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Suis-je snob? Virginia Woolf

SS SNOB

Suis-je snob ?- La valeur du rire-La nièce d’un comte – Brummel le Beau – La robe neuve – Un soir dans le Sussex. Réflexions dans une automobile- La mort du paillon – Qu’offrir à un snob ? de Walter Benjamin.

« Suis-je snob ? » se demande Virginia Woolf dans un des essais rassemblés par les éditions Payot et Rivages, sortes de conversations entre elle et un interlocuteur invisible. Suis-je snob, c’est au fond se poser la question d’une esthétique de l’existence, se demander quel gouffre habite cette distance entre soi et les autres, entre soi et soi, entre son monde intérieur et celui qu’on représente ?

Le snobisme tel que l’entendait Virginia Woolf, désignait alors la fascination pour la noblesse de sang, les titres, les châteaux… S’il fascine Virginia Woolf, explique Maxime Rovere, dans son introduction, c’est qu’il « offre l’image d’une position assurée dans le monde. ». En effet, il est particulièrement difficile pour chacun d’entre nous de nous assurer de notre propre valeur ou d’échapper à l’inquiétude d’être soi. Nous ne savons jamais vraiment qui nous sommes et nous quémandons souvent la reconnaissance dans le regard de l’autre. Soumis à d’infinies variations, menacés par la ruine du corps et de l’esprit, le moi ne possède pas d’identité stable. Or l’aristocrate « tient sa valeur et sa légitimité sociale d’une naissance acquise une fois pour toutes. ».

            A travers ce qui n’aurait pu être qu’un texte léger, l’auteur aborde ce désir au cœur de tout Homme d’être reconnu, accepté et aimé par les autres. La question du statut social , de la reconnaissance qu’apportent les diplômes, la naissance, le milieu et l’argent, ne serait pas si cruciale si elle ne faisait écho à une inquiétude fondamentale qui répond à la difficulté d’être soi.

            En lisant Virginia Woolf, j’ai souvent été frappée par le fait qu’elle s’excuse souvent, même si c’est sous forme de boutade, de n’avoir pas fait d’études, d’être ignorante.

            Ce que j’aime particulièrement dans ces essais, c’est cette façon qu’elle a de penser et de raconter en même temps, une pensée narrative qui intègre l’esthétique du récit et la rigueur de la pensée. Une pensés qui se forme en racontant, et que Léa Gauthier a su parfaitement expliquer dans son introduction à la lecture de « Trois guinées ».

Mais comment joue l’irradiation du snob ? Comment sa seule fréquentation peut-elle nous communiquer une part de son assurance ? Si le moi peu peser – « Dieu du ciel ! Encore moi ! », s’écrie Virginia Woolf- il peut également nous fasciner et être le sujet de nos observations.

L’aristocrate est « plus libre, plus naturelle, plus excentrique » que nous. C’est ce manque d’assurance personnelle qui conduit à la chercher chez les autres. Et Virginia de conclure :

«  N’importe quel groupe de gens, s’ils sont bien habillés, s’ils brillent en société et si je ne les connais pas, feront l’affaire. »

Tout cela dit avec humour, d’abord rire de soi, même si « l’humour nous a-t-on enseigné, est inaccessible aux femmes. »

L’humour suppose une lucidité, un regard acéré sur les autres et sur soi-même.

L’admiration naît de la verticalité des relations humaines dans une société où « nous sommes cloisonnés, séparés, coupés les uns des autres. » Comment l’écrivain peut-il connaître les autres ? Est-il condamné à « ne pouvoir décrire intelligemment que les personnes de son niveau social ? » . Virginia Woolf fait remarquer que ces grands que nous suivons depuis le début, nous ne les connaissons pas, car « les grands de ce monde n’ont presque pas écrit et jamais sur eux-mêmes ». Le dandy est celui qui sacrifie le mieux au monde des apparences, au détriment souvent de son intelligence, car ce mode de vie est le seul « qui pouvait le placer dans une lumière éclatante, et lui permettre de se distinguer du troupeau ordinaire des hommes. »

Mais cette fascination ne vient-elle pas d’une faille intérieure qui nous rend faibles et incertains ? Une nouvelle robe peut nous conduire à douter de nous-mêmes, puis-je être sûre «  de la pitié et de l’amour et ne pas être renversée en une seconde lorsque j’entre dans une salle pleine de monde ? ». La pauvreté qui nous met à l’écart du bon goût est un sérieux handicap. L’habit ne fait pas le moine, dit-on. Difficile d’acquérir cette aisance que possède celui qui maîtrise les codes.

Mais pour finir, nous ferons tous comme ce papillon, condamné à disparaître dans l’indifférence du Monde.

Le plus ancien poème féminin connu

Cité par Michel Duquenne dans « Grandes dames des lettres ». La civilisation sumérienne était pratriarcale, mais explique-t-il, les femmes y avaient encore leurs propres cultes, et le poème qui suit fut écrit par une prêtresse de la déesse de l’amour Inanna. Ce poème est écrit pour les épousailles rituelles qui étaient renouvelées chaque année pour assurer la fertilité des terres et la fécondité des femelles. Celui-ci a été écrit par une anonyme pour le roi Shu-Sin. Cité pour la première fois par Samuel Noah Kramer dans son ouvrage « Lhistoire commence à Sumer »

Des recherches récentes, reprises par Eric Dussert, on apprend qu’elle était une princesse mésopotamienne de la ville d’Ur, Enheduanna, prêtresse d’un culte oublié et poétesse sumérienne. On lui attribue les cinq cent soixante vers, subsistant sur des tablettes, de trois hymnes  à la déesse de la guerre Inanna, ainsi que quarante-deux poèmes retrouvés sur des tablettes à Ur et Nippur. Elle devançait Sappho (VIIe_VIe siècleav.J.-C.) et Hypathie (IVe siècle).(2)

 

dame

Statue de femme sumérienne

Poème d’amour au roi Shu-Sin

Époux, cher à mon coeur,
grande est ta beauté, douce comme le miel,
Lion, cher à mon coeur,
grande est ta beauté, douce comme le miel.

Tu m’as captivée, laisse-moi demeurer tremblante devant toi;
Époux, je voudrais être conduite par toi dans la chambre.
Tu m’as captivée, laisse-moi demeurer tremblante devant toi:
Lion, je voudrais être conduite par toi dans la chambre.

Époux, laisse-moi te caresser:
ma caresse amoureuse est plus suave que le miel.

Dans la chambre, remplie de miel,
laisse-nous jouir de ton éclatante beauté
Lion, laisse-moi te caresser:
ma caresse est plus suave que le miel.

Époux, tu as pris avec moi ton plaisir:
dis-le à ma mère, et elle t’offrira des friandises;
à mon père, et il te comblera de cadeaux.

Ton âme, je sais comment égayer ton âme:
Époux, dors dans notre maison jusqu’à l’aube.
Ton coeur, je sais comment réjouir ton coeur:
Lion, dormons dans notre maison jusqu’à l’aube.
Toi, puisque tu m’aimes,
donne-moi, je t’en prie, tes caresses.
Mon seigneur dieu, mon seigneur protecteur,
Mon Shu-Sin qui réjouit le coeur d’Enlil,
Donne-moi, je t’en prie, tes caresses.

