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Des femmes et de l’écriture das le bassin méditerranéen

« Qu’il soit prise directe avec soi-même pour compenser des manques, ou affrontement avec les mots, ou même dénonciation d’un ordre établi, le roman écrit par des femmes est une mise à feu, un règlement de compte avec un monde créé par l’homme aux mesures de l’homme qui a inventé la guerre, hérissé la planète de barbelés et fait croire à la femme qu’elle n’a pas de valeur en dehors de lui. »

 

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Résumé de l’éditeur

 

Le pouvoir de l’écriture qui soulève le problème du rapport des sexes sera une compensation à un pouvoir politique féminin souvent absent sur les deux rives de la Méditerranée, en particulier sur la rive Sud. Des littéraires, linguistes, philosophes, psychologues, sociologues, anthropologues, juristes, et journalistes ont examiné et analysé dans des approches pluridisciplinaires l’écriture des femmes du bassin méditerranéen donnant aux lecteurs et lectrices qui s’interrogent sur le sujet des outils de réflexion qui leur permettront d’alimenter leur propre travail. Un ouvrage dirigé par Carmen Boustani et Edmond Jouve.

Les romancières égyptiennes : Out-el-Kouloub (1892-1968)

Dans mes recherches, la première femme dont le nom est apparu est Out-el-Kouloub,

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Cover via Amazon

, pseudonyme d’Out El-Demerdachia, née au Caire en 1892 et décédée en Autriche à Graz en 1968, à l’âge de 76 ans. Elle est aujourd’hui pratiquement oubliée et les quelques livres qui furent traduits dans notre langue sont épuisés. Elle était fille d’un cheikh de confrérie soufie et publia de 1934 à 1961 , huit romans et textes en français, la plupart chez Gallimard.

  Être éditée dans l’une des maisons les plus prestigieuses prouve la reconnaissance de la qualité de son œuvre. Ses préfaciers furent des personnalités célèbres, Paul Morand, Jean Cocteau ou André Maurois. Il est vrai toutefois que l’époque était propice aux découvertes car les échanges culturels entre les deux pays étaient importants. 

Elle écrivit en français de son point de vue oriental et fut une des premières féministes même si son féminisme était modéré.


Elodie Gaden
,
dont les recherches publiées sur la toile sont particulièrement
intéressantes, remarque  que :  » En effet, cette
tranche historique voit naître conjointement en Égypte la montée des
nationalismes et le début de l’expression des femmes car « le problème
de l’aliénation d’une culture cristallise celui de
l’aliénation d’un sexe ».

Il faut rappeler également que l’Egypte, à cette époque, est colonisée par l’Angleterre, et que l’élite intellectuelle choisit d’écrire en français, symbole de la liberté de penser. Cet
élan sera brisé après la guerre avec la rupture des relations
diplomatiques entre la France, l’Angleterre et l’Egypte. Les
auteurs continuent à oeuvrer cependant… (Il faut lire
Elodie Gaden
 à ce sujet)

          Au hasard de la pensée, revue L’Égyptienne, 1934

          Harem, 1937, réédition Gallimard, 1955

          Trois contes de l’Amour et de la Mort, préface d’André Maurois,
éditions Corrêa, 1940.

          Zanouba, préface de Jérôme Tharaud et Jean Tharaud,
Gallimard, 1947

          Le coffret hindou, préface de Jean Cocteau, Gallimard,
1951

          La nuit de la Destinée, préface d’Emilie Dermenghem, Gallimard,
1954

          Ramza, préface d’Henri Guillemein, Gallimard, 1958

          Hefnaoui le Magnifique, préface d’Henri Peyre, Gallimard,
1961

Un essai lui a été consacré :

que l’on peut compléter par la lecture de cet article plus général :

Le féminisme dans la littérature égyptienne de langue française

Le printemps arabe de la littérature écrite par des femmes

Juin 2012 

Le printemps arabe de la littérature

Hommage à Andrée Chedid/   Nawal El Saadawi 

Lectures autour de romancières tunisiennes,marocaines,  égyptiennes et syriennes

  Histoires-minuscules-des-revolutions-arabes

Ode à la joie – Shifra Horn

Ode à la joie

j'aime un peu, bc, passiontj'aime un peu, bc, passiont

En janvier 2002, Yaël Maguid, anthropologue, alors qu’elle se dirige au volant de sa voiture vers l’université de Jérusalem, assiste à un spectacle insoutenable : un bus, avec l’arrière une petite fille, explose sous ses yeux. Traumatisée, en proie aux cauchemars et à l’angoisse, Yaël n’aura de cesse de retrouver cette petite fille qui ne figure pas sur la liste des victimes. D’où vient-elle, que lui est-il arrivé ? Qui est-elle ? Son salut désormais dépendra de l’issue de son enquête …

 

Shifra Horn décrit très finement les répercussions des attentats sur la population israélienne, les traumatismes, le sentiment de menace permanente, de conflit qui s’éternise et qui s’enlise dans la violence lors de la seconde Intifada. J’ai lu ce livre en regard d’un autre livre palestinien sur la même période, ce qui m’a apporté un éclairage tout à fait intéressant.

 

          Le livre commence par l’enquête de deux femmes israéliennes sur la pratique de l’excision chez certaines tribus bédouines, il est rappelé que si le Coran ne mentionne que la circoncision, les hadiths, textes également attribués au Prophète mentionnent que « la circoncision est un devoir pour l’homme, une gratification pour la femme ». Bon, on se dit que c’est mal parti. Va-t-on avoir une liste de toutes les vicissitudes des populations arabes de la région, des règlements de compte par romans interposés ? Et d’ailleurs que vient faire là cette histoire ? On ne comprend pas très bien. Lors de l’attentat, Yaël écoutait l’Ode à la joie de Beethoven, mais n’était-ce pas un signe ? N’a-t-il pas servi aux nazis, aux fascistes et aux communistes ?

