Archives pour la catégorie Oeuvres des femmes : XXe siècle

Le matin et autres poèmes – Emily Dickinson

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Le matin

Le matin , qui ne vient qu’une fois,

Envisage de revenir-

Deux Aubes pour un Seul Matin

Donne un prix soudain à la Vie –

Edition printemps des poètes – 2005 – Poèmes à la poche

Ils n’ont pas besoin de moi.

Ils n’ont pas besoin de moi, mais qui sait –

Je laisserai mon Coeur en vue –

Mon petit sourire pourrait bien être

Précisément ce qu’il leur faut –

S’accumuler comme un tonnerre

S’accumuler comme un tonnerre à sa limite –

Puis – s’écrouler – grandiose

Alors que la Création se cache –

Voilà qui serait – Poésie –

Ou amour – ils ont le même âge –

On les éprouve – sans les prouver –

On les vit – ils vous consument –

Car à la vue de Dieu nul ne survit.

Hester Lily – Elizabeth Taylor

Hester Lily

j'aime un peu beaucoup passionnémentj'aime un peu beaucoup passionnément

Hester Lily – Elizabeth Taylor – 1954 Elizabeth Taylor – 2 007 Editions Payot et Rivages 112 pages

Hester Lily, jeune femme devenue orpheline, est recueillie par son cousin Robert, de plusieurs années son aîné. Son épouse Muriel n’apprécie guère cette intrusion et devient la proie d’une jalousie maladive.

Son travail de secrétaire qu’elle exécute plutôt mal, son côté godiche, ne font guère craindre a priori une rivale. Pourtant c’est ce que pressent l’épouse de Robert, directeur d’une école de garçons dans une bourgade provinciale.

Hester va être le catalyseur du malaise profond qui ronge le couple.

Dans cette longue nouvelle qui est avant tout une brillante étude de mœurs, Hester sertle révélateur à une situation qui, cachée sous le vernis apparent de la vie sans histoires d’un couple plutôt assorti, va apparaître peu à peu.

La jalousie de Muriel, l’épouse, n’est que la conséquence de son angoisse face aux difficultés que traverse son couple. Elle sent bien que la situation lui échappe et que le conflit larvé va bientôt éclater. Elle a peur d’Hester car elle pressent la fin inéluctable de son couple et emploie toute son énergie à sauver les apparences plutôt qu’à résoudre la crise qu’il traverse.

Hester est l’altérité fondamentale, qui représente qu’une autre vie est possible, que d’autres amours sont à naître. L’idéal chrétien et bourgeois d’un mariage pour le meilleur et pour le pire est battu en brèche par la plume un tantinet cruelle d’Elizabeth Taylor. Elle n’épargne aucun de ses personnages ni ne cherche de justifications morales à leurs actes.

Elle les observe sans les juger, s’attachant seulement à mettre en lumière un monde intérieur complexe derrière une vie bourgeoise apparemment lisse.

Le désamour à l’œuvre dans le mariage est malgré tout la preuve qu’un sentiment fort et authentique a existé mais qu’il n’a pas résisté au lent travail de sape du temps.

Que fera Hester dont la vie est à construire ? Quels choix fera-t-elle ? Aura-t-elle le courage de vivre sa passion jusqu’au bout ou renoncera-t-elle aux sentiments qu’elle aurait pu éprouver ?

Elizabeth Taylor d’une plume plutôt distante mais précise analyse les faux semblants d’une société dans lesquels sont empêtrés ses personnages. Ils ont au fond le plus grand mal à savoir qui ils sont et quels sont leurs véritables désirs et se débattent dans des sentiments contradictoires comme une mouche dans la toile.

Plus connue pour son roman « Angel » que j’ai très envie de lire, Elizabeth Taylor est l’une des grandes écrivaines anglaises de ce siècle.

Fadhma Aïth Mansour Amrouche Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Fadhma Aïth Mansour Amrouche Histoire de ma vie La découverte poche

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Ce livre est d’une sorte que j’aime particulièrement, parce qu’il a été difficile à trouver et que sa rencontre a été le fruit d’un heureux hasard. C’est aussi une voix depuis longtemps disparue, à la charnière de deux siècles et de deux mondes et témoin des derniers soubresauts du colonialisme. Il y avait peu de chances que je la connaisse si je ne m’étais pas intéressée dans mon projet aux traces des femmes qui ont écrit d’une manière ou d’une autre dans ce siècle ou dans d’autres plus anciens.

Voici comment la présente Vincent Monteil en 1967 :

« Une vie. Une simple vie, écrite avec limpidité par une grande dame kabyle, d’abord en 1946, puis en 1962, avant que la mort ne vienne la prendre en Bretagne, le 9 juillet 1967, à quartre-vingt-cinq ans. Fadhma Aïth Mansour Amrouche, la mère de Taos et de Jean, a quitté cette terre, mais elle nous reste présente, par ces pages où l’on retrouve les travaux et les jours, les naissances, les morts, le froid cruel, la faim, la misère, l’exil, la dureté de cœur, les meoeurs brutales d’un pays rude où les malédictions, les meurtres, les vendettas étaient monnaie courante, pour des gens si pauvres que les glands doux formaient encore la nourriture de base […] »

 

Cette femme fut en exil dans son propre pays et dans sa propre culture : fruit de la relation hors mariage de sa mère, considérée comme un être maudit, elle devient le symbole de la honte et tous s’acharnent sur elle : quolibets, coups, rien ne lui est épargné. Pour la mettre à l’abri, craignant pour sa vie, sa mère l’emmène à Fort-National, dans une école pour filles qui vient d’ouvrir. Elle en gardera un beau souvenir malgré les épreuves qu’elle traversera. Elle apprend à lire et à écrire, ce qui était rare à l’époque pour une fille, dans l’école laïque des colons, les Français.

Paradoxalement, ils la sauvèrent des mœurs brutales de la trivbu de sa mère et lui ouvrirent l’accès à la culture. Pourtant, avec une certaine inconséquence, ils la renvoyèrent chez elle au début de l’adolescence. La porte ne s’était ouverte que pour mieux se refermer.

