Archives pour la catégorie Femmes américaines

Présentation par Amanda Boyden de son livre

Amanda Boyden – En attendant Babylone / La Nouvelle-Orléans et le cyclone

Amanda Boyden – En attendant Babylone 10/18 (Amanda Boyden 2008) Albin Michel 2010, traduit de l’anglais (Etas-Unis) par Judith Roze et Olivier Colette

La Nouvelle-Orléans, écrasée par la chaleur, tente de se préparer au cyclone Ivan qui doit la traverser. A Uptown, d’autres événements vont faire basculer le destin d’une rue entière, Orchid Street. Le quartier commence à se déliter comme une façade dont les lézardes apparaîtraient d’un seul coup révélant tout ce qui était tenu caché. La misère sociale, la drogue, mais aussi et surtout le poids des armes, les femmes qui croulent sous la marmaille, la pression au travail. Toute une société au bord de l’implosion qui n’attend plus que le cyclone pour mourir tout à fait.

On sent surtout la chaleur lourde et poisseuse, et les odeurs , toute une vie suante et hagarde. Cerise et Roy ont une jolie maison, ils sont accueillants et ouverts mais Mary, leur fille, a bien du mal à devenir autonome. Philomenia guette de sa fenêtre le bar d’en face, rêvant de faire un jour la peau à ces voyous qui viennent vomir jusque devant chez elle. Un peu plus loin, Fearius et son frère pas encore majeurs mais qui déjà trempent dans toutes sortes de magouilles. Ed et Ariel vivent un peu plus loin, directrice d’un hôtel elle n’est jamais là… Une famille hindoue vient d’emménager… Le melting-pot à l’américaine.

Passera-t-il, ou ne passera-t-il pas ? Viendra-t-il achever le travail d’une société malade de sa propre violence, ou les habitants dans un dernier sursaut tenteront-ils de se libérer afin de pouvoir affronter le cyclone ? Il y a ceux qui décident de rester parce qu’ils n’ont nulle part où aller, d’autres qui s’entassent dans de longues files de voitures pour fuir la Nouvelle-Orléans.

Mais qui sait, peut-être les hommes portent-ils en eux leur propre cyclone, le plus dévastateur qui soit.

Mais l’auteure essaie surtout de capturer l’âme de ses habitants, leurs faiblesse et leur grandeur, la beauté des festivités du Mardi Gras. La solidarité aussi face à la violence, la douceur d’une rencontre, la main de celui qui aide et qui sauve. Toute une vie qui aura disparu après Katrina.

Un chant du cygne poignant et magnifique…

Amanda Boyden écrit magnifiquement bien, son récit est bien ficelé, et elle nous tient en haleine jusqu’au bout. Elle sait dresser de magnifiques portraits de gens fragiles, valeureux ou déments.

Un bon livre pour qui aimerait découvrir la Nouvelle-Orléans.

Alison Lurie – Liaisons étrangères

Alison Lurie Liaisons étrangères Editions Payot&Rivages 1997 (1984 Alison Lurie), traduit de l’anglais (américain) par Sophie Mayoux.

Vignette femmes de lettresDeux universitaires américains se retrouvent à Londres pour un congé d’études. Fred a 29 ans, un physique avantageux, et travaille sur le XVIIIe siècle et l’écrivain John Gay, Vinnie a 54 ans, est plutôt laide, et doit mener des recherches pour une étude comparée des chansons à jouer américaines et anglaises.

Ce séjour va permettre la confrontation des préjugés et des fantasmes des uns et des autres. Les anglais seraient snobs et raffinés dans une société figée et en déclin, et les américains provinciaux et vulgaires dans une Amérique vouée à la consommation et à l’argent.

Mais ce livre est avant tout l’occasion d’une fine analyse du monde des apparences et des jugements hâtifs et à l’emporte-pièce qui enferment les gens dans la solitude ou la bêtise.

Car la vulgarité n’est pas toujours ce que l’on croit, elle consiste souvent dans le mépris que l’on porte à son prochain parce qu‘il ne possède ni la culture ni les codes des milieux pseudo-intellectuels, ou le raffinement des élites souvent composées de snobs et de personnages dont le raffinement et la distinction cachent parfois la grossièreté et le vice.

Derrière un personnage caricatural, se cache parfois un être généreux et tendre. Beaucoup d’entre nous se condamnent à la solitude à cause d’exigences ou de préjugés qui laissent peu de place à l’autre. L’intelligence ou la culture (ce qui n’est pas tout à fait la même chose) masque parfois une certaine sécheresse de cœur et de l’égoïsme.

L’importance de l’apparence physique et ses conséquences sur la vie amoureuse sont aussi finement analysées. Si la laideur n’est pas synonyme de frustration sexuelle, elle conduit souvent à la solitude affective. De même, la beauté ne garantit pas l’amour mais elle ouvre une possibilité de choix qui a une forte incidence sur l’équilibre individuel.

Une belle histoire d’amour réunit deux êtres que tout oppose. Elle va les contraindre à changer de perspective et à se transformer. Pas de happy end pourtant chez Alison Lurie, ou de romantisme échevelé. Les êtres sont examinés à la loupe, sans concession mais avec tendresse.

J’ai beaucoup aimé ce livre, la finesse des observations, et la justesse des analyses.

Née à Chicago en 1926, Alison Lurie a passé son enfance à New York. Ce roman a reçu le prix Pulitzer. Universitaire, elle a aussi travaillé sur la littérature de jeunesse.