          Pourtant Yaël évoque le regret et l’absence de Rami, jeune Arabe qui venait l’aider chaque lundi et qui ne vient plus depuis que le mur de séparation a été construit et sépare le village de celui-ci de son quartier. Elle montre aussi le sentiment de culpabilité qui ronge un certain nombre de Juifs Israéliens (et qu’à l‘évidence, elle ne partage pas) et qui conditionne leur comportement vis-à-vis des Arabes israéliens. L’auteure a le mérite de faire valoir toutes les points de vue des citoyens israéliens sans prendre ouvertement parti pour aucune même si on devine ses préférences. Et c’était là, je pense, le principal écueil de ce livre. Yaël fréquente aussi les milieux ultra orthodoxes pour un sujet de thèse qu’elle abandonnera peu à peu. Mais c’est là qu’elle trouvera aussi un des ressorts qui lui permettra de continuer à vivre et aimer.

Car le mâle israélien n’est pas très différent des autres mâles. Il n’a aucune supériorité sur d’autres nationalités. D’une certaine manière, c’est rassurant.

De ce bourbier, va fleurir l’amour, un bel et tendre amour qui ravira tous les cœurs de midinettes dont je fais partie. Amour si improbable qui à lui seul donne une certaine tension et une réelle saveur au récit.

          « Me revint en mémoire le poème de Yéhouda Amihaï qui commence par les mots Dieu a pitié, et les yeux humides, je me suis dit que non, décidément, Dieu n’avait pas pitié des enfants qui allaient à l’école, encore moins de ceux qui allaient au collège. Il n’aura pas davantage pitié des grands. »

 

Un beau livre, malgré ces quelques réserves, une mine de renseignements aussi sur la vie de ce pays et sur le sentiment des Israéliens vis-à-vis du conflit israélo-palestinien.

Un printemps très chaud – Sahar Khalifa

un printemps très chaud

Un printemps très chaud. Éditions du Seuil. Traduit de l’arabe (Palestine) par Ola Mehanna et Khaled Osman

Deux enfants s’apprivoisent à travers un grillage. Des sourires, de rares mots, chacun apprend un peu des mots de la langue de l’autre et s’émerveille de trouver des ressemblances. Mais cette clôture extérieure symbolise aussi la clôture intérieure, psychique qui habite chaque palestinien et israélien. La haine empêche toute communication ou tout élan. Ahmad, un jeune palestinien, se laisse porter par l’amour de l’Autre, en dépit des interdits de sa communauté. Il est timide, et rêve d’aventure : il décide de franchir la clôture…Braver l’interdit aura de lourdes conséquences pour le jeune homme et le fera passer brutalement de l’enfance à l’adolescence. Il se trouve enrôlé dans les forces de résistance…

Comment grandir derrière des murs et des clôtures, comme être jeune aujourd’hui en Israël et Palestine ?

Ce récit a pour toile de fond la seconde Intifada et les représailles israéliennes. On y voit comment des jeunes gens sont conditionnés pour devenir des « martyrs »…

La place des femmes palestiniennes est problématique. Soumise à la tradition, elle a peu d’éducation et ses droits ne sont pas égaux à ceux des hommes. Pourtant, les femmes portent toutes les responsabilités, d’autant plus accrues lorsque les maris ou les fils entrent dans la résistance. Seules, elles s’occupent de subvenir aux besoins de la famille quand leurs maris sont emprisonnés ou pire tués dans une escarmouche avec l’armée israélienne. La femme est sacrifice : elle se sacrifie pour ses enfants, le nom de la famille, la dignité, la nécessité pour la femme de préserver son honneur. L’oppression que subissent les femmes double celle subie par Israël : « Vous nous bassinez avec Israël ! L’oppression que nous subissons de nos proches est plus dure et plus amère. »

D’ailleurs quelle place les femmes occupent-elles dans l’Organisation ? « C’était ça la politique, c’était ça les dirigeants ?Et nous, les femmes, que savons-nous ? Que désirons-nous ? Qu’attend-on de nous ? C’est Souad qui lui a fourni la réponse : « Pas grand-chose… Pour eux, nous ne sommes qu’un décor et rien de plus… »

Peut-être est-ce là le pire des malentendus, les femmes et les hommes ne se connaissent pas vraiment, et une moitié de l’humanité est ignorée pendant que l’autre fait la résistance. Comment un pays, une région, peut-elle se développer dans ces conditions ?

« Mais sérieusement, toi qui es un jeune homme éduqué, dis-moi ce qu’on y connaît au sexe faible, à part le harem, les concubines entretenues et les femmes voilées dissimulées derrière leur tenture ? Est-ce que c’est possible de dialoguer avec des têtes cachées derrière des voiles et des rouleaux de tissu ?Est-ce que c’est possible de pénétrer le marché mondial quand ton image est associée aux femmes pachtounes et à Khomeyni ? T’as vu leurs photos ? je te promets qu’un sac de riz ou de pommes de terre est plus sexy ! « 

  J’ai trouvé ce livre assez intéressant pour toutes les connaissances qu’il apporte

 sur la société palestinienne et la place des femmes. Sahar Khalifa, est, sans nul doute, une grande dame. 

Sahar Khalifa

Sahar Khalifa

Elle est née à Naplouse. Après avoir enseigné à l’université de Bir Zeit, en Palestine, elle suit des études de littérature anglo-saxonne aux Etats-Unis, puis revient en Palestine où elle fonde le Centre des études féminines qu’elle dirige depuis.

Elle est considérée comme la plus grande romancière palestinienne et, en 2006, l’Université américaine du Caire lui a décerné le prix Naguib Mahfouz de littérature. Ses romans sont traduits dans le monde entier.

