Elle fut la première à pratiquer le vers libre en France dans les années 1881-1882, précédant le combat décadent de Gustave Kahn.
Inoubliables baisers qui rayonnez
Sur le ciel pâle des souvenirs premiers !
Baisers silencieux sur nos berceaux penchés !
Caresses enjouées sur la joue ;
Tremblantes mains des vieux parents, –
Pauvres chères caresses d’antan,
Vous êtes les grandes soeurs sages
Des folles qui nous affolent
Dans les amoureux mirages.
Baisers ingénus en riant dérobés,
Moins à cause de leur douceur souhaités,
Que pour s’enivrer de témérité.
Premières caresses, vacillantes –
Comme, dans le vent âpre,
Des lumières aux lampes ;
Caresses des yeux, caresses de la voix,
Serrement de mains éperdues
Et longs baisers où la raison se noie !
Puis, belles flammes épanouies,
Sacrilèges hosties
Où tout Dieu vainqueur avec nous communie !
Caresses sonores comme les clochettes d’or,
Caresses muettes comme la Mort,
Caresse meurtrière qui brûle et qui mord ! …
Baisers presque chastes de l’Amour heureux,
Caresses frôleuses comme des brises,
Toute-puissance des paroles qui grisent !
Mélancolique volupté des bonheurs précaires.
Pervers aiguillon du mystère,
Éternel leurre ! ironique chimère !
Puis, enfin, dans la terre –
Lit dernier, où viennent finir nos rêves superbes, –
Sur notre sommeil, la calmante caresse des hautes herbes.
La Force du désir, roman, Mercure de France, 1905 Texte en ligne