Ta place douce comme le miel,
je t’en prie pose ta main sur elle,
pose ta main sur elle,
referme en coupe ta main sur elle comme un manteau Gishban,

inannaCette déesse fut appelée Inanna chez les Sumériens,ou « la bien-aimée d’Anou », déesse de l’amour physique et de la guerre.  Elle eut de nombreux autres noms chez des civilisations de la même époque. Il semblerait qu’elle a eu comme descendance Aphrodite en Grèce et Vénus à Rome.

 

(2) page 14 – Cachées par la forêt, Eric Dussert, Editions de La Table Ronde, Paris 2018.

Laissez-moi – Marcelle Sauvageot

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j'aime coup de coeurj'aime coup de coeurj'aime coup de coeurj'aime coup de coeurj'aime coup de coeur

Marcelle Sauvageot – Laissez-moi, Libretto, Editions Phébus, 2004. Première édition 1933

« Premier livre écrit par une femme qui ne soit pas de soumission … Livre de Tristesse noble ; livre de dignité ! Admirable ! » s’est écrié Clara Malraux à sa lecture.

Marcelle Sauvageot signe ici une œuvre bouleversante où se font écho le chagrin d’amour et la maladie dans une écriture de l’intime à la fois simple et déchirante.

De son amour disparu et qui la laisse plus seule encore face à la maladie, l’auteure sonde les splendeurs comme les faux-semblants dans une analyse à la fois profonde et cruelle.

A travers la radiographie à laquelle elle soumet le sentiment amoureux, les illusions dont il se nourrit apparaissent au fil de la narration, ainsi qu’une critique subtile des relations entre les hommes et les femmes de l’époque.

            « Si on te parle d’une femme, tu coupes la parole pour dire : »Elle est jolie ? », se moque-t-elle, pour remarquer plus loin que la dissymétrie des relations hommes/femmes prend toute sa mesure dans le fait qu’un homme attend de l’amour d’une femme qu’il soit « sans droits et sans exigences ». De ces femmes dont l’unique préoccupation est leur mari, elle se démarque totalement car elle a d’autres aspirations.

Elle n’est pas dupe : « J’essayais de garder un petit appui en dehors de vous, afin de pouvoir m’y accrocher le jour où vous ne m’aimeriez plus. »

            Elle note plus loin : « L’homme est : tout semble avoir été mis à sa disposition ». On attend de la femme un amour fait de soumission et c’est ce qui rend ce sentiment plus douloureux encore, parce qu’impossible pour une femme éduquée, intelligente et éprise de liberté.

Alors dans un ultime adieu fait à la fois de sauvagerie et de détresse, Marcelle Sauvageot pourra-t-elle s’écrier :

« Mais laissez-moi : vous ne pouvez plus être avec moi. Laissez-moi souffrir, laissez-moi guérir, laissez-moi seule. […]. Ne me demandez pas de vous regarder par-dessus l’épaule et ne m’accompagnez pas de loin. Laissez-moi ».

Il s’agit ici d’un très beau livre, qui à travers l’écriture de soi, esquisse le portrait d’une femme infiniment touchante, rendu plus émouvant encore à cause du destin terrible qui a été le sien. L’écriture est belle et le mouvement du récit  vous emporte sur le fil d’une émotion contenue par la maîtrise de la narration qui ne sombre jamais dans le mélodrame.

Elsa Zylberstein a joué ce texte aux Bouffes du Nord,  premier « one woman show »,Commentaire,  Dans un noir complet, ai-je lu, un bruit de train s’est fait entendre, et la comédienne, tout de noir vétu, les cheveux tirés en arrière, a offert ce texte aux spectateurs. Elle a écrit la très belle préface pour cette nouvelle édition.

La comtesse de Ricotta

la comtesse de Ricotta

Trois sœurs vivent dans un palais dont la splendeur n’est plus qu’un souvenir. Les appartements ont été vendus les uns après les autres, traduisant la décadence de cette famille dont la fortune a filé entre les doigts. Rien ne dure, tout s’en va, se perd, se délite. Noémi, l’aînée des sœurs se bat contre le temps qui passe ; elle cherche a restaurer le palais dans un vrai travail de Sisyphe, une fois une partie restaurée, c’est une autre qui s’effrite. La vie semble être pour elles un véritable tonneau des Danaïdes. Les possessions matérielles sont illusoires car rien ne dure.

Chacune des sœurs porte en elle une vulnérabilité certaine : Maddalena , féminine et sensuelle, ne parvient pas à avoir un enfant, Noemi s’épuise à la poursuite de son rêve, retrouver la splendeur passée du palais familial, la comtesse de Ricotta ne parvient pas à avoir un véritable métier et son fils, qu’elle élève seule, est victime des moqueries de ses camarades.

Toutes portent en elles, aussi profond que la blessure qui les rend à la fois si fortes et si fragiles, un rêve d’amour. Ces femmes décalées, hors des modèles traditionnels acquièrent pourtant une certaine liberté car elles échappent à la norme. Leur identité n’est pas stable et on peine à les définir. Cette indétermination rend les choses possibles. Elles peuvent être autres, différentes et donc éminemment mystérieuses. Emouvantes aussi… Leur fragilité, leur détresse font d’elles des femmes à la sensibilité exacerbée, capables des plus grandes folies et des plus grandes passions. Elle leur offre une aptitude merveilleuse à l’empathie, une générosité certaine : elles recueillent la vieille nounou malade, sont capables de voir la belle âme derrière l’habit grossier, le gentleman dans l’ouvrier. Cette inaptitude à la norme pourrait se révéler être une chance, leur donner une ouverture sur l’art et la beauté : tels ces services de table précieux que Noémi collectionne. Si le désir d’amour ouvre des failles, conduit au désespoir parfois, il permet aussi l’aventure, même si celle-ci ne se produit qu’au coin de la rue. Marguerite Duras parlait du gai désespoir : il y a de cela chez les personnages de Milena Agus. Elles sont fantasques, écorchées vives mais terriblement attachantes. Elles ne peuvent prendre au sérieux ce qui ne l’est pas : la famille bourgeoise, les honneurs, l’arrivisme. Elles seront spirituelles ou ne seront pas, amoureuses et désespérées, condamnées à l’inconfort.

Si Milena Agus avoue une part autobiographique dans ses livres, elle permet de comprendre chez elle l’origine de l’écriture. L’art ne naît que dans une certaine insatisfaction, un décalage, la solitude, une quête insatiable au cœur des hommes et des femmes pour lesquels il n’y a pas de véritable repos.

C’est pourquoi les livres de Milena Agus parlent au plus profond de moi-même, s’y ramifient dans une émotion continue. Cette femme a le don de me bouleverser, sans éclats, sans tambour, ni trompette, mais de manière toujours durable et profonde. Il y a ainsi des affinités entre un auteur et ses lecteurs. Une forme d’amour

Catherine Pozzi – Ave

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Ave

Très haut amour, s’il se peut que je meure

Sans avoir su d’où je vous possédais,

En quel soleil était votre demeure

En quel passé votre temps, en quelle heure

Je vous aimais

  Très haut amour qui passez la mémoire

Feu sans foyer dont j’ai fait tout mon jour,

En quel destin vous traciez mon histoire,

En quel sommeil se voyait votre gloire,

O mon séjour…

Quand je serai pour moi-même perdue

Et divisée à l’abîme infini,

Infiniment, quand je serai rompue,

Quand le présent dont je suis revêtue

Aura trahi,

Par l’univers en mille corps brisée,

De mille instants non rassemblés encor,

De cendre aux cieux jusqu’au néant vannée,

Vous referez pour une étrange année

Un seul trésor

Vous referez mon nom et mon image

De mille corps emportés par le jour,

Vive unité sans nom et sans visage,

Coeur de l’esprit, ô centre du mirage

Très haut amour.

 vignette les femmes et la poésie Catherine Pozzi est une poétesse française (1882-1934). Née dans un milieu aisé (son père était médecin et poète), elle fut mise dès sa jeunesse au contact des intellectuels les plus brillants de la fin du siècle. Elle se maria à Edouard Bourdet en 1907, dont elle se sépara peu après. Elle eut un fils de cette union, Claude.