Du même auteur, traduits en français, Chronique du figuier barbare, chez Gallimard en 1978, la Foi des tournesols chez Gallimard toujours en 1989, L’impasse de Bab Essaha chez Flammarion en 1997, repris en poche (10/18) en 2001.

Un certain nombre de ses écrits plus féministes ne sont pas traduits en français.

Shifra Horn

Shifra Horn

Née à Jérusalem en 1951 d’un père russe et d’une mère iranienne. Issue d’une famille marrane (juifs convertis à l’Islam), Shifra Horn vit entre la Nouvelle-Zélande et Israël où elle réside dans le quartier de Gilo, proche de Jerusalem.

 

Elle est diplômée d’archéologie, d’études bibliques et de communication. Journaliste, elle est l’auteur de quatre romans, d’un recueil de nouvelles et de deux livres pour enfants. Chez Fayard ont déjà paru Quatre mères (2001) et Tamara marche sur les eaux (2004). Dans son dernier roman, Ode à la joie, elle traite du traumatisme lié aux attentats suicide qui ont profondément marqués la société israélienne pendant la seconde Intifada.

Source CNL

Natasha Solomons – Jack Rosemblum rêve en anglais

 

 

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Natasha Solomons – Jack Rosemblum rêve en anglais – Le livre de poche – Calmann-Lévy 2011 pour la traduction française

Jack Rosemblum, sa femme et sa fille émigre dans les années trente en Angleterre ; ils fuient l’Allemagne pour échapper aux lois antisémites du régime nazi. Ils ont dû laisser derrière eux une partie de leur famille, et Sadie, l’épouse de Jack en éprouve un terrible chagrin qu’elle essaie, en vain, de partager avec son mari.

L’obsession de Jack est de devenir parfaitement anglais ; il transforme son prénom et oublie l’ancien monde qui était le sien. Pour parvenir à son but, il dresse une liste interminable de tout ce qu’il faut faire et dire pour être parfaitement anglais. Pour couronner le tout, il décide de monter son propre golf…Et c’est là que les ennuis commencent …

Ce livre est véritable coup de cœur ! Il est une réflexion toute en finesse sur la notion d’identité, l’importance de la Mémoire et  l’intégration ou l’assimilation au pays d’accueil quand on est un immigré, le racisme et l’antisémitisme que durent subir les juifs allemands.

« Il s’accordait avec ses voisins pour considérer que le rôle des Juifs était de ne pas faire de vagues. Lorsque personne ne fait attention à vous, vous devenez un simple banc posé dans un parc : utile en cas de besoin mais parfaitement intégré au paysage. L’assimilation, là était le secret. L’assimilation. […] Il en avait assez d’être différent ; il ne voulait pas finir tel le Juif errant. »

 

Un livre qui résonne étrangement aujourd’hui en France et en Europe à l’heure de la montée des nationalismes et de la xénophobie et alors que des néo-nazis entrent au parlement grec.

Jack Rosemblum est un personnage terriblement attachant. Dans le contexte historique des années 30, on comprend parfaitement ce besoin désespéré d’être comme tout le monde, d’être parfaitement assimilé au pays d’accueil qui correspond au traumatisme deslois antisémites que durent subir les Juifs allemands. Où trouver la sécurité quand de tout temps votre peuple a été persécuté et que le seul fait d’être Juif suffit à vous désigner à la vindicte populaire ? Quelle patrie peut être suffisamment intègre pour vous protéger dés lors qu’elle fait de vous l’un des siens ?

Des Français et des Allemands ont dénoncé et livré aux bourreaux des Juifs qui étaient tout aussi français ou allemands qu’eux.  Mais ce désir d’assimilation risque révéler ses limites et menacer l’identité de la famille Rosemblum. Car renier ses origines, n’est-ce pas aussi occulter une partie de soi et perdre son identité ? La mémoire est ce qui assure le continuum de ce qui est notre moi , à vouloir absolument être autre, à rechercher l’invisibilité, n’y a-t-il pas le danger de sombrer dans la schizophrénie ? Se cacher, n’est-ce pas aussi avoir peur ? « Il était fatigué d’être le Juif [… ] de service – un rôle à la fois solitaire et dangereux. »

D’ailleurs, les Juifs Français et Allemands pour un grand nombre d’entre eux étaient parfaitement assimilés depuis des générations, et qui plus est non-pratiquants ; ce qui n’a pas empêché la persécution.

Dans mon parcours de lecture actuel, ce livre a fait écho à l’histoire d’Israël.

 

 

D’ailleurs quand Sadie demande à Jack pourquoi ils ne partent pas en Israël dans ce jeune pays créé pour les Juifs, il répond qu’il est trop tard, qu’il faut être jeune et vigoureux pour bâtir un nouveau pays.

« Tu veux être comme tout le monde. Eh bien, allons en Israël, où tout le monde est comme nous ! » Sadie retourne l’argument.  Son chagrin est une marque de respect pour ceux qui ont disparu, et aussi le moyen de les garder encore en vie dans sa mémoire.

Peut-être y aura-t-il une autre voix à trouver, et qu’ils sont assez de deux pour inventer un nouveau chemin. A suivre…

Lisez ce livre qui est un petit bijou. La langue est impeccable ; c’est magnifiquement écrit et construit et l’auteure sait ménager suspense et rebondissements. On est complètement happé par le récit. L’émotion est également présente tout du long sans être envahissante car c’est un livre beau et pudique.

Petite poucette – Michel Serres

  petite poucette michel serres

C’est le titre d’abord qui m’a intrigué… Qui est cette Petite Poucette ? « […]Ces dernières décennies virent la victoire des femmes, plus travailleuses et sérieuses à l’école, à l’hôpital, dans l’entreprise… que les mâles dominants arrogants et faiblards. Voilà pourquoi ce livre titre : Petite Poucette »,  voilà la raison du féminin, mais Poucette ? pouce ? Petite poucette est cette jeune femme que vous voyez (ou dont vous êtes), j’en suis sûre, quotidiennement, pianoter à toute allure sur le clavier de son téléphone portable.

