plus hautes se heurtent à la trivialité d’un parler populaire. […]Au fur et à mesure qu’Ernesto acquiert de nouveaux savoirs (et il assimile tout), il va être traversé par « une conscience de l’inconnaissable ». Ernesto se sert du grand livre brîlé, L’Ecclésiaste. En même temps qu’il s’identifie à david, roi de jérusalem, il en acquiert la pensée tragique : « J’ai compris que tout est vanité/ Vanité des vanités/ Et poursuite du Vent. » explique Sylvain Maurice qui donne à entendre Duras de la plus intelligente façon.

Marguerite Duras – La pluie d’été

duras la pluie d'été

Vitry, banlieue tentaculaire, immense, vidée de tout ce qui fait une ville, réservoir plutôt avec, çà et là, des îlots secrets où l’on survit. C’est là que Marguerite Duras a tourné son film Les Enfants : « Pendant quelques années, le film est resté pour moi la seule narration possible de l’histoire. Mais souvent je pensais à ces gens, ces personnes que j’avais abandonnées. Et un jour j’ai écrit sur eux à partir des lieux du tournage de Vitry ». C’est une famille d’immigrés, le père vient d’Italie, la mère, du Caucase peut-être, les enfants sont tous nés à Vitry. Les parents les regardent vivre, dans l’effroi et l’amour. Il y a Ernesto qui ne veut plus aller à l’école « parce qu’on y apprend des choses que je ne sais pas », Jeanne, sa sœur follement aimée, les brothers et les sisters. Autour d’eux, la société et tout ce qui la fait tenir : Dieu, l’éducation, la famille, la culture… autant de principes et de certitudes que cet enfant et sa famille mettent en pièces avec gaieté, dans la violence.

Nella Larsen – Clair-obscur / Noire ET blanche ?

Clair-obscur

En 1927, à Chicago, se retrouvent deux amies d’enfance, perdues de vue depuis longtemps. Leurs caractères et leurs ambitions sont très différents ; on peut même dire que tout les oppose, hormis le fait d’être suffisamment claires de peau pour passer pour blanches, alors qu’elles possèdent du sang noir toutes les deux. La ségrégation, depuis les lois de Jim Crow, obligent noirs et blancs à vivre séparés, et le métissage n’existe pas. Dans l’Amérique ségrégationniste, on est noir ou blanc et il faut choisir son camp. La belle et sulfureuse Claire a épousé un Blanc raciste, en lui cachant ses origines, et vit dans la hantise d’être découverte. Irène a choisi une autre voie : elle est devenue une mère de famille respectable et revendique au contraire son appartenance à la communauté noire. Son amie l’exaspère et la fascine à la fois. Toutes les deux, de chaque côté de la colour line, sont la proie conscience ou inconsciente d’une terrible quête identitaire.

 

Ces deux femmes possèdent une complexion claire qui leur permet de passer pour blanches et peuvent être prises pour des Espagnoles ou des Italiennes au teint mat.

Irène a choisi : son mariage avec un homme qui ne peut pas « passer » pour blanc et le le fait d’être mère de deux fils dont l’un est foncé fait d’elle une mère de famille respectable. Elle  côtoie le gratin des cercles de Harlem, et mène une vie de femme installée et bourgeoise. Sa vie est toute tracée dans les limites qui lui sont imposées, sans danger.

Claire, dont le prénom est suffisamment symbolique est une femme inquiète et troublée dont la vie peut basculer à tout moment. Moralement, elle est du mauvais côté, elle ment et trompe son monde. Pour autant Irène est-elle vraiment plus intègre ? Ne cherche-t-elle pas, au fond, à préserver les apparences, en sacrifiant tout à la sécurité et à la routine, déterminée à faire le bonheur de sa famille sans vraiment penser à elle-même ?

On peut condamner Claire, qui pour « passer » a accepté des compromis qui la déchirent mais elle représente aussi « le risque, l’audace, l’avenir ». Elle est tout le temps sur le fil du rasoir et joue un jeu dangereux. Elle veut pourtant être des deux côtés de la ligne car elle veut retrouver la communauté noire. Elle veut retourner à quelque chose, mais quoi ? Qu’est-ce que l’identité, qu’est-ce qu’une race , puisque cette question est cruciale à l’époque ? La réponse n’est jamais donnée, mais diffractée à travers quantité de situations et de problèmes.