Charlotte Perkins Gilman – La séquestrée

Charlotte Perkins Gilman – La séquestrée (Titre original : The yellow wallpaper)

vignette femme qui écritTexte fondateur, livre-culte de la littérature écrite par les femmes, « La séquestrée » a la force d’un manifeste, devenu un classique des lettres américaines. Écrit en 1870, il dénonce l’asservissement des femmes à un modèle patriarcal qui les enferme dans leur fonction naturelle de reproduction, la maternité, et leur interdit toute vie de l’esprit.
La neurasthénie dont souffraient nombre de femmes au XIXe siècle et les dépressions les plus graves étaient souvent dues à un sentiment d’enfermement et d’étouffement lié aux rôles sociaux étroits dans lesquels elles étaient maintenues. Les femmes mouraient d’ennui et de mélancolie parce qu’elles ne pouvaient pas exprimer leur énergie créatrice ou la vie de leur esprit. Les méthodes souvent barbares par lesquelles on tentait de guérir leur dépression aggravaient encore la maladie puisqu’on condamnait les femmes à l’inaction, au « repos », à la solitude et à l’enfermement. Les dérivatifs qui leur auraient permis de se changer les idées leur étaient interdits. Cette thérapie est celle du Dr Mitchell : « Il fallait confiner ses patients, les mettre au lit, les isoler loin de leur famille, loin aussi de leurs lieux familiers, les gaver de nourriture, notamment de crème fraîche, car l’énergie dépend d’un corps bien nourri, enfin les soigner par des massages et des traitements électriques destinés à compenser la passivité nécessaire à cette cure de repos. »
Il faut avouer que cette cure n’était pas seulement réservé aux femmes, puisque Henry James la subit lui-même en 1910, et faillit se jeter par la fenêtre.
Revendiquer des droits égaux, vouloir faire une carrière d’écrivain ou d’intellectuelle pouvait se payer très cher, puisque les femmes risquaient être mises au ban de la société et devaient, en outre, renoncer pour la plupart à une vie affective. Le choix était plutôt cornélien, car dans un cas comme dans l’autre, les femmes souffraient et devaient sacrifier une partie de leur être.

« La séquestrée » est le cri silencieux d’une femme, son basculement dans la folie. Souffrant d’une dépression post-partum , elle doit se reposer. Enfermée dans sa chambre, condamnée à l’inactivité, elle regarde jour après jour le papier peint qui peu à peu, « vision d’horreur » s’anime d’une vie propre jusqu’à figurer une femme rampant derrière le motif et tentant de s’échapper. La souffrance psychique est intense, et parfaitement décrite: « Il vous gifle, vous assomme, vous écrase. » écrit-elle parlant du papier peint. Elle devient également paranoïaque et sent une invisible conspiration autour d’elle. Cette femme n’est qu’un double d’elle-même qui tente de fuir ce terriblement enfermement jusqu’au dénouement final.

Il faut souligner la force littéraire de cette longue nouvelle, son intensité dramatique, la maîtrise parfaite de l’écriture : un souffle, un cri. Un chef-d’œuvre…

Laura Kasischke – En un monde parfait

laura kasischke en un monde parfait

Laura Kasischke – En un monde parfait Le livre de poche – Christian Bourgois Editeur 2010
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Eric Chédaille, livre de poche 345 p

Vignette femmes de lettresQu’arrivera-t-il à une jeune femme si celle-ci rencontre le prince charmant au début du conte ? Faudra-t-il prendre l’histoire à rebours ?
Le prince charmant se présente à Jiselle, la trentaine, sous les traits d’un séduisant pilote, veuf et père de trois enfants qui, au bout de quelques semaines, la demande en mariage.
Elle accepte, et le lecteur a déjà envie de lui dire : « Stoppe là, y’a un problème ! Et l’indépendance financière des femmes ?». Mais non, Jiselle, naïve et confiante, abandonne son métier d’hôtesse de l’air pour celle de belle-mère au foyer. Et c’est là, bien sûr, que cela se gâte, tout d’abord, parmi les enfants, les deux adolescentes se sont promises de lui rendre la vie infernale, et ensuite une mystérieuse épidémie de grippe frappe les États-Unis et les isole dans leur grand et beau chalet.
Les États-Unis, cette super-puissance, devient un pays indésirable et ses ressortissants sont frappés d’ostracisme. Comment survivre quand tout vous manque ? Comment s’organiser ? Une robinsonnade de plus ?
On sait bien sûr, dés le début, que ce monde parfait n’existe pas alors on se demande juste comment il va s’écrouler et on attend. Cela prend du temps, au bout d’une centaine de pages on n’est guère plus avancés. La princesse aurait pu se faire la malle, mais non, elle reste. Elle a les vertus morales de l’héroïne. Et ce monde parfait reste parfait jusqu’au bout.
Si vous avez déjà vu ces films catastrophe dont les américains sont si friands, où soudain une catastrophe écologique ou climatique fait basculer un pays et une société, alors vous ne serez pas surpris. De nouveaux héros surgissent dans un monde qui chavire, dont la force morale va leur permettre de braver toutes les difficultés. Jiselle, personnage inconsistant au départ, acquiert l’étoffe des héros. On a déjà vu et lu ça, et c’est un peu convenu. Chacun va se débarrasser de ses oripeaux, et révéler tout ce qui sommeillait en lui. Derrière la Barbie hôtesse de l’air se cache une jeune femme courageuse et intègre. On sait, n’est-ce pas, que c’est dans les situations limites que se révèlent les gens.
Au fond, nous avons une capacité d’adaptation et un instinct de survie qui nous permettent d’affronter les situations les plus périlleuses. Au fond, qu’est-ce qui aurait pu se passer ? Que l’héroïne meure dans d’atroces souffrances, devienne alcoolique et fini le rêve américain.
Ne vous inquiétez pas, les tremblements de terre peuvent bien secouer le Népal, et un volcan entrer en éruption au Chili, si un américain est sur place, il s’en sortira toujours.
Jusqu’où va cette dystopie ? Dans quelle mesure dénonce-t-elle l’impérialisme américain et sa société consumériste ?