A plus de 80 ans, Michel Serres reste étonnament jeune, plus jeune même que bon nombre d’entre nous. Et je pense que cette jeunesse qui habite l’oeil bleu et pétillant de Michel Serres est due à sa capacité à penser les grands bouleversements, et notamment celui que nous vivons aujourd’hui avec les nouvelles technologies, de manière dynamique et positive. il n’est pas de ces vieux barbons qui, crispés sur leurs savoirs, n’en démordent pas.

          Ce basculement, selon lui, est aussi important que celui que nos sociétés occidentales ont vécu à la fin de l’Empire romain ou la Renaissance. Aucun changement ne se fait sans crise qui fait trembler les fondations de toute une société : finance, politique, école, Eglise, famille… Dans une société, complètement dépassée par le changement et qui n’arrive pas à suivre, Petite Poucette n’a pas le temps de larmoyer, il lui faut s’adapter et vite. Elle habite en ville la plupart du temps, et cela depuis les années 70,( la paysannerie a pratiquement disparu, aujourd’hui on ne compte plus qu’un pour cent d’agriculteurs) et ne part à la campagne que pour les vacances, histoire de respirer un peu. Cela ne l’empêche pas de se soucier de l’écologie, de faire le tri sélectif, et de se poser des questions sur le réchauffement climatique en mâchonnant une mèche de ses cheveux. 

          Elle n’est pas insolente en classe, ou à la fac, non, mais bavarde, bavarde. Elle n’écoute plus trop ses professeurs; de toute façon, 70 % de ce qu’ils ont appris est déjà obsolète, et sur ce qui reste, ils ne sont plus indispensables. Il suffit de pianoter sur son clavier et de se connecter sur internet pour trouver les réponses à de nombreuses questions. Le savoir devient beaucoup plus horizontal. Le professeur ne le détient plus exclusivement et par conséquent a perdu de son pouvoir : « Le savoir, accessible partout et immédiatement, n’a plus le même statut. » Il raconte dans une interview que cela ne l’inquiète pas outre mesure, étant donné qu’on ne transmet pas quelque chose mais soi.

Petite Poucette n’a pas beaucoup d’aide, il faut le dire, car les Institutions des pays dans lesquels elle vit, peinent à se transformer et à inventer de nouveaux modes d’organisation. A un journaliste, le philosophe prédit qu’un jour il n’y aura plus personne à la Grande Bibliothèque car maintenant tout est accessible par internet. Il ne s’agit pas de regretter un monde en train de disparaître mais d’en inventer un nouveau. Toute civilisation vit ses crises et ses mutations. C’est une réalité et il faut faire avec, ni progrès ni catastrophe mais autre monde.

          Petite Poucette n’a plus d’idéologie, n’adhère plus au sacro-saint « Travail, Famille, Patrie ». Et bien tant mieux pour elle et pour les siens ! Au moins, on ne l’accusera pas d’être une sorcière et elle a peu de chance, dans l’Occident qui l’a vue naître, de mourir  lapidée (croisons les doigts tout de même, je n’ai pas tout à fait l’optimisme de Michel Serres) Ecoutons-le : « Sanguinaires, ces appartenances exigeaient que chacun fit sacrifice de sa vie : martyrs, suppliciés, femmes lapidées, hérétiques brûlés vifs, prétendues sorcières immolées sur des bûchers, voilà pour les églises et le droit; soldats inconnus alignés par milliers dans les cimetières militaires, sur lesquels parfois se penchent, avec compoction, quelques dignitaires, liste longue de noms sur les monuments aux morts – en 14-18 presque toute la paysannerie -, voilà pour la Patrie;camps d’extermination et goulags, voilà pour la théorie folle des « races » et la lutte des classes; quant à la famille, elle abrite la moitié des crimes, une femme mourant chaque jour des sévices du mari ou de l’amant. » On ne peut que lui donner raison, au fond… 

        A Petite Poucette, il faudra beaucoup lui pardonner, d’erreurs et de maladresses car elle est seule, seule dans un monde bruisant et murmurant, surpeuplé, où Dieu souvent s’est fait la malle, écoeuré sans doute des Hommes et de leur turpitudes.

Elle a des amis pourtant et pas seulement sur les réseaux sociaux, et ils sont « musulmans, sud-américains, chinois, elle les fréquente en classe et sur Facebook, chez elle, partout dans le vaste monde. »

Le virtuel n’est pas la menace qu’on croit, car les premiers êtres virtuels habitèrent les livres, Michel Serres dit et cela me fait beaucoup sourire que « Madame Bovary faisait l’amour virtuellement, et beaucoup mieux peut-être que la majorité de ses contemporains. » Il nous apprend aussi que les nouvelles technologies n’activent pas les mêmes zones du cerveau, qu’une nouvelle intelligence naîtra certainement car « le cerveau évolue physiquement. »

          Par les blogs, et par le monde, pour la première fois de l’histoire, « on peut entendre la voix de tous ». Virtuelle, bavarde, chahuteuse et démocratique la parole se libère. A nous de savoir nous adapter, comme le dit l’auteur, au monde que nous avons créé !

Bien sûr, on peut répondre beaucoup de choses, mais pour un moment, je me laisse emporter par cette joie de penser et de philosopher en route pour demain. Et comme Poucette est partageuse et que les Poucets sont des Poucettes comme les autres, ce monde elle veut bien le partager.

Chochana Boukhobza et Rula Jebreal

chochana

Chochana Boukhobza, française. A vécu plusieurs années en Israël.