La question morale de la trahison et du mensonge se pose des deux côtés de la colour line. Trahir une communauté ? Se trahir soi-même ? Irène n’est-elle pas elle aussi dans le compromis, au sein de cette bourgeoisie noire qui « singe » parfois la communauté blanche et se tient sagement à l’intérieur des limites qui lui ont été fixées ? Que représente la loyauté ? Et la liberté ?

En ces temps de ségrégation, l’engagement est une nécessité pour lutter contre l’oppression, la lutte pour les droits un engagement politique qui a véritablement un sens.

Alors pourquoi rester sur cette « fine » line ? Pour ne pas se laisser enfermer ? Pour ne pas avoir à choisir et pouvoir affirmer, je suis noire ET blanche ?

Ce livre est passionnant par les questions qu’il pose avec intelligence et finesse. Un peu moins de deux cent pages, mais une maestria qui m’a parfois laissée sans voix. C’est un roman éminemment philosophique qui posent les problèmes et les met en situation.

« Passing » , ou Clair-obscur est un classique maintenant de la littérature américaine qu’il faut absolument connaître.

Je dédie cet article, avec tout mon amour, à une superbe jeune femme noire ET blanche, métisse, Héloïse.

Nella Larsen et la colour line, auteure métisse dans l’Amérique ségrégationniste des années de l’Entre-deux-guerres

Nella Larsen Etre femme a longtemps constitué un handicap pour être publié, mais être femme et métisse dans la société américaine du début du XXe siècle était une véritable gageure. Nella Larsen, née d’une mère danoise et d’un père antillais, seule métisse d’une famille recomposée, devient l’une des figures de proue de la « Renaissance de Harlem » (ou New Negro Movement), renouveau de la culture afro-américaine, dans l’Entre-deux-guerres (entre 1919 et 1930) dont le foyer est à New York. Ce mouvement est panafricaniste, d’inspiration socialiste, luttant contre le racisme et le paternalisme envers les noirs. La littérature noire américaine (mais aussi la peinture et la musique) se diffuse en dehors de l’élite noire américaine et gagne une reconnaissance de plus en plus affirmée.

Dorothy West, une autre des femmes écrivains, publie quant à elle « The Living is easy » où elle décrit la vie d’une famille noire aisée. En général les auteurs de la Renaissance noire américaine valorisent l’identité noire américaine. Tous les genres sont exploités, pamphlets, articles de journaux, romans, ballades et des travaux d’historiens noirs redonnent une place à la contribution des noirs à leur culture et leur destin.

En 1925, une autre de ses compatriotes, Zora Neale Hurston, écrit « Colour Struck » dans le magazine « Opportunity Magazine » et invente l’expression « Negrotarians ». Elle écrivit « Their Eyes Were Watching God »traduit en français sous le titre Une femme noire). Elle fut diplômée d’Antropologie après avoir fréquenté l’Université et créa le magazine « Fire » avec Langston Hugues et Wallace Thurman. Elle s’intéressa au folklore noir américain répondant ainsi au débat qui agitait cette communauté d’intellectuels, à savoir si la littérature devait être réservée aux élites noires ou intégrer la culture populaire.

Cette renaissance aura un impact majeur sur les intellectuels noirs dans les Caraïbes, l’Afrique de l’Ouest, et en Europe.

Et Nella Larsen dans tout cela ?

Clair-obscur, son deuxième roman, publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1929, et qui est devenu aujourd’hui un véritable classique, pose la question de la frontière, de la limite et de la difficulté de l’identité. Aux Etats-Unis, on est noir ou blanc, Barack Obama, est un président noir, alors qu’il est métis.

Née d’une mère danoise et d’un père originaire des Iles Vierges (propriété du Danemark encore à l’époque), Nellie est déclarée « fille de couleur » à la naissance. Sa mère se remarie et donne le jour à une seconde fille déclarée « blanche ». Nellie, puis Nella eut des relations familiales difficiles notamment avec sa sœur blanche. Sa mère, cependant tente de lui assurer une éducation, connaissant les difficultés dues à la ségrégation et l’inscrit en 1907 à Fisk, université noire de Nashville dans le Tennessee, dont elle est renvoyée après une année médiocre (voir la préface de Laure Murat au roman Clair Obscur, très riche et documentée). Elle fait en même temps plusieurs voyages en Europe où elle fréquenta certainement l’Université de Copenhague en auditrice libre.