Malade de la tuberculose, elle se consacra à des études d’histoire, de philosophie et de religion.

A partir de 1920, commença sa liaison avec Paul Valéry pour finir quelques années après en 1928. La morphine qu’elle prenait à l’époque pour soigner sa maladie commençait alors à exercer ses ravages.

Elle rencontra tous les grands esprits de son temps : Rilke, Julien Benda, Daniel Halévy, Anna de Noailles, Jean Paulhan, Raïssa Maritain et son mari.

Son oeuvre :

Agnès (nouvelle autobiographique), Six poèmes (1935), Peau d’âme, essai philosophique inachevé (1935).

  Son journal a été publié en 1987.

Source : Dictionnaire des femmes célèbres, Robert Laffont, Bouquins

La voix de tante Julia – Mario Vargas LLosa

la tante Julia et le scribouillard

Qui est donc cette tante Julia ? Julia a 32 ans, est bolivienne, et divorcée. Dans les années cinquante, au Pérou qui plus est, ce n’est pas une position enviable : « Ce qu’il y a de terrible pour une femme divorcée, ce n’est pas que tous les hommes se croient obligés de te faire des propositions, mais qu’ils pensent, puisque tu es une femme divorcée, qu’il n’est pas besoin de romantisme ».

Elle a sa beauté à elle, Julia, et son rire rauque, fort et joyeux lui fait ouvrir tout grand sa bouche, aux lèvres épaisses. Elle a aussi le sens de la répartie et raconte des histoires salées avec grâce. Mais la littérature, elle ne connaît pas, elle est même a-littéraire dit le narrateur, comme la plupart des femmes de son entourage. A peine si elle a lu quelques livres de Delly.

Elle est venue voir sa sœur au Pérou afin de « trouver » un mari. Elle est également la tante par alliance de « Varguitas » qui rêve de devenir écrivain mais poursuit « mollement » des études de droit pour faire plaisir à sa famille. Il travaille dans une radio dans laquelle il s’occupe des bulletins d’information quotidien.

Julia a un compatriote, Pedro Camacho qui écrit des feuilletons pour Radio central. Il a un très grand succès et ce sont des femmes pour la plupart qui l’écoutent.

D’ailleurs tous les bons ingrédients se retrouvent dans les feuilletons de Pedro : un peu de sexe, de la passion et des aventures. Les ficelles sont parfois un peu grosses mais le public en redemande.

Varguitas ne réussit pas à écrire, à peine a-t-il écrit quelques feuillets qu’il les froisse en boule et les jette à la corbeille. Pedro lui écrit tout le temps. Vivre est pour lui écrire.  Il est à la fois une parodie d’écrivain et en même temps « le seul qui, pour le temps consacré à son métier et l’œuvre réalisée méritait ce nom au Pérou ». Ses personnages de femmes, même s’ils sont parfois caricaturaux, sont souvent des personnages de femmes fortes, qui à un moment donné se révoltent, contre le mari, contre la société telle Dona Zoila et ses filles qui se révoltent et répondent aux coups du père ou cette jeune fille, Virago, qui joue dans les matches de rue, et possède autant d’agressivité que les garçons, ou ces prostituées qui sont délivrées un jour de leurs souteneurs.

Roman pour une partie autobiographique, Vargas Llosa, raconte ici comment il naquit à l’écriture à travers l’amour de Julia et la passion d’écrire et d’inventer de Pedro Camacho.

  J’ai beaucoup aimé la construction de ce roman, qui fait alterner les feuilletons radiophoniques de Pedro Camacho, à la fois mélodramatiques et grotesques, et l’histoire d’amour de Julia et Mario. J’ai souvent ri car ce roman est très drôle, toujours à la frontière du mauvais goût le plus total et tendre aussi car il raconte l’éveil amoureux d’un adolescent. La seule critique que je ferai peut-être est que je n’ai guère senti l’amour de Mario pour sa tante, l’émotion n’est pas venue de là mais davantage de l’histoire de Pedro Camacho, de son ascension et de sa chute.

Un très bon roman.

  Ce roman évoque le mariage de Mario Vargas LLosa avec Julia Urquidi Illanes, sa tante par alliance, à la fin des années cinquante. Elle était de dix ans son aînée et ils restèrent mariés une dizaine d’années. Elle l’aida beaucoup dans son métier d’écrvain.

vargas llosa urquidi 01Lecture commune avec   Hélène Choco

Lo que Varguitas no dijo

C’est la réponse de Julia Urquidi Illanes à Mario Vargas LLosa que l’on pourrait traduire par « ce que Vargas n’a pas dit ». Ils étaient respectivement âgés de 19 et 29 ans quand ils se marièrent en dépit de l’opposition de leur famille. Ils vécurent d’abord à Madrid où Mario Vargas LLosa avait obtenu une bourse pour un doctorat puis à Paris. Ils se séparèrent en 1964 quand Mario avoua par lettre à Julia qu’il était amoureux de sa nièce Patricia. Ce livre écrit en 1983, décrit un mariage perpétuellement en crise, et la jalousie terrible de Julia. Mais l’essentiel du livre n’est pas là; Julia raconte l’amour de Vargas LLosa pour la littérature, la façon dont elle le soutint et l’appuya quand il n’était pas encore connu. Il écrivit alors le livre qui sera publié quatre années plus tard sous le titre « La ville et les chiens ».

 

Tokyo sisters – Dans l’intimité des femmes japonaises

Tokyo sisters

Je ne pouvais pas clore ce mois des japonaises sans évoquer la vie des femmes d’aujourd’hui, les défis qu’elles ont encore à relever, leurs aspirations et leurs rêves et aussi leurs difficultés à mener leur vie de femme, de mère, d’épouse ou d’amante. C’est avec Tokyo sisters de Raphaëlle Choël et Julie Rovéro-Carrez que nous partons aujourd’hui à la rencontre des japonaises dans ce livre encore très actuel puisqu’il a été publié en 2010.

Elles ont recueilli les confidences de femmes de 15 à 60 ans, mariées ou célibataires, femmes au foyer ou businesswomen pendant l’année 2009.

Elles font définitivement un sort à l’image de la femme réservée, dévouée à son mari et à sa famille.