J’ai choisi de rapprocher ces deux auteures (Chochana Boukhobza et Rula Jebreal) car toutes deux vivent en dehors d’Israël, la France ou l’Italie. Toutes deux également prennent Jerusalem comme véritable personnage de leur roman, en des descriptions véritablement éblouissantes en ce qui concerne Rula Jebreal.

20% de la population Israélienne est Arabe (source France Inter, émission mai 2012)

Palestiniens de l’intérieur ou réfugiés de l’intérieur sont des Palestiniens détenteurs de la nationalité israélienne. Palestiniens ou Arabes en Israël . « Selon les principes fondamentaux de la démocratie israélienne, ces citoyens ont les mêmes droits que les autres Israéliens. Toutefois, des discriminations sont dénoncées contre ces populations, parfois soupçonnées par leurs concitoyens de soutenir la cause palestinienne aux dépens de l’existence de l’État d’Israël. La majorité des Arabes israéliens ne sont pas appelés à servir l’armée de défense israélienne »

Chochana Boukhobza (hébreu: שושנה בוקובזה  ), née le 2 mars 1959 à Sfax en Tunisie est un écrivain français. Elle a quitté la Tunisie pour Paris à l’âge de 4 ans, puis émigré en Israël à l’âge de 17 ans jusqu’à son retour à Paris à l’âge de 21 ans.1.

Elle a étudié les mathématiques en Israël.

Elle est l’auteur de plusieurs romans : le premier, Un été à Jérusalem, a reçu le prix Méditerranée en 1986 alors que le second, Le Cri, a été finaliste au Prix Femina en 1987. Elle a aussi écrit de nombreux scénarios. En 2005, elle a co-réalisé un documentaire « Un billet aller-retour » (Paris-Barcelone Films productions).

(source Wikipédia)

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Rula Jebreal

Elle est née en 1973 à Haïfa ; elle est à l’origine de nationalité israélienne (arabe), et a par la suite acquis la nationalité italienne6.

« Suite au suicide de sa mère, elle devient en 1978 élève du Dar al-Tifl ; en 1993, elle part en Italie poursuivre ses études, grâce à une bourse du gouvernement italien. Elle commence à travailler pour la presse en 1997, d’abord dans le domaine social, puis dans celui des affaires internationales, notamment sur le conflit israélo-palestinien. Elle a publié trois livres : les romans Miral et La Promise d’Assouan, et un ouvrages d’entretiens Divieto di soggiorno1concernant les immigrés en Italie.

Relativement au conflit israélo-palestinien, elle assume la position « deux peuples, deux Etats » avec une alliance israélo-palestinienne contre les extrémistes religieux; elle agit aussi pour la réalisation du droit à l’éducation des Palestiniennes. (source Wikipédia)

http://www.france24.com/fr/20100522-journalisme-italie-palestine-femmes-droits-humains

La promise d’Assouan – Rula Jebreal / Voyage en terre palestinienne

La promise d'Asouan Rula Jebreal

Ce livre raconte l’épopée familiale de Mazen Qupti, chrétien copte qui devra fuir avec sa femme et sa fille une Egypte en pleine ébullition pour s’installer dans le Jerusalem des années 20 avant de poursuivre jusqu’à Nazareth pour marier sa fille dont les épousailles ont été arrangées de longue date . Arrivés dans cette ville qui les éblouit, Salua, la fille de Mazen, va être confrontée à une série de drames qui va bouleverser sa vie et l’obliger à prendre son destin en main. Elle assistera à la création de l’Etat d’Israël et à l’effondrement du monde qui était le sien.

Dans la mémoire du père, Jerusalem et la Palestine sont les symboles de la liberté,chacun peut professer sa foi et vivre sa vie comme il l’entend sans être inquiété. Ville sainte de l’Islam, Terre promise des Juifs, Terre sainte pour les chrétiens, la ville apparaît comme le lieu de coexistence de toutes les différences et de toutes les cultures. L’auteure évoque la porte de Damas, par laquelle tous pénètrent avant de se séparer : « Les Chrétiens sont les premiers à tourner à droite vers la Basilique du Saint Sépulcre », puis les Musulman se dirigent plus loin pour monter vers l’Esplanade des Mosquées, pendant que les Juifs poursuivent en descendant vers le mur des lamentations. Jerusalem est « comme un grand livre blanc ouvert sur le monde, où chacun veut écrire quelque chose dans sa langue».

 Mais ce rêve va se briser brusquement : des tensions sont palpables entre la communauté musulmane et les Anglais ; des conflits larvés éclatent à la moindre provocation ou suspicion de part et d’autre. Une violence souterraine agite la ville derrière une apparence de fausse quiétude et de concorde toute relative entre les communautés.

La famille de Salua va en faire l’amère et tragique expérience et sera contrainte de quitter Jerusalem pour Haifa.

Pourtant, ce qui paraissait impossible ailleurs  se réalise ici dans cette ville au bord de la mer, à Wadi Nisnas quartier où vivent ensemble Juifs et Arabes. Et si les mariages entre les deux communautés sont rares, ils se produisent de temps à autre.

« Haïfa semblait pouvoir absorber tout ce qui était étranger, mélanger des gens différents… ». Le destin de Salua va se mêler étroitement à celui des deux autres communautés juives et arabes, des liens vont se tisser, des amours vont naître qui aideront à brouiller les frontières, des amitiés se faire et se défaire.

On trouve dans cette histoire encore une fois le thème de l’échange, du bébé palestinien et musulman qui va grandir dans une communauté juive. Mais je ne vous dévoilerai rien sur le nœud de l’intrigue.

La création de l’Etat d’Israël va bouleverser des vies jusqu’ici paisibles et l’histoire de la dépossession et de l’exil commence pour des milliers de Palestiniens. Les Arabes qui restent obtiendront la nationalité israélienne et c’est leur histoire que nous suivons ici, à travers les expropriations, les violences et les menaces dont ils vont faire l’objet.

