Archives pour la catégorie Les oeuvres des femmes

Ma cousine Phillis – Elizabeth Gaskell

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La cousine Phillis est une assez longue novella publiée pour la première fois en feuilleton dans the Comhill Magazine de novembre 1863 à février 1864, entre deux longs romans, Sylvia’s lovers (1863) , histoire d’amour et de guerre, et un de ses chef-d’œuvre  Femmes et Filles (1865) que la mort de l’auteure laissera inachevé.

 J’ai eu davantage de plaisir à lire cette nouvelle que le précédent livre que j’ai lu d’elle « Cranford ». Le récit est plus dynamique, et le narrateur décrivant ses pensées et sentiments apporte un point de vue personnel qui en dit aussi long sur lui que sur la fameuse cousine.

Ce récit est l’histoire de plusieurs amours, fraternel, filial, conjugal dont chacun éprouve sa nécessité à la défaillance de l’un des deux autres. Ce tissage affectif permet à chacun d’évoluer et de mûrir malgré les souffrances et les épreuves. C’est pour moi un récit sur l’importance de la relation en tant qu’elle n’en exclut aucune autre parce qu’elle est elle-même relative et non-absolue. Enfin, c’est de cette manière que je l’ai lu.

 Le narrateur, Paul Manning a dix-neuf ans, et s’installe dans la ville d’Eltham pour devenir employé aux écritures sous les ordres d’un ingénieur ambitieux et cultivé, Holdsworth,  chargé de superviser la construction d’une petite ligne de chemin de fer. Une vive amitié naît entre les deux hommes malgré la différence de position. Non loin de là, à Hope Farm (on se dit que ce nom n’est pas choisi au hasard !) vivent des cousins éloignés, les Holman. Ceux-ci ont une fille qu’ils chérissent par-dessus tout, Phyllis de deux ans plus jeune que Paul. La famille va vite adopter Paul et celui-ci décide un jour de leur présenter son ami et mentor.

 La cousine Phillis est bien sûr dans la veine du roman sentimental, largement réservé aux femmes qui écrivent mais dont elles renouvellent le genre en y introduisant des critiques et des observations sur la société de l’époque et notamment sur la place des femmes.

L’éducation des jeunes filles malgré des avancées importantes n’est pas toujours très bien vue.

« Vois-tu, continuai-je, elle est si instruite – elle raisonne plutôt comme un homme que comme une femme. » Or la beauté et l’apparence restent les qualités féminines par excellence. Une femme qui raisonne prétend ressembler aux hommes et cela amoindrit leurs capacités de séduction. Symbolique, le déplacement se fait de l’esprit au corps.

            « Une fille instruite, c’est vrai –mais on ne peut plus rien y faire maintenant, et elle est plus à plaindre qu’à blâmer là-dessus, vu qu’elle est la seule enfant d’un homme aussi instruit. »

Malgré  la création de Bedford College à Londres en 1849 par Elizabeth Jesser Reid, il faudra attendre 1870 et 1879 , pour que Cambridge et Oxford s’ouvrent enfin aux femmes ! Pour la grande majorité des femmes l’instruction supérieure n’est possible que si elle est permise par le père qui lui-même est seul détenteur des connaissances. Mais pourtant dès le début du XIXe siècle , les écoles primaires pour filles sont créées de manière systématique en Angleterre. Phillis est la représentante de cette femme nouvelle qui aime apprendre et désire ardemment s’instruire.

La mère est une personne « purement maternelle, dont l’intellect n’avait jamais été cultivé et dont le cœur aimant ne s’intéressait qu’à son mari. ». Elle jalouse les conversations de la fille et du père auxquelles elle ne comprend rien.

 Dans ces propos que tient le père de Paul, on voit que l’éducation des femmes, leur instruction ne peut être qu’un « mal », et que s’il se produit dans cette famille, c’est qu’il est le résultat d’un autre déplacement tout aussi symbolique, du garçon absent « mort en bas-âge », à la fille qui a survécu. La société patriarcale ne peut faire mieux que de déplacer l’axe, l’incliner sans bouleverser pour autant l’ordre social.

 Paul, lui même, alors qu’il ressent de l’attirance pour sa cousine, ose à peine lui parler de peur qu’elle ne s’aperçoive de son ignorance. Il se demande alors si elle est faite pour lui. De même qu’elle est plus grande que lui, et que cela renforce encore le sentiment d’infériorité qu’il éprouve.

 Mais des changements s’annoncent, le chemin de fer parvient dans des endroits de plus en plus reculés, la loi postale permet l’envoi de nombreux courriers et permet donc l’échange des idées. L’industrialisation menace les campagne et produit de grands bouleversements en même temps qu’elle ouvre aux idées nouvelles, à l’économie et à la science.

On voit ici comment ‘Elizabeth Gaskell renouvelle le genre et lui donne des résonances bien plus importantes que celles d’un simple roman sentimental.

Une nouvelle passionnante donc sur ce XIXe siècle fut le siècle du féminisme avec deux mary : Mary Astell et Mary Wollstonecraft.

Billet dans le cadre du mois anglais chez Lou ou Titine. Une occasion de parler pendant un mois de livres, films, voyages ou cuisine anglaise. Et en lecture commune avec Virgule.

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La nuit africaine – Olive Schreiner / Chef d’oeuvre

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Unique roman publié de son vivant, énorme coup de cœur pour moi, salué par la critique comme l’égal des « Hauts de Hurlevent », remarqué par Bernard Shaw, Oscar Wilde, et plus tard Doris Lessing , « La nuit africaine » est une de ces œuvres dont le cri de révolte résonne encore aujourd’hui.

Publié en 1883 sous un pseudonyme masculin, « La nuit africaine » remporta, en dépit du scandale, un succès foudroyant. Du jour au lendemain, Olive Schreiner se retrouva propulsée dans les salons avant-gardistes de Londres.

On reprocha à ce roman sa construction un peu lâche et décousue et ses longues digressions, mais cela fait partie de son charme à mon avis. Une œuvre d’art existe aussi pour contester les règles, et le roman d’Olive Schreiner en conteste quelques-unes, c’est vrai. Mais les quelques maladresses qu’on a pu lui reprocher sont parfois à l’origine de ce charme puissant qui vous saisit à sa lecture.

D’abord ce paysage, les plaines d’Afrique du Sud, arides, et sèches, enfer brûlant, où paissent quelques troupeaux, et où vivent des Boers, à des kilomètres les uns des autres, isolés, puritains et ignorants, livrés à leurs seuls instincts et débordés parfois par leur violence,  au milieu du XIXe siècle.