« Je ne voulais plus repenser à ma vie passée, puisqu’il fallait oublier que j’avais été instruite. »

 En 1898, elle partit pour travailler à l’hôpital des Aïth-Manelegueleth tenu par des religieuses, où elle rencontra son mari à l’âge de seize ans. Débuta alors une suite ininterrompue de grossesses qui était le destin commun des femmes en ce temps-là. Toutefois son mari est instruit et travaille au bout de quelques années comme fonctionnaire aux Chemins de fer. Mais les émoluments sont faibles et la famille tire le diable par la queue. D’autant plus qu’il faut accueillir la belle famille, nombreuse, et que le peu qu’on a est l’objet de rapines incessantes. La structure sociale, la polygamie, rend la vie matérielle très difficile. Les maris prennent de nombreuses épouses, qu’ils répudient facilement pour en prendre de nouvelles, mais qu’il faut entretenir ainsi que leur nombreuse progéniture. Une femme répudiée revient dans sa famille, une veuve devient l’épouse du frère de son mari. Donc les charges  sont lourdes pour un foyer et la misère n’est jamais loin.

            

Fadhma échappera au lot commun car son mari était chrétien. D’autre part, étant éduqués eux-mêmes, ils éduquèrent leurs enfants qui réussirent à faire des études et dont certains devinrent professeur ou instituteur. Elle leur transmit la mémoire familiale et le goût de la poésie à travers les chants berbères de Kabylie que son fils recueillit de sa bouche et publia. Sa fille Taos devint écrivain et évoqua les lieux de son enfance dans ses romans. Cet arrachement fit de Fadhma une femme dont le destin fut hors du commun et dont la descendance retrouva la lignée maternelle des clairchantants : tout le village écoutait sa mère et ses frères  « lorsque leur chant se répandait dans les rues. »

Elle fut sauvée par une culture étrangère et dût le payer de l’exil. Cette culture lui apporta une certaine liberté et lui assura une protection contre les excès d’une culture familiale patriarcale qui niait la liberté des femmes et les soumettait à la polygamie.

Mais elle fut toujours l’étrangère : « J’étais toujours restée « la Kabyle ». jamais, malgré les quarante ans que j’ai passés en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française, jamais je n’ai pu me lier intimement, ni avec des Français, ni avec des Arabes. Je suis restée, toujours, l’éternelle exilée, celle qui, jamais, ne s’est jamais sentie chez elle nulle part. »

Gageons que sa voix aujourd’hui est à la fois singulière et universelle parce qu’elle est le symbole de l’exil intérieur que durent subir les femmes de tous lieux et de tous temps. Exil dont certaines ne sont toujours pas revenues…et dont les plus chanceuses ont oublié jusqu’aux rigueurs, foulant à nuveau le sol natal.

La découverte

Lac aux dames – Vicki Baum

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Lac au Dames, Vicki Baum, Le livre de poche n° 167 (1962 ?), paru en 1932 en langue allemande, rédité en Phébus Libretto en 2008 (240 pages)

Je ne sais pas d’où Vicki Baum tient sa réputation de légèreté, peut-être à sa collaboration avec le cinéma Hollywoodien, aux lieux où elle plante ses décors, Grand Hôtel, plage, endroits exotiques , ou alors aux personnages eux-mêmes dont quelques-uns sont occupés à des vies mondaines sans grand intérêt. En tout cas, cette réputation est fausse, Vicki Baum est loin d’être un auteur superficiel même si certains de ses personnages, eux, le sont.

Dans Lac aux Dames, les drames sont silencieux et passent le plus souvent inaperçus. Les classes sociales se côtoient sans jamais se mélanger, un mur invisible les sépare qui est le souci de la bienséance et l’argent.

Nous sommes en 1930, et sur les rives d’un lac tyrolien se dressent le grand hôtel Petermann et l’établissement de bains où Urbain vient de se faire embaucher comme maître-nageur. Commence alors une vie difficile, soumise aux caprices de la météo, puisque le jeune homme vit uniquement des leçons de natation qu’il donne. Tiraillé presque quotidiennement par la faim, Urbain vit également tous les émois d’une passion naissante avec une jeune fille fortunée qui loge à l’hôtel. Mais leurs amours sont bientôt compromis et la tragédie guette.

Sous-titré Un roman gai d’amour et de disette, (on cherche vainement la gaieté dans ce roman), ce roman montre la virtuosité de l’auteur à analyser les rouages d’une société rigide à l’agonie avant la grande crise des années qui suivront. Elle décrit un monde crispé sur les apparences et d’une extrême cruauté. L’individu ne vaut que par sa position sociale, et doit absolument cacher la moindre faille au risque d’en mourir.

Ce roman est aussi une peinture sociale de l’Europe de l’entre-deux-guerres. Les femmes se débarrassent peu à peu du corset, font de la gymnastique, flirtent et dansent au sein d’une jeunesse avide de plaisirs. Elles commencent à travailler, May revendique ce droit : «  Je travaille mes huit heures par jour comme tout homme qui se respecte […] ». Les relations entre les sexes évoluent elles aussi ; les femmes deviennent camarades et compagnes. Toute une société semble en mouvement pour sombrer à nouveau quelques années plus tard dans l’holocauste.

J’ai lu ce roman parfois dans une tension extrême, tellement j’étais prise par l’histoire, dans les affres de ce jeune homme. J’ai découvert une auteure talentueuse, qui manie l’ironie et la satire sociale avec beaucoup de virtuosité. Vicki Baum est à redécouvrir !