Je n’avais jamais lu cette auteure que j’ai découverte avec ce roman et je suis restée assez mitigée. J’en ai lu deux autres par la suite qui m’ont davantage plu. Mais je ne suis pas vraiment conquise non plus même si l’auteure a beaucoup de talent,  maîtrise parfaitement la narration et sait ménager le suspense. On la compare souvent à Joyce Carol Oates dont je trouve l’univers beaucoup plus sombre. Il me semble que la critique de Laura Kasischke est plus centré sur les systèmes et leurs faiblesses que sur les failles individuelles mais je me trompe peut-être. En tout cas, on passe un bon moment avec ses romans, les heures défilent et on est toujours plongés dedans.

Joyce Carol Oates – Premier amour

 joyce carol oates premier amour

Joyce Carol Oates Premier amour Philippe Rey /fugues 2015 – Actes Sud 1999 -, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Sabine Porte, 105 pages.

Ce récit, présenté comme un « conte » gothique a été publié pour la première fois en 1997 par The Ontario Review.

Atmosphère macabre, noirceur, et sentiment d’horreur mais aussi conte d’avertissement vont donc caractériser ce court récit. Joyce Carol Oates est un auteur prolifique qui écrit la plupart du temps de longs romans de plusieurs centaines de pages mais aussi de nombreuses nouvelles, et des poèmes. L’écriture est sa respiration et un thème hante tous ces récits : celui de la violence de la société et des hommes sur d’autres plus faibles qu’eux, souvent des enfants. En général, les victimes deviennent des adultes résilients, fragilisés par leurs traumatismes mais éclairés aussi par une force, une intuition, une intelligence qui leur a permis de survivre. Le ressort du récit tient dans leur fragilité mise à mal par un ou des événements qui réveillent les blessures enfouies. La tension du récit s’organise autour du trauma initial et de la façon dont le personnage principal va apporter une réponse à la situation qui le fait basculer. Joyce Carol Oates sait doser tous les ingrédients psychologiques pour distiller un suspense efficace.
Le récit pourrait commencer par : « Voilà ce qui arrive si …. ». Voilà ce qui arrive si vous êtes l’enfant d’une mère frivole et faible qui ne s’occupe pas de vous, si votre cousin est un enfant pervers adulé par sa tante, si délaissée vous avez terriblement besoin d’amour.
Voilà ce qui arrive si les adultes qui sont censés vous protéger sont des adultes défaillants.
Vous ne devrez qu’au hasard, à la chance et aussi un peu à vous-même de ne pas être broyé totalement par le monstre.
Elle a onze ans, cette fois, et se retrouve un été dans la maison de sa grand-tante Esther, hautaine et méprisante, qui couve d’un amour jaloux son petit neveu Jared, vingt-cinq ans, et étudiant en Théologie. Un bois et un marais jouxtent la maison, des figures fantasmagoriques peuplent le récit d’éléments fantastiques, les humains se transforment en serpent ou en rapace, et la figure d’un Jésus martyrisé hante la bibliothèque de la maison.
La religion ici est le couvert sous lequel s’abrite l’hypocrisie des habitants de cette petite bourgade, leur faiblesse, leur lâcheté mais aussi leur cruauté. Se punir de ses crimes pour mieux les perpétrer, briser son corps et ses élans mène à la perversité et à la déviance. La haine du corps et de l’amour charnel conduit à de terribles expiations. Et l’idée du sacrifice permet de justifier le crime.
Comment aimer au milieu de tout cela, dans tant d’obscurité ? Au bord de quelle sordide histoire d’amour Josie va-t-elle être entraînée ? Et qui pourrait la sauver sinon Joyce Carol Oates dans un monde où les contes de fée ne sont plus pour les petites filles ?

L’empreinte de toute chose, une botaniste au XIXe siècle, par Elizabeth Gilbert

vignette Les femmes et la PenséeAutant le dire tout de suite, le livre d’Elizabeth Gilbert m’a passionnée parce qu’il retrace la vie et le parcours d’une intellectuelle au XIXe siècle, et qui plus est d’une scientifique, une botaniste, qui n’a pas existé mais qui est le portrait tissé des vies de dizaines de femmes passionnées par les sciences au XIXe siècle en Europe. Il pose une question importante : si les femmes avaient eu accès à une éducation digne de ce nom, si elle avaient reçu l’instruction et pu accéder à l’Université auraient-elles inventé ou contribué à la découverte des grandes théories scientifiques ou des concepts qui ont bouleversé le siècle ?
Alma Whittaker est bryologiste, spécialiste de l’étude des mousses. Comment a-t-elle pu devenir une femme de science, d’où tient-elle son savoir puisque les cercles scientifiques sont interdits aux femmes? Par son père, un anglais qui a émigré aux Etats-unis en faisant fortune dans le commerce du quinquina, mais qui est aussi un botaniste autodidacte, voleur de plantes, personnage haut en couleurs et éducateur très original pour l’époque, puisqu’il permet à sa fille d’assister à toutes les soirées auxquelles il invite des scientifiques de renom et de débattre avec eux.
La petite Alma se nourrit intellectuellement de ces contacts avec d’éminents chercheurs et devient une jeune femme d’une intelligence particulièrement éclectique. Elle ne peut pas voyager en tant que femme, alors elle se décide à observer le monde qui l’entoure.
Elle est intelligente mais dotée d’un physique ingrat. Comment accèdera-t-elle au monde qui est celui des femmes dont la vocation obligée est le mariage et les enfants ? Comment conciliera-t-elle sa soif de connaître aux exigences de l’époque en matière de rôle et de statut des femmes ?
« Dans le monde scientifique de l’époque, il y avait encore une division stricte entre « botanique », l’étude des plantes par les hommes et « botanique d’agrément, l’étude des plantes par les femmes. Certes les deux étaient difficiles à distinguer l’une de l’autre hormis que l’une était respectée et l’autre pas. »
Alma Whittaker est le portrait type d’une intellectuelle de l’époque et Elizabeth Gilbert s’est abondamment documenté et a construit un roman intelligent et prenant.
Une nouvelle théorie va bouleverser le XIXe siècle et les représentations scientifiques, c’est la théorie de l’évolution de Darwin, qui sera acceptée de son vivant mais sera l’objet de nombreuses polémiques car en butte aux conceptions religieuses de l’époque. Le roman de Tracy Chevalier, Prodigieuses créatures évoque lui aussi avec talent la vie d’une chasseuse de fossile au XIXe siècle, à la même époque, au milieu des mêmes débats intellectuels et cela m’avait passionnée.
Mais ce qui, véritablement, fait l’originalité du livre d’Elizabeth Gilbert, c’est la question habilement posée des découvertes parallèles. On sait que Charles Darwin et Alfred Russell Wallace ont élaboré tous deux la théorie de la sélection naturelle, ce qui a incité Charles Darwin à publier sa propre théorie plus tôt que prévu. Le postulat d’Elizabeth Gilbert est donc celui-là : si deux hommes ont pu parallèlement aboutir aux mêmes conclusions à l’issue de leurs recherches sans jamais avoir communiqué à leurs propos, est-ce qu’une femme, dotée de la même intelligence et des mêmes connaissances aurait pu le faire ? C’est diablement futé ! Tout le roman est construit là-dessus et si vous vous prêtez au jeu, cela tient véritablement en haleine…