Deux enfants, Waldo et Lyndall rêvent d’une autre vie et sentent la révolte gronder en eux, surtout Lyndall, rebelle, qui conteste l’ordre établi et le rôle assigné aux filles :  « Quand je serai grande et que je serai forte, je haïrai tout ce qui a du pouvoir, et j’aiderai tout ce qui est faible. »Comment rester là et étouffer dans cette vie où il ne se passe rien ? Très peu pour elle ! Elle veut partir, elle veut apprendre, et elle n’aura de cesse d’y arriver ! Et même si pour cela il faut être une belle poupée froide, se poudrer le nez,  et se servir des hommes ! Qu’à cela ne tienne, tout plutôt que le mariage, tout plutôt que cette vie étriquée où les rêves s’éteignent un à un. Lyndall est bouleversante, sa lutte est titanesque, et on a peur pour elle à chaque page. Etre une femme, quelle calamité : « Tu vois cette bague ? Elle est jolie, poursuivit-elle en levant sa petite main dans le soleil pour faire étinceler les diamants. Elle vaut bien cinquante livres. Je suis prête à la donner au premier homme qui me dira qu’il voudrait être une femme. […] C’est si charmant d’être une femme ! On se demande pourquoi les hommes rendent grâce au ciel tous les jours de ne pas en être une. » Etre une femme, à cette époque, cela veut dire un destin tout tracé de votre naissance à votre mort. Une vie accablée par les maternités et les tâches ingrates.

Et ce cri peut-être : « Mais il y a une pensée qui est toujours là, qui ne me quitte jamais : j’envie celles qui naîtront plus tard, quand enfin être femme ne sera plus – je l’espère – être marquée du sceau de l’infamie »

A l’époque, cela se payait cher : cette pionnière du féminisme, première romancière blanche et anglophone d’Afrique du sud, détruira un jour tout le reste de son œuvre et s’éteindra seule, dans une chambre d’hôtel du Cap.

A un siècle de distance, écoutez la belle voix d’Olive Schreiner ! Laissez-vous porter par ses accents à la fois sincères et douloureux. Grâce à cette femme et d’autres avec elle, nous sommes aujourd’hui, pour la plupart, libres …

Anne Brontë – La dame du manoir de Wildfell Hall

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Anne Brontë La Dame du manoir de Wildfell Hall archi poche  2012 ( première publication en 1848)

          Anne Brontë est la moins connue des sœurs Brontë et « La Dame du manoir de Wildfell Hall » aussi traduit « La recluse de Wildfell Hall » eut à souffrir de critiques particulièrement acerbes lors de sa publication en Angleterre en 1848 ; on reprocha à Anne Brontë  de faire l’apologie du vice tant ses personnages étaient  réalistes, de camper une héroïne aux vertus bien peu féminines et d’étaler  « son goût morbide pour la brutalité vulgaire ».  Un an après la mort de sa sœur, Charlotte empêchera la republication de l’ouvrage, le jugeant peut-être trop scandaleux pour l’époque.

        On le considère aujourd’hui à juste titre comme l’un des premiers romans féministes.

Helen Graham est une veuve bien mystérieuse. Elle vit en compagnie de son fils dans un manoir délabré et  particulièrement retiré et semble rechercher la solitude. Que cache son attitude ? Que fuit-elle ? Qu’a-t-elle donc à se reprocher pour s’entourer de tant de mystère. Les langues vont bon train jusqu’à ce que le scandale éclate … Le récit est d’abord raconté par Gilbert Markam, un hobereau du coin, puis par Helen qui lui confie son journal.

Anne Brontë se place ici dans la tradition des grands moralistes. Il s’agit de peindre les malheurs du vice pour inciter à la vertu et dissuader les jeunes gens de se livrer à la débauche, les jeunes hommes surtout, à qui une société hypocrite et injuste passe tous les caprices censés montrer leur puissance et leur virilité. Anne Brontë s’inspira pour cela de la déchéance de son frère qui mourut alcoolique et tuberluceux. 

Le trait est incisif, Anne Brontë démonte les mécanismes d’une toute-puissance masculine à laquelle des lois injustes et une éducation permissive ne mettent aucun frein. Les femmes séparées de leur mari ne peuvent intenter une action en divorce, ni disposer de leur fortune, ni conserver la garde de leurs enfants. Elles doivent être soumises et résignées. Seuls de mauvais traitements physiques peuvent justifier un éloignement salutaire.  Or Hélene Graham/Huntington quitte le foyer conjugal, vend des tableaux pour gagner sa vie et fait fi du qu’en dira-t-on. Elle ose critiquer la différence d’éducation entre les garçons et les filles et la mauvaise influence des mères qui à force de gâter leurs  fils  ainés en font des monstres de vanité et d’égoïsme. « Je ne compte pour rien ici », se plaint Rose, la sœur de Gilbert Markam. Les garçons passent avant tout, les meilleurs morceaux leur sont réservés et les femmes sont à leur service.

Lorsqu’on lit aujourd’hui les romans écrits par des femmes, on retrouve, dans certains milieux ou dans certaines parties du monde les mêmes constats. Cette litanie en agace beaucoup, hommes ou femmes, qui ont l’impression parfois qu’il y a une forme d’exagération et de répétition un peu vaine. Mais voilà, la littérature est aussi une arme de combat, le lieu d’une prise de parole pour ceux ou celles qui en sont privés. D’ailleurs, le sort réservé aux femmes est un excellent indicateur pour la démocracie, les endroits où elles ne sont pas respectées sont aussi ceux où les Hommes, plus généralement, ne sont pas vraiment libres. Et les voix qui sélèvent ne sont pas seulement féminines. J’avais été frappée lors d’une émission animée par Frédéric Taddeï , de la remarque d’une juriste qui disait ne pas s’intéresser plus à la cause des femmes qu’à n’importe quelle autre cause. L’antiféminisme n’est pas le seul fait de certains hommes mais aussi de nombreuses femmes. Peut-être est-ce une façon de se rassurer, de s’exclure de la « masse » indistincte de celles qui par leur genre pourraient être vulnérables ou assignées à certains rôles. L’illusion peut-être qu’il n’y a plus vraiment de combat à mener.

Ann Brontë est morte à 29 ans de la tuberculose. J’ai une très grande admiration pour cette jeune femme, pour sa lucidité et son courage. Elle est pour moi un modèle. Certes, elle n’était pas « romantique », même si elle sacrifiait comme tant d’autres écrivains à l’inévitable « histoire d’amour », mais elle savait analyser finement les rapports sociaux de genre. Elle écrivait pour avoir un autre destin… Mais peut-il vraiment y avoir d’autres raisons pour écrire ?