Un heureux événement – Flannery O’Connor

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Deux nouvelles composent ce recueil : « Un heureux événement » et « La Personne Déplacée » et sont extraites du recueil « Les braves gens ne courent pas les rues » (Folio n°1258)

  Dans la première nouvelle, Ruby semble être à un moment décisif son existence : on lui a prédit un heureux événement et elle attend avec impatience de déménager, de quitter son immeuble qu’elle ne supporte plus. Elle se sent malade, s’essouffle dans les escaliers et rêve d’une maison de plain-pied, où elle et son mari pourraient couler des jours heureux. Vertiges, nausées, l’immeuble semble être un vaisseau qui tangue dans lesquels les marches s’élèvent et descendent « comme une bascule ». Mais elle ne veut pas aller chez le docteur, elle n’a besoin de personne pour contrôler sa propre vie. Elle ne veut pas être comme sa mère qui à trente-quatre ans était déjà une vielle femme usée par les maternités. D’ailleurs Ruby n’a pas d’enfant. Elle maîtrise son destin.

Dans la seconde , Mrs. Mc Intyre a embauché une « Personne Déplacée », un Polonais qui a fui la guerre et les persécutions nazies avec sa famille pour l’aider à la ferme. Il se révèle un travailleur infatigable, un homme dévoué et les paysans et les Noirs qui se moquaient de son accent , heureux de trouver plus pauvre et plus démuni qu’eux, commencent à prendre peur

 

L’écriture de Flannery O’Connor sonde les reins et les cœurs, fouille au-delà des apparences les secrets les plus honteux, la méchanceté tapie au coin de l’âme.

Peu à peu, par petites touches, le portrait qu’elle brosse des personnages, laisse apparaître les failles, les non-dits, les Challenge-Genevieve-Brisac-2013souffrances qui les taraudent et les poussent à la cruauté.

La souffrance n’apprend rien. Elle ne rend pas plus compatissant, ni plus généreux, bien au contraire. Peur pour Ruby d’avoir la même vie que sa mère, peur d’être déclassé ou de perdre le peu qu’ils ont pour les employés de la ferme, cette peur taraude les personnage …

Prisonniers de leur propre aveuglement, ou de leur préjugés, ils semblent les seuls à ignorer ce qui les meut et ne semblent avoir aucune prise sur les événements. Leur liberté est illusoire ; ils sont esclaves de leur milieu, de leur ignorance ou du destin. Dans ce monde-là, il n’y a pas d’échappatoire…

L’écriture de Flannery O’Connor est d’une virtuosité extraordinaire, sa maîtrise du récit est implacable et elle conduit la crise jusqu’à son paroxysme . Du grand art …

L’ingénue libertine – Colette

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L’ingénue Libertine – Colette – Le livre de poche
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Colette écrivit ce roman en 1909. Mariée depuis 1893 à Henry Gauthiers-Villars surnommé Willy, Colette écrivit pour son époux des romans qu’il signait sans vergogne. « L’ingénue libertine » était à l’origine une nouvelle, Minne, et une suite « Les égarements de Minne » écrits avec Willy et qu’elle rassembla en une seule œuvre lorsqu’elle se libéra définitivement de l’emprise de son premier mari. Elle en expurgea toutes les contributions de celui-ci. Toutefois, elle ne put jamais le considérer comme un bon roman car trop lié aux premiers aspects de sa carrière de romancière.

Qui est donc cette ingénue libertine ? Une ravissante personne, Minne, choyée par sa mère, tenue à l’écart du monde, mais dont l’imagination s’enflamme à la lecture des journaux et des aventures d’une bande de Levallois-Perret, composée de margoulins et de criminels, qui représente pour la jeune fille la liberté et l’aventure. L’éducation des jeunes filles de l’époque qui les laisse dans l’ignorance de la sexualité et qui pour préserver leur innocence (et leur virginité) les enferme dans un quotidien sans saveur est responsable d’une méconnaissance complète des choses de la vie et de ses dangers.

Son cousin âgé de quelques années de plus qu’elle, et avec qui elle passe ses vacances fait bien pâle figure à côté de ces hommes sauvages et libres. Il est amoureux fou pourtant de sa cousine et finira par l‘épouser.

Mais Minne s’ennuie, sa vie est plate, et elle n’éprouve aucun plaisir sexuel  avec son mari. Elle reste captive de son secret et collectionne les amants dans l’espoir de découvrir ce plaisir qui jusqu’alors lui a été refusé. Devant son mutisme et son manque d’enthousiasme, son mari ne se pose pas de questions et ne cherche pas à découvrir l’origine d’une telle indifférence.

Minne est prisonnière d’un système social dans lequel le refoulement de l’orgasme au féminin s’inscrit dans une tradition séculaire de répression des femmes comme le montrera, dans les années 70, le Rapport Hite.

            A l’époque de Minne, dans les années 20, on mettait même en doute l’orgasme féminin et on cantonnait la femme à ses fonctions reproductrices. Quand on lui reconnaissait une existence c’était sous la forme d’une sexualité masculine complètement génitalisée, c’est pourquoi nombre de femmes ne ressentaient aucun plaisir dans leurs rapports amoureux. Le rapport Hite mit en lumière le fait qu’un tiers seulement des femmes en retirait du plaisir.

Colette soulève là un problème qui commençait à son époque à agiter les consciences féminines et devint la première à l’évoquer aussi librement dans un roman. Sa fréquentation des milieux homosexuels et ses propres aventures amoureuses lui firent certainement découvrir, dans un milieu libéré des conventions, une autre forme de sexualité beaucoup plus satisfaisante.

Le manque d’éducation sexuelle et les préjugés fortement ancrés dans les mœurs étaient autant d’embûches pour l’épanouissement des femmes. Et si la parole s’est libérée aujourd’hui, on le doit d’abord à ces femmes qui furent des pionnières.

 

J’ai beaucoup aimé ce roman de Colette qui aborde un sujet qui fut longtemps tabou sur la sexualité féminine.

« Irène Chaulieu dit qu’il faut se ménager, sinon ne veut pas paraître tout de suite cinquante ans, et elle assure que, pourvu qu’on crie ah !ah !, qu’on serre les poings et qu’on fasse semblant de suffoquer, ça leur suffit parfaitement. Ca leur suffit peut-être aux hommes, mais pas à moi ! »s’écrie Minne.