Plusieurs femmes ont été des botanistes au XIXe siècle , Anna Atkins (1799-1871), Mary Katharine née Layne, épouse Curran puis Brandegee (1844-1920), Alice Eastwood (1859-1953), Eliza Standerwick Gregory (1840-1932),  Josephine Kablick (en), (1787-1863), botaniste et paléontologue originaire de Bohème Sarah Plumber Lemmon (1836-1923), Jane Webb Loudon (1807-1858), Il est bon de rappeler leur existence.

Lark et Termite – Jayne Anne Phillips

Lart-et-Termite

Cette œuvre polyphonique, à quatre voix, explore avec beaucoup de talent les pouvoirs de l’écriture. De Robert Leavitt, caporal américain en mission en Corée du sud, à Lark, jeune fille américaine de 17 ans, en passant par son frère Termite, lourdement handicapé ou Nonie, la tante qui les a élevés tous les deux, Jayne Anne Phillips s’attache à recréer les univers de chacun des narrateurs tout en tissant un ensemble de filiations qui rattachent peu à peu les personnages les uns aux autres. La construction du roman est complètement maîtrisée.

          A travers les propos des personnages, c’est une grande absente qui est évoquée, Lola, la mère des deux enfants, sœur de Nonie, femme de Robert Leavitt. Femme insaisissable, mère absente, maîtresse passionnée, chaque narrateur s’évertue à la recréer, à la manière d’une fable ou d’une histoire. Elle est un personnage profondément romanesque, tissée de tous les discours des narrateurs qui s’entrecroisent sur la trame du récit . Mais à peine un portrait se dessine-t-il enfin qu’il s’évapore à nouveau.

Jayne Anne Phillips est née en Virginie Occidentale. Elle a publié son premier recueil de nouvelles, « Black tickets » en 1979 à l’âge de 26 ans et récompensée par le prix Sue Kaufman.. Elle fut célébrée par Raymond Carver pour la beauté de son écriture.

« Machine dreams », son premier roman, publié en 1984, raconte la vie d’une famille américaine à travers la guerre du Vietnam. Il fut choisi par le New York Times Book comme l’un des 12 meilleurs romans de l’année.

Elle renoue avec l’art de la nouvelle avec « Fast Lanes » en 1987, pour poursuivre en 1994 avec un deuxième roman, « Shelter » qui évoque avec talent les rites de passage de l’enfance et qui fut abondamment récompensé.

Son œuvre est traduite en douze langues. Elle enseigne aujourd’hui comme professeur d’anglais. En 2000, elle publie « Mother Kind » qui examine les questions intemporelles de la naissance et de la mort. Lark et Termite, finaliste pour de prestigieux prix a rencontré un important succès critique.

 

Pauvre Georges – Paula Fox / Le pathétique de l’existence ou les anti-héros

Pauvre-Georges-

Paula Fox – Pauvre Georges Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Remy Lambrecht, éditions Joëlle Losfeld

Paula Fox, née en 1923, est américaine. Elle a vécu à Cuba, en Californie et au Québec, et demeure maintenant à New-York. Elle a été redécouverte à la fin des années 1980, grâce, entre autres, à Jonathan Franzen, Frederick Busch et Andrea Barrett qui la considèrent comme l’un des plus importants écrivains de ce siècle.

Née en 1923 d’un père alcoolique, abandonnée dès sa naissance, Paula Fox découvrit la vie rude de l’orphelinat et souffrit beaucoup de son enfance Elle en reproduisit le schéma en abandonnant à son tour – c’est le regret de sa vie – son premier enfant. Recueillie par un pasteur, qui sera son père spirituel et littéraire, elle découvre la littérature. Après avoir exercé toutes sortes de métiers, dont ceux de reporter en Europe et d’enseignante à l’université de Columbia, elle commence à écrire à 40 ans – des livres pour enfants -, puis se lance dans l’écriture à plein temps.

Le dieu des cauchemars, Personnages désespérés et La légende d’une servante sont les titres qui ont eu le plus de succès.

Pauvre Georges ! Il n’a guère d’envergure, n’aime pas vraiment sa femme , ne brille pas particulièrement dans son métier, et sa vie, entre un pavillon de banlieue et une école privée de Manhattan lui semble étriquée et sans but. Un jour, il surprend Ernest en train de fouiller dans ses affaires. Au lieu de le conduire au commissariat, il se met en tête de l’aider dans ses études sans tenir compte de ce que veut véritablement le jeune homme. « Pauvre Moi ! » pourrait s’écrier Georges. Car c’est pour lui le commencement de toute une série d’ennuis.