Le matin et autres poèmes – Emily Dickinson

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Le matin

Le matin , qui ne vient qu’une fois,

Envisage de revenir-

Deux Aubes pour un Seul Matin

Donne un prix soudain à la Vie –

Edition printemps des poètes – 2005 – Poèmes à la poche

Ils n’ont pas besoin de moi.

Ils n’ont pas besoin de moi, mais qui sait –

Je laisserai mon Coeur en vue –

Mon petit sourire pourrait bien être

Précisément ce qu’il leur faut –

S’accumuler comme un tonnerre

S’accumuler comme un tonnerre à sa limite –

Puis – s’écrouler – grandiose

Alors que la Création se cache –

Voilà qui serait – Poésie –

Ou amour – ils ont le même âge –

On les éprouve – sans les prouver –

On les vit – ils vous consument –

Car à la vue de Dieu nul ne survit.

Hester Lily – Elizabeth Taylor

Hester Lily

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Hester Lily – Elizabeth Taylor – 1954 Elizabeth Taylor – 2 007 Editions Payot et Rivages 112 pages

Hester Lily, jeune femme devenue orpheline, est recueillie par son cousin Robert, de plusieurs années son aîné. Son épouse Muriel n’apprécie guère cette intrusion et devient la proie d’une jalousie maladive.

Son travail de secrétaire qu’elle exécute plutôt mal, son côté godiche, ne font guère craindre a priori une rivale. Pourtant c’est ce que pressent l’épouse de Robert, directeur d’une école de garçons dans une bourgade provinciale.

Hester va être le catalyseur du malaise profond qui ronge le couple.

Dans cette longue nouvelle qui est avant tout une brillante étude de mœurs, Hester sertle révélateur à une situation qui, cachée sous le vernis apparent de la vie sans histoires d’un couple plutôt assorti, va apparaître peu à peu.

La jalousie de Muriel, l’épouse, n’est que la conséquence de son angoisse face aux difficultés que traverse son couple. Elle sent bien que la situation lui échappe et que le conflit larvé va bientôt éclater. Elle a peur d’Hester car elle pressent la fin inéluctable de son couple et emploie toute son énergie à sauver les apparences plutôt qu’à résoudre la crise qu’il traverse.

Hester est l’altérité fondamentale, qui représente qu’une autre vie est possible, que d’autres amours sont à naître. L’idéal chrétien et bourgeois d’un mariage pour le meilleur et pour le pire est battu en brèche par la plume un tantinet cruelle d’Elizabeth Taylor. Elle n’épargne aucun de ses personnages ni ne cherche de justifications morales à leurs actes.

Elle les observe sans les juger, s’attachant seulement à mettre en lumière un monde intérieur complexe derrière une vie bourgeoise apparemment lisse.

Le désamour à l’œuvre dans le mariage est malgré tout la preuve qu’un sentiment fort et authentique a existé mais qu’il n’a pas résisté au lent travail de sape du temps.

Que fera Hester dont la vie est à construire ? Quels choix fera-t-elle ? Aura-t-elle le courage de vivre sa passion jusqu’au bout ou renoncera-t-elle aux sentiments qu’elle aurait pu éprouver ?

Elizabeth Taylor d’une plume plutôt distante mais précise analyse les faux semblants d’une société dans lesquels sont empêtrés ses personnages. Ils ont au fond le plus grand mal à savoir qui ils sont et quels sont leurs véritables désirs et se débattent dans des sentiments contradictoires comme une mouche dans la toile.

Plus connue pour son roman « Angel » que j’ai très envie de lire, Elizabeth Taylor est l’une des grandes écrivaines anglaises de ce siècle.

Fadhma Aïth Mansour Amrouche Histoire de ma vie

Histoire de ma vie

Fadhma Aïth Mansour Amrouche Histoire de ma vie La découverte poche

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Ce livre est d’une sorte que j’aime particulièrement, parce qu’il a été difficile à trouver et que sa rencontre a été le fruit d’un heureux hasard. C’est aussi une voix depuis longtemps disparue, à la charnière de deux siècles et de deux mondes et témoin des derniers soubresauts du colonialisme. Il y avait peu de chances que je la connaisse si je ne m’étais pas intéressée dans mon projet aux traces des femmes qui ont écrit d’une manière ou d’une autre dans ce siècle ou dans d’autres plus anciens.

Voici comment la présente Vincent Monteil en 1967 :

« Une vie. Une simple vie, écrite avec limpidité par une grande dame kabyle, d’abord en 1946, puis en 1962, avant que la mort ne vienne la prendre en Bretagne, le 9 juillet 1967, à quartre-vingt-cinq ans. Fadhma Aïth Mansour Amrouche, la mère de Taos et de Jean, a quitté cette terre, mais elle nous reste présente, par ces pages où l’on retrouve les travaux et les jours, les naissances, les morts, le froid cruel, la faim, la misère, l’exil, la dureté de cœur, les meoeurs brutales d’un pays rude où les malédictions, les meurtres, les vendettas étaient monnaie courante, pour des gens si pauvres que les glands doux formaient encore la nourriture de base […] »

 

Cette femme fut en exil dans son propre pays et dans sa propre culture : fruit de la relation hors mariage de sa mère, considérée comme un être maudit, elle devient le symbole de la honte et tous s’acharnent sur elle : quolibets, coups, rien ne lui est épargné. Pour la mettre à l’abri, craignant pour sa vie, sa mère l’emmène à Fort-National, dans une école pour filles qui vient d’ouvrir. Elle en gardera un beau souvenir malgré les épreuves qu’elle traversera. Elle apprend à lire et à écrire, ce qui était rare à l’époque pour une fille, dans l’école laïque des colons, les Français.

Paradoxalement, ils la sauvèrent des mœurs brutales de la trivbu de sa mère et lui ouvrirent l’accès à la culture. Pourtant, avec une certaine inconséquence, ils la renvoyèrent chez elle au début de l’adolescence. La porte ne s’était ouverte que pour mieux se refermer.