Lorsqu’on arrive à Tokyo, on a l’impression de ne voir que des femmes. Mais où sont donc les maris, les frères, les amis, les amants ? Au travail ! Ils laissent donc leurs femmes souvent seules et celles-ci s’organisent un réseau de relations amicales qui rythme leur vie de femmes au foyer. Ce n’est pas un cliché, on travaille beaucoup au Japon, et les deux semaines de vacances octroyées par les entreprises sont rarement prises en entier par leurs employés. Et il est vrai également, que beaucoup de femmes une fois mariées arrêtent de travailler, faute de moyens de garde pour les enfants. Elles sont encore très peu présentes dans les postes de direction et le machisme ambiant, même s’il faiblit, est encore très présent.

            Les choses changent cependant et nombre de jeunes femmes se rebellent contre le modèle de leur mère et tentent de trouver une voie différente.

La demoiselle nippone cependant est un rien immature, possède une faculté de s’émerveiller ou de rêver peut-être qui nous fait défaut ! Culte du kawai, cosplay (contraction de costume et playing) qui permet aux adolescents de se déguiser à la manière de leur héros manga, engouement pour les produits Hello Kitty, soirées Karaoké, présence de dessins de BD pour donner les consignes ou indiquer les règles dans l’espace public.

            Mais dans ces milieux citadins un peu bobos il faut bien le dire, l’esprit de sérieux n’abandonne pas ces dames qui ne néglige sous aucun prétexte leur apparence, débauche de cosmétiques, combinaison pour ne pas bronzer sur la plage, coiffure, manucure, sport, rien n’est laissé au hasard pour atteindre un idéal de perfection souvent assimilé à la France et dont nous sommes bien loin.

Il faut voir dans cet attrait pour l’Occident, un désir de modernité, même si les traditions sont encore très vivantes au Japon : port du kimono, cérémonie du thé élevé à un véritable art, traditions culinaires. Et un service impeccable !

Car on ne plaisante pas au Japon, pays des samouraïs, avec la règle et la discipline. Les écoliers en uniforme, des super-mamans attentives dont le quotidien est réglé comme du papier à musique, rien n’est laissé au hasard.  Tout doit fonctionner sans la moindre fausse note. La pression est réelle pour les enfants qui doivent passer des examens d’entrée aux écoles primaires privées, puis ensuite à l’issue du chogakko (collège) pour pouvoir intégrer le kotogakko(lycée)… Bizarrement c’est à la fac que la pression se relâche puisqu’il s’agit d’être dans un établissement réputé, la matière étudiée important peu ! Gare à ceux qui n’entrent pas dans le moule !

            Les omiai (mariages arrangés) existent encore au Japon qui représenteraient 10 % des mariages. Les Japonaises (au moins 60% d’entre elles) estiment que la sécurité financière prime pour faire un bon mariage. Il semblerait que l’idéal soit l’homme aux trois C (confort financier, communiquant, coopératif) ! La relation amoureuse, une fois l’enfant arrivé cependant se résume souvent à une bonne cohabitation, le jeune papa est encore assez absent, absorbé par sa vie professionnelle. Quant à la sexualité, elle ne fait pas bon ménage avec la famille! Les femmes dorment parfois dans une pièce séparée avec leur enfant (23% des Japonaises), quand les parents et enfants ne couchent pas tous ensemble dans la même pièce.

D’ailleurs les femmes interrogées dans ce livre semblent accepter l’idée que leur mari ait une vie sexuelle en dehors du mariage. Une journaliste déclare qu’elle trouve la sexualité malsaine dans les couples. On ne se touche pas, explique-t-elle, alors les hommes frustrés rentrent dans l’excès, lisent des livres porno n’importe où, pelotent dans le métro et ne se maîtrisent plus.

Le manque d’intimité doit jouer aussi dans les appartements trop petits et des couples n’hésitent pas à aller au love hôtel, conçu spécialement pour permettre aux couples qui s’y rencontrent d’avoir une sexualité en toute tranquillité.

Tout ne va donc pas pour le mieux au pays des cerisiers en fleurs. Ni au pays de la baguette non plus, quant à celui des orangers !

De nouveaux modèles de couples émergent cependant et de nouvelles valeurs dans une vie qui ne serait plus seulement vouée au travail. Et si dans le domaine affectif, le modèle est la maîtrise de soi, il suffit que les Japonais baissent un peu la garde pour que les émotions affleurent aussitôt. Les auteures racontent que beaucoup de Japonaises les ont remerciées de leur avoir donné la parole, de leur avoir permis d’exprimer ce qu’elles sentaient et pensaient au plus profond d’elles-mêmes.

Ce n’est qu’un bref aperçu de ce livre qui est à la fois profond et léger, qui tente de ne pas verser dans le cliché même si toute tentative de généralisation y conduit forcément un peu et j’espère que cela vous aura donné envie de le lire.

Je l’ai lu grâce à Nina qui m’en avait parlé !

Yoko Tawada – L’histoire d’une vie

Yoko-Tawada

Yoko Tawada est une de ces personnes dont le sourire illumine complètement le visage, et dont l’intériorité se révèle dans les différentes expressions qui modèlent à loisir le nez, la bouche et les pommettes. Elle a un visage plein d’âme et je suis tombée sous le charme.

J’ai assisté à une des conférences qu’elle a tenues lors du Salon de Paris 2012. Et voilà ce que j’en ai retenu.

Elle est née en 1960 à Tokyo et a migré vers l’Allemagne en 1982 d’où elle écrit et publie à la fois en allemand et en japonais. Elle est écrivain, dramaturge et poète et a remporté de nombreux prix autant en Allemagne qu’au Japon. Elle tire de cette double identité, « une manière singulière, inimitable, qui bouscule les conventions linguistiques et culturelles. »

Elle est l’auteure qui pose le plus explicitement et de la manière la plus fouillée la question des frontières de la langue. Elle possède une manière singulière de bousculer les conventions autant littéraires que sociales ; ses personnages inventent une autre manière de regarder le monde.

Elle raconte la façon dont elle écrit de la poésie : elle écrit des phrases et les laisse en suspens. Elle écrit une première phrase, la dit et n’en garde que le tiers. Le reste demeure dans le silence. Au lecteur de continuer la phrase à sa manière.

Quand elle écrit un roman, elle conçoit une première scène, raconte-t-elle, mais dont l’ambiguïté va servir au développement ultérieur du roman. Tout est caché mais elle ne sait pas ce qu’elle va découvrir. Ecrire c’est creuser pour le découvrir et le mettre au jour.

Quand elle se tait, elle a l’impression qu’il y a un mur extrêmement épais et elle ne sait pas comment elle va passer dans la parole.

Son dernier recueil s’intitule « Les aventures grammaticales de la langue allemande », or jamais la grammaire n’est devenue un thème poétique.

 

En allemand et en français, il existe le je et le tu, et une façon de s’adresser à l’autre selon le degré de familiarité  qui impose le tu ou le vous. Par contre, lorsqu’on veut parler de soi, il n’existe qu’un pronom, « je ». Le génie de la langue se déploie dans la multiplicité de ces mots qui changent en fonction du mode de relation qu’on entretient avec l’autre.

En japonais, le je n’est pas toujours utilisé comme sujet, mais exprime également le rapport avec l’autre. Pour dire « Je vous parle. », on n’utilise ni « je », ni « vous » mais un verbe plus un suffixe verbal qui par exemple peut indiquer que l’on est un inférieur qui s’adresse à un supérieur. Ce qui existe en fait c’est le rapport entre le moi et le vous.