Ce qui est le plus difficile dans ce livre, c’est qu’il n’y a aucun personnage sympathique, personne à aimer, mais personne non plus à détester. Ils sont tous ternes, paumés, ennuyeux, et il faut tout le talent de Paula Fox pour les tirer de cette existence pathétique – existence littéraire s’entend !

J’avoue que j’ai souvent soupiré à la lecture de ce livre et que parfois le temps m’a paru long. Quel talent pourtant, chez cette femme, et quelle sobriété dans l’analyse psychologique des personnages ! On tient alors jusqu’au bout, à la force de la plume de cet écrivain !

Pauvre Georges n’est pas le livre qui a eu le plus de succès. Celui qui semble retenir tous les suffrages est « Personnages désespérés » qui est classé au rang de chef-d’œuvre. Je la lirai donc à nouveau, en espérant que le prochain demandera un peu moins d’efforts. Il y a vraiment certains livres qui se méritent !

La couleur des sentiments – Kathryn Stockett

la-couleur-des-sentiments

Le tour de force de ce roman est de parler des femmes, de toutes les femmes, à travers un prisme qui est la situation des employées de maison noires dans le Mississipi en 1962. Les lois raciales sont encore en vigueur et la ségrégation n’est pas encore un souvenir, Rosa Parks a obtenu la mixité dans les bus, Marthin Luther King rassemble autour de lui des noirs et des blancs dans une lutte commune pour les droits civiques, tandis qu’à Jackson, Mississipi, quelques bourgeoises blanches militent pour obtenir une loi qui oblige les femmes noires à avoir des toilettes séparées des blancs dans les maisons où elles travaillent.

Ce roman polyphonique donne la parole à trois femmes, Aibileen, Miss Skeeter et Minny. Deux bonnes noires et une jeune bourgeoise blanche que vont lier l’envie commune de changer les choses, et de prendre en main leur destin.

Les bonnes comme leurs maîtresses sont victimes d’une hiérarchisation des rôles dans une société extrêmement cloisonnée. Le seul pouvoir de ces femmes blanches est celui qu’elles exercent sur plus opprimées qu’elle. Cela seul les rendrait pathétiques si elles étaient moins sottes et moins cruelles.

Eugenia Skeeter voudrait être écrivain mais ne peut le dire à sa famille qui ne songe qu’à lui trouver un bon mari. Point de salut hors du mariage : les vielles filles, les secrétaires, les professeurs, bref toutes les femmes émancipées, ne sont pas vues d’un très bon œil. Pourtant les américaines sont déjà plus émancipées que la plupart des européennes puisqu’elles ont obtenu le droite vote à l’échelon fédéral en 1920.

On considère alors que la nature des femmes les rend plus apte à éprouver qu’à raisonner. L’instinct maternel mais aussi leur sentimentalité exacerbée les destinent à être des épouses et des mères, à entretenir , garder le foyer et perpétuer la descendance. Elles sont aidées par des bonnes noires qui assurent le gros du travail et sont payées une misère, ravalées au rôle de ménagère, degré le plus bas de la féminité –il n’y a qu’à voir comment on traite la souillon dans les contes de fée.

Le roman se moque allègrement de ces clichés, l’instinct maternel n’est pas ce qui est le plus partagé par ces grandes bourgeoises, prises qu’elles sont par leur mondanités, déléguant parfois presque totalement le soin des enfants à leur bonne.

 

La révolte de ces femmes va les conduire à écrire en secret. L’écriture devient un acte autant salvateur que libérateur. Ecrire, c’est à la fois témoigner et prendre la parole dans un monde largement réservé aux hommes. Mais avant d’écrire, elles lisent, elles dévorent les livres interdits aux noires parce qu’elles ne peuvent les emprunter dans les bibliothèques des blancs. Lire, écrire, c’est combattre l’ignorance dans laquelle on maintient les femmes comme dans une prison.

Ecrire et publier, c’est soumettre au débat, dévoiler ce qui est caché, donner à voir autant que dénoncer. C’est aussi s’engager dans la maîtrise d’une parcelle de ce pouvoir que donne l’éducation et le savoir. Ceux qui ont le pouvoir se reconnaissent entre eux à la façon dont ils parlent ou écrivent. Toutes choses qui demandent un long apprentissage dégagé des tâches subalternes. Ecrire, c’est se délivrer de la matérialité des choses.

 J’ai dévoré ce livre, tout à tour émue, amusée et captivée par l’histoire de ces femmes, histoire portée par des voix chaleureuses et inoubliables. Le récit est parfaitement rythmé et nous emporte littéralement … A lire absolument …

 

Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur est le livre de chevet de Skeeter, (Eugenia).

La voix de la résilience : Mudwoman de Joyce Carol Oates

mudwoman

Joyce Carol Oates Mudwoman – Meilleur roman étranger 2013 des lecteurs dePOINTS- 2012, édition original – 2013 Editions Philippe Rey Publié en points P3352

Survivre à des événements traumatisants de l’enfance, réussir brillamment un parcours professionnel, être entouré et aimé, autant d’atouts qui semblent forger une personnalité dans de l’acier trempé et lui garantir un destin exceptionnel.

C’est bien le cas de Meredith Neukirchen : abandonnée par sa mère dans les marais des Adirondacks, Mudgirl est sauvée puis adoptée par des parents qui lui donnent tout leur amour mais aussi des valeurs fortes pour la guider dans l’existence.

Quel moteur suffisamment puissant va transformer cette petite fille martyrisée en étudiante brillante puis en première femme président d’université ? Une volonté farouche, l’angoisse, le désir de remercier ses parents ou de se garantir leur amour ?