« Je ne voulais plus repenser à ma vie passée, puisqu’il fallait oublier que j’avais été instruite. »

 En 1898, elle partit pour travailler à l’hôpital des Aïth-Manelegueleth tenu par des religieuses, où elle rencontra son mari à l’âge de seize ans. Débuta alors une suite ininterrompue de grossesses qui était le destin commun des femmes en ce temps-là. Toutefois son mari est instruit et travaille au bout de quelques années comme fonctionnaire aux Chemins de fer. Mais les émoluments sont faibles et la famille tire le diable par la queue. D’autant plus qu’il faut accueillir la belle famille, nombreuse, et que le peu qu’on a est l’objet de rapines incessantes. La structure sociale, la polygamie, rend la vie matérielle très difficile. Les maris prennent de nombreuses épouses, qu’ils répudient facilement pour en prendre de nouvelles, mais qu’il faut entretenir ainsi que leur nombreuse progéniture. Une femme répudiée revient dans sa famille, une veuve devient l’épouse du frère de son mari. Donc les charges  sont lourdes pour un foyer et la misère n’est jamais loin.

            

Fadhma échappera au lot commun car son mari était chrétien. D’autre part, étant éduqués eux-mêmes, ils éduquèrent leurs enfants qui réussirent à faire des études et dont certains devinrent professeur ou instituteur. Elle leur transmit la mémoire familiale et le goût de la poésie à travers les chants berbères de Kabylie que son fils recueillit de sa bouche et publia. Sa fille Taos devint écrivain et évoqua les lieux de son enfance dans ses romans. Cet arrachement fit de Fadhma une femme dont le destin fut hors du commun et dont la descendance retrouva la lignée maternelle des clairchantants : tout le village écoutait sa mère et ses frères  « lorsque leur chant se répandait dans les rues. »

Elle fut sauvée par une culture étrangère et dût le payer de l’exil. Cette culture lui apporta une certaine liberté et lui assura une protection contre les excès d’une culture familiale patriarcale qui niait la liberté des femmes et les soumettait à la polygamie.

Mais elle fut toujours l’étrangère : « J’étais toujours restée « la Kabyle ». jamais, malgré les quarante ans que j’ai passés en Tunisie, malgré mon instruction foncièrement française, jamais je n’ai pu me lier intimement, ni avec des Français, ni avec des Arabes. Je suis restée, toujours, l’éternelle exilée, celle qui, jamais, ne s’est jamais sentie chez elle nulle part. »

Gageons que sa voix aujourd’hui est à la fois singulière et universelle parce qu’elle est le symbole de l’exil intérieur que durent subir les femmes de tous lieux et de tous temps. Exil dont certaines ne sont toujours pas revenues…et dont les plus chanceuses ont oublié jusqu’aux rigueurs, foulant à nuveau le sol natal.

La découverte

Lac aux dames – Vicki Baum

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Lac au Dames, Vicki Baum, Le livre de poche n° 167 (1962 ?), paru en 1932 en langue allemande, rédité en Phébus Libretto en 2008 (240 pages)

Je ne sais pas d’où Vicki Baum tient sa réputation de légèreté, peut-être à sa collaboration avec le cinéma Hollywoodien, aux lieux où elle plante ses décors, Grand Hôtel, plage, endroits exotiques , ou alors aux personnages eux-mêmes dont quelques-uns sont occupés à des vies mondaines sans grand intérêt. En tout cas, cette réputation est fausse, Vicki Baum est loin d’être un auteur superficiel même si certains de ses personnages, eux, le sont.

Dans Lac aux Dames, les drames sont silencieux et passent le plus souvent inaperçus. Les classes sociales se côtoient sans jamais se mélanger, un mur invisible les sépare qui est le souci de la bienséance et l’argent.

Nous sommes en 1930, et sur les rives d’un lac tyrolien se dressent le grand hôtel Petermann et l’établissement de bains où Urbain vient de se faire embaucher comme maître-nageur. Commence alors une vie difficile, soumise aux caprices de la météo, puisque le jeune homme vit uniquement des leçons de natation qu’il donne. Tiraillé presque quotidiennement par la faim, Urbain vit également tous les émois d’une passion naissante avec une jeune fille fortunée qui loge à l’hôtel. Mais leurs amours sont bientôt compromis et la tragédie guette.

Sous-titré Un roman gai d’amour et de disette, (on cherche vainement la gaieté dans ce roman), ce roman montre la virtuosité de l’auteur à analyser les rouages d’une société rigide à l’agonie avant la grande crise des années qui suivront. Elle décrit un monde crispé sur les apparences et d’une extrême cruauté. L’individu ne vaut que par sa position sociale, et doit absolument cacher la moindre faille au risque d’en mourir.

Ce roman est aussi une peinture sociale de l’Europe de l’entre-deux-guerres. Les femmes se débarrassent peu à peu du corset, font de la gymnastique, flirtent et dansent au sein d’une jeunesse avide de plaisirs. Elles commencent à travailler, May revendique ce droit : «  Je travaille mes huit heures par jour comme tout homme qui se respecte […] ». Les relations entre les sexes évoluent elles aussi ; les femmes deviennent camarades et compagnes. Toute une société semble en mouvement pour sombrer à nouveau quelques années plus tard dans l’holocauste.

J’ai lu ce roman parfois dans une tension extrême, tellement j’étais prise par l’histoire, dans les affres de ce jeune homme. J’ai découvert une auteure talentueuse, qui manie l’ironie et la satire sociale avec beaucoup de virtuosité. Vicki Baum est à redécouvrir !

Cranford – Elizabeth Gaskell

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Editions de L’Herne, 2009, pour la traduction française ; traduit de l’anglais par Béatrice Vierne. Collection Grands romans points.

Publié en feuilleton en 1851 dans le magazine de Charles Dickens.

  Cranford est la transposition de Knutsford, bourgade du Nord-Ouest de l’Angleterre, au cœur du Cheshire, où Elizabeth Cleghorn Stevenson (future Elizabeth Gaskell) passa une grande partie de son enfance avant d’épouser William Gaskell et d’aller vivre à Manchester. Elle croque les personnages avec une certaine ironie, cette sorte d’humour qui appartenait aussi  à Jane Austen (1775-1817). La narratrice, Mary Smith, dépeint le quotidien quelque peu étriqué de ses amies, les deux vieilles filles Miss Matty et Miss Deborath Jenkyns, et les travers de la société victorienne dont les règles et l’étiquette dicte la conduite des femmes. Les apparences ont une grande importance ainsi que la position sociale, et certains personnages aveuglés par leur vanité et leur snobisme sont capables d’une certaine cruauté. Elizabeth Gaskell ne les épargne guère, fustigeant les fausses valeurs et la sècheresse de cœur.

La société de Cranford est essentiellement féminine : « Cranford est aux mains des amazones ; au-dessus d’un certain loyer, ses demeures ne sont occupées que par des femmes. Si jamais un couple marié vient s’installer en ville, d’une manière ou d’une autre, le monsieur disparaît … ». Le monde féminin est un monde clos, celui des hommes est celui du dehors et des grandes étendues.