Dans leur langue maternelle, les enfants retiennent d’emblée l’ensemble des codes qui la régissent. Ils sont dans le bain de la langue. Certains d’entre eux, par contre, ne parviennent pas à assimiler d’autres langues.

 

Yoko Tawada est arrivée à 22 ans en Allemagne. Elle explique qu’elle était très immature et donc qu’elle avait la réceptivité de l’enfant par rapport à une autre langue. Elle entendait de l’allemand et ne possédait aucune connaissance syntaxique ni grammaticale . Elle raconte comment elle a expérimenté la langue et comment celle-ci est entrée peu à peu à l’intérieur d’elle. Les émotions qu’elle pouvait éprouver, joie lorsqu’elle comprenait et colère lorsqu’elle ne comprenait pas. Elle se souvient avoir senti les mots comme des choses, des matières qu’on laisse couler dans sa main. Dés le début, la langue a été perçue comme l’expression même de la poésie. La prononciation difficile, demandait une effort corporel. Les mots opposaient une résistance, ils devenaient vivants et ne voulaient pas entrer dans sa bouche. Pour Yoko Tawada, l’alphabet a quelque chose de magique, car avec 20 et quelques lettres on peu exprimer des choses complexes et longues.

Yoko Tawada a écrit « Le journal des jours tremblants » suite au drame de Fukushima. Comment résoudre et dépasser ce problème ? Posséder une seule langue ne résoudrait pas le problème. Chacun doit le résoudre dans sa propre langue. Il ne s’agit pas de se fondre dans le grand courant culturel de la mondialisation. Il faut poser la valeur des différences culturelles, surtout pour les pays minoritaires…

Je vous invite à découvrir Yoko Tawada qui est une auteure exigeante, d’un abord parfois un peu difficile mais qui est absolument passionnante.

 

Yoko Tawada – auteur de l’exophonie, « Loeil nu »

Wataya Risa – Appel du pied

wataya risa

A dix-neuf ans, Wataya Risa a été la plus jeune lauréate jamais couronnée du prix Akutagawa, le Goncourt japonais. Elle a écrit son premier roman « Install » à l’âge de 17 ans pendant les vacances. Une jeune romancière prometteuse donc…

 

Ce roman est un roman sur l’adolescence et sur les premiers émois amoureux. Wataya Risa décrit avec beaucoup de finesse les émotions de ses personnages, leur ambiguïté, les mouvements contraires qui les agite et qui témoignent des bouleversements de leur monde intérieur.

Hasegawa , la narratrice, est une jeune lycéenne qui a beaucoup de mal à s’intégrer dans sa classe. Son amie de collège s’éloigne d’elle et cette distance est la cause de la solitude et du retrait de la jeune fille. Elle ne veut pas partager son amie avec d’autres. Les amitiés féminines ont la force des amours adolescentes, d’ailleurs elles sont la première forme d’amour que l’on expérimente à cet âge.

Les garçons sont d’autant plus inaccessibles qu’ils souffrent parfois de manie ou d’obsessions comme Ninagawa qui ne vit, n’aime et surtout ne souffre qu’à travers son idole, Oli Chang, jeune mannequin qui commence à faire ses débuts à la scène. Hasegawa parviendra-t-elle à lui faire oublier la belle Oli. ? Rien n’est moins sûr…

C’est un roman frais, tendre et drôle qui m’a fait passer un très bon moment. Il n’est pas du tout mièvre et peut séduire autant les adultes que les adolescents. Pas de catégorie donc pour ce roman assez intemporel…

 

La voix de Kyoko – Murakami Ryu

Kyoko

Vignette les grandes héroïnesKyoko est née des mains de son créateur, Ryû Murakami, écrivain à la réputation sulfureuse, qui utilise dans ses romans le sexe, le sadomasochisme, la drogue, la guerre comme « moyens d’éclater la conscience de soi ». Mais ici, dans ce livre, il abandonne ce procédé pour se laisser prendre à la beauté, la grâce et la force de son héroïne.

Kyoko, jeune fille élevée près d’une base militaire, décide d’aller à New-York pour retrouver le jeune GI qui lui a appris à danser. Elle va revoir son héros dans des circonstances tragiques mais l’accompagnera avec courage vers sa destination finale. « Elle passe, comme une brise légère, au milieu de réfugiés, d’exilés, de malades du sida et d’homosexuels ».

Une narration éclatéepermet de suivre son périple. Sept narrateurs différents racontent le moment ou les circonstances où ils l’ont rencontrée et livrent ainsi, chacun à sa manière, un aspect de sa personnalité.

Elle permet aussi de battre en brèche un certain nombre de préjugés sur les Japonais, le plus courant et le plus tenace, selon lequel on ne peut jamais savoir ce que les Japonais pensent en les regardant. Ce n’est pas le cas de Kyoko en tout cas, qui est particulièrement expressive : son visage exprime la joie , la tristesse de manière si intense que ceux qui la regardent en sont particulièrement touchés. La voir triste « c’était comme si la fin du monde était arrivée ». Elle possède une telle présence, qu’elle en devient presque « éthique », comme si la force et la pureté de son âme forçaient le respect et empêchaient qu’on lui fît du mal.

Mais l’essence de l’expressivité de Kyoko réside en fait dans la présence d’une ombre derrière son sourire. Elle a appris « que pleurer ne change rien », que « personne n’est plus fort que le chagrin et la solitude ». Et ce savoir, au lieu de l’amoindrir, de l’affaiblir, lui donne une certaine force. Son regard a un « éclat perçant ».

Elle est capable de se contrôler, même quand elle est au bord du désespoir, ou complètement désemparée. Et cette force peut-être appelle la compassion. Sa volonté est inébranlable et elle juge selon ses propres critères pour élaborer des choix très personnels ; elle n’est pas du genre à suivre le plus grand nombre. « c’était quelque chose de grand qui la poussait en avant, la faisait réfléchir, agir ». Mais la nature en ce qui concerne les femmes n’est jamais loin, car Kyoko, selon un des témoins « sentait, pensait et agissait en suivant un courant puissant et naturel. » Mais ce concept qui tout au long de l’histoire a servi à assujettir la femme à des déterminismes surtout culturels subit ici une légère modification, une sorte d’indétermination dans le contenu qui laisse toute liberté à l’héroïne.

Tout en elle est subtile et fragile : elle possède une « voix de canari dans un sac de soie », de longues jambes fines, des lèvres délicates et bien dessinées et des traits réguliers.

Mais l’auteur abandonne là les clichés de la féminité : Kyoko ne déteste pas boire un coup à l’occasion et a passé quelque temps à conduire des camions au Japon. Elle est une femme moderne qui, si elle n’a pas abandonné l’arme de la douceur, a conquis aussi des qualités viriles.

Mais surtout, elle danse merveilleusement le cha-cha-cha, le mambo et la rumba colombienne. Elle représente merveilleusement une  femme japonaise moderne, creuset où se mélangent la sensualité des danses latines occidentales, et le raffinement de la culture japonaise.

On sent l’auteur terriblement amoureux de son héroïne, et son écriture sous le joug de ce sourire mystérieux et puissant… L’écrivain est  captif d’un personnage qui lui échappe toujours, qui ne s’enferme pas dans le roman et qui une fois le livre refermé, continue à danser inlassablement dans notre mémoire…

« Kyoko est une fable sur l’espoir et la renaissance.