Mais si Meredith réussit sa vie professionnelle, elle recueille seule les fruits de son labeur, pas d’époux à ses côtés, pas d’enfants non plus…

Meredith Neurkichen, sous son apparence si lisse, cache des béances secrètes, les blessures sont toujours là, nichées dans les profondeurs de son inconscient et se remettent à saigner. Un jour, elle perd complètement les pédales, son passé la rattrape, et les fantômes resurgissent. S’en sortira-t-elle une fois encore ou sera-t-elle terrassée définitivement par ces forces mystérieuses qui semblent la dépasser ?

Beaucoup de suspense dans ce livre dont l’intrigue est efficace et subtilement menée, et dont l’héroïne au fond nous est si proche. Lequel d’entre nous est assuré d’avoir un chemin sans embûches, sans rien qui risque nous faire trébucher ? Meredith a été, certainement une enfant résiliente, mais le roman de Joyce Carol Oates démontre, si besoin était, que la résilience n’est pas une guérison et qu’elle n’explique pas tout. Les blessures restent, même cicatrisées, elles font de nous des géants aux pieds d’argile. Je me demande si une grande partie des livres de Joyce Carol Oates ne sont pas des thrillers d’une possible résilience.

En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité.

« Je pense qu’on ne peut parler de traumatisme – et d’évolution résiliente – que si l’on a côtoyé la mort, si l’on a été agressé par la vie ou par les autres, ou encore si des personnes de notre entourage ont été en danger. Mais les processus qui permettent de reprendre son développement après un coup du sort nous concernent tous, car ils obligent à penser la vie en termes de devenir, d’évolution.

D’ailleurs, environ une personne sur deux subit un traumatisme au cours de son existence, qu’il s’agisse d’un inceste, d’un viol, de la perte précoce d’un être cher, d’une maladie grave ou d’une guerre. » [1]

[1] Interview psychologies

http://www.psychologies.com/Dico-Psycho/Resilience

Nella Larsen – Clair-obscur / Noire ET blanche ?

Clair-obscur

En 1927, à Chicago, se retrouvent deux amies d’enfance, perdues de vue depuis longtemps. Leurs caractères et leurs ambitions sont très différents ; on peut même dire que tout les oppose, hormis le fait d’être suffisamment claires de peau pour passer pour blanches, alors qu’elles possèdent du sang noir toutes les deux. La ségrégation, depuis les lois de Jim Crow, obligent noirs et blancs à vivre séparés, et le métissage n’existe pas. Dans l’Amérique ségrégationniste, on est noir ou blanc et il faut choisir son camp. La belle et sulfureuse Claire a épousé un Blanc raciste, en lui cachant ses origines, et vit dans la hantise d’être découverte. Irène a choisi une autre voie : elle est devenue une mère de famille respectable et revendique au contraire son appartenance à la communauté noire. Son amie l’exaspère et la fascine à la fois. Toutes les deux, de chaque côté de la colour line, sont la proie conscience ou inconsciente d’une terrible quête identitaire.

 

Ces deux femmes possèdent une complexion claire qui leur permet de passer pour blanches et peuvent être prises pour des Espagnoles ou des Italiennes au teint mat.

Irène a choisi : son mariage avec un homme qui ne peut pas « passer » pour blanc et le le fait d’être mère de deux fils dont l’un est foncé fait d’elle une mère de famille respectable. Elle  côtoie le gratin des cercles de Harlem, et mène une vie de femme installée et bourgeoise. Sa vie est toute tracée dans les limites qui lui sont imposées, sans danger.

Claire, dont le prénom est suffisamment symbolique est une femme inquiète et troublée dont la vie peut basculer à tout moment. Moralement, elle est du mauvais côté, elle ment et trompe son monde. Pour autant Irène est-elle vraiment plus intègre ? Ne cherche-t-elle pas, au fond, à préserver les apparences, en sacrifiant tout à la sécurité et à la routine, déterminée à faire le bonheur de sa famille sans vraiment penser à elle-même ?

On peut condamner Claire, qui pour « passer » a accepté des compromis qui la déchirent mais elle représente aussi « le risque, l’audace, l’avenir ». Elle est tout le temps sur le fil du rasoir et joue un jeu dangereux. Elle veut pourtant être des deux côtés de la ligne car elle veut retrouver la communauté noire. Elle veut retourner à quelque chose, mais quoi ? Qu’est-ce que l’identité, qu’est-ce qu’une race , puisque cette question est cruciale à l’époque ? La réponse n’est jamais donnée, mais diffractée à travers quantité de situations et de problèmes.

La question morale de la trahison et du mensonge se pose des deux côtés de la colour line. Trahir une communauté ? Se trahir soi-même ? Irène n’est-elle pas elle aussi dans le compromis, au sein de cette bourgeoisie noire qui « singe » parfois la communauté blanche et se tient sagement à l’intérieur des limites qui lui ont été fixées ? Que représente la loyauté ? Et la liberté ?

En ces temps de ségrégation, l’engagement est une nécessité pour lutter contre l’oppression, la lutte pour les droits un engagement politique qui a véritablement un sens.

Alors pourquoi rester sur cette « fine » line ? Pour ne pas se laisser enfermer ? Pour ne pas avoir à choisir et pouvoir affirmer, je suis noire ET blanche ?

Ce livre est passionnant par les questions qu’il pose avec intelligence et finesse. Un peu moins de deux cent pages, mais une maestria qui m’a parfois laissée sans voix. C’est un roman éminemment philosophique qui posent les problèmes et les met en situation.

« Passing » , ou Clair-obscur est un classique maintenant de la littérature américaine qu’il faut absolument connaître.

Je dédie cet article, avec tout mon amour, à une superbe jeune femme noire ET blanche, métisse, Héloïse.