Cranford est donc un microcosme féminin que Mrs Gaskell observe avec l’œil d’un entomologiste . « La nature si unie de leur existence » lui fournit mille anecdotes. Toutefois tout ce petit monde vit plutôt en bonne entente et les personnages sont suffisamment dynamiques pour pouvoir évoluer tout au long du récit. Ces femmes révèlent leurs failles presque malgré elles,  leur manque cruel d’amour,  mais parviennent parfois à être heureuses dans la compagnie d’un homme aimant et respectueux dans une belle entente sensuelle.

Une chronique provinciale bien savoureuse en tout cas malgré un récit où parfois il faut bien l’avouer, il ne se passe pas grand-chose. Le temps des femmes est celui de la patience et de l’attente, de l’endurance et du regret, un temps élastique qui parfois est tendu à se rompre  mais qui après d’excessives tensions se remet toujours à sa place.

Lecture commune organisée par George    AVEC

Lou, Virgule, Valou, Céline, Emma, Solenn, Sharon, Alexandra, Paulana, Emily, Titine, Plumetis Joli ClaudiaLucia,

Un heureux événement – Flannery O’Connor

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Deux nouvelles composent ce recueil : « Un heureux événement » et « La Personne Déplacée » et sont extraites du recueil « Les braves gens ne courent pas les rues » (Folio n°1258)

  Dans la première nouvelle, Ruby semble être à un moment décisif son existence : on lui a prédit un heureux événement et elle attend avec impatience de déménager, de quitter son immeuble qu’elle ne supporte plus. Elle se sent malade, s’essouffle dans les escaliers et rêve d’une maison de plain-pied, où elle et son mari pourraient couler des jours heureux. Vertiges, nausées, l’immeuble semble être un vaisseau qui tangue dans lesquels les marches s’élèvent et descendent « comme une bascule ». Mais elle ne veut pas aller chez le docteur, elle n’a besoin de personne pour contrôler sa propre vie. Elle ne veut pas être comme sa mère qui à trente-quatre ans était déjà une vielle femme usée par les maternités. D’ailleurs Ruby n’a pas d’enfant. Elle maîtrise son destin.

Dans la seconde , Mrs. Mc Intyre a embauché une « Personne Déplacée », un Polonais qui a fui la guerre et les persécutions nazies avec sa famille pour l’aider à la ferme. Il se révèle un travailleur infatigable, un homme dévoué et les paysans et les Noirs qui se moquaient de son accent , heureux de trouver plus pauvre et plus démuni qu’eux, commencent à prendre peur

 

L’écriture de Flannery O’Connor sonde les reins et les cœurs, fouille au-delà des apparences les secrets les plus honteux, la méchanceté tapie au coin de l’âme.

Peu à peu, par petites touches, le portrait qu’elle brosse des personnages, laisse apparaître les failles, les non-dits, les Challenge-Genevieve-Brisac-2013souffrances qui les taraudent et les poussent à la cruauté.

La souffrance n’apprend rien. Elle ne rend pas plus compatissant, ni plus généreux, bien au contraire. Peur pour Ruby d’avoir la même vie que sa mère, peur d’être déclassé ou de perdre le peu qu’ils ont pour les employés de la ferme, cette peur taraude les personnage …

Prisonniers de leur propre aveuglement, ou de leur préjugés, ils semblent les seuls à ignorer ce qui les meut et ne semblent avoir aucune prise sur les événements. Leur liberté est illusoire ; ils sont esclaves de leur milieu, de leur ignorance ou du destin. Dans ce monde-là, il n’y a pas d’échappatoire…

L’écriture de Flannery O’Connor est d’une virtuosité extraordinaire, sa maîtrise du récit est implacable et elle conduit la crise jusqu’à son paroxysme . Du grand art …

L’ingénue libertine – Colette

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L’ingénue Libertine – Colette – Le livre de poche
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Colette écrivit ce roman en 1909. Mariée depuis 1893 à Henry Gauthiers-Villars surnommé Willy, Colette écrivit pour son époux des romans qu’il signait sans vergogne. « L’ingénue libertine » était à l’origine une nouvelle, Minne, et une suite « Les égarements de Minne » écrits avec Willy et qu’elle rassembla en une seule œuvre lorsqu’elle se libéra définitivement de l’emprise de son premier mari. Elle en expurgea toutes les contributions de celui-ci. Toutefois, elle ne put jamais le considérer comme un bon roman car trop lié aux premiers aspects de sa carrière de romancière.

Qui est donc cette ingénue libertine ? Une ravissante personne, Minne, choyée par sa mère, tenue à l’écart du monde, mais dont l’imagination s’enflamme à la lecture des journaux et des aventures d’une bande de Levallois-Perret, composée de margoulins et de criminels, qui représente pour la jeune fille la liberté et l’aventure. L’éducation des jeunes filles de l’époque qui les laisse dans l’ignorance de la sexualité et qui pour préserver leur innocence (et leur virginité) les enferme dans un quotidien sans saveur est responsable d’une méconnaissance complète des choses de la vie et de ses dangers.

Son cousin âgé de quelques années de plus qu’elle, et avec qui elle passe ses vacances fait bien pâle figure à côté de ces hommes sauvages et libres. Il est amoureux fou pourtant de sa cousine et finira par l‘épouser.

Mais Minne s’ennuie, sa vie est plate, et elle n’éprouve aucun plaisir sexuel  avec son mari. Elle reste captive de son secret et collectionne les amants dans l’espoir de découvrir ce plaisir qui jusqu’alors lui a été refusé. Devant son mutisme et son manque d’enthousiasme, son mari ne se pose pas de questions et ne cherche pas à découvrir l’origine d’une telle indifférence.

Minne est prisonnière d’un système social dans lequel le refoulement de l’orgasme au féminin s’inscrit dans une tradition séculaire de répression des femmes comme le montrera, dans les années 70, le Rapport Hite.

            A l’époque de Minne, dans les années 20, on mettait même en doute l’orgasme féminin et on cantonnait la femme à ses fonctions reproductrices. Quand on lui reconnaissait une existence c’était sous la forme d’une sexualité masculine complètement génitalisée, c’est pourquoi nombre de femmes ne ressentaient aucun plaisir dans leurs rapports amoureux. Le rapport Hite mit en lumière le fait qu’un tiers seulement des femmes en retirait du plaisir.

Colette soulève là un problème qui commençait à son époque à agiter les consciences féminines et devint la première à l’évoquer aussi librement dans un roman. Sa fréquentation des milieux homosexuels et ses propres aventures amoureuses lui firent certainement découvrir, dans un milieu libéré des conventions, une autre forme de sexualité beaucoup plus satisfaisante.

