Suis-je snob ?- La valeur du rire-La nièce d’un comte – Brummel le Beau – La robe neuve – Un soir dans le Sussex. Réflexions dans une automobile- La mort du paillon – Qu’offrir à un snob ? de Walter Benjamin.
« Suis-je snob ? » se demande Virginia Woolf dans un des essais rassemblés par les éditions Payot et Rivages, sortes de conversations entre elle et un interlocuteur invisible. Suis-je snob, c’est au fond se poser la question d’une esthétique de l’existence, se demander quel gouffre habite cette distance entre soi et les autres, entre soi et soi, entre son monde intérieur et celui qu’on représente ?
Le snobisme tel que l’entendait Virginia Woolf, désignait alors la fascination pour la noblesse de sang, les titres, les châteaux… S’il fascine Virginia Woolf, explique Maxime Rovere, dans son introduction, c’est qu’il « offre l’image d’une position assurée dans le monde. ». En effet, il est particulièrement difficile pour chacun d’entre nous de nous assurer de notre propre valeur ou d’échapper à l’inquiétude d’être soi. Nous ne savons jamais vraiment qui nous sommes et nous quémandons souvent la reconnaissance dans le regard de l’autre. Soumis à d’infinies variations, menacés par la ruine du corps et de l’esprit, le moi ne possède pas d’identité stable. Or l’aristocrate « tient sa valeur et sa légitimité sociale d’une naissance acquise une fois pour toutes. ».
A travers ce qui n’aurait pu être qu’un texte léger, l’auteur aborde ce désir au cœur de tout Homme d’être reconnu, accepté et aimé par les autres. La question du statut social , de la reconnaissance qu’apportent les diplômes, la naissance, le milieu et l’argent, ne serait pas si cruciale si elle ne faisait écho à une inquiétude fondamentale qui répond à la difficulté d’être soi.
En lisant Virginia Woolf, j’ai souvent été frappée par le fait qu’elle s’excuse souvent, même si c’est sous forme de boutade, de n’avoir pas fait d’études, d’être ignorante.
Ce que j’aime particulièrement dans ces essais, c’est cette façon qu’elle a de penser et de raconter en même temps, une pensée narrative qui intègre l’esthétique du récit et la rigueur de la pensée. Une pensés qui se forme en racontant, et que Léa Gauthier a su parfaitement expliquer dans son introduction à la lecture de « Trois guinées ».
Mais comment joue l’irradiation du snob ? Comment sa seule fréquentation peut-elle nous communiquer une part de son assurance ? Si le moi peu peser – « Dieu du ciel ! Encore moi ! », s’écrie Virginia Woolf- il peut également nous fasciner et être le sujet de nos observations.
L’aristocrate est « plus libre, plus naturelle, plus excentrique » que nous. C’est ce manque d’assurance personnelle qui conduit à la chercher chez les autres. Et Virginia de conclure :
« N’importe quel groupe de gens, s’ils sont bien habillés, s’ils brillent en société et si je ne les connais pas, feront l’affaire. »
Tout cela dit avec humour, d’abord rire de soi, même si « l’humour nous a-t-on enseigné, est inaccessible aux femmes. »
L’humour suppose une lucidité, un regard acéré sur les autres et sur soi-même.
L’admiration naît de la verticalité des relations humaines dans une société où « nous sommes cloisonnés, séparés, coupés les uns des autres. » Comment l’écrivain peut-il connaître les autres ? Est-il condamné à « ne pouvoir décrire intelligemment que les personnes de son niveau social ? » . Virginia Woolf fait remarquer que ces grands que nous suivons depuis le début, nous ne les connaissons pas, car « les grands de ce monde n’ont presque pas écrit et jamais sur eux-mêmes ». Le dandy est celui qui sacrifie le mieux au monde des apparences, au détriment souvent de son intelligence, car ce mode de vie est le seul « qui pouvait le placer dans une lumière éclatante, et lui permettre de se distinguer du troupeau ordinaire des hommes. »
Mais cette fascination ne vient-elle pas d’une faille intérieure qui nous rend faibles et incertains ? Une nouvelle robe peut nous conduire à douter de nous-mêmes, puis-je être sûre « de la pitié et de l’amour et ne pas être renversée en une seconde lorsque j’entre dans une salle pleine de monde ? ». La pauvreté qui nous met à l’écart du bon goût est un sérieux handicap. L’habit ne fait pas le moine, dit-on. Difficile d’acquérir cette aisance que possède celui qui maîtrise les codes.
Mais pour finir, nous ferons tous comme ce papillon, condamné à disparaître dans l’indifférence du Monde.