J’espère que tous les gens qui vivent une situation difficile et désespérante et refusent de s’y laisser enfermer, continuant à chercher un moyen de s’en libérer, seront touchés par cette oeuvre, et y puiseront du courage. »

Ryû Murakami , 4 octobre 1995, L.A.

Itoyama Akiko – Le jour de la gratitude au travail

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Itoyama Le jour de la Gratitude au travail, deux récits traduits du japonais par Marie-Noëlle Ouvray, Picquier poche 2010, édition originale, 2004, 120 pages

Le peu que je connaissais de l’entreprise japonaise ou du monde du travail au Japon je le devais à Amélie Nothomb à travers son livre « Stupeurs et tremblements », plus quelques articles de presse glanés ici et là. Dans ce livre, la narratrice raconte son expérience  de l’entreprise japonaise et sa lente descente aux enfers. Mais l’ostracisme dont elle va être la victime est surtout  la conséquence d’une différence de mentalités et  du fait de sa méconnaissance des codes inhérents à l’entreprise. Si c’est bien le monde du travail à la japonaise, il est vu cependant par une française: il me manquait donc le point de vue d’une japonaise.

Le jour de la gratitude au travail ou kinrô kansha no hi (勤労感謝の日), se célèbre le le 23 novembre. Il semblerait que les japonais aient beaucoup moins de vacances que nous. Et selon Francois Delbrayelle, français qui vit au Japon, « C’est un évènement qui commémore le travail et la production. À cette occasion ont lieu de nombreuses actions dont fait partie le festival du travail de Nagano qui encourage les débats à propos des droits de l’Homme et de la Femme, de l’environnement et de la paix. À l’origine cette journée était dédiée à la fête de la récolte des céréales appelée Niiname-sai (新嘗祭) qui existerait depuis les temps immémoriaux de l’empereur légendaire Jimmu (-660/-585). La journée actuelle de gratitude au travail date de 1948. Elle célébrait à l’origine les nouveaux droits apportés par la constitution, notamment l’expansion des droits au travail. »

Dans le premier des deux récits, Kyôko se retrouve sans emploi suite à une altercation avec son chef. Elle évoque au cours de son récit quelques aspects de la vie des femmes :  une tentative de mariage arrangé, chose qui existe encore au Japon et l’inégalité hommes-femmes face à l’emploi : « On avait beau arriver sur le marché du travail en pleine bulle économique, le nombre d’emplois pour les filles était restreint et elles ramaient pour décrocher une embauche », puis en conclusion s’exclame qu’il est « chiant d’être une femme ». On pourrait penser que c’est un peu court, et qu’il n’y a pas grand-chose dans ce récit à se mettre sous la dent, pourtant à ce moment-là le récit bascule. Un événement apparemment anodin ouvre une autre perspective

Il en va de même du deuxième récit, qui évoque la vie d’une entreprise, chose somme toute assez banale, et sans les précisions qui pourraient apporter un aspect documentaire au récit et le rendre plus intéressant. Pourtant une fois encore dans le ton et l’écriture quelque chose séduit , la découverte de secrets au cœur de la vie des personnages qui les rend plus touchants.

 

Bon, vous l’avez compris, s’il ne s’agit pas ici d’un chef d’œuvre , ce livre n’en est pas moins assez agréable à lire et j’ai passé un bon moment. 

Chi Li – Trouée dans les nuages

chi li

Chaque mois, nous commémorons la disparition d’Hubert Nyssen en publiant un article sur un des livres publiés par Actes Sud (grâce à l’initiative de Denis.du blog « le bonheur de lire »)

A travers un livre « Trouée dans les nuages » et un auteur , Chi Li (池莉)

 J’ai choisi de m’intéresser à la collection « Lettres chinoises » dirigée par Isabelle Rabut depuis 1997 et qui privilégie les œuvres modernes et contemporaines. En effet, la plupart du temps,  c’était surtout la littérature des années 30 qui était mise à l’honneur. Une autre des particularités de cette collection est de publier des séries du même auteur formant comme une anthologie de l’œuvre.

Un autre auteur de grande qualité est publié dans cette collection Yu Hua, dont j’ai déjà chroniqué l’excellent livre « Brothers ».

Née en 1957, Diplômée en 1979 de la faculté de médecine de l’université des sciences et de la technologie de Wuhan , elle exerce d’abord en tant que médecin puis retourne à l’université de Wuhan en 1983 dont elle ressort cette fois diplômée en langue et littérature chinoises et se consacre à l’écriture. Elle est considérée comme l’auteur le plus représentatif du courant néoréaliste chinois, mouvement né en réaction  aux principaux courants littéraires, « La recherche des racines » et « La littérature d’introspection ».     En France, son oeuvre est publiée chez Actes Sud.

Chi Li s’attache à dépeindre la Chine des trente dernières années, constituée des citoyens ordinaires confrontés aux problèmes du quotidien (travail, famille, logement)  et brosse des portraits féminins saisissants qui lui permettent d’aborder la condition de la femme en Chine bien loin de la réalité des discours officiels. Elle parvient ainsi, à travers toute une série de tableaux de la société chinoise, à relier les destins individuels à l’histoire collective tout en menant une réflexion sur des problèmes universels : l’amour, la maternité etc .

Lire l’excellent article de ce site

L’œuvre : Trouée dans les nuages

Jin Xiang et Zeng Shanmei forment un couple sans histoire et paraissent profondément attachés l’un à l’autre ? Zeng Shanmei, sans être véritablement belle, possède « une féminité hors du commun » ; gracieuse et menue, mais à la poitrine généreuse, elle plaît beaucoup à ses collègues masculins mais par sa simplicité et sa retenue, elle a su également gagner l’estime de ses collègues féminines.

De tempérament placide, tout deux sont deux parfaits exemples de l’éducation chinoise qui consiste à savoir cacher ses sentiments et posséder une parfaite maîtrise de soi.

Mais il suffit d’un repas avec d’anciens camarades de classes, pour que la façade se fissure et  laisse voir la véritable personnalité de l’un et de l’autre. De révélations en révélations, au sein d’un huit-clos étouffant et meurtrier, les personnages mettent bas les masques et révèlent des secrets enfouis tout au long de leur existence.

A travers cette guerre du couple, se livre une autre beaucoup plus souterraine et insidieuse qui est la guerre des sexes. Ici comme ailleurs, les femmes ont bien du mal à trouver l’égalité.

Du statut au fond peu enviable de la belle femme ( qui affole les hommes et rend la vie impossible aux personnes de son sexe) aux clichés de toutes sortes à propos des femmes (la femme est par essence dissimulatrice, elle ne peut haïr un homme avec lequel elle fait l’amour, une femme écrivain ne peut pas être jolie, une femme doit être vierge au mariage, un homme marié a le droit de violer sa femme), jusqu’aux violences dont sont victimes régulièrement les femmes, tout prouve encore une fois la problématique universelle du droit des femmes.

J’ai beaucoup aimé ce court roman qui est aussi un coup de poing il faut l’avouer tant ce huis-clos peut être éprouvant (pour les nerfs). L’écriture est fluide, la pensée claire, les développements bien menés, la psychologie des personnages très fouillée et les rebondissements savamment orchestrés (On a parfois l’impression d’être dans un thriller).