En 1909, en réponse à une ségrégation qui se durcit, est créé le NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People), qui deviendra par la suite une des plus puissantes organisations de défense des droits civils.

Séparée de sa propre mère qui vit dans un quartier interdit aux noirs, Nella Larsen décroche un diplôme d’infirmières en 1915 et en 1919, elle épouse Elmer Imes, un des premiers noirs à avoir obtenu son doctorat de physique . Le couple s’installe à Harlem.

En 1923, elle passe avec succès son diplôme de bibliothécaire et devient responsable, de la section des livres pour enfants grâce au soutien et à l’amitié d’ Ernestine Rose, blanc militant et sympathisant. Puis Carl Van Vechten, bisexuel, ami de Gertrude Stein dont il sera l’exécuteur littéraire sera une autre rencontre déterminante. Elle lui donne à lire ses premières nouvelles et conquis, il la pousse à écrire un roman. Quicksand (sables mouvants) paraît chez Knopf en 1926, ce roman a pour thème le racisme d’une famille blanche mais aussi critique l’élite noire qui « singe » l’oppresseur.

La position d’une métisse, de part et d’autre de la Colour line, la conduit à rejeter toute injonction identitaire. Histoire en quelque sorte d’une femme ni noire , ni blanche. Le dernier biographe de Nella Larsen, George Hutchinson, fait observer que « Passing », son deuxième roman est l’histoire d’une femme blanche et noire. L’identité qui s’était établie en creux devient positive. De complexion claire, on peut « passer pour une blanche » et naviguer des deux côtés de la Colour line.

Mais à la fin du XIXe siècle, les lois Jim Crow, avec la fameuse « one drop rule » stipule qu’une seule goutte de sang noir suffit à considérer une personne comme legally black. On peut donc avoir l’air blanc mais être noir. L’identité devient beaucoup plus complexe à établir puisqu’elle repose sur quelque chose qu’on ne voit pas. Dans ce type de culture, un métis n’existe pas.

Cette réalité à la fois sociale et politique donne lieu à un motif littéraire, le tragic mulatto (a) dans les « passing novels » et permet de traiter la question de l’émancipation des femmes, des races et des classes. Une goutte de sang noir a , en effet, le pouvoir de vous faire déchoir. « The Quadroons » par Lydia Maria Child, premier texte du genre paraît en 1842. De nombreux romans continueront à alimenter cette veine. Nella Larsen va s’éloigner les lois du genre en exploitant le thème de la fine line, où tout se joue à un cheveu.

Il est passionnant de noter que Judith Butler a souligné combien « le non-dit qui frappe l’homosexualité converge dans l’histoire avec l’illisibilité de la négritude de Claire » , le personnage principal du roman. (Judith Butler, « Passing, queering : le défi psychanalytique de Nella larsen , Ces corps qui comptent, Amsterdam 2 009 p 180»

Qu’en est-il aujourd’hui de la color line, censée avoir disparu ? Toni Morrison est-elle seulement écrivain, ou encore et toujours une femme, et une femme noire comme le souligne certains des articles même les plus élogieux à son égard ?

(source Laure Murat, préface du roman Clair Obscur et Wikipédia pour les éléments relatifs à la Renaissance de Harlem)

Paroles de femmes Helen Keller

Helen-Keller

« Ne baisse jamais la tête. Garde-la bien haute.

 

Regarde le monde droit dans les yeux. »

 

Helen Keller (1880-1968) Educatrice et femme de lettre américaine

La vie d’Helen Keller fut tout à fait exceptionnelle. En février 1882, à 19 mois, elle contracte une fièvre qui la rend sourde et aveugle à la fois. Vers l’âge de six ans, une jeune éducatrice, Ann Mansfield Sullivan va s’occuper d’elle. Très gâtée par ses parents qui lui passent tous ses caprices, Helen n’obéit pas. Cependant, Ann lui apprend peu à peu la langue des signes en les dessinant dans la paume de sa main. Elle lui apprend ensuite à lire, à parler et à écrire. Forte de cette incroyable réussite, Helen étudie à la faculté de Radcliff College où elle obtient un diplôme. Elle crée alors une fondation pour les personnes handicapées et milite au sein de milieux féministes et socialistes. Elle étendra son action militante en écrivant des essais politiques, des romans et des articles de journaux.

Source : Wikipédia