Le manque d’éducation sexuelle et les préjugés fortement ancrés dans les mœurs étaient autant d’embûches pour l’épanouissement des femmes. Et si la parole s’est libérée aujourd’hui, on le doit d’abord à ces femmes qui furent des pionnières.

 

J’ai beaucoup aimé ce roman de Colette qui aborde un sujet qui fut longtemps tabou sur la sexualité féminine.

« Irène Chaulieu dit qu’il faut se ménager, sinon ne veut pas paraître tout de suite cinquante ans, et elle assure que, pourvu qu’on crie ah !ah !, qu’on serre les poings et qu’on fasse semblant de suffoquer, ça leur suffit parfaitement. Ca leur suffit peut-être aux hommes, mais pas à moi ! »s’écrie Minne.

Colette décrit parfaitement à quoi conduit la frustration, à une forme de haine : « Mais encore une fois, il défaille seul, et Minne, à le contempler si près d’elle immobile, mal ressuscité d’une bienheureuse mort, déchiffre au plus secret d’elle-même les motifs d’une haine naissante : elle envie férocement l’extase de cet enfant fougueux, la pâmoison qu’il ne sait pas lui donner. »

Minne parviendra-t-elle à trouver ce qu’elle cherche, à se libérer des entraves de cette frustration sexuelle qui l’enferme dans la grisaille et l’ennui ? Il faut lire la sulfureuse et libre Colette.

Marie-Claire – Marguerite Audoux

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En ce mois de novembre enfiévré par les prix littéraires et notamment  le Prix Fémina, une occasion de lire ou de relire celles qui furent parmi les premières primées.

  Prix Fémina 1910 – Marguerite Audoux.

  Née en 1863 à Sancoins dans le Berry, Marguerite Audoux est couturière. Elle écrit pour tromper l’ennui et la misère et aussi certainement pour la distraire de sa solitude. Ce n’est que tardivement, la quarantaine passée, que Marguerite Audoux, pauvre et malade, connaîtra le succès. Elle écoulera pourtant 75 000 exemplaires de Marie-Claire qui obtiendra le prix Femina en 1910. Octave Mirbeau en écrivit un  vibrant éloge en guise de préface  :

«  Marie-Claire est une œuvre d’un grand goût. Sa simplicité, sa vérité, son élégance d’esprit, sa profondeur, sa nouveauté sont impressionnantes. Tout y est à sa place, les choses, les paysages, les gens. Ils sont marqués, dessinés d’un trait, du trait qu’il faut pour les rendre vivants et inoubliables. On n’en souhaite jamais un autre, tant celui-ci est juste, pittoresque, coloré, à son plan. Ce qui nous étonne surtout, ce qui nous subjugue, c’est la force de l’action intérieure, et c’est toute la lumière douce et chantante qui se lève sur ce livre, comme le soleil sur un beau matin d’été. Et l’on sent bien souvent passer la phrase des grands écrivains : un son que nous n’entendons plus, presque jamais plus, et où notre esprit s’émerveille ».

              Le roman de Marguerite Audoux est en grande partie autobiographique : elle y raconte la mort de sa mère, son enfance passé à l’orphelinat, et son adolescence dans une ferme solognote où elle est placée comme bergère. La grâce de ce roman tient aux non-dits qui le tissent, lui donnant une sorte de mystère et de profondeur. La petite fille raconte toute une série d’événements qui semblent incompréhensibles à ses yeux d’enfant ; on comprend pourtant ce qui est tu, les souffrances, et les regrets d’adultes qui ont manqué leur vie. Ce regard d’enfant est d’une grande fraîcheur et restitue un milieu et une époque qui nous sont assez méconnus, loin de la grande Histoire, au plus près du quotidien des petites gens où le destin est marqué en grande partie par la condition et le milieu social et où la fortune, parce qu’elle est l’apanage de privilégiés dans une société souvent injuste, est aux mains d’une bourgeoisie soucieuse de ne pas se mésallier.

            La langue de Marguerite Audoux est belle, équilibrée, simple sans être pauvre. Son grand sens de l’observation  lui permet de croquer presque sur le vif des situations cocasses : ainsi lorsqu’elle raconte l’épisode de sa communion : « Je tombais sur les genoux dans le confessionnal, et tout aussitôt, la voix marmottante et comme lointaine de Mr le curé me rendait un peu confiance. Mais il fallait toujours qu’il m’aidât à me rappeler mes péchés : sans cela j’en aurais oublié la moitié.

            A la fin de la confession, il me demandait toujours mon nom. J’aurais bien voulu en dire un autre, mais en même temps que j’y pensais, le mien sortait précipitamment de ma bouche. »

            Un livre qui restera dans l’histoire littéraire et marqua d’une pierre l’entrée des femmes dans un milieu littéraire qui leur était encore assez fermé, pour ne pas dire hostile.

Une bonne raison de continuer mon entreprise d’exhumation des textes féminins et de poursuivre mes tentatives d’archéologie littéraire…

Challenge La Belle Epoque (1879-1914)

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Claire d’Albe – Sophie Cottin

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L’histoire, en quelques mots, est celle d’une jeune femme mariée à un homme qui a l’âge d’être son père, et qui s’éprend d’un jeune homme venu leur rendre visite. Déchirée entre l’exigence de vertu et la passion qu’elle éprouve, la jeune femme se trouve au cœur d’un conflit d’une telle violence qu’il menace sa vie-même.

Le contexte est important pour comprendre une telle œuvre ; il faut savoir qu’il souleva l’indignation d’une autre femme de lettres, Mme de Genlis, qui en dénonça selon elle, la parfaite immoralité.