Yoko Tawada – L’oeil nu

l oeil nu

Yoko Tawada installée depuis 1982 en Allemagne écrit aussi bien en allemand qu’en japonais. Elle n’est pas la seule à brouiller les repères traditionnels qui veut que la littérature japonaise soit l’œuvre d’écrivains japonais qui écrivent au Japon, uniquement en Japonais. D’autres auteurs sont dans ce cas, puisque Kazua Ishiguro est un écrivain britannique et Aki Shimazaki romancière québécoise de langue française. Le lieu d’origine ne définit pas l’appartenance, on se choisit aussi d’autres Ailleurs, libres de redéfinir ainsi notre propre identité..

Elle est l’invitée du salon du livre le 18 mars et répondra aux questions du public de 15H00 à 16H00. Elle se revendique comme auteur de l’exophonie, du « voyage à l’extérieur de la langue maternelle » puisqu’elle publie aussi bien en japonais qu’en allemand.

« L’œil nu »,traduit de l’allemand par Bernard Banoun et publié en 2005 pour la traduction française raconte l’histoire d’une jeune vietnamienne, passée à l’Ouest un peu par hasard, peu avant la chute du Mur de Berlin. Elle se retrouve à Paris après avoir fui un amant étrange et possessif et se retrouve livrée aux hasards des rencontres. Elle ne parle pas le français et cet exil en dehors de la langue la plonge au cœur du déracinement le plus total. A la marge, sans papiers, elle ne peut intégrer une école de langues, et ses tentatives se soldent par des échecs qui la plongent dans des situations d’une extrême précarité en même temps qu’elle  la livre au hasard des rencontres plus ou moins heureuses, jouet impassible des événements et des gens. Heureusement, il y a sa passion pour le cinéma et pour Catherine Deneuve, qui la relie au Monde, car en dehors du langage, il y a toujours un autre langage, celui de l’image, plus stéréotypé lui semble-t-il parfois.

Elle ne comprend pas langue mais « la voix était là pour elle-même , pleine d’assurance, souple dans ses accents et ses graves. J’y entendais respirations et frictions, soupirs, parfois aussi une brûlante chaleur faite voix »[…]. Votre voix venait des vagues, des voiles, du vent, des hévéas ». la voix est nue et l’œil est nu.

Les mots que nous prononçons, disent l’endroit d’où nous parlons même si parfois « Mes premiers et uniques mots provenaient du lieu d’où je ne pouvais m’envoler vers nulle part. »

Le lien que nous entretenons avec la langue est fragile. Il suffit de se retrouver dans un pays où personne ne nous comprend et où nous ne pouvons nous faire comprendre par personne pour mesurer à quel point ce lien à la langue peut devenir ténu.

J’ai dû m’accrocher pour lire ce roman, je l’ai trouvé parfois difficile voire ennuyeux mais quelle richesse symbolique, quelle intelligence ! Parfois on peut avoir une expérience de la littérature  à la limite ! Et je ne regrette pas malgré tout de l’avoir lu, d’être allé jusqu’au bout..

 

Kyoko – Murakami Ryu

Kyoko

Kyoko est née des mains de son créateur, Ryû Murakami, écrivain à la réputation sulfureuse, qui utilise dans ses romans le sexe, le sadomasochisme, la drogue, la guerre comme « moyens d’éclater la conscience de soi ». Mais ici, dans ce livre, il abandonne ce procédé pour se laisser prendre à la beauté, la grâce et la force de son héroïne.

Kyoko, jeune fille élevée près d’une base militaire, décide d’aller à New-York pour retrouver le jeune GI qui lui a appris à danser. Elle va revoir son héros dans des circonstances tragiques mais l’accompagnera avec courage vers sa destination finale. « Elle passe, comme une brise légère, au milieu de réfugiés, d’exilés, de malades du sida et d’homosexuels ».

Une narration éclatéepermet de suivre son périple. Sept narrateurs différents racontent le moment ou les circonstances où ils l’ont rencontrée et livrent ainsi, chacun à sa manière, un aspect de sa personnalité.

Elle permet aussi de battre en brèche un certain nombre de préjugés sur les Japonais, le plus courant et le plus tenace, selon lequel on ne peut jamais savoir ce que les Japonais pensent en les regardant. Ce n’est pas le cas de Kyoko en tout cas, qui est particulièrement expressive : son visage exprime la joie , la tristesse de manière si intense que ceux qui la regardent en sont particulièrement touchés. La voir triste « c’était comme si la fin du monde était arrivée ». Elle possède une telle présence, qu’elle en devient presque « éthique », comme si la force et la pureté de son âme forçaient le respect et empêchaient qu’on lui fît du mal.

Mais l’essence de l’expressivité de Kyoko réside en fait dans la présence d’une ombre derrière son sourire. Elle a appris « que pleurer ne change rien », que « personne n’est plus fort que le chagrin et la solitude ». Et ce savoir, au lieu de l’amoindrir, de l’affaiblir, lui donne une certaine force. Son regard a un « éclat perçant ».

Elle est capable de se contrôler, même quand elle est au bord du désespoir, ou complètement désemparée. Et cette force peut-être appelle la compassion. Sa volonté est inébranlable et elle juge selon ses propres critères pour élaborer des choix très personnels ; elle n’est pas du genre à suivre le plus grand nombre. « c’était quelque chose de grand qui la poussait en avant, la faisait réfléchir, agir ». Mais la nature en ce qui concerne les femmes n’est jamais loin, car Kyoko, selon un des témoins « sentait, pensait et agissait en suivant un courant puissant et naturel. » Mais ce concept qui tout au long de l’histoire a servi à assujettir la femme à des déterminismes surtout culturels subit ici une légère modification, une sorte d’indétermination dans le contenu qui laisse toute liberté à l’héroïne.

Tout en elle est subtile et fragile : elle possède une « voix de canari dans un sac de soie », de longues jambes fines, des lèvres délicates et bien dessinées et des traits réguliers.

Mais l’auteur abandonne là les clichés de la féminité : Kyoko ne déteste pas boire un coup à l’occasion et a passé quelque temps à conduire des camions au Japon. Elle est une femme moderne qui, si elle n’a pas abandonné l’arme de la douceur, a conquis aussi des qualités viriles.

Mais surtout, elle danse merveilleusement le cha-cha-cha, le mambo et la rumba colombienne. Elle représente merveilleusement une  femme japonaise moderne, creuset où se mélangent la sensualité des danses latines occidentales, et le raffinement de la culture japonaise.

 

On sent l’auteur terriblement amoureux de son héroïne, et son écriture sous le joug de ce sourire mystérieux et puissant… L’écrivain est  captif d’un personnage qui lui échappe toujours, qui ne s’enferme pas dans le roman et qui une fois le livre refermé, continue à danser inlassablement dans notre mémoire…

 

« Kyoko est une fable sur l’espoir et la renaissance.