Colette décrit parfaitement à quoi conduit la frustration, à une forme de haine : « Mais encore une fois, il défaille seul, et Minne, à le contempler si près d’elle immobile, mal ressuscité d’une bienheureuse mort, déchiffre au plus secret d’elle-même les motifs d’une haine naissante : elle envie férocement l’extase de cet enfant fougueux, la pâmoison qu’il ne sait pas lui donner. »

Minne parviendra-t-elle à trouver ce qu’elle cherche, à se libérer des entraves de cette frustration sexuelle qui l’enferme dans la grisaille et l’ennui ? Il faut lire la sulfureuse et libre Colette.

Marie-Claire – Marguerite Audoux

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En ce mois de novembre enfiévré par les prix littéraires et notamment  le Prix Fémina, une occasion de lire ou de relire celles qui furent parmi les premières primées.

  Prix Fémina 1910 – Marguerite Audoux.

  Née en 1863 à Sancoins dans le Berry, Marguerite Audoux est couturière. Elle écrit pour tromper l’ennui et la misère et aussi certainement pour la distraire de sa solitude. Ce n’est que tardivement, la quarantaine passée, que Marguerite Audoux, pauvre et malade, connaîtra le succès. Elle écoulera pourtant 75 000 exemplaires de Marie-Claire qui obtiendra le prix Femina en 1910. Octave Mirbeau en écrivit un  vibrant éloge en guise de préface  :

«  Marie-Claire est une œuvre d’un grand goût. Sa simplicité, sa vérité, son élégance d’esprit, sa profondeur, sa nouveauté sont impressionnantes. Tout y est à sa place, les choses, les paysages, les gens. Ils sont marqués, dessinés d’un trait, du trait qu’il faut pour les rendre vivants et inoubliables. On n’en souhaite jamais un autre, tant celui-ci est juste, pittoresque, coloré, à son plan. Ce qui nous étonne surtout, ce qui nous subjugue, c’est la force de l’action intérieure, et c’est toute la lumière douce et chantante qui se lève sur ce livre, comme le soleil sur un beau matin d’été. Et l’on sent bien souvent passer la phrase des grands écrivains : un son que nous n’entendons plus, presque jamais plus, et où notre esprit s’émerveille ».

              Le roman de Marguerite Audoux est en grande partie autobiographique : elle y raconte la mort de sa mère, son enfance passé à l’orphelinat, et son adolescence dans une ferme solognote où elle est placée comme bergère. La grâce de ce roman tient aux non-dits qui le tissent, lui donnant une sorte de mystère et de profondeur. La petite fille raconte toute une série d’événements qui semblent incompréhensibles à ses yeux d’enfant ; on comprend pourtant ce qui est tu, les souffrances, et les regrets d’adultes qui ont manqué leur vie. Ce regard d’enfant est d’une grande fraîcheur et restitue un milieu et une époque qui nous sont assez méconnus, loin de la grande Histoire, au plus près du quotidien des petites gens où le destin est marqué en grande partie par la condition et le milieu social et où la fortune, parce qu’elle est l’apanage de privilégiés dans une société souvent injuste, est aux mains d’une bourgeoisie soucieuse de ne pas se mésallier.

            La langue de Marguerite Audoux est belle, équilibrée, simple sans être pauvre. Son grand sens de l’observation  lui permet de croquer presque sur le vif des situations cocasses : ainsi lorsqu’elle raconte l’épisode de sa communion : « Je tombais sur les genoux dans le confessionnal, et tout aussitôt, la voix marmottante et comme lointaine de Mr le curé me rendait un peu confiance. Mais il fallait toujours qu’il m’aidât à me rappeler mes péchés : sans cela j’en aurais oublié la moitié.

            A la fin de la confession, il me demandait toujours mon nom. J’aurais bien voulu en dire un autre, mais en même temps que j’y pensais, le mien sortait précipitamment de ma bouche. »

            Un livre qui restera dans l’histoire littéraire et marqua d’une pierre l’entrée des femmes dans un milieu littéraire qui leur était encore assez fermé, pour ne pas dire hostile.

Une bonne raison de continuer mon entreprise d’exhumation des textes féminins et de poursuivre mes tentatives d’archéologie littéraire…

Challenge La Belle Epoque (1879-1914)

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Le bonheur de la nuit – Hélène Bessette

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  Hélène Bessette – Le bonheur de la nuit – Editions L&o Scheer, 2006

Hélène Bessette, née en 1918 a été publiée pendant une vingtaine d’années et représenta un temps l’avant-garde de la littérature des années 60-70. Marguerite Duras déclara même : « La littérature vivante, pour moi, pour le moment, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France. », Raymond Queneau à son tour la qualifia d’ « Un des auteurs les plus originaux de son temps . ».Pourtant qui connaît son nom aujourd’hui malgré l’excellent travail d’édition de Laure Limongi ?

Hélène Bessette cependant marqua son temps, et ses romans figurèrent plusieurs fois sur les  listes des prix Goncourt et Femina. Elle fonda le GRP, le Gang du Roman Poétique et dynamita les codes traditionnels du roman pour inventer une langue nouvelle, rapide, efficace, et pratique. Elle tranchait dans la phrase comme on tranche dans le vif.

Toutefois si les intellectuels du temps reconnurent son originalité et son talent, elle ne rencontra pas le grand public. Son style novateur eut tôt fait de déconcerter des lecteurs habitués à une narration plus classique. Ses romans ont des allures de poèmes :

Une grosse femme brune. Noiraude. Forte en postérieur. Ce qui fait onduler la jupette. Un peu plus loin. Derrière le jarret.

Forte en reins. Moulée dans un chandail.

Excitante et sexy.

Les phrases sont courtes, parfois composées d’un seul mot et donnent un rythme heurté au récit.

Les repères donnés par le roman réaliste ou psychologique n’ont plus vraiment cours ici  même si on retrouve des personnages relativement identifiables, et une progression – non-linéaire cependant- dans le récit.