Nella Larsen et la colour line, auteure métisse dans l’Amérique ségrégationniste des années de l’Entre-deux-guerres

Nella Larsen Etre femme a longtemps constitué un handicap pour être publié, mais être femme et métisse dans la société américaine du début du XXe siècle était une véritable gageure. Nella Larsen, née d’une mère danoise et d’un père antillais, seule métisse d’une famille recomposée, devient l’une des figures de proue de la « Renaissance de Harlem » (ou New Negro Movement), renouveau de la culture afro-américaine, dans l’Entre-deux-guerres (entre 1919 et 1930) dont le foyer est à New York. Ce mouvement est panafricaniste, d’inspiration socialiste, luttant contre le racisme et le paternalisme envers les noirs. La littérature noire américaine (mais aussi la peinture et la musique) se diffuse en dehors de l’élite noire américaine et gagne une reconnaissance de plus en plus affirmée.

Dorothy West, une autre des femmes écrivains, publie quant à elle « The Living is easy » où elle décrit la vie d’une famille noire aisée. En général les auteurs de la Renaissance noire américaine valorisent l’identité noire américaine. Tous les genres sont exploités, pamphlets, articles de journaux, romans, ballades et des travaux d’historiens noirs redonnent une place à la contribution des noirs à leur culture et leur destin.

En 1925, une autre de ses compatriotes, Zora Neale Hurston, écrit « Colour Struck » dans le magazine « Opportunity Magazine » et invente l’expression « Negrotarians ». Elle écrivit « Their Eyes Were Watching God »traduit en français sous le titre Une femme noire). Elle fut diplômée d’Antropologie après avoir fréquenté l’Université et créa le magazine « Fire » avec Langston Hugues et Wallace Thurman. Elle s’intéressa au folklore noir américain répondant ainsi au débat qui agitait cette communauté d’intellectuels, à savoir si la littérature devait être réservée aux élites noires ou intégrer la culture populaire.

Cette renaissance aura un impact majeur sur les intellectuels noirs dans les Caraïbes, l’Afrique de l’Ouest, et en Europe.

Et Nella Larsen dans tout cela ?

Clair-obscur, son deuxième roman, publié pour la première fois aux Etats-Unis en 1929, et qui est devenu aujourd’hui un véritable classique, pose la question de la frontière, de la limite et de la difficulté de l’identité. Aux Etats-Unis, on est noir ou blanc, Barack Obama, est un président noir, alors qu’il est métis.

Née d’une mère danoise et d’un père originaire des Iles Vierges (propriété du Danemark encore à l’époque), Nellie est déclarée « fille de couleur » à la naissance. Sa mère se remarie et donne le jour à une seconde fille déclarée « blanche ». Nellie, puis Nella eut des relations familiales difficiles notamment avec sa sœur blanche. Sa mère, cependant tente de lui assurer une éducation, connaissant les difficultés dues à la ségrégation et l’inscrit en 1907 à Fisk, université noire de Nashville dans le Tennessee, dont elle est renvoyée après une année médiocre (voir la préface de Laure Murat au roman Clair Obscur, très riche et documentée). Elle fait en même temps plusieurs voyages en Europe où elle fréquenta certainement l’Université de Copenhague en auditrice libre.

En 1909, en réponse à une ségrégation qui se durcit, est créé le NAACP (National Association for the Advancement of Coloured People), qui deviendra par la suite une des plus puissantes organisations de défense des droits civils.

Séparée de sa propre mère qui vit dans un quartier interdit aux noirs, Nella Larsen décroche un diplôme d’infirmières en 1915 et en 1919, elle épouse Elmer Imes, un des premiers noirs à avoir obtenu son doctorat de physique . Le couple s’installe à Harlem.

En 1923, elle passe avec succès son diplôme de bibliothécaire et devient responsable, de la section des livres pour enfants grâce au soutien et à l’amitié d’ Ernestine Rose, blanc militant et sympathisant. Puis Carl Van Vechten, bisexuel, ami de Gertrude Stein dont il sera l’exécuteur littéraire sera une autre rencontre déterminante. Elle lui donne à lire ses premières nouvelles et conquis, il la pousse à écrire un roman. Quicksand (sables mouvants) paraît chez Knopf en 1926, ce roman a pour thème le racisme d’une famille blanche mais aussi critique l’élite noire qui « singe » l’oppresseur.

La position d’une métisse, de part et d’autre de la Colour line, la conduit à rejeter toute injonction identitaire. Histoire en quelque sorte d’une femme ni noire , ni blanche. Le dernier biographe de Nella Larsen, George Hutchinson, fait observer que « Passing », son deuxième roman est l’histoire d’une femme blanche et noire. L’identité qui s’était établie en creux devient positive. De complexion claire, on peut « passer pour une blanche » et naviguer des deux côtés de la Colour line.

Mais à la fin du XIXe siècle, les lois Jim Crow, avec la fameuse « one drop rule » stipule qu’une seule goutte de sang noir suffit à considérer une personne comme legally black. On peut donc avoir l’air blanc mais être noir. L’identité devient beaucoup plus complexe à établir puisqu’elle repose sur quelque chose qu’on ne voit pas. Dans ce type de culture, un métis n’existe pas.

Cette réalité à la fois sociale et politique donne lieu à un motif littéraire, le tragic mulatto (a) dans les « passing novels » et permet de traiter la question de l’émancipation des femmes, des races et des classes. Une goutte de sang noir a , en effet, le pouvoir de vous faire déchoir. « The Quadroons » par Lydia Maria Child, premier texte du genre paraît en 1842. De nombreux romans continueront à alimenter cette veine. Nella Larsen va s’éloigner les lois du genre en exploitant le thème de la fine line, où tout se joue à un cheveu.

Il est passionnant de noter que Judith Butler a souligné combien « le non-dit qui frappe l’homosexualité converge dans l’histoire avec l’illisibilité de la négritude de Claire » , le personnage principal du roman. (Judith Butler, « Passing, queering : le défi psychanalytique de Nella larsen , Ces corps qui comptent, Amsterdam 2 009 p 180»

Qu’en est-il aujourd’hui de la color line, censée avoir disparu ? Toni Morrison est-elle seulement écrivain, ou encore et toujours une femme, et une femme noire comme le souligne certains des articles même les plus élogieux à son égard ?