J’espère que tous les gens qui vivent une situation difficile et désespérante et refusent de s’y laisser enfermer, continuant à chercher un moyen de s’en libérer, seront touchés par cette oeuvre, et y puiseront du courage. »

 

 

 

 

Féminismes – La littérature et les femmes au Japon

féminismes

« Au Japon les femmes ont grandement contribué à l’élaboration de la littérature classique aux environs de l’an mille. Après une longue éclipse, ce n’est en revanche qu’à l’époque moderne qu’elles réapparaissent et transforment à nouveau le paysage littéraire de leur pays. Comment brisèrent-elles ce silence ? En abordant quels thèmes et en faisant face à quel type de fonctionnement social et moral ? Peut-on lire dans l’évolution de la littérature féminine le reflet de l’évolution de la condition féminine ? Est-il possible de dégager une tendance générale chez les auteurs femmes d’aujourd’hui ? Cet article examine chronologiquement (de 1868 à nos jours) ces différents points. Il s’ouvre et se referme sur une réflexion concernant la notion de « littérature féminine » au Japon. »

 

Claire Dodane « Femmes et littérature au Japon », Cahiers du Genre 3/2006 (HS n° 1), p. 197-218.
URL : www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2006-3-page-197.htm.

Réédition de ‘Trois guinées » aux éditions Blackjack. Entretien avec Léa Gauthier

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Anna G : Vous rééditez « Trois guinées » de Virginia Woolf aux éditions Blackjack que vous avez fondées en 2008 et vous en êtes également la traductrice, qu’est-ce qui a motivé ce projet ?

Léa Gauthier : En fait, une seule traduction de ce texte avait été réalisée par Viviane Forester en 1976 et le livre édité par les éditions des femmes puis repris en 10/18 était épuisé depuis quelque temps. De plus, je me suis aperçue que si ce texte était extrêmement important dans les études anglosaxonnes (les gender studies en particulier), et s’il avait été une référence dans les mouvements pour la défense des droits des femmes dans les années 1970 en France, beaucoup de personnes de ma génération (j’ai 36 ans) et a fortiori de plus jeunes, ne le connaissaient pas. Je trouve important de redonner à ce texte sa place et sa visibilité. 
Il est vrai que je suis à la fois éditrice et traductrice de ce texte, cela peut sembler étrange, je l’entends. Pour vous parler un peu de moi, je suis en fait philosophe de formation, j’ai enseigné à l’université après mes études, puis j’ai quitté l’université pour m’occuper du magazine Mouvement, magazine dédié à la création contemporaine, où je suis restée sept ans. J’ai ensuite quitté ce magazine, pour fonder Blackjack éditions, dans l’intention de défendre des textes, des auteurs, des démarches et des artistes, mais dans un temps différent que celui imposé par la presse. Blackjack éditions est une aventure singulière qui ne se calque sur aucun modèle préexistant. Blackjack, pour des raisons simples de déontologie, ne publiera jamais un livre que je pourrais signer en tant qu’auteur. En revanche, traduire est un travail de passeur, comme celui d’éditeur. Je pensais qu’une nouvelle traduction de ce texte était nécessaire et j’ai eu envie d’être doublement passeur avec Trois Guinées, c’est finalement aussi simple que cela. 

Anna G : Virginia Woolf est plus connue du grand public comme romancière, or «Trois Guinées » n’est pas un roman, quelle est sa place selon vous dans son oeuvre ?

Léa Gauthier : Je crois vraiment que dans le cas de Virginia Woolf, il n’y a pas grand sens à scinder sa production en catégorie. L’ensemble de ses textes procède d’un même geste d’écriture. L’on a souvent dit que Trois Guinées est une suite d’Une chambre à soi, mais je crois que ce n’est pas exact. Virginia Woolf en parle d’ailleurs très clairement dans son Journal, elle souhaitait écrire un ouvrage The Pargiters qui a en fait donné lieu à deux livres : Les années et Trois Guinées, et pour Virginia Woolf ces deux textes n’en font qu’un. De plus, même s’il y a beaucoup de citations, Trois Guinées est une oeuvre de fiction, c’est une fiction épistolaire et pamphlétaire. Les personnages mis en scène dans ce texte sont des constructions littéraires, ce ne sont pas des personnages réels. Certes elle dit « je », mais ce « je » n’est pas évidemment Virginia Woolf ; quant à l’homme à la lettre duquel elle répond, il est également une construction. Trois Guinées n’est pas un roman, mais Virginia Woolf a largement contribué a faire exploser la notion classique de l’écriture romanesque ; c’est aussi là qu’est son talent. En ce sens, et sous un angle littéraire, Trois guinées, avec Les années et Entre les actes, appartient au dernier geste d’écriture de l’un des plus grand auteur du 20 e siècle.

Anna G: On perçoit rarement Virginia Woolf comme théoricienne, « Trois guinées » est-il seulement un pamphlet selon vous ou a-t-il l’envergure et la rigueur d’un texte politique ? Quelles sont à votre avis ses lignes de force (ou/et ses faiblesses) ?

Léa Gauthier : Je ne crois pas que Virginia Woolf soit une théoricienne. Trois Guinées n’est pas un texte théorique, en revanche c’est l’un des textes dans lequel Virginia Woolf est le plus frontalement politique. Pour Viginia Woolf, il n’y a pas a séparer la raison des sensations ou des émotions, il n’y a pas à séparer l’Histoire des histoires. Trois Guinées est une oeuvre éminemment littéraire, dont la construction est d’une finesse redoutable. Ainsi pour répondre plus directement à votre question je dirai que Trois Guinées est une fiction politique. C’est un texte possédant beaucoup d’humour, jouant parfois d’ironie. Pour ne lui retirer aucune de ces dimensions je crois vraiment qu’il importe de ne pas le considérer comme un texte théorique. Certains lecteurs pourraient trouver que le recours aux citations alourdit le texte, mais Virginia Woolf orchestre une vraie polyphonie.

Anna G :  Quelle est l’actualité de ce texte aujourd’hui ? N’est-il pas daté ? Peut-il entrer en résonance avec les préoccupations des femmes aujourd’hui ?

Léa Gauthier : Comme je vous le disais, je suis une femme de 36 ans et ce texte est entré en résonance avec mes préoccupations au point que j’ai voulu non seulement le rééditer mais le retraduire. Pourquoi ? Au-delà de ses qualités littéraires, Trois Guinées affirme la valeur de la contribution politique et sociale des personnes qui n’appartiennent pas aux classes dominantes et dirigeantes. Dans ce texte, Virginia Woolf affirme la puissance de la société des outsiders. Or ces outsiders sont des personnes dont l’histoire s’est construite en marge, dans l’ombre des valeurs dominantes que sont la compétition, l’appropriation et l’exclusion. Bien sûr cette fiction épistolaire est porté par un « je » qui est celui d’une femme, appartenant à la classe des gens cultivés. Mais si l’on envisage la puissance allégorique d’une fiction littéraire, cette société des outsiders peut également nous aider à remettre en perspective les choses. Dans une perspective post coloniale, par exemple. Ce texte est un appel à la dissidence, l’affirmation de la puissance de ceux qui ne sont pas aux pouvoirs. Alors bien sûr il y a la question de la place des femmes, mais la portée politique de ce texte dépasse largement la question strictement féministe. Dans ce texte Virginia Woolf s’oppose aux principes d’assimilation et affirme la richesse des différences. Les femmes doivent entrée dans les universités, dans la vie active, elles doivent avoir leur place dans la vie culturelle mais de manière singulière. Les femmes ne sont pas des hommes comme les autres et c’est dans l’affirmation des différence que les principes de domination, d’exclusion et de compétition peuvent être contrecarrés… N’est-ce pas une thèse d’une étonnante actualité ? Je ne crois pas du tout que ce texte soit daté, ou alors Les lettres persanes, par exemple, le sont.