Je me suis toujours demandé à quoi tenait la force des grands textes ? Est-ce la manière qu’ils ont de résonner dans leur époque ? Ou de poser les questions qui la taraudent ? Ou peut-être la manière qu’ils ont de vous rendre plus intelligent.e, en vous aidant à cheminer dans votre labyrinthe intérieur ?
Le texte dramatique de Laurène Marx est un grand texte.
S’il s’agit de « couper tout ce qui dépasse » pour être une femme, pour devenir une parmi les autres, l’invisibilité est-elle alors la seule issue ? Pour vivre heureux, vivons cachés ou alors vivons gâchés ? En quoi son personnage, cette femme trans, qui n’a « ni le charme, ni les souvenirs d’une femme » permet-il de réinterroger le féminin ? Est-il réellement impossible qu’il y ait « des femmes avec une bite ? »
Vous me direz, mais nous avons déjà la réponse, elle a été trouvée depuis quelque temps déjà, il s’agirait de la non-binarité, un terme générique venu des sciences sociales et des études sur le genre, qui signifierait que l’on ne s’identifie ni à l‘un ni à l’autre genre (au mieux un mélange des deux). Judith Butler, chef de file de la théorie queer, proposait déjà de subvertir les normes de genre et à dépasser la dualité entre féminin et masculin.
Et pourtant, il y a ce mystère, de ces personnes qui, nées dans un corps d’homme, se sentent, en leur for intérieur, femme.
« Etre une femme, c’est pas une question d’apparence. C’est une question de… c’est une question. »
Et toutes les questions recèlent une part de mystère, il y a, en chacune d’elle, quelque chose qui ne trouvera jamais de réponse.
Certain.es pointent les dérives d’une société individualiste où chacun passe son temps à se chercher, à se définir, à se choisir, au détriment d’un collectif qui a besoin de définitions stables basées en partie sur la tradition, ou la transmission. Agenre, non-binaire, demigars, demifille, neutrois, mais qui suis-je donc ? Ce brouillage constant des normes de genre n’est-il pas préjudiciable à la construction d’une identité « stable » ?
Au fond, cette quête, qui semble sans fin, n’est-elle pas la demande, le besoin, l’exigence d’une reconnaissance ? « J’avais pensé à être heureuse ».
Le récit, bien sûr, est non seulement celui d’une transition, douloureuse et parfois cruelle, à coup de chirurgie esthétique, d’hormones et de bistouris, mais aussi celui de la violence qu’elle suscite chez les autres.
Quel tabou, quelle transgression de l’ordre social et du pouvoir franchit celui/celle qui veut affirmer son genre et changer d’état civil ? Surtout quand il s’agit d’un homme biologique ? (Je ne maîtrise ni les pronoms, ni les accords des genres neutres !)
Laurène Marx dit bien cette violence, et celle, souterraine, psychologique qui mine celle qui entreprend ce long parcours : la perte d’un travail, de certain.es ami.es. La prostitution, la drogue.
Et le danger qui guette. La solitude.
Son écriture est alerte. Des phrases longues et brèves, un rythme que l’on ressent particulièrement quand on dit le texte, ou j’imagine, quand on le joue. L’humour est parfois au vitriol, et le texte est très drôle.
Mais pas de guimauve, ni de bons sentiments.
Son écriture est belle, souvent, des images qui vous prennent, parcourent vos nerfs, font vibrer cet entrelacs de chair, et de sensations que nous sommes quand nous lisons. Une écriture extraordinairement vivante, à certains moments d’une douceur et d’une poésie inouïes.
Il n’a jamais fait bon être différent.e, et pas tellement plus aujourd’hui. Il n’a jamais fait bon être une femme non plus. On en meurt encore un peu partout. Alors être une femme d’horizon lointain, n’en parlons même pas.
Quant à accepter notre bisexualité psychique, notre bipolarité homme-femme, beaucoup ne le peuvent ni chez eux.elles, ni chez les autres.
Alors, c’est le seul regret, à la fin de la lecture, que tout ce qui est enduré ne soit pas fiction.
Et quant à mon opinion, oui, certaines femmes en ont bien une (de bite).
A lire absolument et aussi à voir sur scène car ce texte dramatique a une vie qui va se déployer surtout l’année prochaine :
18 – 27 juin 2021 – (Création in situ) Lyncéus Festival (Binic – Etables-sur-mer – 22)
20 juillet 2021 – (Lecture) Théâtre du Train Bleu (Avignon)
15 – 17 septembre 2021 – (Lecture) Temps fort du Studio-Théâtre (Nantes – 44)
18-22 octobre 2021 (maquette) Festival Fragments à L’Etoile du Nord (Paris 18e)
22-25 février 2022 – (maquette) Festival Fragments au Cabaret de curiosités (Valenciennes – 59)
Texte : Laurène Marx / Mise en scène: Lena Paugam/Interprétation: Hélène Rencurel/Création lumières : Jennifer Montesantos/Création sonore : Lucas Lelièvre
Production en cours. Production et diffusion: Collectif Lyncéus/ Coproduction (recherche en cours) – Studio-Théâtre de Nantes
Création en salle prévue pour la saison 22-23 /avec le soutien d’ARTCENA (Aide à la création)
« À travers le témoignage d’une femme trans, un questionnement se met en place sur la féminité et ses injonctions. Des questions sont posées d’une façon frontale à l’interlocuteur/spectateur direct.
Si les femmes cisgenres ne s’habillent même plus vraiment en « femmes », en quoi s’habillent les femmes trans ?
Si la féminité s’est fluidifiée et libérée grâce aux luttes féministes, quels objectifs peuvent raisonnablement viser les femmes qui transitionnent, sans trahir « la cause » ?
Faut-il, finalement devenir complètement invisible pour pouvoir exister ? »
Le second texte « Transe », fera l’objet d’un prochain article
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