  Le bonheur de la nuit, est le récit d’une crise, crise de couple, dans laquelle se jouent l’amour et la séduction, la séparation et les retrouvailles de Nata de Nathanaël cynique et veule et de son épouse, puis de sa maîtresse dans un espèce de cycle sans fin, qui sombre dans l’absurdité et la violence. Le couple est un enfermement où se jouent des relations de pouvoir, où les femmes se donnent pour de l’argent et où les hommes représentent un patriarcat violent et destructeur.

  Hélène Bessette, disons-le tout de suite, est un auteur qui pourra sembler difficile à certains. J’ai trouvé, pour ma part, de l’intérêt à la lire, même si  le récit s’essouffle vers la fin. Il a un côté expérimental qui m’a intriguée je dois le dire. Je crains cependant qu’elle ne soit jamais  populaire et qu’elle reste un auteur d’avant-garde louangé par les critiques mais ignorée par les lecteurs.

84, Charing Cross Road – Helene Hanff

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Helene Hanff
Helene Hanff (Photo credit: Wikipedia)

Helene Hanff – 84, Charing
Cross Road – Traduit de l’anglais par Marie-Anne Kisch, Editions Autrement 2001

Ce
livre raconte
l’histoire d’une correspondance entre Helen Hanff, une américaine désargentée, à la recherche de vieux  livres de littérature anglaiseet Frank Doel bouquiniste de la librairie Marks&Co sise au 84 Charing Cross à Londres pendant vingt ans. Au fil du temps, cette correspondance commerciale a pris un tour plus intime et amical, en dépit de la distance entre l’Angleterre et les Etats-Unis. Une sorte
de fidélité de part et d’autre qui en fit une relation tout à fait  particulière.

Helene Hanff écrivit des scenarii pour la télévision américaine et de nombreux livres pour enfants. 
La publication de ces lettres lui assura la notoriété et le succès  à
plus de cinquante ans. L’engouement que ce livre suscita peut poser question car il manque d’évidentes qualités littéraires et pour le fond, cette correspondance commerciale, manque parfois de chaleur sinon d’intérêt. Il faut être très au fait de la littérature
classique anglaise pour en comprendre les multiples références du XVI au XXe siècle. Qui connaît ici John Donne ou Charles Lamb ?
Il devint cependant une success story à l’américaine et il faut peut-être en chercher les raisons dans le mystère même de cette correspondance, la fidélité d’Helene Hanff à une librairie outre-Atlantique alors qu’elle aurait pu trouver certains des ouvrages qu’elle cherchait dans des librairies américaines, les petits cadeaux qu’elle envoie à certaines occasions, son évidente solitude et les moment difficiles qu’elle traverse. Quant à Frank Doel, même s’il témoigne une certaine réserve à l’égard de sa correspondante, il met un réel empressement à satisfaire à ses demandes ou commandes, il reconnaît en elle une connaisseuse et on peut imaginer qu’il est touché par cette cliente s iparticulière

Ceci est mon interprétation personnelle bien sûr, mais j’y crois mordicus.

 Pourquoi lire ces lettres sinon ? J’y ai vu une sorte d’appel, la rencontre de deux immenses solitudes et c’est ce qui m’a
touchée. Et qui vous touchera peut-être aussi.

Joyce Mansour – L’appel amer d’un sanglot

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L’appel amer d’un sanglot
Venez femmes aux seins fébriles
Écouter en silence le cri de la vipère
Et sonder avec moi le bas brouillard roux
Qui enfle soudain la voix de l’ami
La rivière est fraîche autour de son corps
Sa chemise flotte blanche comme la fin d’un discours
Dans l’air substantiel avare de coquillages
Inclinez-vous filles intempestives
Abandonnez vos pensées à capuchon
Vos sottes mouillures vos bottines rapides
Un remous s’est produit dans la végétation
Et l’homme s’est noyé dans la liqueur
Carré Blanc (1965)

J’ai volé l’oiseau jaune
Qui vit dans le sexe du diable
Il m’apprendra comment séduire
Les hommes, les cerfs, les anges aux ailes doubles,
Il ôtera ma soif, mes vêtements, mes illusions,
Il dormira,
Mais moi, mon sommeil court sur les toits
Murmurant, gesticulant, faisant l’amour violemment,
Avec des chats.
Joyce Mansour.

Joyce Mansour (née Joyce Patricia Adèx) à Bowden en Angleterre en 1928, disparaît en 1986.Poétesse égyptienne d’expression française liée au surréalisme, son premier recueil de poèmes « Cris » a été publié chez Seghers. Son écriture du désir lui assura une réputation sulfureuse. Les Têtes Raides ont mis en musique un de ses poèmes.

Mrs Dalloway – Virginia Woolf

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Virginia Woolf est née en 1882 à Londres au sein d’une famille bourgeoise et cultivée ; son père était  critique littéraire et ami de Henry James, Tennyson et GeorgeEliot ; et fonda le « Dictionary of National biography ».

Elle devint un écrivain célèbre et publia de nombreux livres, romans et essais. Peu après le décès de sa mère, débuta une longue suite de dépressions qui la conduisit au suicide en 1941.

Elle révolutionna la théorie du roman dans « Mrs Dalloway ».

Ce livre pourrait n’être au premier abord que le récit de la journée d’une femme, Clarissa  Dalloway, qui prépare une réception. Un matin, elle décide d’aller acheter des fleurs…

Clarissa est la femme de Richard Dalloway, membre du parlement. Elle a 52 ans, est encore assez belle et se souvient des jours passés au fil de sa promenade.

Elle appartient à la bourgeoisie anglaise et doit tenir son rang : elle reçoit les personnalités utiles à la carrière de son mari comme toute bonne épouse « victorienne ». Mais elle est à la charnière de deux mondes à travers sa fille Elizabeth qui, éduquée, pourra choisir une de ces nombreuses professions qui sont désormais accessibles aux femmes. Sous une apparence futile, cette femme possède une faille, une insatisfaction profonde qui la mine malgré son amour de la beauté et de la vie.