  Les bons sentiments ou les causes justes ne font pas forcément de la bonne littérature, peut-être l’engagement nuit-il même parfois parce qu’il apporte une gravité de commande ou parce qu’il alourdit le récit de démonstrations inefficaces. Encore une fois je n’ai pas été complètement convaincu par ce récit même si je l’ai lu sans déplaisir. Les descriptions y sont très belles et l’amour que porte l’auteure à cette terre est palpable à chaque page. Une narration classique nous fait vivre les péripéties de l’héroïne, on prend fait et cause pour elle, on compatit à ses malheurs mais l’émotion est étrangement absente. Reste le voyage sur cette terre de Palestine infiniment précieux.

Le troisième jour – Chochana Boukhobza

Chochana b

Folio n° 5 335, Denoël 2010

« Dieu a dit : Que les eaux qui sont au-dessous du ciel se rassemblent en un seul lieu et que les continents apparaissent. Et il en fut ainsi. Dieu nomma les continents terre et il nomma les eaux mers. Puis Dieu a dit : que la terre produise de l’herbe, des plantes portant semences et des arbres fruitiers. Il en fut ainsi et Dieu vit que tout cela était bon, ce fut le troisième jour. »La Genèse Ancien Testament

Ce livre est l’histoire de deux femmes, Elisheva, rescapée des camps de concentration, et Rachel, jeune femme de vingt-trois ans, sa fille spirituelle, liées toutes deux par un même amour de la musique. Elles  pratiquent leur art à New-York et reviennent à Jerusalem pour trois jours. Elles sont violoncellistes et le concert qu’elles vont donner risque bien d’être le dernier.

Elisheva a dû pour survivre jouer de la musique dans le camp de concentration où elle a été déportée avec sa famille. Le bourreau du camp, Hunker, a réussi à échapper à la justice pendant toutes ces années mais il semblerait qu’il vienne bientôt à Jerusalem se recueillir sur les lieux saints du christianisme. Elle va chercher à se venger… Quant à Rachel, elle va revoir l’homme qu’elle a tant aimé au risque de bouleverser sa vie…

Ce livre est rempli de musique mais aussi de bruit et de fureur. La fureur du passé, l’évocation des camps de la mort, des expériences menées sur les prisonniers, la douleur et la mort, mais aussi le vacarme du présent, l’Intifada (nous sommes dans les années 70), la haine entre Juifs Israéliens et Palestiniens, une tension palpable, et l’évocation de la guerre.

En Israël, les femmes n’y échappent pas; elles sont soldates et subissent le même type d’entraînement. Elles participent au conflit armé et prennent des risques.

La famille de Rachel a émigré d’Afrique du nord dans les années cinquante, son père, très religieux s’inscrit dans ces mouvements traditionalistes « qui répète(nt) à longueur d’années que Dieu aime son peuple, qu’Il a donné ce pays des deux côtés du fleuve Jourdain et qu’un jour le Messie se lèvera pour nous restituer notre héritage ». Le dialogue est difficile avec ce père érudit mais conservateur qui refuse de faire le ménage, craignant de « déchoir en épluchant des légumes ou en passant le balai. » qui estime que les garçons, « ce n’est pas pareil ».

Dialogue difficile avec cette Palestinienne qui « me regardait comme si j’étais transparente, comme si je n’étais rien. » raconte-t-elle, «  elle s’adressait à cette transparence pour écouler son raisin. J’avais oublié qu’en principe nous étions ennemies. Qu’il y a entre nous le manque de paix, les pneus brûlés des enfants de Gaza, les tirs de nos soldats à Hébron, à Jénine, à Ramallah, les jets de caillasses des adolescents masqués sur tout ce qui porte l’uniforme de Tsahal, sur toutes les voitures civiles ou militaires, des Israéliens. »

Dialogue difficile avec l’amour, l’amant qui refuse de la suivre dans ses concerts.

Difficile pour les Israéliens de bonne volonté qui voudraient trouver une solution de paix et qui sont pris entre la rancœur et violence mêlées des uns et des autres . Le mal est profond, il s’enracine dans la création même d’Israël et dans les antagonismes religieux. Et à la fin du livre, on ne voit vraiment pas comment cette situation pourrait évoluer favorablement.

Partir comme Rachel ?

Comment concilier destin individuel et collectif ? Au nom de quelle folie collective a-t-on laissé des gens partir dans les camps de concentration ? Au nom de quoi aujourd’hui tant de violences et de crimes se perpètrent encore ?

« Tu es une individualiste, tu n’as pas le sens de la communauté, tu ne sais pas te plier aux règles, tu ne sais pas faire passer le groupe et les intérêts du groupe avant ta petite personne. » reproche son frère à Rachel. Mais l’art n’est-il pas la tentative de rejoindre la communion universelle à partir de sa propre singularité ?

Quelques extraits :

« La jalousie des femmes d’Israël c’est quelque chose. »

«  Le mariage est la hantise des femmes de la région, qu’elles soient arabes ou juives. Les Arabes sont mariées par leurs parents, presque contraintes. Les Israéliennes ont beau être libres, décrocher des galons à l’armée et occuper dans le civil des postes influents, elles ne pensent qu’à convaincre leur amant d’officialiser leur liaison. »

Et l’une et l’autre se jugeaient en silence, l’une qui se disait : malheureuse, t’es prisonnière de ton connard de mari et de ta foutue tradition, l’autre qui ruminait, espèce de sale pute à moitié nue, Juive de malheur, ta vue m’offense les yeux et souille mon âme. »

Les femmes dans les romans : la voix de Yun-Xiang (Les témoins de la mariée de Didier van Cauwelaert

didier van cau

Une femme arrive de Shangai pour épouser un célèbre photographe. Les témoins du futur époux doivent l’accueillir à l’aéroport. Ils n’ont en main qu’une photographie en noir et blanc d’une fille qui est « l’incarnation parfaite de la banalité » : silhouette plate, cheveux raides et sourire sans charme. Ces témoins sont au nombre de quatre, Lucas bouddhiste paraplégique, militant, Jean-Claude, faible et amoureux éconduit, Marlène, galeriste malheureuse en amour et Bany enfant abandonné dans un vignoble à la naissance. Tous les quatre vont tomber sous le charme de cette femme venue d’Asie chargée, ni plus ni moins, de les faire accoucher d’eux-mêmes.