          L’œuvre fit scandale, ce qui ne manque pas d’étonner aujourd’hui quand on lit ce livre où tout commerce charnel est parfaitement exclu. Mais en ce début de XIXe siècle, on ne plaisante pas avec les femmes adultères, ni même avec les femmes en général. Elles n’ont qu’à bien se tenir :

« Le bien qu’une femme peut faire à son pays n’est pas de s’occuper de ce qui s’y passe, ni de donner son avis sur ce qu’on y fait, mais d’y exercer le plus de vertus qu’elle peut », et « une femme en se consacrant à l’éducation de ses enfants et aux soins domestiques, en donnant à tout ce qui l’entoure l’exemple des bonnes mœurs et du travail, remplit la tâche que la patrie lui impose […] »3

            Les femmes de lettres ne contestent pas toujours l’ordre établi, elles intègrent les normes sociales et en font parfois l’apologie dans leurs romans. Il s’agit de respecter les bonnes mœurs et de passer à travers la censure puisque pour se faire éditer il faut être lue par des hommes. La femme doit être « belle autant qu’aimable, mais un ange », sacrifier son existence à ses enfants, respecter « les plus saints préceptes de morale », et « les nœuds sacrés du mariage », « remplir avec dignité tous les petits devoirs auxquels leur sexe et leur sort les assujettissent »

Sophie Cottin ne fait pas exception à la règle, mais par sa profession d’écrivain, et tout à fait malgré elle, elle se trouve en rupture avec les règles auxquelles sont soumises toutes les femmes. Et puis, même si l’héroïne en meurt, l’amour ici est plus fort que les liens du mariage , « Frédéric était l’univers, et l’amour, le délicieux amour, mon unique pensée », « mon univers, mon bonheur, le Dieu que j’adore »s’écrie Claire d’Albe, en proie aux plus vifs mais aussi aux plus délicieux tourments ». L’auteur décrit les effets et les ravages de la passion quand celle-ci est interdite par la société. A défaut d’être assouvie, elle ne disparaît qu’avec la mort de celui ou celle qui l’éprouve et les multiples obstacles et empêchements la font gagner en intensité.

 

Ce texte est donc daté, et la langue emphatique a de quoi parfois nous agacer. Elle a des accents de tragédie qui peuvent cependant toucher et émouvoir. Et même si les répétitions son parfois nombreuses, la passion est parfois très bien décrite, « Je n’en puis plus, la langueur m’accable, l’ennui me dévore, le dégoût m’empoisonne ; je souffre sans pouvoir dire le remède  ». Elle monte crescendo tout au long du roman et finit, non pas en apothéose, mais dans le sacrifice de celle qui éprouve cette passion mortelle. Gare à celle qui s’oppose aux normes sociales et aux valeurs chrétiennes, elle risque le payer fort cher. En ce XVIIIe siècle finissant, et ce début du XIXe , les héroïnes ne peuvent que mourir d’amour ou …d’ennui.

Le bonheur de la nuit – Hélène Bessette

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  Hélène Bessette – Le bonheur de la nuit – Editions L&o Scheer, 2006

Hélène Bessette, née en 1918 a été publiée pendant une vingtaine d’années et représenta un temps l’avant-garde de la littérature des années 60-70. Marguerite Duras déclara même : « La littérature vivante, pour moi, pour le moment, c’est Hélène Bessette, personne d’autre en France. », Raymond Queneau à son tour la qualifia d’ « Un des auteurs les plus originaux de son temps . ».Pourtant qui connaît son nom aujourd’hui malgré l’excellent travail d’édition de Laure Limongi ?

Hélène Bessette cependant marqua son temps, et ses romans figurèrent plusieurs fois sur les  listes des prix Goncourt et Femina. Elle fonda le GRP, le Gang du Roman Poétique et dynamita les codes traditionnels du roman pour inventer une langue nouvelle, rapide, efficace, et pratique. Elle tranchait dans la phrase comme on tranche dans le vif.

Toutefois si les intellectuels du temps reconnurent son originalité et son talent, elle ne rencontra pas le grand public. Son style novateur eut tôt fait de déconcerter des lecteurs habitués à une narration plus classique. Ses romans ont des allures de poèmes :

Une grosse femme brune. Noiraude. Forte en postérieur. Ce qui fait onduler la jupette. Un peu plus loin. Derrière le jarret.

Forte en reins. Moulée dans un chandail.

Excitante et sexy.

Les phrases sont courtes, parfois composées d’un seul mot et donnent un rythme heurté au récit.

Les repères donnés par le roman réaliste ou psychologique n’ont plus vraiment cours ici  même si on retrouve des personnages relativement identifiables, et une progression – non-linéaire cependant- dans le récit.

  Le bonheur de la nuit, est le récit d’une crise, crise de couple, dans laquelle se jouent l’amour et la séduction, la séparation et les retrouvailles de Nata de Nathanaël cynique et veule et de son épouse, puis de sa maîtresse dans un espèce de cycle sans fin, qui sombre dans l’absurdité et la violence. Le couple est un enfermement où se jouent des relations de pouvoir, où les femmes se donnent pour de l’argent et où les hommes représentent un patriarcat violent et destructeur.

  Hélène Bessette, disons-le tout de suite, est un auteur qui pourra sembler difficile à certains. J’ai trouvé, pour ma part, de l’intérêt à la lire, même si  le récit s’essouffle vers la fin. Il a un côté expérimental qui m’a intriguée je dois le dire. Je crains cependant qu’elle ne soit jamais  populaire et qu’elle reste un auteur d’avant-garde louangé par les critiques mais ignorée par les lecteurs.

Premières années – Marie d’Agoult / Vivre et écrire au XIXe siècle

Marie d'Agoult

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Marie d’Agoult(1805-1876)- Premières années – Folio collection Femmes de lettres 2009

La critique littéraire a opéré des coupes sombres dans la littérature féminine des siècles passés quant elle ne l’a pas carrément passée sous silence. Les écrits de femmes furent longtemps considérées comme des œuvres mineures.
Qu’en est-il du  XIXe siècle ? Quel nom d’écrivaine retient-on de cette période hormis Georges Sand ? Et pourtant il y en eut d’autres, dont Marie d’Agoult, qui dut surtout sa célébrité à une longue liaison avec le compositeur Franz Liszt mais qui écrivit pourtant plusieurs essais historiques et politiques, un roman, ainsi que des poèmes,  proverbes et nouvelles.

 

L’édition présentée ici a été établie et présentée par Martine Reid à partir d’une œuvre plus vaste « Mes souvenirs » publié en 1977 par Calmann-Lévy après la mort de l’auteure. Martine Reid a repris le texte de cette édition, du chapitre II au chapitre XVII. Quelques coupures ont été effectués dans l’ensemble pour une raison de calibrage du volume.

Ce petit livre est intéressant à bien des égards : outre qu’il offre l’histoire de soi par le biais de l’autobiographie, il fait de nombreuses références à l’histoire du temps.
Marie d’Agoult non seulement donne de précieuses informations sur la France de la Restauration, et sur la mentalité de ses contemporains mais entreprend une critique sans complaisance de ses multiples travers en même temps qu’elle souligne ses paradoxes.

Elle écrit dans une langue élégante mais vivante, croque à merveille les situations, campe les personnages en quelques phrases et anime son récit de descriptions vivantes et de portraits dont on sent la justesse psychologique.