Big Ben sonne les heures, rappelle le temps qui passe et la fragilité de toute chose.

Clarissa descend Bond Street et nous lisons le contenu de ses pensées et celles de chacun des inconnus qu’elle croise. Chaque personnage est relié aux autres dans d’invisibles correspondances.

Virginia Woolf bouscule ici les conventions du roman réaliste, et fait disparaître l’intrigue classique car il n’y a pas d’histoire proprement dite.  Elle s’attache à l’essentiel qui est invisible et ne garde que les éléments strictement indispensables.  Les personnages font écho les uns aux autres et servent de fil conducteur au récit, offrent un ordre intelligible : on apprend que Clarissa a aimé un homme « Peter Walsh « , et l’auteur nous livre un peu plus loin les pensées de ce même Peter qui font écho à celles de Clarissa. Le dénouement de Mrs Dalloway est si vague qu’il laisse place à toutes les interprétations possibles. Pourtant on perçoit bien à travers le personnage de Septimus, jeune homme traumatisé par la guerre et qui songe au suicide, la fragilité de Clarissa.  L’intrigue devient alors « un mouvement organique en quelque sorte, qui progresse presque inconsciemment, qui n’est pas sorti d’une idée préconçue, qui a gardé toute la complexité et l’imprévisibilité des faits humains. » 

Virginia Woolf était une fervente admiratrice de Proust et on retrouve dans son roman la palette impressionniste : « Mais même après la disparition des choses, la nuit en reste pleine ; vidées de leurs fenêtres, elles existent avec plus de poids, exprimant ce que la franche lumière du jour, ne parvient pas à transmettre – la confusion et l’incertitude des choses regroupées là dans l’obscurité. »

L ‘obscurité des profondeurs, il s’agit bien de cela, de cet aspect de nous-mêmes que nous ne connaissons pas, notre inconscient, qui ne laisse filtrer que des images autorisées et éparses.

Clarissa n’est pas sereine malgré des apparences assez lisses, elle subit l’assaut « d’un monstre tapi dans les profondeurs ». Lorsqu’on connaît la vie de l’auteur, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec ses longs moments de dépression, les hallucinations dont elles souffrit. Elle les dépeint longuement dans le personnage de Septimus. Elle raille l’incapacité des médecins qui ne prescrivent que de faux remèdes, impuissants qu’ils sont à soulager la souffrance de leurs malades qu’ils abandonnent à eux-mêmes.

Mais elle livre aussi son émerveillement devant la beauté des choses, leur profusion et leur scintillement.

Un très beau roman, à l’écriture poétique et parfois douloureuse, mélancolique et prophétique à la fois. Une écriture d’une densité, d’une maîtrise exceptionnelle dans une construction d’une grande rigueur. A lire absolument.

Le roman psychologique de Virginia Woolf de Floris Delattre, p 220 Librairie philosophique J. Vrin

Laissez-moi – Marcelle Sauvageot

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Marcelle Sauvageot – Laissez-moi, Libretto, Editions Phébus, 2004. Première édition 1933

« Premier livre écrit par une femme qui ne soit pas de soumission … Livre de Tristesse noble ; livre de dignité ! Admirable ! » s’est écrié Clara Malraux à sa lecture.

Marcelle Sauvageot signe ici une œuvre bouleversante où se font écho le chagrin d’amour et la maladie dans une écriture de l’intime à la fois simple et déchirante.

De son amour disparu et qui la laisse plus seule encore face à la maladie, l’auteure sonde les splendeurs comme les faux-semblants dans une analyse à la fois profonde et cruelle.

A travers la radiographie à laquelle elle soumet le sentiment amoureux, les illusions dont il se nourrit apparaissent au fil de la narration, ainsi qu’une critique subtile des relations entre les hommes et les femmes de l’époque.

            « Si on te parle d’une femme, tu coupes la parole pour dire : »Elle est jolie ? », se moque-t-elle, pour remarquer plus loin que la dissymétrie des relations hommes/femmes prend toute sa mesure dans le fait qu’un homme attend de l’amour d’une femme qu’il soit « sans droits et sans exigences ». De ces femmes dont l’unique préoccupation est leur mari, elle se démarque totalement car elle a d’autres aspirations.

Elle n’est pas dupe : « J’essayais de garder un petit appui en dehors de vous, afin de pouvoir m’y accrocher le jour où vous ne m’aimeriez plus. »

            Elle note plus loin : « L’homme est : tout semble avoir été mis à sa disposition ». On attend de la femme un amour fait de soumission et c’est ce qui rend ce sentiment plus douloureux encore, parce qu’impossible pour une femme éduquée, intelligente et éprise de liberté.

Alors dans un ultime adieu fait à la fois de sauvagerie et de détresse, Marcelle Sauvageot pourra-t-elle s’écrier :

« Mais laissez-moi : vous ne pouvez plus être avec moi. Laissez-moi souffrir, laissez-moi guérir, laissez-moi seule. […]. Ne me demandez pas de vous regarder par-dessus l’épaule et ne m’accompagnez pas de loin. Laissez-moi ».

Il s’agit ici d’un très beau livre, qui à travers l’écriture de soi, esquisse le portrait d’une femme infiniment touchante, rendu plus émouvant encore à cause du destin terrible qui a été le sien. L’écriture est belle et le mouvement du récit  vous emporte sur le fil d’une émotion contenue par la maîtrise de la narration qui ne sombre jamais dans le mélodrame.

Elsa Zylberstein a joué ce texte aux Bouffes du Nord,  premier « one woman show »,Commentaire,  Dans un noir complet, ai-je lu, un bruit de train s’est fait entendre, et la comédienne, tout de noir vétu, les cheveux tirés en arrière, a offert ce texte aux spectateurs. Elle a écrit la très belle préface pour cette nouvelle édition.