            Cette femme va bouleverser leur vie ! Elle est une accoucheuse d’âmes, ce qui n’est qu’une prolongation de sa fonction biologique première ! Mais elle est aussi une terrible séductrice, un être hybride, transformée et façonnée par la société de son temps.

            De la madone à la bimbo, il y a certes un pas, conséquent à franchir, mais aucune contradiction n’épargne nos sociétés consuméristes. Imaginez peut-être une créature « à mi chemin Jackie-Kennedy geishaentre Jackie Kennedy  et une geisha de Playboy relookée haute couture ». Hum, phantasme quand tu nous tiens… Entre la vierge et la putain, la femme pudique, maternelle et la femme charnelle, un brin perverse et infiniment désirable, l’image de la femme suit quotidiennement de grands écarts que toutes les femmes, malheureusement, ne sont pas capables d’exécuter au quotidien. Mais je vous le dis moi, c’est bien DOMMAGE ! D’ailleurs, le sport, la chirurgie esthétique et la haute couture peuvent vous y aider. Si vous n’y parvenez pas, avouez que c’est tout simplement que vous manquez d’un peu de VOLONTE !

            Il faut préciser aussi que si cette femme plaît aux hommes, elle chavire aussi le cœur (et le corps) des femmes. Au fond, cette femme est une guerrière des temps modernes, une guerrière qui veut l’amour et qui utilisera tous les moyens mis à sa disposition (passions communes, joie de vivre, forces toniques et besoin de protection)  pour réussir. Mais qui est Yun-Xiang ? Pourquoi a-t-elle quitté la Chine ? Esclave moderne ? Manipulatrice ?

            Mais je vous vois venir, vous allez me rappeler que je vous parlais d’une fiancée, d’une futur mariée, et que soudain, je vous embarque dans un discours incohérent sur la vierge, la putain, la bimbo et TUTTI QUANTI ! J’en vois même certains m’accuser de féminocentrisme !

            Pour le savoir, il va vous falloir lire ce savoureux petit livre (183 pages) qui je pense va beaucoup vous amuser. Pas de temps mort dans ce récit mené tambour battant par Didier van Cauwelaert, beaucoup d’humour, un savant mélange de clichés (juste ce qu’il faut) et d’ironie !

Les matins de Jenine – Susan Abulhawa

Les-matins-de-Jenine

A travers le destin d’Amal, la plus jeune fille de la famille Abulheja c’est toute l’histoire de la Palestine qui nous est contée, de 1948, date de la création de l’Etat d’Israël à 2002, après la Seconde Intifada à travers trois générations de Palestiniens.

« Privés de droits, de maison, de nation, tandis que le monde nous tournait le dos, ou acclamait les usurpateurs qui exultaient en proclamant la création d’un nouvel etat auquel ils avaient donné le nom d’Israël ».

            L’histoire d’Amal est d’abord celle d’une dépossession, celle de sa famille, des terres et des oliviers de leur village natal de Ein Hod en Palestine et de l’exil vers le camps de réfugiés de Jenine. La grande Histoire marquera la petite histoire, infléchira le destin de chaque membre de la famille. De la disparition d’ Ismaïl, frère aîné d’Amal, à la folie de sa mère, les vies sont brisées par les soubresauts de l’Histoire. La douleur et la colère conduiront Youssef, l’autre grand frère, à la haine et au désir de vengeance. Amal, tentera, elle, d’échapper au bruit et à la fureur des armes à travers l’exil.

            De solides amitiés se nouent toutefois entre Juifs et Musulmans, dont les liens indéfectibles continueront par-delà la mort. Les identités deviennent parfois plus floues, telle l’histoire de ce jeune Palestinien élevé par une famille juive dans le mystère de ses origines et qui ne se sentira jamais vraiment ni Israélien, ni Palestinien.

            « Ce sont les Palestiniens qui ont payé le prix de la Shoah «  s’écrie un des personnages. En effet, qui peut condamner l’espoir immense d’un peuple d’être à l’abri des errances politiques et des folies meurtrières des Etats ? Les Juifs de la diaspora furent de tout temps persécutés, à la merci de la cruauté des Etats, et de l’antisémitisme. Israël représenta l’espoir d’un refuge et de la protection d’un Etat. Mais fallait-il que ce soit au prix d’une autre injustice ? Ne pouvait-on faire autrement ? Telles sont, au fond, les questions qui parcourent ce livre… « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre »…

            Des voix des femmes palestiniennes s’élèvent pour témoigner non seulement de la dure condition des réfugiés, de la douleur des mères qui perdent leurs enfants dans les conflits armés, mais aussi de la place difficile et parfois étroite que la tradition arabe laisse aux femmes. Rouage essentiel de la résistance palestinienne, garante de la stabilité de la cellule familiale, la femme palestinienne n’est pas toujours reconnue à sa juste valeur. Cela fait penser à l’histoire de Fadwa Touqan, poétesse palestinienne, née en 1917 a Naplouse qui dut se battre sa vie durant pour échapper à la « prison domestique ». Toutefois, pas de prise de positions féministes dans ce livre. Si Amal s‘émancipe, elle le doit autant à son père qui lui transmet la culture littéraire, qu’à sa mère.