Elle évoque d’abord ses premières années d’une enfance choyée avant son départ pour le couvent.
Du mariage qui suivit quelques années plus tard, on sait qu’il fut
désastreux et qu’après la mort de sa fille Louise, elle vécut une
profonde dépression.

Sa rencontre avec Liszt fut un tournant décisif dans son existence : elle quitta tout, ignora les codes de conduite de la bonne société et ses préjugés nobiliaires, et vécut une vie de femme libre.

Elle décrit le milieu conservateur qui fut celui de sa famille, sa morale souvent rigide et hypocrite, plus soucieuse du qu’en-dira-t-on que de véritable intégrité morale, où les femmes sont soumises au père puis au frère aîné. Toutefois cette aisance lui permit d’être éduquée :
« Ma mère et ma bonne allemande […]me faisaient lire des contes de Grimm, réciter des fables de Gellert ou des monologues de Schiller. »

Elle put suivre son père à la chasse et à la pêche, éprouver l’ivresse due à l’activité physique et à la vie au grand air.

Elle étudie lors de leçons « sans pédantisme , sans réprimandes, abrégées dès que se trahissait dans mon attitude la moindre fatigue ,[…] exemptes  de ces surexcitations de l’amour-propre qui , dans les rivalités des pensions et des lycées mêlent si tristement la jalousie à l’ambition d’exceller ».

Le frère est « un père plus jeune, comme un guide, comme un appui  dans le monde que je ne connaissais pas. »

Sous la tutelle du père puis du frère, puis de l’époux, Marie de Flavigny suit les coutumes de son temps, qu’elle rejettera plus tard pour vivre ses amours avec Liszt. Le discours des jeunes années est à bien des égards un discours de soumission. Elle se réfugie au couvent dans un mysticisme profond.
Elle raconte aussi quelle était l’instruction des jeunes filles dans la maison d’éducation la plus renommée de France.
Ces jeunes filles savaient à peine l’orthographe mais « Il était entendu qu’une demoiselle bien élevée, lorsqu’elle entrait dans le monde, devait avoir appris avec ou sans goût, avec ou sans dispositions naturelles la danse, le dessin, la musique, et cela dans la prévision d’un mari qui, peut-être, il est vrai, n’aimerait ni les arts ni les bals, et qui, au lendemain du mariage, ferait fermer le piano, jeter là les crayons, finir les danses, mais qui, possiblement aussi, en serait amateur. »

Il y a dans ce récit des « Premières années » un accent de profonde révolte qui le rend particulièrement attachant et émouvant. Parole longtemps oubliée d’une femme qui marqua son temps, et posa avec d’autres, les fondations du féminisme.

Marie d'Agoult (1843), portrait by Henri Lehma...
Marie d’Agoult (1843), portrait by Henri Lehmann (1814 – 1882) (Photo credit: Wikipedia)

84, Charing Cross Road – Helene Hanff

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Helene Hanff
Helene Hanff (Photo credit: Wikipedia)

Helene Hanff – 84, Charing
Cross Road – Traduit de l’anglais par Marie-Anne Kisch, Editions Autrement 2001

Ce
livre raconte
l’histoire d’une correspondance entre Helen Hanff, une américaine désargentée, à la recherche de vieux  livres de littérature anglaiseet Frank Doel bouquiniste de la librairie Marks&Co sise au 84 Charing Cross à Londres pendant vingt ans. Au fil du temps, cette correspondance commerciale a pris un tour plus intime et amical, en dépit de la distance entre l’Angleterre et les Etats-Unis. Une sorte
de fidélité de part et d’autre qui en fit une relation tout à fait  particulière.

Helene Hanff écrivit des scenarii pour la télévision américaine et de nombreux livres pour enfants. 
La publication de ces lettres lui assura la notoriété et le succès  à
plus de cinquante ans. L’engouement que ce livre suscita peut poser question car il manque d’évidentes qualités littéraires et pour le fond, cette correspondance commerciale, manque parfois de chaleur sinon d’intérêt. Il faut être très au fait de la littérature
classique anglaise pour en comprendre les multiples références du XVI au XXe siècle. Qui connaît ici John Donne ou Charles Lamb ?
Il devint cependant une success story à l’américaine et il faut peut-être en chercher les raisons dans le mystère même de cette correspondance, la fidélité d’Helene Hanff à une librairie outre-Atlantique alors qu’elle aurait pu trouver certains des ouvrages qu’elle cherchait dans des librairies américaines, les petits cadeaux qu’elle envoie à certaines occasions, son évidente solitude et les moment difficiles qu’elle traverse. Quant à Frank Doel, même s’il témoigne une certaine réserve à l’égard de sa correspondante, il met un réel empressement à satisfaire à ses demandes ou commandes, il reconnaît en elle une connaisseuse et on peut imaginer qu’il est touché par cette cliente s iparticulière

Ceci est mon interprétation personnelle bien sûr, mais j’y crois mordicus.

 Pourquoi lire ces lettres sinon ? J’y ai vu une sorte d’appel, la rencontre de deux immenses solitudes et c’est ce qui m’a
touchée. Et qui vous touchera peut-être aussi.

Joyce Mansour – L’appel amer d’un sanglot

joyce-mansour

L’appel amer d’un sanglot
Venez femmes aux seins fébriles
Écouter en silence le cri de la vipère
Et sonder avec moi le bas brouillard roux
Qui enfle soudain la voix de l’ami
La rivière est fraîche autour de son corps
Sa chemise flotte blanche comme la fin d’un discours
Dans l’air substantiel avare de coquillages
Inclinez-vous filles intempestives
Abandonnez vos pensées à capuchon
Vos sottes mouillures vos bottines rapides
Un remous s’est produit dans la végétation
Et l’homme s’est noyé dans la liqueur
Carré Blanc (1965)

J’ai volé l’oiseau jaune
Qui vit dans le sexe du diable
Il m’apprendra comment séduire
Les hommes, les cerfs, les anges aux ailes doubles,
Il ôtera ma soif, mes vêtements, mes illusions,
Il dormira,
Mais moi, mon sommeil court sur les toits
Murmurant, gesticulant, faisant l’amour violemment,
Avec des chats.
Joyce Mansour.

Joyce Mansour (née Joyce Patricia Adèx) à Bowden en Angleterre en 1928, disparaît en 1986.Poétesse égyptienne d’expression française liée au surréalisme, son premier recueil de poèmes « Cris » a été publié chez Seghers. Son écriture du désir lui assura une réputation sulfureuse. Les Têtes Raides ont mis en musique un de ses poèmes.