Catherine Pozzi – Ave

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Ave

Très haut amour, s’il se peut que je meure

Sans avoir su d’où je vous possédais,

En quel soleil était votre demeure

En quel passé votre temps, en quelle heure

Je vous aimais

  Très haut amour qui passez la mémoire

Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,

En quel destin vous traciez mon histoire,

En quel sommeil se voyait votre gloire,

O mon séjour…

Quand je serai pour moi-même perdue

Et divisée à l’abîme infini,

Infiniment, quand je serai rompue,

Quand le présent dont je suis revêtue

Aura trahi,

Par l’univers en mille corps brisée,

De mille instants non rassemblés encor,

De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,

Vous referez pour une étrange année

Un seul trésor

Vous referez mon nom et mon image

De mille corps emportés par le jour,

Vive unité sans nom et sans visage,

Coeur de l’esprit, ô centre du mirage

Très haut amour.

 vignette les femmes et la poésie Catherine Pozzi est une poétesse française (1882-1934). Née dans un milieu aisé (son père était médecin et poète), elle fut mise dès sa jeunesse au contact des intellectuels les plus brillants de la fin du siècle. Elle se maria à Edouard Bourdet en 1907, dont elle se sépara peu après. Elle eut un fils de cette union, Claude.

Malade de la tuberculose, elle se consacra à des études d’histoire, de philosophie et de religion.

A partir de 1920, commença sa liaison avec Paul Valéry pour finir quelques années après en 1928. La morphine qu’elle prenait à l’époque pour soigner sa maladie commençait alors à exercer ses ravages.

Elle rencontra tous les grands esprits de son temps : Rilke, Julien Benda, Daniel Halévy, Anna de Noailles, Jean Paulhan, Raïssa Maritain et son mari.

Son oeuvre :

Agnès (nouvelle autobiographique), Six poèmes (1935), Peau d’âme, essai philosophique inachevé (1935).

  Son journal a été publié en 1987.

Source : Dictionnaire des femmes célèbres, Robert Laffont, Bouquins

Printemps de Sigrid Undset

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Née en  1882, Sigrid Undset s’est consacrée très tôt à la littérature. Parallèlement à son travail de secrétaire, elle écrit. Auteure entre autres de Maternités, Jenny (qui fera scandale), de Vigdis la Farouche et de Kristin Lavransdatter, elle a reçu le prix Nobel de littérature en 1928. Elle est morte à Lillehammer en 1949.

 

Rose Wegner, l’héroïne de ce roman, attend l’amour pour être révélée à elle-même, un amour qui serait la fusion de deux êtres autant que deux destins et qui ferait d’elle la possession, la chose, de l’homme qu’elle aimerait. Que faire alors si cet amour ne vient pas ? Se résigner, et rester seule, sans famille et sans soutien dans l’existence ? Ou se contenter d’une amitié amoureuse et de la construction d’un foyer ?

Dans ce roman, Sigrid Undset plante le cadre d’une modernité héritée de la révolution des transports et plus largement de la révolution industrielle-dans de grandes villes mornes et tristes- et d’une certaine révolution des mœurs, car le divorce est autorisé en Norvège, pays protestant. Une nouvelle figure féminine émerge, qui travaille pour assurer sa subsistance et celle de sa famille même si, une fois mariée, elle réintègre le plus souvent le foyer.

 

Printemps est un roman ou curieusement la narration est plutôt du côté masculin même si le narrateur est extérieur à l’histoire et qu’il pénètre de manière égale les pensées des personnages. Les pensées et les actions de Rose ne prennent du relief qu’en fonction des pensées de Torkild, personnage masculin. Car ici , la femme ne prend toute sa mesure que dans son rapport au foyer et à la maternité. Elle n’existe pas réellement en dehors de sa « vocation naturelle » qui est d’enfanter et d’assurer la stabilité du foyer. Toute femme qui s’écarte de ce chemin sombre dans la déchéance (le personnage de la mère et de la sœur), tout comme celle qui n’obéit pas à ses devoirs d’épouse et de mère même si l’homme, infidèle, abandonne lui, le foyer (le père de Torkild).

 

J’ai apprécié ce roman bien construit, où les sujets de réflexion ne manquent pas, car Sigrid Undset, catholique et conservatrice, est aussi une fine analyste des sentiments humains. On y apprend aussi comment hommes et femmes vivaient à l’époque. J’ai trouvé en outre un écho au mouvement naturaliste en littérature, l’hérédité y est évoquée, les tares familiales ainsi que la vigueur, la santé du corps qui s’étiole dans ces emplois de bureau, loin de la vie au grand air.

 

Sigrid Undset, on l’a bien compris, n’est pas féministe, elle pense que la femme ne s’épanouit pleinement que dans la maternité et elle ne fut pas très appréciée des féministes de son temps qui prônaient l’affranchissement de la tutelle de l’homme et du foyer, entraves à l’épanouissement de la femme en tant qu’individu. Sur le tard cependant, elle reconnut les bénéfices de ces mouvements sur la condition des femmes.

 

Il faut savoir qu’en 1840, les femmes célibataires sont mineures toute leur vie et peuvent si elles le souhaitent se placer sous l’autorité d’un tuteur ; les femmes mariées quant à elles passent de l’autorité de leur père à celle de leur mari. Puis, plus tard, la majorité sera abaissée à la vingt-cinquième année. Les femmes peuvent cependant travailler dans certains secteurs.

Au fil des ans, de nouvelles lois favorables aux femmes feront leur apparition. Les femmes divorcées ou veuves seront majeures sans condition d’âge. Les conditions socio-économiques du pays joueront fortement sur les problématiques féminines : l’exil, la pauvreté du pays, la baisse de la natalité.

 Dans le roman , l’héroïne est secrétaire, une autre est journaliste. La littérature féminine avant Sigrid Undset, reflète les préoccupations et les valeurs de l’époque, comme ce fut le cas pendant l’époque victorienne en Angleterre, les intrigues se nouent essentiellement autour de la chasse au mari. (Les femmes écrivains de l’époque sont :Hanna Winsnes, Marie Wexelsen, et Anne Magdalene Thoresen).