Le silence recouvre la violence faite aux femmes ; si une jeune fille est victime d’inceste, elle doit se taire et cacher sa honte et sa souffrance : « Si les gens l’apprenaient, le scandale serait inévitable. Porter atteinte à la virginité d’une jeune fille avait de graves conséquences dans notre culture. » Pour la jeune fille bien sûr…

Dalia, la mère d’Amal, fut cruellement punie d’une escapade à cheval par une marque au fer rouge appliquée par son père, en public, dans la paume de sa main.

Les filles n’approchent pas les garçons, « Amal ne s’était jamais trouvé aussi près d’un être masculin à l’exception de Youssef, de Baba (le père) ou d’ammi Darwich ». Une coutume veut que la femme soit appelé « mère de tel fils … » Oum Youssef, pour la mère de Youssef.

Hommes et femmes vivent dans des univers séparés, tradition séculaire qui se perpétue mais que la guerre et l’exil, par la force des choses, fait lentement évoluer. Amal y gagne malgré tout son indépendance. L’arrachement se fait dans d tous les sens du terme…

Littérature et engagement ici ne sont qu’un seul projet. Au cœur des personnages, les conflits gagnent en intelligibilité ce qu’ils perdent en objectivité. On comprend mieux ce que peuvent vivre les Palestiniens, la tragédie de ce peuple…

Toutefois la traduction (ou le style) est parfois très malhabile et les fautes de style m’ont fait bondir plus d’une fois. Un avis, au final, assez mitigé. 

Susan Abulhawa

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Susan Abulhawa est née en 1967 en Palestine, de parents réfugiés de la guerre des Six-Jours. 


Élevée en partie
au Koweït, en Jordanie et dans la partie occupée de Jérusalem-Est, elle vit maintenant aux États-Unis. 


Les Matins de Jénine est son premier roman ; il a remporté le Best Book Award 2007 dans la catégorie Fiction historique. 

(source Pocket.fr)

          Très engagée dans la défense du peuple palestinien, Susan Abulhawa a publié  plusieurs articles dans la presse américaine — notamment dans le Daily New de New York, leChicago Tribune, le Christian Science Monitor ou encore le Philadelphia Inquirer . En 2001, elle a fondé l’ONG Playgrounds For Palestine qui a pour mission d’offrir des terrains de jeux aux enfants palestiniens vivant dans les territoires occupés par l’armée israélienne. Plusieurs aires de jeux ont ainsi été créées à Bethléem, Naplouse, Rafah, Khan Younis et Hébron.

 Au printemps 2002, Susan Abulhawa s’est rendu en Cisjordanie. Elle a tiré de son voyage un livre-document, Les Matins de Jénine (2003, éditions Buchet-Chastel 2008) qui, à travers l’histoire de trois générations d’une famille vivant dans un camp de réfugiés, témoigne de la tragédie qui a frappé les Palestiniens après 1948 (année de la création de l’Etat d’Israel). 

source « La République des Lettres, »

Elle a fait partie des écrivains et éditeurs des pays arabo-musulmans qui ont décidé de boycotter le Salon du livre de Paris en 2008, Selon elle, seuls les auteurs et la littérature hébraïque « pure », étaient mis à l’honneur alors que l’arabe est la deuxième langue officielle parlée et écrite à Jérusalem.

« Les organisateurs du Salon du Livre veulent-ils, à l’instar d’Israël, faire comme si la Palestine et les Palestiniens n’existaient pas ? […] À moins qu’ils soient simplement complices d’Israël pour débarrasser le monde de notre peuple, de notre mémoire, de notre culture et de notre histoire ? », s’interroge Susan Abulhawa.

Paroles de femmes : Sahar Khalifa

Sahar Khalifa portrait

As a female writer, I believe that I was able to really dig into different aspects of Palestinian society. Few men can do likewise, because when you look into a mirror you do not want to see how ugly you are. You do not want to see the dimension of things. Men are not used to taking a brave look at things that might hurt their soul. A woman on the other hand, is different. This is because of her education, and how she is raised as a marginal being and an outsider. She is accustomed to look at things not in a glorified manner, but in a more realistic one. However, this does not mean that all women writers see this reality. Several neglect their unprivileged role in society and ignore in the process all marginal people, because they think that they are leaders and have become part of the elite. A woman writer has to have feminist awareness not an ideology. Middle class people can afford to sit and write anything and produce beautiful pieces, but unfortunately this is not the reality of our society. 

En tant que femme qui écrit, je pense avoir été capable de creuser les différents aspects de la société palestinienne. Peu d’hommes ont pu faire la même chose, parce quand vous vous regardez dans un miroir, vous n’avez pas envie de voir combien vous êtes laid. Vous ne voulez pas voir la réalité des choses. Les hommes n’ont pas le courage de regarder en face les choses qui pourraient les blesser. Une femme est tout à fait différente. Cela est dû à son éducation, à la façon dont elle est marginalisée, considérée comme une outsider. Elle a l’habitude de voir les choses comme elles sont, dans leur trivialité. Cependant , cela ne veut pas dire que toutes les femmes écrivains voient cette réalité. Beaucoup ne tiennent pas compte de leur rôle mineur dans la société, et du coup ignorent les marginaux, parce qu’elles pensent qu’elle font partie de l’élite, de ceux qui décident. Une femme écrivain doit avoir une conscience féministe sans s’enfermer dans une idéologie. Les gens de la classe moyenne peuvent se permettre de s’assoir et  d’écrire tout ce qu’ils veulent et créer de belles choses, mais malheureusement ce n’est pas la réalité de notre société.

extrait d’une interview donnée The Star, Jordania, 1998 Interview