(source Laure Murat, préface du roman Clair Obscur et Wikipédia pour les éléments relatifs à la Renaissance de Harlem)

Paroles de femmes Helen Keller

Helen-Keller

« Ne baisse jamais la tête. Garde-la bien haute.

 

Regarde le monde droit dans les yeux. »

 

Helen Keller (1880-1968) Educatrice et femme de lettre américaine

La vie d’Helen Keller fut tout à fait exceptionnelle. En février 1882, à 19 mois, elle contracte une fièvre qui la rend sourde et aveugle à la fois. Vers l’âge de six ans, une jeune éducatrice, Ann Mansfield Sullivan va s’occuper d’elle. Très gâtée par ses parents qui lui passent tous ses caprices, Helen n’obéit pas. Cependant, Ann lui apprend peu à peu la langue des signes en les dessinant dans la paume de sa main. Elle lui apprend ensuite à lire, à parler et à écrire. Forte de cette incroyable réussite, Helen étudie à la faculté de Radcliff College où elle obtient un diplôme. Elle crée alors une fondation pour les personnes handicapées et milite au sein de milieux féministes et socialistes. Elle étendra son action militante en écrivant des essais politiques, des romans et des articles de journaux.

Source : Wikipédia

Les liens du mariage – J Courtney Sullivan, incontournable !

Les liens du mariage

 Les liens du mariage J Courtney Sullivan Rue Fromentin 2013

Quoi de plus paradoxal que de conquérir son indépendance en servant des modèles dominants qui cantonnent les femmes dans des rôles traditionnels ? C’est ce que fait Frances Gerety, jeune pionnière de la publicité dans les années quarante. On lui confie donc les sujets dits « féminins » et on la paie beaucoup moins que ses collègues masculins.

Quels sont les rêves d’une jeune fille des années quarante ? Se marier et avoir des enfants restent la voie toute tracée pour la plupart des femmes. Et pour conquérir une femme et lui faire croire que son amour sera éternel, un jeune homme doit lui offrir la bague symbole de la grandeur et de la pérennité de cet amour. Une bague et un diamant afin de l’éblouir. Plus le diamant est gros, plus le mari est riche, plus le gibier est gros, et fructueuse la chasse au mari. Les femmes n’auront peut-être pas d’indépendance financière mais une magnifique bague au doigt. Un diamant, n’est-ce pas, est éternel. Un magnifique mensonge inventé par une femme qui parce qu’elle gagne plutôt bien sa vie, n’aura pas de mari.

La toute nouvelle société de consommation prend le relais de l’Eglise et de l’Etat pour conditionner et asservir les femmes.

C’est véritablement le tour de force de J. Courtney Sullivan que de montrer l’évolution des mœurs à travers l’histoire d’un objet et les transformations sociales sans précédent des années quarante et cinquante. On suit les évolutions du mariage des années quarante aux années 2012.

C’est un roman sur le mariage qui suit quatre couples différents .L’auteure explique dans son interview que le mariage aux Etats-Unis est une pratique très répandue. Ne pas être marié est toujours choquant.

Les vies de ces quatre couples n’ont pas vraiment de points communs même si quelque chose les relie tous qu’on ne découvrira qu’à la fin. Chacun de ces couples a une vision très différente du mariage, de la plus traditionnelle, à la plus moderne (le mariage gay)en passant par celle qui consiste à refuser absolument le mariage.

L’auteure construit son histoire à partir d’une documentation très fouillée et a recueilli de nombreux témoignages sur lesquels elle s’est basée pour comprendre la vision de chaque personnage.. Elle est même venue à Paris sur les traces de Delphine pour donner de l’épaisseur à sa vie.

C’est donc un roman réaliste qui veut rendre compte des interactions sociales. C’est là un des défauts du roman parfois un peu trop documentaire même si cela lui donne incontestablement une certaine originalité. J Courtney Sullivan invente un nouveau réalisme, proche parfois d’un hyper réalisme.

J’ai beaucoup aimé ce roman, sa construction un peu éclatée : chaque moment du récit alterne la vision des quatre personnages, comme un point de vue différent sur les moments clefs de l’existence d’un couple. Je me suis vraiment attachée à chacun et j’ai trouvé dans l’ensemble le ton juste.

Troisième roman que je lis de l’auteure, je suis devenue une inconditionnelle.

Moi, Clea Shine Carolyn D. Wall / Se construire femme…

Moi, Clea Shine

Carolyn D.Wall – Moi, Cléa Shine, Grands romans Points Calmann-Lévy 2012 , original Carolyn D. Wall, 2012 Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Estelle Roudet

Ce roman est en deux temps bien distincts, le flash back sur l’enfance malheureuse de Clea Shine qui, abandonnée par sa mère, est recueillie par Jerusha Lovemore, femme noire du sud du Mississipi. Et le deuxième temps sur sa vie d’adulte. La fillette blanche est rebelle, n’a pas sa langue dans sa poche et tente de se construire malgré les blessures… Son regard reste souvent rivé à une maison de triste apparence, dont les murs s’ornent souvent de quolibets. Une femme vit là, à la fois proche et lointaine.

Un peu plus loin, une prison. Un paysage de tristesse, et dans ce paysage un petit garçon, Finn, qui vit perché dans un chêne…

Et puis dans la deuxième partie la vie de Clea Shine devenue adulte… Chute ou rédemption, résilience ou folie, comment Clea est-elle parvenue à grandir ?

J’avais lu et aimé son précédent roman Aurora Kentucky qui faisait le portrait d’une femme courageuse que la vie n’a pas épargné. Celui-là fait également un assez beau portrait de femme mais l’écriture m’a moins emportée. J’ai trouvé la construction moins aboutie, même si la première partie sur l’enfance de Cléa est véritablement belle. Des clichés alourdissent en quelque sorte le deuxième moment du récit et c’est un peu dommage.