English: Sigrid Undset, Nobel laureate in Lite...
English: Sigrid Undset, Nobel laureate in Literature 1928

Avec le mouvement féministe, de nouvelles préoccupations se font jour dans des romans et sous la plume d’auteures qui contestent la norme : Camilla Collet dont le roman « Les filles du Préfet » (1854) fera l’effet d’un coup de tonnerre. Il raconte l’initiation sentimentale de deux jeunes gens, ce qui a l’époque est regardé alors comme une faiblesse uniquement féminine.

D’autres écrivains suivront, emportées par la seconde vague du féminisme, Eldrid Lunden, Liv Køltzow, Cecilie Løveid et Tove Nielsen . Mais je n’ai trouvé aucun renseignement sur ces femmes sur internet et aucun de leurs ouvrages traduits en français. C’est bien dommage..

 

Les fruits d’or de Nathalie Sarraute ou la parole silencieuse

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Nathalie Sarraute – Les fruits d’or  Editions Gallimard, 1963. Collection Folio n°390

On assiste à l’encensement par la critique d’un livre « Les fruits d’or », puis à son oubli progressif, voire au mépris qu’il suscite.

Dans ce livre la narration traditionnelle n’a plus cours, le nouveau roman rompt avec la psychologie des personnages, avec le fil du narrateur qui introduisait une certaine continuité dans le récit. Le narrateur omniscient qui connaissait toutes les pensées des personnages, ainsi que tout ce qui pouvait advenir a disparu du nouveau roman. C’est au lecteur de construire le sens à partir des éléments qui lui sont donnés. Il s’agit de capter la sous-conversation qui court sous le récit, les événements ténus qui pour être indicibles n’en ont pas moins une force que le roman classique négligeait totalement. « C’est de cette parole silencieuse – le prédialogue- captée à l’état naissant, toujours précaire et menacée, arrachée de force au silence, à la nuit, au non mesurable temps de nos grands fonds intérieurs, que l’auteur fera la matière première de leur œuvre. »1

Ce qu’il advient par la critique d’un roman, est le résultat d’un jeu subtil de forces.  La littérature apparaît ainsi comme « un lieu sacré, fermé, où seul un humble apprentissage, l’étude patiente des maîtres peut donner le droit à quelques rares élus de pénétrer ».  Ce sont des rapports invisibles de pouvoir et de domination qui se jouent ici. La culture est la chasse gardée d’une certaine élite qui seule décide qui pourra rejoindre son club très sélect et très fermé. Plus la lecture en est difficile, plus l’œuvre  gagne en authenticité. Les arguments d’autorité sont les seuls qui vaillent.  On ne vous demande pas ce que vous sentez ou ce que réellement vous en pensez : il faut aimer car c’est aimable. Ainsi en ont décidé ceux qui savent et qui détiennent la vérité. Cette critique n’émet pas une opinion qui pourrait par son statut même être contredite par une autre opinion. La vérité s’impose à tous et ne peut être contestée que par quelques fous qui aiment se vautrer dans le stupre et l’erreur. La vérité n’est pas démocratique car elle n’est pas donnée d’emblée à tous.

C’est tellement rassurant… Il suffit de suivre le chemin tracé, se couler dans le moule, se laisser guider. Pour accéder à ces œuvres, « il fallait se plier à une étiquette sévère, s’incliner très bas, jusqu’à terre, mais qu’à cela ne tienne, ils se sont prosternés… ».

C’est rare dit Nathalie Sarraute, de trouver quelqu’un qui ose avoir son propre goût, qui renonce au confort que donne l’appartenance à un groupe dominant pour rejoindre la contestation, la rébellion et encourir l’opprobre. 

« Voyez-vous, cela n’arrive presque  jamais de trouver quelqu’un qui ose avoir son propre goût et le dire comme vous…quelqu’un qui aborde une œuvre en toute pureté, sans idée préconçue…je crois que personne ici…Vous les avez entendus…ne s’intéresse à l’œuvre elle-même…A quoi bon, avec eux, discuter…Pas un mot n’est sincère… ».

Cela prouve peut-être qu’il n’y a pas de valeur absolue dans l’art.  Le goût esthétique possède les critères de son temps, de la société dans laquelle il s’applique. Il ne peut déterminer un Beau absolu, si tant est qu’une œuvre veuille être belle.

  « Les goûts changent. Il y a à certains moments certains besoins. Et après on veut autre chose. Comment voulez-vous empêcher les gens de suivre la mode, ici comme en tout ? Qui se trompe ? Qu’en restera-t-il ? »

Que penser de ce livre ? L’œuvre de Nathalie Sarraute dépasse largement les cadres du Nouveau Roman même si elle en a éprouvé les techniques et fixé les règles dans « Tropismes », son œuvre majeure.

Prend-on plaisir à lire ce livre ? Oui, sans conteste, on se laisse happer par cette histoire sans histoire. On éprouve surtout un plaisir intellectuel car c’est l’argumentation qui séduit, sa virtuosité. Les enchaînements chronologiques sont en fait des enchaînements logiques. Il ne faut pas chercher l’émotion car la rupture est telle que le lecteur ne peut se laisser guider par ses émotions. Le nouveau roman a fait feu de tout bois et n’a pas trouvé la postérité. Pourtant l’œuvre de Nathalie Sarraute mérite largement d’être redécouverte.

De ce mouvement, on dira peut-être comme ce personnage :

« Vous avez l’air de ne pas l’aimer… Moi, je l’ai toujours soutenu. J’ai peut-être eu tort. Bien sûr, ce n’est pas parfait,  on peut y trouver des faiblesses, mais je crois, pour ma part, que c’est un livre de valeur. Eh bien, vous-même, peut-être, dans quelques années, vous reviendrez là-dessus, vous vous direz que vous vous étiez montré trop intransigeant. »

1 – Jacques Lassalle –Nathalie Sarraute ou l’obscur commencement

Hanna Arendt critique de Nathalie Sarraute